14/02/17

Phobie douce, de John Corey Whaley

Phobie douceSolomon vit depuis trois ans cloîtré chez lui, après une grosse crise de panique survenue dans la cour du lycée, durant laquelle il a plongé nu dans la fontaine, devant tout le monde. Depuis, le garçon a disparu de la circulation. La vie au lycée a repris ses droits - chacun pour soi. Seule Lisa n'a pas oublié cet adolescent désœuvré, qui est aussi le fils de sa dentiste. Avec sa permission, elle lui écrit une lettre pour le rencontrer. Solomon est perplexe mais, poussé par sa grand-mère, il accepte un premier rendez-vous. Pour la jeune fille, c'est également la surprise de découvrir un garçon déjanté, intelligent et très lucide. Le sachant fan de la série Star Trek, elle décide rapidement de lui faire connaître son petit copain, Clark. Entre eux, la connivence est immédiate... si bien que Lisa se sent mise à l'écart et se pose des questions sur sa relation amoureuse et la distance émotionnelle qui s'est installée au sein de son couple. Ce sont aussi ses copines qui distillent le doute dans son esprit et lui font entrevoir la perpective d'une tromperie. Car l'histoire annonce clairement les intentions des uns et des autres - Lisa se sert de Solomon pour rédiger son mémoire et intégrer une fac de psycho, Clark cultive une ambigüité sexuelle et Solomon a avoué à la jeune fille son véritable penchant amoureux. À ce stade, je pensais avoir deviné la fin de l'histoire et je me voyais déjà déçue d'avoir une lecture aussi lisse et prévisible, d'où mon soulagement en réalisant que c'était beaucoup plus subtil et pertinent. Rien que par les sujets abordés, comme l'amitié, l'homosexualité, la famille, mais aussi la duperie, l'agoraphobie et le poids du  monde qui vous entoure. Et puis les personnages sont attachants et touchants, avec leurs complexes, leurs doutes et leurs non-dits. On ne verse jamais dans des situations dramatiques improbables et encore moins dans des solutions miraculeuses. Il y a, au contraire, un juste équilibre entre la considération d'une vie handicapée par des troubles phobiques et les tentatives pour appréhender la maladie en apportant des remèdes simples, fantasques et audacieux. Au final, ça se lit vite et bien. L'approche est intimiste, maniant une plume douce-amère, sans négliger la pointe d'humour. Le mélange est assez bon pour nous entraîner dans cette comédie réaliste et très pragmatique, qui n'en demeure pas moins sensible, drôle et touchante dans son approche jamais larmoyante. 

 Casterman, 2017 -  Publié aux USA sous le titre : Highly Illogical Behaviour

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L'homme qui a vu l'homme, de Marin Ledun

L'homme qui a vu l'hommeNostalgique de la lecture d'un autre roman se passant sur la côte Basque, cf. Du son sur les murs de F. Delplanque, j'étais curieuse de découvrir ce livre de Marin Ledun, dont j'avais déjà apprécié Les visages écrasés, pour son effet uppercut. 

L'histoire nous entraîne dans les étroits couloirs du mouvement basque (ETA), avec ses règlements de compte, ses kidnappings, ses conférences de presse solennelles et ses menaces sous-jacentes. Au départ, un jeune militant, Jokin Sasko, est porté disparu. Sa famille est à cran et sollicite tous les médias pour empêcher la justice d'étouffer le dossier. Iban Urtiz, un journaliste local, prend alors connaissance des enjeux et des guerres intestines qui se nouent entre les multiples vecteurs, depuis la communication jusqu'aux hautes instances du pouvoir. C'est un univers compacté, mais très oppressant et dangereux. Pas besoin d'être devin pour s'attendre à des trahisons et autres procédures d'intimidation visant à garder le contrôle de la situation. Urbiz se heurte aussi aux traditions et aux liens du sang, car on ne cesse de lui rappeler qu'il n'appartient pas à la “famille”, même s'il est né basque, il a quitté la région pour grandir en Savoie. Du coup, il ne parle pas la langue et ne connaît rien de l'organisation armée indépendantiste, du moins pas l'étendue de son influence. Qu'importe. Urbiz s'obstine et recueille des témoignages d'enlèvements, de séquestrations et de tortures. La naïveté du journaliste est fortement ébranlée, le meurtre de Jokin ne laissant plus de place au doute, la démonstration de force s'accentuant aussi, l'histoire braque son projecteur sur des mercenaires qui tentent d'étouffer la vérité et ne vont pas y mettre les formes.

C'est une guerre sans pitié qui se livre sous nos yeux, d'autant plus ahuris pour la profane que je suis, tant les circonstances sont floues et les règles du jeu purement inexistantes. Un point s'impose, nul ne décroche le rôle de héros ou de bourreau à juste titre, car tous les rôles sont implicitement mélangés. C'est d'ailleurs la réelle intention de l'auteur de dénoncer un imbroglio politique inextricable, où les premières victimes n'en demeurent pas moins les familles éplorées et en quête de vérité, même si cette dernière n'est pas bonne à entendre. Bref. J'ai eu une sensation d'apnée à l'écoute de ce livre - excellemment lu par Eric Herson Macarel - impression de revoir Daniel Craig sous les yeux - mais j'ai vécu une immersion glaçante et pénétrante. Cette ambiance du tout-pourri est désagréable, mais conforte l'idée d'un roman noir habilement exécuté, en plus d'être farouche et enragé. Le rythme est bon, malgré le sentiment de recevoir un cours accéléré de géopolitique, de recenser des faits et de distribuer des mauvais points, et puis la galerie des personnages est importante - faute de concentration, je m'embrouillais parfois avec les noms basques. :/ Ce ne sont que des détails négligeables, car le roman ajuste son coup et met souvent le lecteur k-o.
Cette fiction est inspirée de l’affaire Jon Anza, militant basque mort de façon suspecte en 2009.

Texte intégral interprétré par Eric Herson-Macarel pour les éditions Sixtrid (durée 11h 06) - Mai 2016

Posté par clarabel76 à 08:45:00 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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