Vendredi 13Ce roman a tout d'une farce, bien crapuleuse, avec un pauvre type qui se glisse dans la peau d'un truand pour sauver la mise et participer au soit-disant braquage du siècle dans la nuit d'un vendredi 13. Un détail forcément prémonitoire. 
Et quel pied. J'ai tout de suite été interpellée par le cynisme du personnage central, Al Hart, qu'on croise en train d'errer dans les rues de Philadelphie, transi de froid, puis entrer dans une boutique pour voler un pardessus. Courant à toutes jambes pour échapper à la police, il va surprendre des coups de feu et tomber sur le corps d'un homme mourant, auquel il chipe le portefeuille rempli d'oseille avant de le planquer dans les fourrés et se livrer à ses poursuivants. L'entrée en matière est complètement dingue mais ne déroge pas aux règles du roman noir. Car c'est sanglant, violent et immoral. 
Face à Al, Charley et ses acolytes constituent une bande de malfrats peu commodes et néanmoins nigauds. Ils gobent l'histoire de meurtre que leur raconte Hart et l'adoptent comme l'un des leurs. Enfin, cela n'est pas aussi lisse et acquis car les gars se méfient de cette petite frappe et lui en font baver. Ces malfaiteurs sont en train de préparer leur prochain casse dans une grande propriété privée et glandouillent dans un appartement en jouant au poker. Hart fait profil bas, se fond dans le décor, répond aux jeux de séduction de Freida, la copine de Charley, et se tient à distance de Myrna, qui ne se console pas de la mort de son mec, par la faute de Hart (des mauvais coups filés dans le ventre et des blessures insoupçonnées). 
C'est assez proche de la comédie dramatique, sur fond d'humour noir, avec une vision charitable de la petite racaille. Ce sont tous de pauvres bougres paumés et coincés dans une vie de misère, qu'ils tentent d'enjoliver par leurs piètres moyens. Il y a du désespoir derrière leurs mines patibulaires, lequel va éclabousser les pages du livre par l'irruption du parasite Hart. Ce gars est un imposteur, on le sait, mais c'est sa seule porte de secours. Prétendre un rôle qu'il n'est pas. Lui aussi a son histoire tragique et déprimante qu'il fuit comme un dératé. Le destin l'a fait croiser Charley et sa bande, le reste appartient à David Goodis. 
Remis à l'honneur avec une traduction révisée et une présentation par Laurent Guillaume (auteur de 
Delta Charlie Delta & Black cocaïne), ce polar culte vaut clairement le détour. C'est loin des chimères et de la sensibilité naïve et romanesque. Et pourtant cette lecture a su me scotcher et me charmer. Une découverte inattendue et réjouissante.

Trad. de l'anglais par François Gromaire et révisé par Isabelle Stoïanov

Nouvelle édition présentée par Laurent Guillaume en 2016

Collection Folio policier (n° 279)

Parution : Septembre 2016