Chanson douce, de Leïla Slimani & Lu par Clotilde Courau
Lorsque Louise est engagée comme nounou pour soulager Myriam, mère de deux jeunes enfants, qui décide de relancer sa carrière d'avocate, ne supportant plus d'être confinée chez elle, engoncée dans son rôle de maman, c'est pour toute la famille une véritable aubaine. Louise est menue, fragile, discrète, efficace. Une véritable aubaine, vraiment. Leurs amis sont d'ailleurs admiratifs et leur envient cette perle rare, babillant sur leurs propres déconvenues ou autres tristes expériences en matière de “personnel” peu qualifié. Bref. Louise s'installe donc dans leur quotidien telle une petite fourmi ouvrière, rapide, utile, rassurante. Les enfants redécouvrent la présence affective d'une figure féminine, à défaut d'avoir leur mère, qui fuit, toujours, le foyer. Celle-ci ne s'y épanouit plus et panique rien qu'à l'idée de perdre leur nounou. En effet, son mari évoque une sensation de malaise en sa compagnie. Il n'a pas les mots pour l'exprimer, mais il incite sa femme à chercher d'autres alternatives. En attendant, le couple continue de s'appuyer sur Louise, femme secrète, silencieuse et troublante. Femme dangereuse. On le sait, le roman s'ouvre sur une scène dramatique, les deux enfants sont morts. Qui, comment, pourquoi. Le roman décrypte tous les signes, tous les signaux, et s'applique à recadrer un tableau sinistre et dérangeant d'une dépendance mutuelle et d'une psychose latente. Le ton est sec et glaçant, mais délivre un suspense envoûtant en nous confiant cette triste radiographie de notre société (ambition, apparence, pouvoir, soumission, autonomie, folie...). Aucun acteur du drame n'est épargné, seules les victimes nous touchent par leur innocence et l'injustice de leur tragédie, pour le reste la condamnation tombe, implacable et insoutenable. C'est avec la même intransigeance, le même sang-froid, que Clotilde Courau nous plonge dans l'histoire terrifiante de Louise. Son interprétation est remarquable, à la fois puissante, tranchante et sévère. Une mise en scène pertinente au service d'un roman fort, poignant, profondément marquant.
Gallimard, coll. Ecoutez Lire, 2017 - Lu par Clotilde Courau (Durée d'écoute : env. 5 h 45)
Les Aventures inter-sidérantes de l'Ourson Biloute, ép. 1: La baraque à frites de l'espace, de Julien Delmaire & Reno Delmaire
La native des “Hauts de France” que je suis exulte à la lecture de cette nouvelle série déjantée, qui se propose de mettre en scène l'Ourson Biloute, une peluche vraiment pas ordinaire, avec un fichu caractère et du courage à revendre, qui adore aussi les histoires de science-fiction. Mais ça, son jeune ami (humain) Kevin l'ignore totalement. Chaque soir, après le rituel du coucher, l'Ourson Biloute se faufile hors du lit pour suivre à la tv son feuilleton préféré : Les Envahisseurs de la Galaxie Fantôme. Au cours d'épisodes palpitants, Lemmy le motard et sa frangine Janis livrent une résistance farouche à l'ignoble Blast Ador et son infâme assistant, le docteur Veggaline, qui veulent conquérir la planète. En attendant de vivre à son tour son quota d'aventures rocambolesques, notre Ourson Biloute se console en rêve et s'imagine une vie autrement plus excitante que de devoir prendre un bain chaque semaine dans le tambour à linge. Aussi, lors de la sortie familiale à la ducasse, l'Ourson Biloute met au point son plan d'évasion. Dans sa ligne de mire : la baraque à frites, qui clignote, vibre et se déplace toute seule pour laisser apparaître, à la place du marchand, une créature couverte d'écailles violettes, avec une sale tronche d'iguane mal luné et des griffes à la place des mains. Nom d'une wassingue ! Qu'est-ce que c'est drôle. Et ce n'est pas seulement l'idée d'avoir un ourson grincheux qui prend son destin en main et qui va vivre une épopée inspirée de son feuilleton fétiche, c'est aussi l'ambiance générale, la culture chti mise à l'honneur, les allusions aux comics, au cinéma ou à la musique rock. L'ensemble est fabuleusement décalé et farfelu. C'est très agréable, en plus d'être original et amusant. Pour une fois, on implante une fiction dans les “Hauts de France” avec une vision beaucoup plus positive et attachante. Pour ça, je dis OUI ! Le délire est pleinement assumé et comblera autant petits et grands lecteurs. ;-)
Grasset Jeunesse, 2017 - Parution de l'épisode 2 (Les mutants de la mine noire) : fin avril 2017
Pas si simple, de Lucie Castel
Coincée à l'aéroport de Heathrow avec sa sœur Mélanie, Scarlett Archer se ronge les sangs d'annoncer la terrible nouvelle à leur mère impatiente de les retrouver pour fêter Noël. Furieuse, excédée, impatiente et angoissée, Scarlett se rue dans les premiers WC à sa portée, ignorant qu'il s'agit des toilettes pour hommes. Entre deux, trois réflexions cassantes sur les anglais et leur esprit guindé, Scarlett fait alors face à un individu mécontent, qui mouche son arrogance avec un flegme... britannique. Humiliée, Scarlett se réfugie auprès de sa sœur en quête de solutions désespérées. Pas un vol à l'horizon, pas de transport digne de confiance, pas un ferry disponible avant deux jours. L'enfer s'ouvre sous leurs pieds. Comble de tout, Mélanie et Scarlett retrouvent l'ignoble bellâtre dans l'aérogare et se résignent à pactiser du bout des lèvres. Constatant qu'aucune issue n'est envisageable dans l'immédiat, ce William Hill propose de les accueillir chez lui pour célébrer un réveillon à la fortune du pot. C'est là que tout bascule... Scarlett et Mélanie débarquent en plein psychodrame familial et se retrouvent au cœur d'un imbroglio de non-dits, de rancœurs et de rancunes particulièrement tenaces. Ajoutez une attirance physique entre notre héroïne au tempérament méfiant et belliqueux et son alter ego au charme dévastateur, et vous plongez dans une comédie à la fois comique et grinçante sur fond de repas de famille gratiné !
La lecture est engageante, elle possède du style et un joli coup de plume, tout en servant une histoire surprenante et néanmoins plaisante, avec pour décor féerique les rues enneigées de Londres. L'essentiel demeure cependant axé sur les personnages et leurs relations conflictuelles ayant impacté leurs rapports amoureux ou leur confiance en soi. La famille Hill est par exemple un pot-pourri de faux-semblants et de frustrations, mais les Archer détiennent aussi des failles et des fragilités qui ne facilitent pas non plus leurs élans affectifs. Scarlett n'a pas réglé son histoire de deuil, préférant se planquer sous une cloche pour empêcher la réalité de prendre le pas sur ses réserves, puis de submerger ses remparts. C'est dire combien le roman est avant tout affaire d'émotion et de remise à plat, et pas seulement une histoire trop légère autour d'une rencontre impromptue. Les dialogues souvent font mouche, c'est même l'un des points forts du livre, qui se découvre pour la forme, en plus de révéler une nouvelle plume prometteuse.
Harlequin, coll. &H - 2017
« Mélie, arrête un peu avec le ton dramatique. Je sais qu'on est à Londres, mais ce n'est pas la peine de nous inventer un drame shakespearien. Je n'ai pas l'intention de donner suite. Je flirte, c'est tout. »