Les Mondes de Philip K. Dick
mercredi 02 mars à 22h40 (56 min) sur ARTE
Rediffusion mardi 29.03 à 3h25
Le nom de Philip K Dick vous évoque probablement l'univers abstrait de la science-fiction, que je considérais stupidement inaccessible, ou peu à mon goût, jusqu'à ce que j'apprenne que Minority Report, Blade Runner, Paycheck, L'Agence ou Total Recall, avant d'être les adaptations hollywoodiennes à succès, étaient tous des romans (ou nouvelles) de l'auteur. Et cela change tout. J'ai eu soudain envie d'en savoir plus, et bingo, le film, diffusé sur Arte, écrit par Yann Coquart et Ariel Kyrou, vous invite à mieux découvrir la personnalité, le parcours et les écrits de l'auteur.
En moins d'une heure, on découvre un véritable personnage de fiction : l'homme, de nature paranoïaque, à tendance obsessionnelle, ne sortait jamais de chez lui, recherchait l'éternelle fille aux cheveux noirs ou vivait dans le souvenir de sa jumelle décédée, il croyait aussi en la théorie du complot, voyait le danger partout, imaginait notre société du futur sous le contrôle des machines et des nouvelles technologies, notre humanité effacée par la rencontre du 3e type, le martien n'étant plus un mythe etc. C'est aussi tordant que décalé, torturé que tourmenté, un esprit génial, en surchauffe perpétuelle, dopé aux amphétamines ou visionnaire défaitiste... Les spéculations ne manquent pas. Mais le plus perturbant revient à lire ou relire ses œuvres, aujourd'hui, en plein XXIe siècle blasé par l'évolution perpétuelle de notre mode de vie. On plonge dans ses histoires avec le même trouble et la même fascination, réalisant surtout que tout avait déjà été écrit, pensé, annoncé. Philip K Dick avait réellement anticipé notre monde actuel - par pur génie ou simple fantasme délirant ?
Pour le savoir, laissez-vous porter par ce portrait dressé d'après de nombreux témoignages (dont sa veuve, son thérapeute et son biographe), des clichés personnels et, surtout, des passages de ses récits lus à voix haute. Et si l'envie de tout noter pour en lire davantage et prolonger cette immersion "dickienne" ne vous effleure pas, je n'y comprends rien ! ;-) Pour ma part, j'ai commencé la lecture de son roman uchronique, Le Maître du Haut Château. Et je me régale.
Les Mondes de Philip K. Dick (1928-1982), réalisé par Yann Coquart, produit par Thibaut de Corday (2015).
SOURCE : Arte © Nova Production
Opération Sweet Tooth, par Ian McEwan
Au début des années 1970, Serena Frome, une jeune anglaise, fille de pasteur, étudiante en mathématiques à Cambridge, fait la rencontre d'un éminent professeur, qui va la modeler intellectuellement, avant de la recommander aux services secrets du MI5. Son idylle se termine douloureusement et, pour oublier son chagrin, Serena travaille d'arrache-pied pour décrocher sa première mission : l'opération Sweet Tooth, qui consiste à encourager de jeunes écrivains, en subvenant à leurs besoins financiers, pour qu'ils publient des écrits dont les idéologies concordent avec celles du gouvernement britannique. Tout ceci dans la plus grande discrétion, naturellement. La cible de Serena s'appelle Tom Haley, une plume prometteuse et pleine de talent, mais à l'univers assez sombre et torturé. La jeune femme tombe néanmoins amoureuse de ses nouvelles, avant de connaître le personnage... et de succomber de nouveau au charme de l'intellectuel. C'est une récurrence chez cette héroïne, belle et vaniteuse, qui reconnaît son attirance pour la même figure masculine dominatrice. Et fatalement, en tombant amoureuse de son client, la jeune femme compromet sa mission et s'attire le courroux de son superviseur fou de jalousie...
Serena n'étant toutefois pas une figure très attachante, son histoire ne nous touche pas davantage, aussi admirablement écrite et fascinante soit-elle. Dans ce roman d'amour, sur fond d'espionnage, l'auteur tente d'exploiter une nouvelle palette de sensations, où les relations semblent plus douces, plus délicates et à la sensualité plus nuancée, mais l'ensemble sonne faux, froid, imperméable aux émotions. L'auteur se sert aussi de la littérature comme un outil de manipulation - l'univers sulfureux de Haley rappelle celui de McEwan - la cruauté et la perversité s'étalant dans toute leur splendeur. Les femmes, aussi, sont traitées comme de simples objets jetables, dans une société qu'on devine désœuvrée, en quête de nouveaux ennemis (la guerre froide s'étiole, mais les premières frictions en Irlande du Nord apparaissent). C'est donc un roman pour le moins troublant et poignant... mais tellement déconcertant. J'en sors quelque peu perplexe.
Folio / Octobre 2015 ♦ Traduit par France Camus-Pichon pour les éditions Gallimard
Expo 58, de Jonathan Coe
Thomas Foley, du Bureau de l’Information, se voit confier la mission de superviser la construction du Pavillon britannique, lors de la prochaine Exposition universelle qui aura lieu à Bruxelles. Nous sommes en 1958. Il doit ainsi partir six mois en Belgique pour administrer le fameux pub anglais, le Britannia, un fac-similé qui deviendra rapidement le bastion d'individus pittoresques. On y retrouve notamment son camarade de chambrée, Tony Buttress, un scientifique anglais responsable d’une machine susceptible de bouleverser la technologie nucléaire, Anneke, la jolie hôtesse belge, son amie Clara, Jamie la barmaid et Emily l'américaine volubile, sans oublier Andrey Chersky, un journaliste russe, peu gêné aux entournures de brandir sa fierté patriotique, même s'il craque copieusement pour les nouvelles chips anglaises. Cette joyeuse bande passe donc de longues soirées animées, à boire de la bière, flirter, danser et refaire le monde. Thomas, tout absorbé par cette ambiance de fête, en oublie même son épouse Sylvia, restée à Tooting, en banlieue londonienne, avec leur bébé sur les bras ! Totalement sous le charme de la blonde Anneke, il vient également de basculer dans une dimension surréaliste - impliquant un kidnapping dans les règles de l'art et une mission d'espionnage à la James Bond - et est clairement dépassé par la situation.
N'en doutez pas, c'est un roman tout simplement exquis. L'histoire au départ ne laisse absolument pas présager la tournure qu'elle va prendre, alors accrochez-vous ! Thomas est un type affreusement guindé, pas taillé pour le rôle de l'agent secret, mais son entourage et leurs péripéties valent franchement le détour. Résultat, on ricane beaucoup à la lecture des aventures folkloriques et truculentes de cet anti-héros qui marche sur les plates-bandes de l'agent 007 comme un automate dégingandé. On redécouvre aussi l'époque de la guerre froide dans une représentation complètement dingue et aberrante, très caricaturale aussi, mais tout ça est fait exprès. L'ensemble peut sembler inattendu, mais c'est absolument désopilant à lire. Frais et enlevé. Un vrai roman anglais qui se moque des codes et du genre.
Folio / Juin 2015 ♦ Traduit par Josée Kamoun pour les éditions Gallimard