Bonheur fantôme, d'Anne Percin
Pierre n'a pas trente ans et a tout quitté. Paris, son job, son amour. Il s'est enterré dans la Sarthe, a acheté une petite maison et s'est improvisé brocanteur. Il a créé autour de lui « un rempart fait de ruines, avec fortifications littéraires, fondations enfantines, tour de guet philosophique, meurtrières ironiques ». Il écrit également une biographie sur Rosa Bonheur, une peintre française excentrique et scandaleuse. En vrai, Pierre fuit un passé lancinant - un frère disparu, un amant perdu... même si cette idylle n'est pas complètement terminée, elle vient occuper tout l'espace et devient obsédante, telle une rengaine évoquant la rencontre, l'euphorie, l'insouciance, puis la déconfiture et la rupture. « Aimer, c'est sentir vivre en soi quelqu'un qui n'est pas soi. Et si je n'étais parti que pour savoir cela ? (...) La certitude que j'ai d'aimer est le seul bien qui me semble immortel. »
Par son caractère “enfermé dans le dix-neuvième siècle”, Pierre est un personnage fascinant. Il parle des objets anciens, partage son goût du passé, l'odeur des vieux livres, les photographies, les mélodies oubliées (Fantôme de bonheur de Mouloudji). À côté, la figure de R. n'est pas en reste et hante les pages du livre en apparaissant par petites doses, mais quelle présence ! On en oublie la morosité de la Sarthe, les petites campagnes tristes à pleurer, la vie recluse de Pierre, son ascétisme. Aux oubliettes, ses cauchemars, ses trouilles... Ce roman finalement nous parle d'une grande et belle histoire d'amour et laisse filer entre ses pages une déclaration sublime et bouleversante.
Babel, 2017
A noter aussi que la vie littéraire du narrateur de Bonheur fantôme a commencé en 2006 avec le roman Point de côté (éditions Thierry Magnier).