Le Lézard lubrique de Melancholy Cove, de Christopher Moore
Il se passe quelque chose dans la morne station balnéaire de Melancholy Cove. On y trouve une belle brochette de personnages déjantés : Theo Crowe, le flic qui fume des joints, Molly Michon, l'actrice de série B désormais folledingue et qui discute avec la voix off, le biologiste Gabe Fenton, la psy Val Riordan, la serveuse Mavis qui s'occupe du bar où le blues coule à flot... Une seule certitude : tous ont la libido qui explose.
Cette lecture va vous prendre de court avec son contenu à la fois drôle, épouvantable et irrévérencieux. Du policier ? non pas sincèrement. De l'humour ? oui, mais plus encore. De l'horreur ? ah oui, nous n'y sommes pas loin... Imaginez un monstre marin en chasse dans la petite ville de Californie, aux trousses d'un joueur de blues qui a commis un crime minable quelques années auparavant, et venu réclamer vengeance. Bref, ce “monstre” glisse et rampe dans les rues de Melancholy Cove, squatte pas loin de la caravane de l'Amazone Molly, cligne de l'oeil, émet des ondes et ravive une ahurissante frénésie sexuelle chez les membres de cette petite communauté. Lézard lubrique ? oui, assurément !
Alors donc, on rit, on s'esclaffe, on tique de répulsion, on doute, on rigole encore, on avoue (par bienséance) que c'est exagéré, mais très honnêtement on savoure et on en redemande encore ! Osez l'aventure, tentez le Christopher Moore - il vous bichonne aux petits oignons une aventure policière polissonne et tutti quanti.
Collection Folio policier (n° 432), Gallimard
Trad. de l'anglais (États-Unis) par Luc Baranger - [The Lust Lizzard of Melancoly Cove]
Nouvelle édition Mars 2016
Blueberry Hill, de Fredrik Ekelund
Un incendie dans un squat de SDF vient de provoquer la mort de l'un d'eux, le bien-nommé l'Espagne, en référence à son passé de combattant durant la guerre civile. L'inspecteur Lindström et Monica Gren se rendent sur place pour interroger les rares témoins, entre les sans-abris méfiants et lassés d'être l'éternelle cible d'un voisinage agressif, qui se plaint de leur présence, et ces mêmes riverains agacés de supporter cette proximité polluante qui déprécie leurs appartements. Bref, on tourne en rond.
Mais l'enquête va également faire émerger un groupuscule d'allumés fanatiques, aux idées néonazies entretenues avec ferveur par un ancien professeur déconsidéré par sa profession suite à une campagne de presse virulente, laquelle avait mis à jour ses théories négationnistes.
L'histoire n'épargne donc pas l'image glamour de cette Suède branchée particulièrement gangrenée par la montée du populisme et l'extrême-droite qui se répand en Europe comme une traînée de poudre. C'est affligeant, et paradoxalement stupéfiant d'en suivre l'évolution, les codes et les rouages en se faufilant dans les coulisses. Au secours, réveillez-vous !
Lindström et sa jolie collègue ont aussi leurs propres déboires à résoudre, le couple entretenant une liaison clandestine alors que le gars est marié et père de cinq enfants ! Hjalle n'est pas encore prêt à quitter son cocon familial, même s'il est fou amoureux de Monica dont il ne peut plus se passer. Tous deux doivent jouer sur la discrétion, même au boulot, et ne pas éveiller les soupçons.
Voilà qui donne au roman une couleur séduisante, et pourtant peu flatteuse pour les personnages, disons que cela rend la lecture d'une fluidité appréciable pour s'enlever toute la noirceur de l'intrigue criminelle assez conventionnelle. Car il est vrai que c'est un livre tout à fait correct, sans défaut majeur, mais sans une inventivité particulière. Les amateurs de polars nordiques savoureront le dépaysement et auront peut-être le goût de poursuivre la découverte de cette série (on retrouve le duo d'enquêteurs dans Le garçon dans le chêne & Casal Ventoso).
Traduit du suédois par Philippe Bouquet pour Gaïa éditions / Repris chez Folio Policier, en sept. 2015
L'Emprise du passé, de Charlotte Link
En apprenant la mort de son père, policier à la retraite, retrouvé assassiné chez lui, sa fille Kate débarque avec ses gros sabots d'agent de Scotland Yard, pensant faire avancer l'enquête confiée à Caleb Hale, lequel tente d'effacer son passé d'alcoolique notoire. Ce meurtre va néanmoins soulever d'autres secrets enfouis relatifs à la vie intime de son père, qui aurait entretenu une liaison amoureuse avec Melissa Cooper, alors que son épouse se battait contre un cancer. Le mythe du père adulé s'effondre. Kate écluse son chagrin à grosses lampées de whisky, sous le nez de Caleb, en plein sevrage, et se pend à son cou pour le débaucher, alors que le type ne rêve que de se tailler en douce... Réveil matinal douloureux et humiliant. L'enquête, cependant, poursuit sa route, entre les vieux dossiers traités par l'inspecteur Richard Linville, son histoire avec sa maîtresse et les autres fantômes dans le placard. En marge de cette histoire, l'auteur nous présente le couple Crane et leur fils adoptif Sammy, sa mère Terry et son nouveau petit copain Neil. En vacances dans les landes, un coin paumé dans le Yorkshire, où Stella et Jonas pensaient s'y ressourcer en toute quiétude, ils ont la désagréable surprise de croiser Terry et ses éternels atermoiements sentimentaux. Sans surprise, tous les ingrédients sont réunis pour annoncer le huis clos grinçant, venu exprès détourner notre attention et alimenter de folles spéculations. C'est que l'ambiance générale dans ce roman est lourde et pesante, entre secrets de famille, vendetta personnelle et drame du passé comme élément déclencheur de l'enchaînement de violence. Une intrigue assez formelle, construite avec des cubes de Lego pour ménager le suspense et donner l'illusion d'une tension psychologique édifiante. Pas mal !
Traduit de l'allemand (Die Betrogene) par Marion Roman pour les éditions Presses de la Cité, mars 2016