Une sale affaire, de Marco Vichi
Cette deuxième enquête du commissaire Bordelli va s'annoncer particulièrement houleuse et douloureuse. La verte campagne florentine est en effet souillée par la découverte de cadavres de fillettes de huit ans. Face aux mères effrondées, Bordelli promet d'arrêter ce dangereux maniaque mais se heurte à une enquête sans piste sans indice. La police piétine, la colère monte, la frustration gagne du terrain. Notre commissaire ronge son frein et ne cache pas son impuissance auprès de son amie Rosa, une ancienne prostituée qui a le cœur sur la main mais qui veille sur lui comme une mama possessive et jalouse. Lorsque Bordelli croise le chemin d'une jeune femme en mission secrète, les sens de notre enquêteur sont également tourneboulés. De nouvelles révélations entrent en collision, l'affaire des meurtres d'enfants prend un tour inattendu et notre histoire s'enrichit d'un contexte lourd, poignant et éternellement traumatisant. Nous sommes en 1964 et les souvenirs de la guerre sont encore vivaces. Bordelli lui-même ne trouve plus le sommeil à force de ressasser son passé. Cela donne à la lecture un goût saumâtre et une tonalité pleine d'amertume. C'est assez saisissant, mais heureusement la brochette des personnages est pittoresque et attachante - outre le commissaire, son amie Rosa, on compte aussi le jeune policier Piras, venu de Sardaigne pour apprendre le métier et se familiariser aux coutumes locales avec le même dévouement, sans oublier le médecin légiste Diotivede, seul capable de déjeuner sur son lieu de travail, ainsi que Toto, le cuisinier de la trattoria qui propose toujours des recettes “à son goût” ! Cet univers récurrent fait oublier la sensation de désarroi imposée par l'intrigue criminelle. Certes, l'enquête suit son cours sur un rythme nonchalant, elle avance à petits pas et ne verse jamais dans un tumulte inopiné. La lecture laisse cependant dans son sillage une note d'ironie douce-amère et un humour grinçant (Bordelli est un flic usé, au volant de sa Coccinelle, il parcourt la ville de Florence en quête d'un grand peut-être). C'est tout à la fois dépaysant, subtil et bouleversant. J'avais découvert, l'été dernier, Le commissaire Bordelli et j'avais été particulièrement séduite par cette approche. Toutefois ce deuxième épisode est plus dur, plus lent, plus dramatique. La série amorce un virage délicat. À voir si les prochains tomes seront traduits en VF (la série originale compte six titres).
10 X 18 - Domaine Policier - Janvier 2017
Traduit de l'italien par Nathalie Bauer [Una brutta faccenda]
Sans feu ni lieu, de Fred Vargas
Dans ce Fred Vargas datant de 1997, on retrouve le fameux trio des Évangélistes, Marc, Lucien et Mathias, ainsi que Louis Kehlweiler, dit l'Allemand, chargés de défendre l'indéfendable - Clément Vauquet, un benêt au physique disgracieux, accordéoniste et livreur occasionnel de fougères, soupçonné d'être le tueur aux ciseaux qui sévit dans Paris. Seule une ancienne prostituée, Marthe Gardel, également sa mère nourricière, est convaincue de son innocence. Ce garçon est le dindon d'une farce morbide. Aussi bassine-t-elle Louis pour le sortir de ce guêpier. Malgré ses réticences, l'Allemand mobilise ses troupes et reprend contact avec ses vieilles relations dans la police pour bûcher le dossier.
La manière dont procède Fred Vargas pour dérouler ses intrigues est toujours extraordinairement originale, en apparence simple et bavarde, mais au final incontournable et parfaite. Son intrigue policière n'a certainement pas à rougir de ses prétentions modestes, car l'auteur fignole les moindres détails et excelle dans l'art des personnages. Ses Évangélistes sont trois sympathiques gaillards, trois historiens sans le sou qui partagent une baraque pourrie, en compagnie du Parrain, un vieil oncle qui les chouchoute en concoctant des gratins copieux et savoureux. Kehlweiler est un type plus froid, difficile à cerner, ancien homme d'action il s'est replié chez lui pour traduire la biographie de Bismarck et a pour seul compagnon son crapaud Bufo ! Quand on songe aussi qu'un poème de Nerval peut démêler les nœuds d'une pelote de laine... Sérieusement, on ne trouve pas ça partout. Et c'est ce qui me plaît tant dans les livres de Vargas, cette propension à l'excentricité qui ne déborde pas non plus vers des sentiers improbables ou absurdes. C'est décalé, assez drôle et faussement timbré. Philippe Allard, pour la technique, exerce son numéro d'équilibriste avec brio. Son timbre de voix colle à merveille avec les personnages imaginés par Vargas. C'est âpre, écorché, nonchalant et en même temps vibrant. Il y a ce “truc” indéfinissable qui rend le mariage évident et réussi. En bref, c'est tout bon !
Texte lu par Philippe Allard (durée : 7h 46) pour Audiolib - Février 2016