Geisha ou Le jeu du shamisen, de Christian Perrissin & Christian Durieux
Japon, 1912. La famille de Setsuko Tsuda quitte leur village de campagne pour s'installer en ville dans l'espoir d'une vie meilleure. Ancien samouraï, l'homme est fier mais accepte les petits boulots, jusqu'au jour où, suite à un accident de tramway, il devient éclopé. La misère ronge leur foyer, le père s'oublie dans l'alcool, puis prend la décision de vendre sa fille à l'okiya Tsushima. Coup dur pour la fillette de dix ans. La patronne lui réserve un accueil froid et implacable - elle juge son physique ingrat et son visage peu harmonieux. Elle change aussi son nom pour Kitsune, “la renarde”. L'enfant suit néanmoins une éducation de qualité et fait l'apprentissage des arts (chant, danse, prestance, musique, thé). Elle assiste également ses grandes sœurs, les geisha, mais subit les foudres de Komayo, la favorite. S'exerçant en secret au shamisen, une guitare à trois cordes, Kitsune révèle un véritable don qui lui assure une porte de secours, contrairement à sa camarade Kingyo, une jolie fille sans réel talent, qui n'échappera pas à sa destinée de servante ou prostituée. Quelle lecture captivante ! C'est avec un intérêt grandissant que j'ai suivi le parcours romanesque de la jeune Setsuko, devenue Kitsune, plongée dans les coulisses d'une vénérable maison de geisha. On y découvre un monde secret, à la hiérarchie pointilleuse et dont le respect pour la tradition est éminemment appliqué. Le tout baigne dans un esthétisme soigné, en noir et blanc, idéal pour accentuer le raffinement et la nostalgie d'une époque. Il s'agit cependant de la première partie d'un diptyque - je l'ignorais - d'où ma frustration au moment de tourner la dernière page car j'en voulais encore ! En attendant, je suis sous le charme, ravie de cette bande dessinée qui incarne magnifiquement la fascination qu'exercent les geisha, et qui rend hommage aux femmes cultivées qu'elles étaient, sans sombrer dans une panoplie de clichés ou fantasmes graveleux. Une lecture passionnante, à la fois délicate et mélancolique. Très, très bon ! ♥
Futuropolis, 2017
Et il foula la terre avec légèreté, de Mathilde Ramadier & Laurent Bonneau
Jeune ingénieur parisien, travaillant pour une compagnie pétrolière, Ethan se rend au nord de la Norvège, sur les îles Lofoten, pour étudier les gisements de pétrole. Sur place, c'est le choc. Choc des cultures. Choc des paysages. Choc des rencontres. Choc des enjeux. Sans s'y attendre, Ethan revoit ses priorités et remet sa propre existence en question. MAZETTE ! Cette bande dessinée se contemple et se dispense de commentaires. Tout est magnifique - les planches superbes, dignes de vrais tableaux paysagers, avec des couleurs toutes plus splendides. J'étais impressionnée. Le texte est plus sobre - le parcours d'Ethan est tracé sans remous - mais la portée de son récit va au-delà de la simple narration, car ce texte force évidemment à réfléchir et nous fait découvrir l'écologie profonde du philosophe Arne Næss (Une écosophie pour la vie). C'est beau, c'est pur, c'est bouleversant. C'est tout à la fois un voyage poétique, une réflexion sur le monde de demain, un dépaysement inégalable, un retour aux sources, une vrai magie. Une révélation. Franchement top !
« Être là, ce n’était pas simplement chercher ses repères et reconstruire le connu. Il fallait se rendre disponible. Être à l’affût des moindres choses pour comprendre ce nouvel environnement, l’expérimenter. »
Futuropolis, 2017