J'aimerais te dire..., de Bernard Friot
À travers ce recueil, se glisse une collection de poèmes qui tentent de mettre des mots sur ce qu'on a du mal à dire (colère, chagrin, joie, excitation, angoisse), dans une langue souvent imagée, parfois maniérée, mais en des termes toujours simples et qui sonnent fort à l'oreille. Bernard Friot s'entend pour nous appâter et nous étourdir, nous faire réfléchir et nous toucher. Ce sont ainsi des poèmes à lire pour soi, à lire pour les autres, à lire à voix basse ou à haute voix.
Réalisé en partenariat avec les étudiants de l'école nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, le livre impose un graphisme original et marquant, qui alterne les couleurs du sombre au clair, du pastel au vif, mais aussi des formes audacieuses, des coups de griffe et des traits fougueux. Un mélange impressionnant, qui allie des éléments typographiques tout aussi contrastés et saisissants.
Cet esthétisme apparenté à la puissance poétique incitera ainsi les lecteurs à transcrire leurs émotions et leurs sentiments, avec leurs propres mots, leurs gestes, leurs signes et leur musique. Du très grand Bernard Friot.
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Pour les rires idiots et les jeux interdits
pour les chemins cachés et les peurs envolées
pour les poches remplies de rêves étourdis
et pour les châteaux de vent construits dans nos mains réunies.
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Parfois la tête s'envole
vague, absente, indécise
vagabonde ne sait où elle va
vague, absente, indécise
Indécise, absente, vague
vagabonde ici ou là, par ci par là
dévie, dérive, déraille.
Quelqu'un dit : « Il rêve. »
Un autre dit : « Hé ! Reviens sur terre ! »
Oui oui on reviendra, évidemment,
mais quand ? Tout à l'heure ou maintenant ?
Ça on ne sait pas.
On verra.
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« Il faut un peu de temps pour démêler les sentiments. »
De La Martinière Jeunesse (août 2015)
Feuilles & nuages (poèmes de Philippe Jaccottet), par Les Yeux de Berthe
♪♫ J'aurais voulu parler sans images... ♫♪
Poèmes lus, poèmes chantés d'après l'œuvre de Ph. Jaccottet par le duo Les Yeux de Berthe (formé par Loïs Le Van au chant et Sandrine Marchetti au piano).
Voilà qui change complètement de mes habitudes de lecture, même en musique, c'est très loin de mon registre de prédilection. Entre lecture et chanson, ce disque a pourtant fait tomber les barrières. Je me suis retrouvée en territoire vierge. Oserais-je avouer que même le nom de Philippe Jaccottet m'était totalement inconnu ? C'est vous dire le chemin à parcourir !
Première écoute déstabilisante, la voix de l'artiste est pénétrante et invite à se poser, à l'écouter avec attention. La mélodie est très présente (petit souci de réalisation ? le piano est trop fort pour la voix) et c'est quand la poésie est chantée, qu'on apprécie pleinement l'harmonie entre les deux.
Ce projet est né de la volonté à vouloir « vivre la poésie de l'intérieur », à provoquer des émotions et à faire corps avec le texte. Projet ambitieux, mais exécuté avec beaucoup de sincérité et de passion. Ce duo réussit aussi son pari à mettre en lumière la poésie de Ph. Jaccottet, à lui donner une dimension musicale avec une certaine pudeur, tout en affirmant leurs ambitions. Elle ne devait pas seulement servir de prétexte pour se mettre en scène, mais inviter l'auditeur à partager un instant rare et vivre ensemble les sensations uniques de la poésie, son sens des mots, de la rythmique et des images.
Une expérience originale, très curieuse et qui bouscule votre zone de confort.
Sortie album : 20 mars 2015 aux éditions Éponymes ♦ illustration pochette : Christophe Marchetti
♦ 13€ en le commandant sur leur site ♦ le site des Yeux de Berthe : http://www.lesyeuxdeberthe.fr ♦
extraits de : À la lumière d'hiver, Chants d'en bas , Pensées sous les nuages de Philippe Jaccottet (Gallimard)
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
La Fontaine, Chedid, Huot ou Prévert : des poètes d'hier et d'aujourd'hui déroulent le fil de la vie et vous invitent au partage des mots entre générations.
C'était mon clin d'oeil pour le printemps des Poètes, avec cette anthologie de poèmes illustrés par Aurélie Guillerey (je ne me lasse pas de son talent !).
Pourquoi ma grand-mère tricote des histoires ?
Sélection proposée par Célia Galice et Emmanuelle Leroyer - Préface de Georges-Emmanuel Clancier
Bayard jeunesse, 2012
affiche illustrée par Joëlle Jolivet
poème à sang-froid (*)
L'avertissement est donné dès la première page : j'aime pas les poèmes d'amour ni ceux qui dégoulinent de sentiments
Le reste, ce sera bizarre aussi
avec des mots qu'on comprend pas et des phrases en petits morceaux sans point sans virgule parce que la grammaire on s'en fout et puis zut la poésie c'est pas parler comme tous les jours
les rimes ?
y en aura pas c'est pas du rap c'est pas du slam c'est un truc à moi je l'ai dans les doigts dans la voix et j'éclate ma tête pour l'écrire mon poème
trois bouts de ficelle vieux papiers et un morceau de fil de fer
je le bricole avec ce que je ramasse
dans mes poubelles
c'est pas un poème
à mettre en vitrine
pas un poème
à réciter chanter expliquer
Ce livre, qui veut s'adresser aux adolescents en premier lieu, se révèle une ébouriffante découverte pour tout lecteur ! Il ne respecte pas les codes, il détonne, dérange, désordonne. Il fait du bien, il donne l'effet d'un coup direct dans la face, il met k-o avec bonheur, il fait remuer la tête, le corps, les bras, les jambes, les pieds... et le ventre aussi est tout retourné. On y évoque la vie, l'amour et la violence avec une exactitude qui met à plat, qui abat les cartes. Tricher n'est pas jouer, on l'a bien compris. Bernard Friot, l'auteur illustre des Histoires pressées, renouvelle le genre de la poésie avec un lyrisme d'une vitalité et d'une modernité cinglantes. Je dis, bravo !
j'enroule un fil
autour de tes doigts tes mains tes bras
un fil barbe à papa
je t'encoconne d'un amour un peu écoeurant
je te croquerai avant qu'il soit longtemps
mon sucre doux mon rond bonbon
mais tu souris
et je fonds c'est moi ton prisonnier
liens de sang et de sel
larmes et nuits de soleil
je suis le repos de l'ogresse
dévore-moi dévore-moi
je ferme les yeux et j'attends
la marque de tes dents
pourvu oh pourvu
que je sois à ton goût
L'esthétisme du livre est également un travail à lui tout seul : ce sont des ronds, des boucles, des gribouillages, des interdictions de gribouiller, des sauts de puce, des ratures, des apartés, des cadres noirs, des parcours fléchés, des (faux) dessins numérotés, des devinettes, des indices, des liens, des détours ... Un vrai plan- drague !
l'ouvrage se consulte sur ce site - à feuilleter et à écouter.
Mon coeur a des dents ~ Bernard Friot
Milan, coll. Macadam, 2009 - 156 pages - 9€
création graphique et illustrations : Bruno Douin
(*) poème à sang-froid
regarder la vérité en face
il n'y a rien à dire
ça n'empêche pas d'écrire
je ne fais pas de littérature
enfin ça dépend
comment on l'entend
Une histoire et au lit ! #2
Il faut aller au lit
Mais je n'ai pas sommeil
Dans le noir je m'ennuie
Tous les soirs c'est pareil
Si j'avais des ciseaux
Pour découper le ciel
J'en prendrais un morceau
Pour faire une marelle
Si j'avais de la craie
Sur le noir de l'espace
Je me dessinerais
Un jeu avec des cases.
Chaque soir c'est pareil :
Je me rêve dehors.
Mais j'ai un peu sommeil.
Malgré moi je m'endors
J'irai à cloche-pied
Jouer sur la Grande Ourse
Et dans la Voie lactée
Me baigner à la source
Je rêve que je dors
Et quand je me réveille
Il fait grand jour dehors.
Bonjour, Monsieur Soleil.
L'enfant qu'on envoie se coucher / Claude Roy
Extrait > Est-ce que je peux avoir la tête dans les nuages et les pieds sur terre ?
Une anthologie de poèmes choisis par Célia Galice et Emmanuelle Leroyer
Illustrations de Bombo!
Préface de Michel Butor
Bayard jeunesse, 2010 - 9,90€
Une très enthousiasmante découverte ! Ce sont des poèmes d'hier et d'aujourd'hui sur les thèmes du rêve et de la réalité. (Je compte beaucoup de coups de coeur, dont le poème de Vénus Khoury-Ghata, Elle l'a dit et répété...).
Les illustrations, chaleureuses, sont l'oeuvre de l'italien Bombo !, alias Maurizio Santucci.
Prélude à un amour brisé
Me sentant d'humeur démoniaque ces jours-ci, j'ai purement et simplement décidé de présenter un livre qui parle d'un amour brisé, et ce la veille de la fête des amoureux ! ... (Par contre, l'éditeur est plus compatissant car le livre ne sera disponible en librairie qu'à partir du 15 février.) Pas sympa, la Clarabel ?
Bref, à la base de cet album il y a le tableau d'Edgard Tytgat, Prologue d'un amour brisé. Peintre belge contemporain, Tytgat est connu pour son oeuvre naïve, inspirée du fauvisme, mais aussi pour ses illustrations en gravure. Prologue d'un amour brisé a été réalisé en 1928 et reste un mystère pour les connaisseurs, car personne ne sait ce qui lui a inspiré cette peinture au titre évocateur. On y voit une femme allongée sur une table, des infirmières et médecins s'affairant autour de sa jambe amputée. Assis sur un banc à l'extérieur de la maison, un homme soutient amoureusement sa tête par la fenêtre ouverte.
C'est cette peinture qui est à l'origine du déclic et a offert à l'auteur de ce Prélude à un amour brisé, que je présente aujourd'hui (sorry, no cover for today !) une fable sur l'amour et la liberté. C'est l'histoire d'un homme et d'une femme qui se plaisent, s'aiment et se promènent bras dessus, bras dessous. L'homme la couve de mots d'amour, de déclarations enflammées, il suffoque, il l'adore... mais la femme étouffe. Progressivement elle s'aperçoit que tous deux n'ont plus les mêmes affinités, que les attentes prennent un chemin différent. Consciente et lucide, la femme décide de rompre. Parce que trop d'amour, aussi, ça étouffe.
Besoin d'air, besoin de liberté ? Cette histoire nous montre cet élan incroyable qui pousse toutes femmes à vouloir voler de ses propres ailes, à se couper de l'ascendance masculine. C'est un livre aussi qui laisse voir les vicissitudes de l'amour, et moi je dis que c'est très bien rendu, avec des illustrations / gravures à la fois fascinantes et inquiétantes (déjà vues dans Frisson de fille, par exemple, de la même Isabelle Vandenabeele). C'est audacieux, évocateur et bouleversant !
Voici un aperçu du texte, tout en poésie :
« Ensemble, ils pensaient à être ensemble.
Mais ensemble d'une autre façon.
Pas le simple fait d'être ensemble.
Encore plus ensemble, se dit l'homme.
Ensemble d'une autre façon, se dit la femme.
Leurs yeux se croisèrent fortuitement, ils se sourirent.
Mais aucun sourire n'est pareil à un autre.
(...)
Ils avaient déjà passé des heures et des heures ensemble.
L'homme et la femme.
L'un contre l'autre. Se donnant le bras.
Lui toujours d'accord avec elle.
Elle riant quand il racontait une blague.
Au diapason, leurs lèvres s'embrassaient,
aucune dispute pour les contrarier.
Un amour sans tache.
Un bonheur sans fin.
(...)
Une seule jambe, ça ne suffit pas, se dit la femme.
Pour aller là où l'on veut.
Elle frissonna, elle ne voulait pas d'un homme pour béquille.
Pas moi, pensa-t-elle
alors que l'homme ne pensait à rien.
(...)
Ils ne voyaient pas du tout les choses de la même façon.
Le prélude tirait à sa fin,
on raya la suite.
Et elle disparut.
Et il disparut.
Mais aucune disparition n'est pareille à une autre. »
Prélude à un amour brisé, Texte de Geert de Kockere, Illustrations d'Isabelle Vandenabelle.
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin.
Editions du Rouergue, Coll. Varia. 17.50 €