Un pommier dans le ventre, de Simon Boulerice & Gérard DuBois
« Je mange mes pommes en entier. Enfin, presque. Il n’y a que la queue que je ne mange pas.
À la récréation, Rémi Smith me regarde et fait les yeux ronds.
— Les pépins, ça ne se mange pas ! me prévient-il. Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ! ? »
Raphael est effrayé d'apprendre qu'un verger est probablement en train de pousser dans son ventre ! Depuis des années, il avale chaque jour une pomme, pépins compris. Son ami Rémi lui prouve par A + B qu'il est fichu... jusqu'au trognon ! ;-)
Pour le coup, notre bonhomme se sent hyper mal. Il imagine déjà son ventre bosselé, sa peau devenir écorce. Il refuse de boire une seule goutte d'eau, ou même d'ouvrir la bouche, pour éviter d'accélérer la pousse du pommier dans son corps (car ce sont deux éléments essentiels, lui a rappelé Rémi).
Et puis ouf, sa maman le rassure en quelques mots : « Le temps des pommes, c'est à l'automne. »
« Je soupire de soulagement. Nous sommes seulement au printemps. » (...)
Ce texte évoque les peurs enfantines, avec drôlerie et tendresse. Et une pointe de dérision. Qui n'a, en effet, jamais eu la trouille d'avaler son chewing-gum de crainte d'avoir les boyaux collés ?! :-)
En découvrant ce petit album, j'ai d'abord pensé qu'il pouvait s'agir de la réédition d'un titre paru des années plus tôt, au vu des illustrations et de son esthétisme rétro. Que nenni ! Gérard DuBois impose un style élégant et précieux, sans prétention, qui nous donne effectivement l'illusion de basculer dans le temps.
Et la séduction opère illico. J'ai beaucoup aimé cette lecture qui fait preuve d'originalité, tout en traitant avec sérieux des angoisses chez les enfants, avec tendresse et humour. C'est tout bon !
Grasset Jeunesse, octobre 2014
Bonne journée, par Olivier Tallec
Cet album est absolument désopilant, mais attention il ne s'adresse pas du tout aux enfants ! Le nom d'Olivier Tallec peut induire en erreur, or cette fois l'auteur / illustrateur est sorti de son registre habituel pour assumer pleinement son humour corrosif et piquant. Et c'est jubilatoire !
On découvre à travers cette lecture des planches de dessins, avec parfois une petite légende, qui font tiquer, sourire, grincer des dents. L'humour y est noir, caustique et effronté, les situations sont cocasses, parfois grivoises. Bref, les habitués pourraient y perdre leur latin, sauf que l'auteur a toujours su glisser dans ses albums une petite touche espiègle, qu'on retrouve ici, poussée à l'extrême.
C'est extra, délicieusement ironique, derrière la tendresse du dessin, on découvre un Olivier Tallec à la plume piquante et réjouissante. J'ai adoré le découvrir dans ce registre, plus décalé et irrévérencieux. J'ai beaucoup ri et je ne me lasse pas de le lire et le relire !
Rue de Sèvres, octobre 2014
Hors-pistes, de Maylis de Kerangal & Tom Haugomat
Le concept de l'album sort un peu des sentiers battus : carte blanche a été donnée à un illustrateur (Tom Haugomat) pour laisser libre cours à son inspiration, en quelques planches. Puis, un auteur (Maylis de Kerangal) s'empare de ces images et raconte sa propre histoire, en toute liberté. Une véritable création dans l'esprit « hors-piste », dirons-nous. ;-)
Et l'on découvre cette aventure dans les montagnes : Paul accompagne l'ami de ses parents, Bruce, pour une expédition libérée de toute contrainte, à la découverte de la nature sauvage.
« J'avais longtemps attendu le retour de Bruce, et rêvé de cette virée, lui et moi arpenteurs de montagne, héroïques, et comme chez nous dans ce royaume. Sillonner un monde sauvage, gravir ses pentes, explorer ses gouffres, pêcher en rivière, descendre des rapides en canoë, voler en parapente, dormir sous la tente en camping sauvage, et peut-être même approcher le grizzly ! Nous y serions ensemble, équipiers et amis. »
Mais l'aventure tourne court, quand Bruce se blesse et Paul doit partir chercher les secours. C'est une autre forme d'exploration qui l'attend, celle de tester ses limites, d'aller à la découverte de soi et d'apprendre à tracer sa propre piste.
C'est une lecture assez impressionnante, pour grands et bons lecteurs, qui apprécieront la plume de Maylis de Kerangal et savoureront de baigner dans un décor montagnard, tout en cyan et magenta (les deux mélangés ont donné du brun/violet), au graphisme épuré mais imposant de noblesse.
Le texte est tout aussi mystérieux, poétique et poignant. On y devine la détresse d'un enfant, son regard hésitant sur cet adulte auquel il s'accroche, avec qui il désire ardemment nouer une relation de confiance, de partage. C'est admirablement écrit, plongé dans une atmosphère froide mais apaisante.
C'est difficile de le conseiller à un enfant, trop jeune ou hermétique à la musique des mots, aux images symboliques, à la portée des valeurs héroïques etc., mais ce serait dommage de s'en priver car c'est un album de toute beauté !
éditions Thierry Magnier, octobre 2014 ♦ En partenariat avec la galerie Jeanne Robillard, et avec la complicité des éditions Hélium.
Alice au pays des Merveilles, de Lewis Carroll & ill. de Guillaume Sorel
Magnifique adaptation de l'œuvre de Lewis Carroll par Guillaume Sorel, avec une Alice beaucoup plus proche du personnage original (une demoiselle effrontée, au caractère bien trempé, ravissante brunette, avec des taches de rousseur sur son nez en trompette).
Cette adataption reprend aussi le texte intégral en illustrant les plus grandes scènes : la chute dans le terrier, le lapin blanc en retard, les conseils de la chenille, l'acharnement de la Reine, le chat, le thé avec le chapelier fou...
La lecture est impressionnante, par ses couleurs et ses choix d'interprétation, et ne manquera pas d'envoûter les plus grands lecteurs en les capturant dans cet univers fantasmagorique, qui paraît également plus tourmenté que jamais.
Cette Alice est bluffante, dans son rôle de chipie qui casse définitivement l'image doucereuse suggérée par un certain Walt... C'est remarquable, de toute beauté !
On pensera aussi à replonger dans Alice au pays des Merveilles de Rebecca Dautremer ou celle aussi d'Emmanuel Polanco pour combler toute la famille !
Rue de Sèvres, octobre 2014 ♦ traduit par Henri Parisot
Les Concombres du roi, d'Evelyne Brisou-Pellen & Judith Gueyfier
Du temps où Angkor, au Cambodge, était « une ville brillante, vivante, pleine de richesses », vivait un roi gourmand, gros et gras, qui exigeait de ses serviteurs des plats raffinés, renouvelés chaque jour pour enchanter ses papilles.
Sa fille, la princesse Indra, subissait aussi sa colère en demeurant cloîtrée dans sa chambre, d'où elle contemplait le jardin par la fenêtre. Ce spectacle ne cessait de la ravir : les plantes étaient magnifiques, odorantes et entretenues à merveille par Trasak, qui s'enhardit à troubler la jeune fille dès lors qu'il prit connaissance de son admiration.
En cachette, Indra n'hésitait pas à courir le rejoindre pour explorer son domaine à lui : le jardin des fleurs, des grands arbres, des fruits, des légumes... où Trasak venait de créer une nouvelle espèce de concombre absolument délicieuse.
Hélas, le roi découvrit la supercherie de sa fille et condamna à mort le jeune jardinier. Pour le sauver, Indra apporta à son père un plateau de concombres... qui finirent de le combler. Le roi fit main basse sur la production de Trasak, pour sa consommation exclusive, et hurla à l'infamie lors qu'il découvrit que des voleurs s'introduisait la nuit dans son potager.
On ne peut s'empêcher de sourire face aux excès de ce roi tyrannique, aveuglé par sa gourmandise, qui s'enfonce dans sa bêtise et multiplie les frasques. Heureusement l'amour sortira vainqueur de cette fable savoureuse, en valorisant le caractère noble et délicat du gentil Trasak.
C'est une lecture follement romanesque, portée par des illustrations aux couleurs magnifiques, dans un décor exotique ! Ce conte fabuleux invite petits et grands à rêver et voyager...
Belin jeunesse, octobre 2014
Le Théâtre en carton, d'Aurélia Grandin
C'est l'effervescence à l'école ! Toute la classe s'active pour la préparation de leur nouvelle pièce de théâtre : La Princesse qui n'avait aucun poney. Et tout le monde met la main à la pâte, costumes, décors, répétitions, mise en scène... quand, ENFIN, le grand soir arrive, sous les yeux des parents, les enfants se lancent sous les projecteurs.
Et l'histoire de la princesse est tout aussi fabuleuse : une princesse se morfond dans son coin, car elle n'a pas de poney. Un prince décide de conquérir son cœur en lui faisant ce plaisir et se rend chez la Fée Pratique pour accomplir un miracle. Mais la fée est rouillée, à la place elle leur propose un dragon avec un beau manteau à boutons en velours côtelé.
Ah, ah ! C'est très drôle ! C'est plein de fantaisie, d'humour, de fraîcheur, à travers des images entre art brut et art naïf : c'est une franche réussite ! Cette lecture donnera des ailes aux enfants, et pas seulement des ailes de tourterelle ! ;-) (Lisez, vous comprendrez...)
Didier jeunesse, juin 2011
Rébellion chez les crayons, de Drew Daywalt & Oliver Jeffers
Duncan vient de recevoir un gros paquet de lettres, de la part de ses crayons de couleur ! Rien ne va plus, entre réclamation, sentiment d'injustice, ras-le-bol, indiscrétion, usure anticipée, tromperie, négligence... les crayons ont leur mot à dire et ils l'expriment haut et fort ... et en couleurs !
C'est très, très drôle. Vachement original. Et bon enfant. Jugez plutôt.
Le rouge se plaint de trop travailler (pompiers, pommes, Noël, Saint Valentin, il n'arrête jamais !), le violet réclame plus de rigueur (ne pas déborder du dessin), le beige se sent seul au monde (à part le blé ?), le gris est épuisé (trop de pachydermes, pas assez de petits cailloux ou de bébés pingouins), le blanc se sent absent, le noir en a marre de souligner les contours, le vert est satisfait de son sort (croco, dino, arbres et grenouilles, tout lui va !), le bleu est au bout du rouleau, le rose exige d'être plus présent dans la vie du garçon, le pêche se sent « nu ».
Sans oublier LA fameuse querelle entre le jaune et l'orange qui estiment tous deux être LA couleur du soleil (avec preuves à l'appui !). À Duncan de trancher, une bonne fois pour toute.
Le format est audacieux, il y a beaucoup d'humour, de tendresse et de finesse. Et l'enfant ne regardera plus ses crayons de couleur de la même façon, car oui eux aussi ont des états d'âme ! C'est subtil, mais super efficace. On le lit et le relit, avec énormément de bonheur.
Kaléidoscope, mars 2014
Touït touït, d'Olivier Douzou
On retrouve ici le même concept que dans Plouf Plouf : une histoire sans parole, où le lecteur invente sa propre histoire, tout en s'appuyant sur des dessins évocateurs.
Et ça fonctionne à merveille ! Le scénario est, de plus, hyper drôle avec un oiseau qui cherche à expulser un ver de terre de son trou. Celui-ci va riposter, que diable, s'emporter et montrer qui est le maître.
C'est un album petit par son format (19,7 x 14,5) mais grandiose pour l'ingéniosité déployée, le ton humoristique et l'espièglerie de l'intrigue sur le principe de « l'arroseur arrosé ».
Un gros boum d'affection pour cette collection de « flippe-books » !
éd. Rouergue, septembre 2014
Plouf Plouf, de José Parrondo
Un matelot sur son bateau perd son béret, qui part à la dérive sur l'eau. Notre bonhomme se trouve bien dépité. Il tente de le rattraper, quand surgit soudain une baleine. Chipie la baleine ! Sauf que notre matelot n'est pas d'humeur joyeuse et saisit son harpon d'un air stoïque. Il le brandit sous le nez du mammifère, et là... Stupéfaction générale. Toutefois, l'histoire n'a pas fini de surprendre... et faire rire.
Car cette histoire sans parole est absolument désopilante et s'adresse à tout lecteur dont l'imagination débordante va voguer sur les flots de la fantaisie et l'humour. Les dessins sont simples mais évocateurs. On se régale à suivre chaque scène, à découvrir les nouveaux rebondissements, et même la chute, désopilante à souhait. En bref c'est un rendez-vous où l'on ne s'ennuie pas une seconde !
éd. Rouergue, septembre 2014
Le Concours de force, de Delphine Bournay
Alors qu'elle bouquine tranquillement, Taupinette est surprise par un projectile - boum ! - venu s'écraser à l'entrée de sa galerie. C'est une énorme pierre, beaucoup trop lourde à déloger. Taupinette râle : son entrée est bouchée, il fait noir comme dans un four et elle est obligée de s'éclairer à la bougie, comme au Moyen Âge ! Arrive son ami Renard, qui tente de lui prêter main forte, avant de se replier en cuisine pour déguster les petits biscuits grillés.
Il lui suggère aussi d'organiser un concours de force, avec une belle récompense à la clé. Les candidats vont défiler les uns après les autres, mais rien n'y fait. La pierre ne bouge pas d'un pouce. Par contre, ils viennent tous s'attabler autour de la platée de biscuits et se pourlèchent les babilles. Taupinette fait grise mine et est à bout de patience.
Même sa grand-mère vient, bien malgré elle, semer la zizanie en lui passant un coup de fil qui vire au dialogue de sourds ! Et qu'est-ce que c'est drôle ! Delphine Bournay n'a pas son pareil pour raconter des histoires simples mais hyper efficaces. Elles vous donnent la patate et font soupirer dès qu'on tourne la dernière page... c'est toujours trop court !
Toujours frais et guilleret, le ton de l'auteur déborde d'énergie créatrice et enchante son public sans limite d'âge !
L'École des Loisirs, novembre 2014