11/07/17

Et ils oublieront la colère, d'Elsa Marpeau

Et ils oublieront la colèreAoût 1944, dans la campagne icaunaise. Marianne court à perdre haleine pour échapper à ses poursuivants - une foule en liesse, haineuse et baveuse, avide de vengeance et de justice lapidaire. La jeune femme parvient in extremis à rejoindre la ferme familiale, où l'attendent son frère et sa sœur.
La suite tombe dans le flou, l'oubli, l'incertain.

Août 2015, au cœur de la plaine du sénonais, Garance Calderon enquête sur la mort suspecte d'un homme, dont le corps a été découvert près d'un lac. Medhi Azem venait d'acquérir une propriété dans le hameau de L'Hermitage et avait délibéremment choisi de conserver tous les vieux meubles de l'ancien occupant. Sur place, ce professeur d'histoire avait entamé des recherches pour écrire un livre sur “la collaboration horizontale”, ce qui aurait provoqué bien des remous à droite et à gauche.

Dès lors, le capitaine Garance Calderon va conduire son enquête avec patience et minutie, détectant chez les Marceau des secrets de famille longtemps couverts et étouffés. Elle va ainsi veiller à ne pas les brusquer, privilégier la méthode douce mais tomber dans les conclusions hâtives, avant d'exhumer les revers d'un imbroglio impensable. S'entremêlent aussi les réminiscences de son enfance auprès d'un grand-père chasseur, d'une mère évaporée dans la nature...

Passé et présent se chahutent donc pour composer cette intrigue sombre et fascinante, aux accents nostalgiques, et sur toile de fond dramatique. Car la lecture pointe rapidement du doigt les silences et les hontes dont personne ne veut se rappeler. La cruauté populaire au lendemain de la guerre, la frustration à subir l'humiliation de l'oppression allemande, les rages et les rancœurs qui resurgissent avec impétuosité... Le tableau est noir et terriblement amer, mais répond à une construction subtile et ingénieuse qui vous scotche du début à la fin. Très bon roman, au contexte sensible et poignant, pétri de vérités, de faits marquants et renversants qui touchent en plein cœur. 

Collection Folio policier (n° 831)

Parution : 11-05-2017

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Quelques heures à tuer, de Heidi Pitlor

Quelques heures à tuerAprès dix-neuf ans de vie commune, Hannah et Lovell sont lassés de leur routine et se disputent pour des broutilles. Il a donc suffi d'une énième altercation pour pousser Hannah vers la sortie, laissant sa famille dans le flou et l'incertitude. Les heures passent, puis les jours, Hannah ne donne aucune nouvelle. Lovell tente de sauver la face pour préserver ses enfants, mais la police s'immisce dans leur histoire et vient titiller ce mari trop irréprochable pour être honnête. De son côté, Lovell fait son examen de conscience et ressasse sa dernière discussion avec Hannah, décryptant chaque mot, chaque geste, chaque détail anodin pouvant éclairer la situation confuse. Quelle parole de trop aurait incité Hannah à agir de la sorte ? Lovell a failli avoir un geste malheureux, serait-ce là aussi un début d'explication ? Et pourquoi n'adresse-t-elle aucun signe à ses enfants inquiets ? Hannah n'en a-t-elle finalement plus rien à secouer de son quotidien, de sa famille, ne regrette-t-elle pas son ancien fiancé, sa vie d'avant, où tout baignait dans le luxe et la richesse ? Lovell est accablé par le doute et l'angoisse. Même le journal local soulève cette disparition préoccupante et vient dresser le portrait de Lovell, en tant qu'homme au self-control impeccable mais déroutant. Toute la famille est prise dans la tourmente et retient son souffle dans l'attente d'un dénouement latent.

Vu comme ça, on croirait un réchauffé du roman de Gillian Flynn, Les apparences (Gone Girl). On retrouve en effet l'archétype du couple éreinté, la querelle en guise d'élément déclencheur, l'épouse envolée, le mari suspect, puis dans l'intervalle, on découvre le parcours de la “disparue” et le déroulement des événements de cette journée. On jongle ainsi entre deux visions d'une intrigue tortueuse, où les masques vont tomber pour mettre à nu des émotions complexes et perturbantes, qui nous entraînent loin, bien loin de ce qu'on espérait glaner. Globalement, c'est assez triste. L'état des lieux quant aux “misères de la vie conjugale” est effroyable. Plus on avance dans la lecture, et plus s'éloigne le spectre de G. Flynn. On a ici un roman plein de nœuds et d'anecdotes inconfortables, un projecteur sur les faux-semblants qui minent toute perspective d'avenir réjouissant, un étalage de frustrations, un cumul de non-dits et une lente agonie du couple... Brr, on a franchement envie de s'ébrouer au moment de refermer le livre. C'est plein, plein d'amertume là-dedans.

ACTES SUD / COLL. ACTES NOIRS - 2017

TRAD. Alain Defossé [The Daylight Marriage]

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À sa place, d'Ann Morgan

A sa placeHelen et Ellie sont sœurs jumelles. Elles se ressemblent comme deux gouttes d'eau, mais ont des tempéraments opposés. C'est toujours Helen qui mène la danse et qui embarque Ellie dans son imagination foisonnante. Un jour, elle décide de tromper leur mère et d'inverser leurs rôles. Helen devient Ellie, et vice versa. Seulement, à la fin de la journée, Ellie refuse de reprendre sa place et laisse sa sœur pédaler dans la semoule pour prouver le contraire. Leur mère, obnubilée par sa nouvelle relation sentimentale, n'y voit que du feu et envoie balader les fillettes dans leur chambre. Le temps passe, Ellie a embobiné tout le monde, même les copines d'Helen lui tournent le dos. Celle-ci est en train de basculer dans le terrier du lapin blanc en une lente et longue chute vertigineuse. C'est un cauchemar qui se referme sur elle, car Ellie a toujours traîné une réputation d'enfant à problèmes. C'est donc à Helen de les gérer et d'en supporter le poids. Plus elle prétend ne pas être celle qu'on s'imagine, plus son entourage doute de sa santé mentale et la repousse en ne supportant pas ses accès de colère. La spirale infernale ne s'arrête plus, elle tourne dans tous les sens, chamboulant également le lecteur ébahi. Comment une mauvaise blague a pu tourner au vinaigre ? Devenue adultes, les sœurs sont toujours les victimes de leur manège. Helen a sombré dans l'alcool, la drogue et la débauche. Elle vit dans un petit appartement insalubre et a coupé les ponts avec sa famille. Elle découvre, un jour, que sa sœur se trouve à l'hôpital dans le coma. Le mari de celle-ci a remué ciel et terre pour la retrouver et toque à sa porte, désespérément. L'heure de la vengeance a enfin sonné ? 

Avec une accroche aussi efficace, j'ai parcouru les premières pages du livre à une vitesse folle ! Je me sentais absorbée par cette démonstration de duperie et de pure divagation, sans aucune limite pour résorber le flux ou remettre le train sur les rails. Au contraire, le roman nous entraîne dans le déraillement complet d'une mascarade malsaine, sous couvert d'une complicité sourde et aberrante. C'est uniquement dans les dernières pages du livre qu'on se rend compte de l'énormité du subterfuge. En attendant, la guerre des nerfs est implacable. On assiste au naufrage familial avec effarement, on s'interroge, pourquoi et comment l'une part à la dérive sans que l'autre réagisse... Le scénario est franchement redoutable, car diabolique. Certaines scènes sont assez injustes et dures à encaisser, mais elles suivent une logique glaciale, laquelle découle de l'esprit retors de l'auteur. Pour un premier roman, l'effet est dévastateur ! C'est effroyable, et néanmoins fascinant.

PRESSES DE LA CITÉ - 2017

Trad. Karine Lalechère [Beside Myself]

Peut également s'écouter en livre audio : À sa place par Ann Morgan lu par Camille Lamache

 

Appelle-moi, de Sophie McKenzie

Appelle moiCoincée dans un dîner d'affaires, rendez-vous important pour son mari Will, Livy ne peut répondre au coup de fil urgent de son amie Julia. « Appelle-moi. Besoin de te parler. » C’est le dernier texto qu'elle reçoit avant de découvrir son amie morte sur son canapé. La police conclut très vite à un suicide, sa famille se plie aux rapports de l'enquête, seule Julia refuse d'accorder du crédit à une telle éventualité. Lors des funérailles, elle croise un individu qui la foudroie du regard. Serait-ce le mystérieux Démon Blond dont Julia avait brièvement évoqué l'existence ? Livy ne sait plus à quel saint se vouer, étant donné le maigre soutien dans son entourage, elle consent à accompagner cet invidivu dans sa quête de la vérité. Julia aurait été assassinée, car elle aurait découvert le nom du meurtrier de Kara, la sœur de Livy morte des années plus tôt. Un crime non résolu qui n'a jamais cessé de hanter leurs mémoires. Livy est donc frappée de stupeur au fur et à mesure qu'elle fouille dans la vie de son amie, révélant des pans cachés qu'elle n'aurait jamais soupçonnés. Soudain, les certitudes de Livy s'effondrent... déjà fragilisées par une vie conjugale en pleine déroute et le sentiment d'être trompée par son mari.

Pour avoir précédemment lu Je ne t'oublierai pas - une femme enquête sur la disparition de son bébé, qu'elle croyait mort à sa naissance - je n'ai pas été surprise par la tortuosité de l'intrigue dans ce deuxième roman, car je m'attendais à suivre un déroulement aussi pervers et hallucinant. Seule crainte, qu'il tire sur les mêmes ficelles et répète le dénouement aux fausses pistes sidérantes. Finalement, l'histoire use des bonnes vieilles recettes et sert un scénario alambiqué, au suspense bien troussé et au rythme endiablé, mais a la décence de surprendre le lecteur en injectant de nouvelles ressources et en le conduisant là où il ne s'y attend pas. Basique, mais efficace. Au final, c'est un bon roman qui assure le show - frissons, tension et angoisse. Un divertissement honorable.

  • POCKET Thriller / 2017
  • Traduit par Florence Bertrand [Trust in me]

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