Angelica Varinen, Enquête n°1: Le voleur de bijoux, de N.M. Zimmermann
Angelica Varinen est en apparence une princesse comme les autres, avec ses robes encombrantes et ses peignes dans les cheveux. Or, Angelica aime l'aventure et ne cache pas ses ambitions à devenir (suivez l'affiche) “chasseuse de mystères, résolveuse d'énigmes, détective amateur et attrapeuse de voleurs”. Après tout, en l'absence de ses parents diplomates, il faut bien occuper son temps libre, outre les cours ennuyeux de son précepteur ou les leçons de piano avec Mlle Smilla. Cette curiosité dévorante est néanmoins fortement désapprouvée par son majordome Atticus, qui veille sur elle depuis l'enfance et qui attend de sa part bienséance et rigueur. Bref. Sollicitée par son amie Lisobel, notre demoiselle va mettre ses talents à profit pour aider la princesse Éloïse. Un coffret à bijoux a été dérobé, le modus operandi laisse la police perplexe et l'enquête piétine. Ni une ni deux, notre héroïne mène la danse, elle interroge, fouille et part sur le terrain avant la convocation générale pour livrer son verdict à la sauce Poirot !
Ce début de série, accessible pour les plus jeunes (dès 9-12 ans), mêle avec originalité steampunk et fantastique à un univers faussement girly (princesse, manoir, gouvernante, toilettes, bijoux, etc.). Suspense, audace et créatures magiques se donnent également rendez-vous dans cette savoureuse composition, jusque dans l'esthétisme du livre, où les illustrations s'épanouissent en toute élégance. Le tout est charmant et enfantin, la lecture distrayante. Une deuxième enquête est déjà prévue en mai 2018 avec l'Affaire de la licorne !
Flammarion jeunesse, 2018 / Illustrations de Noëmie Chevalier
Pêle-Mêle : Culottées - Taïpi, Un paradis cannibale - Une saison en Egypte - L'odeur des garçons affamés - Le premier homme
Les héroïnes mises à l'honneur par Pénélope Bagieu sont toutes remarquables, culottées et intrépides, elles ont brisé les carcans de leur époque et ont pris leur destin en mains sans peur de brusquer la bienséance ou la morale.
Ce sont des guerrières, des sirènes, des gardiennes de phare ou des créatrices, des médecins ou des exploratrices. Leur fabuleuse destinée nous est donc racontée en quinze portraits, faits de drôlerie et d'impertinence.
Ainsi Margaret Hamilton, l'actrice terrifiante, connue pour incarner l'horrible sorcière de l'Ouest dans Le Magicien d'Oz. Au cours du tournage, celle-ci a été brûlée aux mains et au visage, suite à un incident technique et a longtemps conservé un teint verdâtre, conséquence de la peinture verte qui a imprégné sa peau. Ironie du sort, beaucoup de ses scènes ont été coupées au montage car son interprétation était trop terrifiante ! Ah ah !
Autre personnalité mémorable : l'impératrice Wu Zetian, réputée pour sa grande beauté, destinée à être concubine puis envoyée dans un monastère après la mort de son protecteur. Elle revient en force pour épouser son héritier et va occuper une place importante dans les décisions politiques, favorisant une société récompensée au mérite, revalorisant la place de la femme et renforçant l'influence du bouddhisme. Les historiens officiels sont encore désarçonnés à considérer sa dynastie comme un modèle de réussite et de prospérité !
Et je ne vous parle pas de Joséphine Baker ni de Tove Janson (la maman des Moomins), et encore moins de Josephina van Gorkum (l'amoureuse têtue), car Pénélope Bagieu réussit à le faire avec beaucoup de charme et d'humour !
Très chouette lecture.
Culottées Tome 1, de Pénélope Bagieu
Gallimard BD (2016)
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Tom et Toby sont deux matelots qui rêvent d'une autre vie. Lorsque leur baleinier accoste aux larges des îles Marquises, les deux camarades résistent aux chants des sirènes pour se tailler en doute. Ils s'enfoncent dans la jungle luxuriante, avant de croiser l'étrange tribu Taïpi.
Désarçonnés par leur dialecte qu'ils ne comprennent pas, les deux hommes se contentent de hocher bêtement la tête. Puis font rapidement profil bas, ne sachant pas ce qui les attend, mais se fondent dans le décor, participant à la vie de village, à la pêche, à la chasse... avant de comprendre qu'ils viennent de débarquer en plein paradis cannibale.
Cette adaptation du roman de Melville par le duo Melchior et Bachelier est une franche réussite. On a des décors exotiques, de la sensualité, une invitation au voyage, une explosion des sens, l'indolence et la douceur, la séduction, l'imagination, l'aliénation et l'ensorcellement...
On plonge littéralement dans un récit poétique, nourri de fantasmes, de couleurs et de mystères. Cela se découvre, entre émerveillement et appréhension. Et c'est assez spectaculaire.
Taïpi, un paradis cannibale de Stéphane Melchior & Benjamin Bachelier
Gallimard BD (2016)
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Sacha, poète désargenté, quitte Saint-Pétersbourg pour visiter l'Egypte et soigner ses poumons fragilisés par un climat trop rude et humide. Au cours de son voyage, il rencontre un couple atypique, artiste et bohème, Alexandre et Catherine Payan.
Le trio devient inséparable et arpente les rues du Caire avec éblouissement. Mais le peintre va tomber sous le charme d'une danseuse orientale, la sublime Asma, pour laquelle Alexandre est prêt à tout abandonner. Éplorée, Catherine demande à Sacha de le raisonner avant de partir pour une aventure faite de drames et de rebondissements.
Une histoire romantique, tour à tour légère, drôle et émouvante, sert prodigieusement cette lecture au charme impénétrable. J'ai beaucoup aimé.
Une saison en Egypte, de Claire Fauvel
Casterman BD (2015)
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Deux hommes et un gamin forment un drôle d'équipage et parcourent les plaines sauvages du Texas : Oscar Forrest, photographe, Stingley, géologue, et Milton, un fils de fermier qui s'est sauvé de chez lui.
Forrest doit répertorier les paysages de l'Ouest mais ne cherche pas à cerner les intentions - troubles - de son employeur. Il a tout à gagner de filer droit car lui aussi est en fuite.
Ces trois-là ne sont pourtant pas au bout de leurs surprises : poursuivis par un affreux type en noir, un Indien mutique et des mustangs déchaînés. Ils vont également être au cœur d'étranges phénomènes, fouler des territoires interdits. Même le climat au sein du groupe devient plus lourd et déconcertant.
La lecture, qui débute comme un western, revêt très vite des allures de thriller avant de glisser vers une dimension onirique et fantastique. Le résultat vaut franchement le détour ! C'est bluffant.
L'odeur des garçons affamés, par Frederik Peeters & Loo Hui Phang
Casterman BD (2016)
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Et pour finir...
J'ai également beaucoup aimé cette adaptation par Jacques Ferrandez du roman (inachevé) d'Albert Camus.
Jacques Cormery est écrivain et vit à Paris, quand il décide d'écrire sur ses souvenirs d'enfance, en particulier sur son père Henri, mort à la bataille de la Marne en 1914, à seulement 29 ans. Il repart en Algérie où vit toujours sa mère, petite bonne femme craintive, refusant de quitter son quartier. Il se rappelle sa grand-mère, intraitable et tyrannique, dégainant les coups de fouet pour brider les pulsions cabotines du garçons. En grandissant, celui-ci a eu honte de son foyer, sans argent, sans éducation... Lui a cherché à se grandir dans les leçons et à l'école, reniant davantage ses origines.
« En somme, je vais parler de ceux que j'aimais », écrit Albert Camus au sujet de son nouveau livre... lequel ne sera jamais achevé. Les 144 pages du manuscrits seront d'ailleurs sauvées in extremis dans la Facel Vega fracturée contre un platane pour finalement être publiées quarante ans plus tard, sans être retouchées. Camus y convoquait les parfums et couleurs de son enfance, en tournant autour de deux absents : son père et l'Algérie. Il est même dit que Camus rêvait de « concilier passé enfoui, présent tumultueux et avenir espéré ».
Jacques Ferrandez a réussi à en saisir l'essence pour produire un ouvrage remarquable. On se passionne alors à suivre le gamin aux jambes frêles cavaler dans les rues de Belcourt, jouer au foot avec les copains, apprendre à nager, partir à la chasse, régler ses comptes à la récré par des coups des poing rageurs, faire le piquet, voler deux françs à sa famille, aller au cinéma... Tout n'est pas qu'insouciance et billevisées, au loin le climat politique est lourd, menaçant, féroce.
De la tendresse, de la sensibilité, de la justesse. Une BD remarquable !
Le premier homme, de Jacques Ferrandez
Gallimard BD (2017)
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La révolte des Valtis, de Molly Knox Ostertag & Sharon Shinn
Cela fait huit ans que les Drix ont envahi la planète pour y piller le kallium, un précieux minérai servant de carburant pour leurs engins volants. La vie n'est désormais qu'oppression et asservissement pour Coline Cavanah et ses semblables, tous contraints au travail en usine sous la coupe du terrible Korso. Hélas, la résistance est encore trop discrète pour inquiéter l'occupant ou source de spéculations fantasmées. De toute façon, Coline se tient à distance des conflits et vit seule dans la grande demeure familiale, depuis la disparition des siens, jusqu'au jour où elle retrouve sa nièce Lucy et rencontre Jann, qui appartient au gang des Kromats. Ces derniers sont connus pour être instables et violents, même s'ils sont également opposés aux envahisseurs. Contre toute attente, Jann se montre prévenant et impose sa présence comme une évidence... bousculant au passage Coline dans son intention de fermer son cœur à jamais à l'amour. Mais les ennuis s'enchaînent - l'ambiance au boulot devient insoutenable, les agressions se multiplient et les guerres de clans viennent éclabousser sa paisible routine. Bref, tout part en cacahuète. Cette brusque réalité va ainsi précipiter ses choix à s'engager auprès des Valtis et prendre une part active dans la résistance.
Non seulement l'histoire est très bonne, plantée dans un univers de science-fiction (post-apo) solide, avec une intrigue captivante et des personnages attachants, mais c'est aussi un one-shot (histoire complète, sans suite) ce qui semble, aujourd'hui, devenu rare et inespéré ! Je plaisante, bien sûr, d'autant plus que les séries ont également toute mon affection. Simplement, la perspective de se plonger dans une lecture qui nous embarque de A à Z dans son labyrinthe est, de temps en temps, une invitation qui ne se refuse pas. On y fait ainsi la rencontre d'une jeune fille qui pensait se protéger en demeurant solitaire et neutre, mais qui finalement va réaliser qu'elle peut s'épanouir au contact des autres. Il y a donc de l'amour, de l'action, du suspense et de l'émotion dans cette bande dessinée... racontée avec simplicité et efficacité. Une découverte assez inattendue et - forcément - réjouissante. ☺
Rue de Sèvres, 2018
Des chauves-souris, des singes et des hommes, de Paule Constant & Barroux
Cette adaptation en bande dessinée du roman de Paule Constant est étonnante ! Étonnante par ses couleurs, son graphisme, sa mise en page, son histoire aussi... qui est toujours étrange et fascinante, poétique et tragique. J'avais lu et écouté le roman en format audio (lu par Marie-Christine Barrault). J'avais été séduite, scotchée, envoûtée. Cette nouvelle déclinaison n'a fait que confirmer tout le bien que je pensais de cette œuvre !
Pour rappel, l'histoire commence dans un village africain, où une petite fille désœuvrée se console avec une chauve-souris qu'elle a trouvée en se promenant. Pendant ce temps, les garçons de son âge ramènent crânement le cadavre d'un gorille silverback. La dépouille est immédiatement dépecée, mijotée en ragoût et servie à tour de bras pour célébrer l'abondance et la rareté d'un mets aussi raffiné. À côté de ça, on croise aussi une jeune française, dans une mission humanitaire, un sociologue-ethnologue fraîchement débarqué, et un Docteur Désir qui vogue sur le fleuve pour vendre sa camelote. Tous ignorent encore qu'un mal pernicieux est en train de se propager silencieusement, qu'il trace sa route funèbre jusqu'au point final, où alors « le nom d'ebola se répand en lettres rouges dans la presse du monde entier » !
L'histoire est terriblement glaçante, mais elle est racontée avec beaucoup de lyrisme, d'où le décalage et la sensation d'une sentence implacable et abrutissante. Ajoutez la touche de Barroux, avec son univers brut et faussement naïf qui nous transporte au cœur de cette Afrique folklorique, avec ses couleurs, ses exubérances, ses légendes, ses cris et ses larmes. La plongée est stupéfiante. On en prend plein les yeux et on ressent un vrai choc au fil des pages. C'est une belle réussite. Je recommande ! ☺
Gallimard Bande Dessinée, 2018 Feuilleter