Aru Shah et la lampe du chaos, de Roshani Chokshi
Mais qu'est-ce que c'est drôle !
En voulant épater des élèves de son école qui la traitent de menteuse, Aru les entraîne au musée de sa mère face à une lampe magique. À manipuler pourtant avec précaution. Car l'instant d'après, plouf, ses camarades sont pétrifiés et Aru est projetée dans un univers parallèle.
Elle y fait la rencontre d'une autre fille de son âge et d'un pigeon acariâtre. Celui-ci vient en effet de comprendre que les dieux sont contre lui car ces donzelles de 11 ans sont des Pandava qui doivent sauver le monde de sa destruction en moins de neuf jours !
Sa mission consiste à les chaperonner et surtout à mener à bien leurs objectifs. Or, Aru et Mini sont des quiches. Elles ignorent tout du folklore et de la mythologie indienne. Aru a certes grandi dans un musée, mais sa mère a toujours été secrète sur ses origines. Et là, tout lui tombe sur la tête. Mini aussi est morte de trouille - elle jacasse, elle jacasse - autant dire que leur tandem fonce droit dans le mur.
C'est justement leur maladresse et leur spontanéité qui font de cette lecture une découverte désaltérante. Ici, nul ne se prend au sérieux. Les échanges sont vifs et les taquineries fusent. Les propos sont sans filtre - Aru et Mini disent tout haut ce qu'elles pensent. On s'amuse follement, alors que l'aventure est parfois ardue dans ce vaste espace qu'est la mythologie indienne. Les mythes et légendes pullulent. C'est copieux et néanmoins fascinant.
En gros, on a de l'humour, de l'extraordinaire, des rebondissements et de l'exotisme. Premier tome d'une série. C'est tout bon. Suite annoncée en 2020.
Albin Michel Jeunesse, coll. Wiz (2019)
Traduit par Marie Cambolieu - Titre VO : Aru Shah and the End of Time
Pêle-mêle Albums : Ma Sœur est une brute épaisse - Suzie - Les Oiseaux - La Sirène et les deux géants
Avec une frimousse aussi décidée en couverture de cet album, nul doute que la lecture qui va suivre sera tout aussi déterminée et franche ! Ainsi, cette fillette est la petite sœur d'un grand frère au caractère diamétralement opposé... Lui si calme, si doux, si patient, si casanier, si prudent, si affable... Bref. La vie n'est pas rose quand votre frangine haute comme trois pommes déboule à grands cris pour imposer sa présence.
Ce portrait en parallèle est bien évidemment d'une grande tendresse et ne masque pas l'attachement profond et indéfectible entre les deux. C'est illustré avec autant d'aplomb et d'humour... dans un esprit pop et coloré qui fait du bien aux prunelles. On aime beaucoup, beaucoup. Quel joli coup. Bravo.
Ma sœur est une brute épaisse, par Alice de Nussy & Sandrine Bonini
Grasset Jeunesse, 2018
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Suzie est une fillette qui adore aider, du matin au soir, pas une minute à perdre, elle dédie son temps aux autres. Elle aide tout le temps. Pour réveiller la maison, pour faire du ménage, pour veiller sur ses grands-parents, pour chouchouter le chien, pour donner des couleurs aux murs du salon, pour organiser le bureau de maman... Vous pouvez compter sur elle pour mettre de l'ordre dans votre existence - c'est « la meilleur aideuse au monde ».
Ce qu'il faut comprendre, naturellement, c'est que Suzie est la reine des chipies. Et ses fameux coups de main, en vérité, donnent matière à réfléchir - aider ou mettre son grain de sel ? Résultat, elle compose son quotidien en prodiguant bêtise sur bêtise. Allez gronder une frimousse pareille, avec ses grands yeux candides et son air de ne pas y toucher. Suzie est définitivement trop adorable pour susciter notre courroux. Et on rit de tous les non-dits et des allusions qui agrémentent cette vie de famille joyeuse et sympathique. Coup de cœur pour les illustrations, déliciseusement vintage et aux couleurs acidulées.
Suzie, par Sophy Henn
Grasset Jeunesse, 2018
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Monelle vit dans une grande maison avec tous ses oiseaux recueillis au fil de ses nombreuses expéditions. Car Monelle est une grande exploratrice... qui aime aujourd'hui paresser chez elle en bouquinant sagement. Sauf ce matin-là, elle adresse à ses compagnons un tendre bisou et leur annonce qu'elle part pour une nouvelle aventure. À leur tour, les oiseaux décident de partir à la découverte du monde. Au départ, ils sont un peu rouillés : ils ne savent plus voler, ils ont un sens de l'orientation approximatif, ils ont peur de leur ombre... Bref. Cette échappée belle met à l'épreuve leur héroïsme et leur imagination.
Mais pour la première fois, nos douze oiseaux contemplent en vrai ce qu'ils ont coutume d'apprécier dans leurs livres. Enfin la réalité prend le pas sur leurs rêves... c'est inespéré ! Il ne faudrait toutefois pas prendre des paris car nos amis ont tôt fait de rentrer au bercail. Ceci dit, cette aventure leur a ouvert l'appétit et pas seulement. Installés autour du goûter, ils sont intarissables et ne peuvent plus s'arrêter de parler. Monelle aussi a des tas de choses à leur confier !
Dans cette étonnante maison, on déguste la lecture et les histoires avec un goût prononcé pour le partage et la subtilité. C'est d'une élégance folle... un album étonnant et savoureux !
Les Oiseaux, par Chloé Alméras
éd. Thierry Magnier, 2019
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Océan et Montagne sont deux géants qui vivaient en paix jusqu'à l'arrivée d'une sirène qui leur fit perdre la tête. Car tous deux tombèrent fous amoureux de la créature et déployèrent des trésors d'ingéniosité pour l'appâter. Celle-ci aussi avait un sérieux penchant pour l'un et pour l'autre. Impossible de les départager. Alors ils continuaient de se chamailler. Et plus leur colère enflait, plus les éléments se déchaînaient. Lassée de cette querelle (qui mettait le pays sens dessus dessous), la sirène fit un choix radical.
En fait, cette histoire s'inspire d'une légende portugaise racontant l'origine d'une plage de l'Algarve réputée pour ses falaises et son sable blond. Le résultat donne un album resplendissant de couleurs et de chaos : c'est le choc des titans revisité au goût du jour avec un trait enfantin et des lumières chatoyantes. Sa poésie également nous imprègne et nous cueille page après page... dans une belle harmonie. Une trouvaille épatante, bravo.
La Sirène et les deux géants, par Catarina Sobral
La Joie de Lire, 2019
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Un petit format bien pratique (16 x 16) avec des pages cartonnées pour réviser ou apprendre ses classiques : les cris des animaux. Et donc, la panthère feule, la chauve-souris grince, la belette belotte, le lapin clapit, le criquet stridule, le serpent siffle, le zèbre hennit, le chameau blatère, la rainette coasse (tandis que le corbeau croasse), le manchot brait, l'otarie bêle, le daim brame et le renard glapit.
Super simple et efficace ! Hop... on le range précieusement.
Mini encyclopédie des cris des animaux, par Adrienne Barman
La Joie de Lire, 2019
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Albums en fête : Une sieste à l'ombre - La nuit de Pinpin - La nuit parfois je rêve - Tout en rimes - Le Mystère de la basquette
Oh, cette merveille ! Avec son aspect japonisant et ses couleurs poudrées, voilà une lecture qui invite à l'évasion et à la poésie. Approchez, en silence. Prenez place, comme cette fillette qui étale sa couverture dans l'herbe, pour une petite sieste à l'ombre du pommier. Sa couverture, c'est toute une promesse - un bivouac, un donjon, une armure, un radeau, une montgolfière, un voyage, une nuit noire, un bout du monde...
On ne peut que s'extasier devant la richesse de cet album qu'on lit aussi comme un imagier original et fabuleux. On y découvre surtout l'étendue des histoires qui se créent dans la tête de nos enfants. Combien leur imagination peut être bouillonnante et exaltante. On applaudit très fort puisque c'est beau, c'est inattendu, c'est élégant et c'est d'un charme fou. Rien que la couverture donne envie de lire cet album. C'est adorable ! Et doux au toucher.
Une sieste à l'ombre, par Françoise Legendre & Julia Spiers
seuil jeunesse, 2019
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Pinpin n'est pas fan de la nuit, qui avale les couleurs et laisse la porte ouverte aux monstres, aux ombres et à l'orage. Pourtant, la luciole, le hibou ou le hérisson vont lui expliquer que ses angoisses n'ont pas lieu d'être. Après tout, l'orage, c'est les nuages qui se font des bisous. Les cauchemars sont piégés dans les toiles d'araignée. Ou il faut s'amuser des ombres en improvisant un spectacle sur les murs de la chambre. La nuit, en fait, c'est extra pour tout voir sans ses lunettes, pour respirer l'air frais, pour danser sous la lune.
Toutes les terreurs nocturnes sont ainsi habilement épinglées dans ce joli conte aux illustrations tendres et délicates qui permettent un coucher en toute quiétude. On traque chaque point d'interrogation, on décortique et on balaie de la main en montrant bien que ce n'est qu'un détail. Franchement, c'est zéro complexe. Juste la garantie d'une nuit paisible et réparatrice. On dit merci !
La nuit de Pinpin, par He Zhihong
seuil jeunesse, 2019
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La nuit inspire les plus belles lectures ! Ainsi, dans cet album merveilleusement illustré par Clémence Pollet, nous aussi on se glisse sous la couette pour plonger dans le pays des rêves. La nuit, on revit sa journée, on s'imagine une autre vie, on se permet des tas de lubies, on apprend à voler, on fait des nuits blanches, on lit à n'en plus pouvoir, on fait des cauchemars, on cajole son animal et on cueille le lever du jour avec bonne humeur et dans la promesse d'un éternel recommencement !
Voilà encore une lecture enchanteresse, qui adoucit ce moment du coucher toujours synonyme d'appréhension. Avec cet album, on se réjouit de toutes les perspectives qui nous attendent - la nuit parfois je rêve mais surtout je deviens l'héroïne de mes propres aventures. Tout simplement formidable !
La nuit parfois je rêve, par Stéphanie Demasse-Pottier & Clémence Pollet
de la Martinière Jeunesse, 2019
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Bruno Gibert propose de s'amuser avec les mots et les images grâce à des comptines avec des trous à compléter ! Comme les enfants apprennent très tôt à composer en rimes, ils font montre d'une aisance à participer à cet exercice. Ainsi, libre sera leur inspiration à imaginer une écrevisse perdue en Suisse, la bouche pleine de réglisse ou de cassis... et qu'on en finisse !
Chaque histoire est particulièrement cocasse, comme celle de la momie qui veut soigner sa carie avec une infusion de patchouli avant de partir en Californie sur le dos d'un colibri ! Vous pouvez vous éclater à l'infini en inversant les mots qu'on puise dans la réserve suggérée par l'auteur. Ça devient tellement rigolo de mettre le foutoir dans l'armoire, avec un drôle de loir qui sort du tiroir avec son air de suppositoire et qui court se cacher derrière la baignoire, ni bonjour ni au revoir ! Quel culot ! Passez-moi une bouilloire que je l'assomme !
D'autres histoires farfelues sont à découvrir, comme l'accident de l'éléphant ou la soupe de carotte à la hulotte... Bref. Cette lecture est à assaisonner à votre sauce ! Pimentée, acidulée, aigre-douce. On bidouille selon sa convenance (ou pas). C'est pas mal du tout, surtout pour les amateurs d'humour décalé.
Tout en rimes, par Bruno Gibert
seuil jeunesse, 2019
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Attention, enquête en cours ! Une basquette bleue est découverte sur le trottoir de la rue Hugo-Victor de la petite ville de Chiche-sur-Capon. Le mystère est entier. Cinq jeunes enfants sont penchés sur cette étude et cogitent dur. Et si c'était un bébé de géant ? ou un cas de panardite ? ou le coup d'un chouingue américain ? Prenez garde.
Toute dérision mise à part, cette lecture fait place à l'imagination débordante. Même le dénouement est stupéfiant. Je ne vous dis que ça. André Bouchard est un conteur génial et talentueux qui n'a pas dit son dernier mot. En effet, le lecteur lui aussi peut apporter sa pierre à l'édifice et - pourquoi pas - livrer son hypothèse sur le Mystère de la basquette bleue qui tient en haleine ! RDV sur la page Facebook de l'éditeur. ☺
Le mystère de la basquette bleue, par André Bouchard
seuil jeunesse, 2019
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Si vous pensiez avoir fait le tour des aventures de Greg le dégonflé, penchez vous donc sur le cas de son meilleur pote, alias Robert Jefferson, le BFF rêvé. On devrait lui décerner une médaille pour tout ce qu'il supporte... Car Robert vit dans l'ombre de son ami. Jamais il ne doit se mettre en avant. Hors de question de lui voler la vedette. Le rôle de Robert dans la série ? C'est son souffre-douleur, son alibi, son boulet, son maillon faible.
Quand le garçon brandit fièrement son propre carnet à croquis, Greg n'est pas du tout content car il lui reproche de copier son journal. Pour Robert, il s'agit simplement de raconter sa version de leur amitié, avec des petits dessins gribouillés (sans les nez) et avec une spontanéité rafraîchissante. Car ce garçon est sans filtre - par sa gentillesse et sa naïveté. Il rapporte en toute transparence des anecdotes qui rappellent combien Greg abuse de sa bonhomie pour camoufler ses bêtises.
Bien évidemment, Robert n'en a jamais conscience. Toutefois, il y a un brin de dérision dans l'intention de rédiger une biographie à la gloire de Greg car ce carnet pointe justement ses nombreux défauts. Robert est certes perçu comme le pauvre bougre constamment abusé... enfin, jusqu'à présent. Cette lecture rétablit la vérité et renverse le rapport de force. Et si notre Dégonflé n'était RIEN sans son Robert attitré ? Allez... zou, filez découvrir ça. C'est beaucoup moins surprenant mais ça reste dans le même esprit rigolard.
Journal d'un copain formidable : Carnet de bord de Robert Jefferson, par Jeff Kinney
Trad. Rosalind Elland-Goldsmith / Seuil Jeunesse, 2019
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Brigade Verhoeven Tome 2 : Irène, par Pascal Bertho & Yannick Corboz
Dans Rosie, nous rencontrions pour la première fois Camille Verhoeven, commandant à la Brigade criminelle. Nous le retrouvons en couple avec Irène dans cette adaptation du roman de Pierre Lemaitre : Travail soigné.
Camille pensait profiter de ses vacances pour être auprès de sa femme, qui est enceinte et prête à accoucher. Au lieu de ça, il est rappelé d'urgence au bureau pour une affaire qui lui vaudra bien des nuits blanches. Et pour cause, un tueur en série se joue de lui. Il sème dans Paris et sa banlieue des cadavres en s'inspirant de grands classiques policiers.
Avant de tirer ça au clair, Verhoeven et son équipe courent comme des tarés et cherchent à trouver LE détail pour confondre le tortionnaire. En attendant, la lecture est intense, l'ambiance est lourde et le suspense haletant. On pressent le compte à rebours. La pression du criminel sur le commandant Verhoeven - lui et pas un autre - est tendue. On sent le duel implacable entre deux ennemis jurés. Et on flippe.
Les auteurs ont admirablement construit leur bande dessinée, glissant quelques planches pour jouer avec nos nerfs. Les plus attentifs comprendront qu'il faut se méfier... que rien n'est anodin. Qu'au détour du chemin, l'émotion sera grande et renversante. J'en soupire, j'en tremble, je peste de rage.
Bref. L'immersion est donc totale - c'est un roman plus noir que noir. Cette fois, les descriptions ne suffisent pas - les images sont incarnées. Ça cogne dur et fort. J'avais pourtant déjà lu le roman, il n'empêche que j'ai encaissé difficilement ce que la BD me proposait. On ne s'y prépare jamais totalement...
Mais c'est réussi. On a la tête farcie d'horreurs et le cœur au bord des lèvres. Mais on applaudit le travail - le scénario et la mise en page sont grandioses. L'histoire est poignante, mais percutante. J'ai aimé aussi que des romans policiers viennent appuyer une enquête en cours - le personnage du libraire est impressionnant.
Très bon boulot, les gars ! Au suivant...
SÉRIE EN 4 TOMES ♦ RUE DE SEVRES (2019)