Couleurs de l'incendie, de Pierre Lemaitre
Avoir lu ou non Au revoir là-haut n'est finalement pas si crucial pour la bonne compréhension de ce roman - contrairement à ce que j'avais imaginé. On retrouve, certes, la famille Péricourt mais l'histoire s'attache à Madeleine, fille de Marcel. Le roman commence en février 1927, par des obsèques affreusement pompeuses, lesquelles sont perturbées par la chute tragique du jeune Paul, depuis le deuxième étage de la maison. Comment, pourquoi ? La foule horrifiée voit l'enfant conduit en urgence à l'hôpital, où sa mère apprend qu'il est miraculé mais paraplégique. L'annonce est brutale, le choc traumatisant. Leur quotidien est alors mis sens dessus dessous - Madeleine se décarcasse pour le confort de son fils, elle recrute une aide-ménagère polonaise (l'exubérante Vladi) et confie ses affaires courantes à l'avocat de la famille, Gustave Joubert. Sa confiance aveugle sera néanmoins trompée. Sans rien voir venir, Madeleine va être dupée et roulée dans la farine par ses plus proches confidents.
Et quelle prouesse ! Pour moi, ce roman s'inscrit dans la lignée des grands romans populaires, façon Balzac, Dumas et Zola. On découvre en effet un récit captivant et flamboyant, une sinistre comédie humaine ancrée dans son époque (on jurerait que Lemaitre a voyagé dans le temps pour s'imprégner des lieux, de l'ambiance, des codes romanesques en vigueur). Clairement, c'est une réussite sur ce plan. Après, l'histoire nous happe, nous attire dans ses filets et on se laisse porter par le fil narratif. On assiste ainsi au naufrage, on découvre la mascarade, on encaisse les revers de fortune et les illusions perdues, tout ça sans broncher. On ressent une profonde empathie pour Madeleine, on la juge trop sentimentale puis on applaudit son courage et sa force. En digne Péricourt, elle ne va pas rendre les armes mais va puiser dans l'humiliation infligée pour faire sa propre justice. Sa vengeance se tisse alors dans les règles de l'art, mitonnée aux petits oignons, ourdie en douce et élaborée avec patience. Ah, il y a de l'Edmond Dantès chez cette Madeleine ! Vraiment, on se régale. Moi qui avais conservé un souvenir flou et en demi-teinte du précédent Au revoir là-haut, j'ai été agréablement surprise par Couleurs de l'incendie qui a su me tenir en haleine pendant près de 14 heures !
La lecture faite par l'auteur lui-même est, de plus, tout à fait remarquable. J'avais déjà noté combien il excellait dans cet exercice, cf. Au revoir là-haut, et ai donc apprécié qu'il renouvelle l'exploit avec cet opus. L'auteur vit littéralement son récit, il module les intonations, connaît ses personnages, joue avec le lecteur. C'est une vraie pièce de théâtre qui se déroule dans nos oreilles, et on reste auditeur fasciné de bout en bout. Ce n'est pas donné à tout le monde de réussir pareille prouesse (certains sont de piètres lecteurs, en gros il ne suffit pas d'avoir écrit le livre pour s'improviser lecteur et transmettre au mieux ses émotions). Pierre Lemaitre figure parmi les exceptions - j'ai beaucoup aimé l'écouter ! L'effet immersif est, de plus, indéniable.
Excellente pioche, donc. Une lecture pleinement enthousiasmante sous tous les formats. À conseiller. ☺
Avec la participation de Zygmunt Miloszewski pour les mots lus en polonais.
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Sélection du #ClubAudible Février 2018