Le Cœur cousu, de Carole Martinez & Lu par Suliane Brahim
Santavela, village du Sud de l'Espagne, terre de processions religieuses, de cancans, de lubies douces et magiques !
Mariée à seize ans, Frasquita voit son mari perdre la boule après la naissance de leur premier enfant. Lui, le forgeron, se prend pour un coq et s'enferme dans le poulailler. À chaque fois que son épouse accouche de filles, c'est la même rengaine. Frasquita implore “les sagesses”, Blanca et Maria, de lui procurer des décoctions miraculeuses pour aider à la naissance d'un fils. Et un soir de lune rousse, Frasquita avale sa potion, fait ses prières et neuf mois plus tard, vient au monde Pedro el Rojo, son bébé poil de carotte.
Mais la roue tourne pour Frasquita, devenue une pièce d'échange lors d'un combat de coqs que son mari va perdre. Elle quitte tout pour suivre un inconnu, part à travers l'Andalousie avec ses marmots et découvre un pays de légendes. Et l'histoire continue de rouler sa bosse sur un sol de poussière et de rocaille, farouche et indomptable. Il y a un côté flamboyant dans cette fresque romanesque et familiale, où le beau croise le tragique, les joies succèdent aux larmes, la poésie escamote le grotesque.
Cette histoire insolite est rapportée par Soledad, la petite dernière de la famille. Elle aussi est belle et gracieuse, elle fait tourner la tête des garçons et pourtant elle refuse d'avoir un prétendant. C'est ancré dans ses gènes, dès sa naissance, sa mère a lu en elle un avenir fait de solitude, d'où son prénom Soledad. Dans son grand cahier noir, elle s'épanche rageusement : « Il me faut t'écrire pour que tu disparaisses, pour que tout puisse se fondre au désert, pour que nous dormions enfin, immobiles et sereins, sans craindre de perdre de vue ta silhouette déchirée par le vent, le soleil et les pierres du chemin. (...) Il me faut te tuer pour parvenir à mourir... enfin. »
Récit passionnel et fougueux, fable onirique et humaine, Le Cœur Cousu est un roman qui évoque à sa façon la transmission, la relation mère / fille, la sensualité, la folie, l'amour, les désirs et les rêves. C'est un univers pittoresque, hanté par un ogre, un homme qui sent l'olive, un bébé solaire, une prostituée au grand cœur, un chien jaune et un coq rouge, à l'instar d'un conte lumineux, où les scènes cruelles et cocasses témoignent du bonheur d'imaginer. Le merveilleux ici n'est jamais forcé : il s'inscrit naturellement dans le cycle de la vie.