Les Humeurs insolubles, de Paolo Giordano
Cette lecture m'aura finalement apporté des sensations multiples, entre émotion, agacement et empathie. C'est l'histoire d'un couple qui embauche Madame A. pour aider au confort domestique et soutenir l'arrivée du bébé. Nora et le narrateur se soumettent à ses directives avec soulagement, le quotidien les embrouille, la maternité aussi. Ils ne savent clairement pas assumer leurs responsabilités. Madame A. est une femme autoritaire, qui prend en charge le ménage, la cuisine, l'enfant et le couple sous son aile. Sa simple présence constitue un pilier solide pour le foyer.
Et puis, Madame A. les quitte car elle est atteinte d'un cancer et veut affronter seule la maladie. Elle laisse ainsi le narrateur et son épouse dans le plus grand désarroi. Leur équilibre est rompu, faisant apparaître les failles de leur famille : une intimité qui s'étiole, un fils qui n'est pas meilleur que les autres, juste dans la moyenne, un travail prenant, une carrière qui tâtonne... Le désistement de leur “Babette” laisse insidieusement éclater une déroute à venir. Et c'est à travers ce roman de 130 pages qui ressemble à une lettre d'excuse pour cette femme échappée mais jamais oubliée que le narrateur exprime sa gratitude et ses regrets, tout en cherchant une solution pour retrouver le souffle et l'élan qui manque à leur vie.
La démarche est assez égoïste, et en même temps d'une grande sensibilité, en plus de la douleur de Madame A. confrontée à ses traitements, ses sautes d'humeur et son besoin de retrait, tout ça forcément m'interpelle et me fait mal à lire. L'histoire est poignante, lourde et désarmante. Et l'interprétation donnée par Lazare Herson-Macarel l'enferme aussi dans un immense voile de tristesse. C'est heureusement court à lire, moins de trois heures, car je pense qu'au-delà l'ennui aurait gagné du terrain. Pour évoquer le deuil et la détresse, mieux vaut l'étaler avec parcimonie. Un roman bouleversant par ses révélations et sa photographie de la famille, dont l'extrême complexité est mise à nu sans adoucisseur.
Texte lu par Lazare Herson-Macarel pour Sixtrid (durée : 2h 56) - mai 2016
Traduit par Nathalie Bauer pour les éditions du Seuil