Ainsi vont les filles, de Mary Westmacott
Après un long veuvage de seize ans, période durant laquelle Ann Prentice s'est entièrement dévouée à sa fille Sarah, elle décide, à 41 ans, de se remarier avec Richard Caulfied, qu'elle vient de rencontrer lors d'un dîner chez des amis. Il lui tarde de le présenter à Sarah, partie trois semaines en Suisse. À son retour, pourtant, la nouvelle ébranle la jeune femme de dix-neuf ans, très attachée à ses habitudes et aux liens exclusifs qu'elle entretient avec sa mère. Aussi, fait-elle vivre un enfer au couple, forcé de repousser leurs noces. Cette tyrannie imposée par sa propre progéniture finit par oppresser Ann qui doute de l'avenir. Deux ans plus tard, on retrouve notre duo mère - fille dans une nouvelle posture. Sarah est courtisée par un homme fortuné, mais de mauvaise réputation. Même si elle est attirée par le luxe, elle n'est pas sûre de ses sentiments et quémande de l'aide auprès de sa mère, laquelle est trop accaparée par sa nouvelle vie mondaine pour lui prêter une oreille attentive et compatissante. Dans ce roman à l'atmosphère insupportable, où mère et fille se livrent une guerre d'usure, confondant l'amour, la dévotion à l'exigence et le despotisme, amertume et désespoir composent l'essentiel de cette histoire impitoyable. C'est à la fois hallucinant et agaçant de suivre Ann et Sarah se chamailler puis se réconcilier, et enfin donner le change en faisant semblant d'une paix retrouvée après tant de sacrifices ! Leur vie frivole ne masque hélas pas leur grande détresse (elles se pomponnent, sortent tous les soirs, boivent des cocktails, flirtent en toute insouciance). Les failles sont invisibles, même si les premiers signes sont sans appel (migraines, râleries incessantes). Le roman est, de ce fait, surprenant, poignant et rondement mené, avec un sens de la dramaturgie plus pointue et une sentimentalité plus affûtée. J'avais souvent l'impression de lire une pièce de théâtre - et n'ai donc pas été surprise d'apprendre que l'auteur avait initialement écrit son histoire sous cette forme. Agatha Christie dresse un portrait acerbe des rapports mère-fille teintés d'amour et de haine. C'est déconcertant, mais on se laisse vite prendre au jeu et emporter par cette relation vorace qui dépasse l'entendement.
Le Livre de Poche, avril 2016 pour la présente édition
Traduit par Dominique Chevallier (A Daughter's a Daughter, 1952)