Titus n'aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai
Titus est empereur de Rome, Bérénice, reine de Palestine. Ils vivent et s'aiment au Ier siècle après Jésus-Christ. Racine, entre autres, raconte leur histoire au XVIIe siècle.
Mais l'histoire de Nathalie Azoulai est actuelle : Titus quitte Bérénice dans un café. Il la quitte pour sa femme. Il la rappelle, malade, alité. Pour s'en sevrer, elle décide de lire tout Racine et de plonger dans sa vie, son parcours, son œuvre.
Comprendre ce qu'il a été, un janséniste, un bourgeois, un courtisan. Comment a-t-il pu écrire pareille histoire de passion bafouée, de chagrin incommensurable, de tromperie, de trahison, de lâcheté... “Quand on parle d'amour en France, Racine arrive toujours dans la conversation, à un moment ou à un autre, surtout quand il est question de chagrin, d'abandon. On ne cite pas Corneille, on cite Racine. Les gens déclament ses vers même sans les comprendre pour vous signifier une empathie, une émotion commune, une langue qui vous rapproche. Racine, c'est à la fois le patrimoine, mais quand on l'écoute bien, quand on s'y penche, c'est aussi du mystère, beaucoup de mystère. Autour de ce marbre classique et blanc, des ombres rôdent.”
Devenu symbole d'une souffrance amoureuse, Racine prend vie sous la plume de N. Azoulai. Et c'est avec un réel intérêt qu'on suit ses traces et découvre les grandes étapes de son existence à travers ce récit biographique, fouillé, documenté, enrichissant et captivant. De temps à autre, vient se glisser l'amante blessée, qui cherche à adoucir sa peine. De ces brèves incartades, j'avoue avoir été peu sensible et davantage frustrée d'être détournée du portrait de Racine.
L'auteur a tout de même pris certaines libertés avec l'exactitude historique et biographique pour pouvoir raconter une histoire qui n'existe nulle part déjà consignée, “à savoir celle d'une langue, d'un imaginaire, d'une topographie intime. Il ne reste que peu d'écrits de Racine, quelques lettres à son fils, à Boileau mais rien qui relate ses tiraillements intimes. On dit que le reste a été brûlé. Ce roman passe certes par les faits et les dates mais ce ne sont que des portes, comme dans un slalom, entre lesquelles, on glane, on imagine, on écrit et qu'on bouscule sans pénalités”.
Texte ambitieux et récit chatoyant, parfois traité avec exagération et maniérisme... il reste de cette lecture une écoute sensible et mélodieuse, une sensation d'éparpillement, des idées, une érudition, au cœur de laquelle Elsa Lepoivre a su tirer son épingle du jeu.
Gallimard, coll. Ecoutez Lire - juin 2016
Texte lu par Elsa Lepoivre (durée : env. 7h)
PRIX MÉDICIS 2015
Condor, de Caryl Férey
Lorsque le fils de son ami, directeur du journal populaire, est retrouvé mort d'une overdose, Gabriela, une jeune vidéaste intrépide, s'arme de sa caméra pour traiter du sujet et cherche à rallier l'avocat des causes perdues, Esteban Roz-Tagle, fils d'une grande famille avec laquelle il a rompu par lassitude et dégoût. Tous deux se lancent sans le savoir dans une longue et périlleuse enquête qui va les entraîner, depuis les quartiers pauvres de Santiago jusqu'aux résidences huppées, à se heurter aux huiles de la ville ou aux petites frappes qui dealent la came pour le compte d'un chef mafieux. Le couple débusque ainsi un nombre incalculable de trafics et autres magouilles inavouables, et s'attire fatalement l'antipathie de leurs rivaux, qui vont lâcher à leurs trousses des tueurs aguerris, les coinçant jusqu'au fin fond de l'impitoyable désert d'Atacama pour un ultime règlement de compte... Et l'histoire de dérouler son fil sans discontinuer, au rythme frénétique d'une intrigue sombre et poignante, servie par une écriture percutante. Avec pour toile de fond l'histoire du Chili, son passé dictatorial et son héritage corrompu, inutile d'attendre du roman une autre vocation que celle suggérée en préambule - violence, démons insatiables, univers implacable, âpre et douloureux, quête de la vérité vouée au suicide. Malgré les digressions poétiques, les incantations magiques et l'interlude romantique entre Gabriela et Esteban, on ressent avant tout l'amertume, l'angoisse, les relents de haine et de mort qui imprègnent le récit. C'est lourd, sans compromis. On ne sort bien évidemment pas indemne d'une telle lecture, élégamment portée par l'interprétation de Michel Vigné, dont la voix rauque et grave nous accompagne dans cette traque sanglante. Une lecture pleine de ferveur et vibrante d'émotions.
Texte lu par Michel Vigné pour Écoutez Lire, Gallimard (durée : 11h 55) - mai 2016