06/09/18

La dernière confidence d'Hugo Mendoza, de Joaquín Camps

LA DERNIÈRE CONFIDENCE D'HUGO MENDOZAVictor Vega, professeur de littérature à l'université, est en pleine galère : lourdement endetté auprès de la mafia russe, il doit également répondre des accusations de viol lancées par une étudiante. La proposition de son amie Ana Cifuentes est donc pour lui une formidable aubaine : contre une forte rémunération, il doit certifier l'authenticité des manuscrits de son mari décédé.
Hugo Mendoza a en effet écrit un premier roman au succès retentissant, mais peu de temps après l'homme a disparu en mer. Depuis deux ans, chaque 3 décembre, sa veuve reçoit une boîte à chaussures contenant un roman inédit qu'elle publie à titre posthume. Mais Ana est saisie d'un doute car elle s'imagine que Hugo est toujours en vie, planqué quelque part, et demande à Victor de tracer l'origine des manuscrits.
Notre homme accepte de relever le défi, passionné par la vie de l'écrivain et par ses romans, et s'installe dans le studio de Hugo Mendoza, dans un petit quartier de Madrid. Très vite, pourtant, il comprend que son enquête dérange mais ne se laisse nullement intimidé. Au contraire. Victor persiste et entraîne dans sa course sa fidèle amie Paloma, une belle plante obèse qui ne porte que des survêtements moulants, mais aussi une jeune nonne férue d'informatique, surnommée sœur Clavier, et Bea, la frangine sexy et rebelle d'Ana Cifuentes.
Quand on a entre les mains ce gros roman de 650 pages, on frémit d'impatience à l'idée de monter à bord, espérant un embarquement immédiat pour une aventure ébouriffante. Le ton est immédiatement donné : on a du suspense, de la dérision et de l'humour, ainsi que de folles péripéties, un rythme endiablé, des personnages cocasses, d'autres plus pernicieux, des chausse-trappes à foison et moults rebondissements en tous genres.
En gros, on ne s'ennuie pas une seconde et on dévore ce bouquin à la façon d'un Harry Quebert picaresque et flamboyant. Et ça roule sur la langue, ça croque sous la dent, ça vous tient en haleine du début à la fin. Je n'avais rien anticipé, j'avais élaboré mille théories, j'ai coulé à pic. Que dire ? Cette lecture est captivante ! J'ai beaucoup aimé. Et je recommande.

Presses de la Cité, 2018 - Traduit par Claire-Marie Clévy

 

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24/05/17

Le témoin invisible, de Carmen Posadas

Interprété par Marc-Henri Boisse pour Sixtrid (avril 2015)
Durée : 12h 35mn

Le témoin invisibleSi la Russie et les Romanov vous fascinent, alors ce livre est fait pour vous. Il est richement documenté, instructif et passionnant. Tout simplement excellent.
Il vous entraîne de suite dans la Russie du tsar Nicola II, dans l'intimité de la famille Romanov et dans la fureur de la révolution bolchévique. L'histoire est racontée par un vieil homme malade, Léonid Sednev, réfugié à Montevideo. Entre la fatigue, les douleurs et le temps qui file, il rassemble au mieux ses souvenirs d'ancien ramoneur au palais impérial, petite ombre furtive et témoin invisible des terribles événements ayant conduit au massacre du 17 juillet 1918.
Je le dis, je le répète, c'est captivant. Rien n'échappe à son regard, la vie de famille dans un cadre préservé, la symbiose parfaite, l'exubérance des princesses, la fragilité du tsarévitch Alexis, la dévotion de l'impératrice Alexandra, l'influence trop prononcée de Raspoutine, son assassinat, la colère du peuple, la guerre contre l'Allemagne, la famine, l'abdication et l'exil... 
J'ai trouvé dans ce récit une précision remarquable, couplée à un sens du romanesque grandiose. La combinaison des deux est une réussite. J'ai littéralement plongé au cœur de l'Histoire, j'avais la sensation de voyager dans le temps, de fureter dans les couloirs ou de me cacher dans les coulisses. J'étais spectatrice du bonheur et du malheur des Romanov.
Ce roman s'inspire donc de faits réels. Seule une personne est sortie vivante de la Maison à destination spéciale, soit Léonid Sednev, marmiton de quinze ans. Le matin du 17 juillet, celui-ci a été renvoyé chez lui sans explication. On ignore ce qu'il est devenu, car sa trace a été perdue, on ignore aussi s'il a rédigé ses mémoires, Carmen Posadas en a ainsi fait son héros, son “témoin invisible”, à qui elle prête une fascination amoureuse pour la grande-duchesse Tatiana et des émois balbutiants pour la délicieuse Maria.
Cette lecture s'ajoute sans doute à une longue liste, mais elle dégage un supplément d'âme qui en fait tout son charme. Une lecture foisonnante, poignante et palpitante. J'ai adoré. ♥
« Les grands secrets sont comme les sortilèges, ils s'évanouissent dès lors qu'on les expose. »

Trad. Isabelle Gugnon pour les éditions du Seuil - Disponible en Poche chez POINTS

Le Témoin invisible de Carmen Posadas

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03/03/17

La chair, de Rosa Montero

la chairRongée par la jalousie de croiser son amant et sa jeune épouse enceinte à l'opéra, Soledad s'offre les services d'un escort pour l'exhiber à son bras. Adam est jeune, beau, sexy. Il a la trentaine d'années, parle l'espagnol avec un accent russe et produit son effet en société. Soledad est comblée. À soixante ans, Soledad porte un soin attentif à sa silhouette et à son allure pour ne jamais paraître son âge. Elle refuse le temps qui passe, ne conçoit pas de mener une vie de couple ordinaire et avoue sans complexe préférer les hommes jeunes et beaux. Soledad aime l'amour et la passion, c'est son carburant. Jamais la solitude n'a eu d'emprise sur elle. Soledad s'épanouit dans son travail - elle organise des expositions insolites et a acquis une solide réputation dans son domaine, même si cela lui demande beaucoup d'énergie, de la créativité et du renouvellement perpétuel. Soucieuse de monter son nouveau projet sur les écrivains maudits, Soledad est pour la première fois confrontée à une concurrence farouche et déloyale (une archictecte plus jeune et ambitieuse, qui empiète sur son territoire). Elle n'entend pas s'y soumettre et rage de devoir prouver ses compétences. Insomniaque, Soledad ressasse les nombreuses références littéraires pour alimenter son expo (Burroughs, Philip K. Dick, Thomas Mann, Maupassant, etc.) tout en notant que son corps et sa tête sont entièrement accaparés par la passion naissante qu'exerce Adam sur elle.

Quel beau roman ! J'avais à peine lu les premières pages que j'étais déjà complètement envoûtée par l'écriture de Rosa Montero, touchée par le personnage de Soledad et intriguée par sa relation avec Adam. Une relation forcément toxique et obsessionnelle, mais décrite avec ludicité et réalisme. Soledad réprouve le rapport mercantile de son histoire avec Adam, mais cherche à entrevoir la sincérité du jeune homme dans ses gestes et ses paroles. Elle s'accroche à de douces illusions, vaguement désabusée, mais refuse la fatalité. Le roman évoque admirablement le combat de cette femme de soixante ans, seule et indépendante, qui résiste aux idéaux et à la morale ambiante. C'est un parcours non sans heurt, car au fil des pages on découvre une héroïne fragile et à fleur de peau, en lutte contre le temps et le destin. C'est à la fois touchant, livré sans fard, sans tricherie, mais c'est aussi truffé d'ironie, de dignité et de désir farouche. J'ai aimé la sensualité qui découle du récit, tout en élégance, sans détails sordides ou graveleux. De quoi retoquer certaines productions actuelles de très mauvais goût. Ici, Rosa Montero parle du corps, d'envie et d'appétit charnel avec raffinement et lyrisme (très belle traduction de Myriam Chirousse, au passage). C'est un roman d'une grande pudeur, et en même temps passionnant et authentique. Une lecture forte et vibrante d'émotions, pleinement enthousiasmante. 

L'auteur aussi a de l'humour, puisqu'elle se met en scène dans son propre roman, comme étant une journaliste “raz-de-marée” qui s'habille chez Zara et porte des Dr. Martens avec des roses brodées “quand bien même elle voulait s'habiller comme si elle était une jeunette” (p. 142). ☺

Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse pour les éditions Métailié, Janvier 2017

 

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30/09/15

À toi, de Claudia Piñeiro

À toi

Découvrant l'infidélité de son époux, Inès décide de l'espionner pour démasquer la coupable. Elle le suit un soir en voiture se rendre à son rendez-vous clandestin et surprend une dispute. Ernesto bouscule son amante, qui bascule tête la première contre une souche d'arbre. L'ennemie est morte. Inès est choquée et rentre chez elle en catimini. Que dire, que faire ? Au diable la bienséance, elle choisit de préserver les apparences et de couvrir son mari. Celui-ci n'est pas dupe et entre dans son jeu...

Dingue comme ce petit bouquin peut s'avérer scotchant sur toute la ligne ! 170 pages d'une comédie noire et grinçante qui me faisait penser à une autre lecture - La Vérité et autres mensonges de Sascha Arango. L'histoire n'est qu'une vaste supercherie, où chacun endosse un double rôle, les révélations survenant chapitre après chapitre, tous plus stupéfiants les uns que les autres. J'ai été immédiatement embringuée dans cette machination infernale. C'est sournois, immoral et machiavélique. Mais c'est aussi cette accumulation de bassesses qui rend cette lecture si captivante ! 

« Parfois, vous perdez la boussole, vous êtes capable des idées les plus folles. Et de les mettre à exécution. » Entre détresse et folie douce, l'héroïne oscille dangereusement, mais sans perdre son objectif - sauver l'image de son couple. Un roman cruel, satirique et mordant. ☺

Actes Sud / avril 2015 ♦ Traduit de l'espagnol (Argentine) par Romain Magras (Tuya)

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17/07/14

L'ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafon

L'ombre du vent

Daniel a seulement dix ans lorsqu'il est pour la première fois introduit dans le cimetière des livres oubliés, sous la houlette de son père. La tradition veut qu'il sauve un livre au hasard pour le ramener chez lui et l'adopter. Son choix se porte sur un petit ouvrage, intitulé L'ombre du vent, d'un obscur écrivain (Julian Carax). Une rencontre décisive, puisqu'elle va sceller sa destinée ! Le garçon va en effet se lancer sur les traces de l'auteur, dont la vie mystérieuse va exciter sa curiosité, mais aussi son imaginaire, puisqu'il semblerait que leurs deux vies se renvoient souvent la même image. Mais que de patience pour parvenir au bout de toutes les zones d'ombre du récit, démêler le vrai du faux, fouiller le passé et revenir au présent, jouer de rencontres fortuites ou malheureuses, alimenter son existence en drames et autres atermoiements sentimentaux... C'est un véritable labyrinthe ou un immense puzzle à reconstituer avec une extrême minutie. Le roman-fleuve par excellence ! Certes, c'est romanesque et énigmatique à souhait, mais un poil trop long. En dépit des efforts réunis pour enflammer l'intérêt du lecteur et rassasier un roman épique aux ambitions gargantuesques, on flanche et on s'ennuie à mi-parcours. Les personnages se révèlent aussi peu attachants. (Daniel, Julian ou Fumero... un trio grotesque et caricatural !) :/
Durée d'écoute du livre audio : 17 h 30 ! Une entreprise colossale, à se réserver le temps des vacances...  mais brillante interprétation de Frédéric Meaux.
Merci Bladelor pour le prêt. 

Audiolib, juillet 2012 ♦ texte intégral lu par Frédéric Meaux (durée d'écoute : 17h 30) ♦ traduit par François Maspero pour les éditions Grasset

“ Avez-vous une idée de la raison pour laquelle quelqu'un voulait brûler tous les livres de Julian Carax ?
- Pourquoi brûle-t-on les livres ? Par stupidité, par ignorance, par haine... allez savoir.
- Mais vous, que croyez-vous ?
- Julian vivait dans ses romans. Ce corps qui a fini à la morgue n'était qu'une partie de lui. Son âme est dans ses histoires. Une fois, je lui ai demandé de qui il s'inspirait pour créer ses personnages, et il m'a répondu : de personne. Tous ses personnages étaient lui.
- Donc, si quelqu'un voulait le détruire, il devait détruire ces histoires et ces personnages, c'est cela ?
- Vous me rappelez Julian. Avant qu'il ne perde la foi.
- La foi en quoi ?
- En tout. 

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06/01/10

Le reste est silence ~ Carla Guelfenbein

Grandir, c'est comme monter sur une montagne avec une pancarte autour du cou sur laquelle est écrit : OUBLIE. Parfois, je retiens ma respiration pour arrêter le temps, ou bien je fais des pas en avant ou en arrière, ou bien je compte de un à cent et ensuite de cent à un. Alors, je ne comprends pas pourquoi le temps ne peut pas remonter avant, à l'époque où maman était encore vivante.

Le reste est silence.
Ou comment des vies peuvent soudainement être bouleversées devant nos yeux de lecteur. Cela commence un jour de mariage, un garçon sous une table enregistre la conversation des convives et surprend la vérité sur la mort de sa mère. Tommy est un enfant qui souffre d'une maladie cardiaque rare, il a besoin d'être toujours entouré, il ne doit fournir aucun gros effort, même si l'enfant rêve de voler ou brandir son épée imaginaire et croiser le fer. Son père, Juan, est médecin, veuf. Il s'est remarié avec Alma, une femme très belle, maman d'une petite fille. Alors que Juan quitte la cérémonie pour une opération de transplantation sur un malade du même âge que son fils, et atteint du même mal, Alma retrouve son amour de jeunesse. Leo. Trop beau, trop beau parleur aussi. Trop séducteur. Danger. Sa présence, son écoute, son charme, sa drague font perdre la tête. Alma ne sait plus, son couple prend l'eau, elle a besoin d'air et puis besoin aussi de régler un différend vieux comme le monde avec sa propre mère.

Tommy a choisi de partir sur les traces de sa maman. Soledad et ses silences. Sa maladie. Son suicide. Et les secrets de famille. Ce regard d'enfant sur le monde des adultes est empreint d'une grande intelligence et d'une grande noblesse. Tommy est un personnage qu'on adore tout de suite. On a cet instinct de vouloir le prendre dans ses bras, de le suivre ou le guider pour ne pas qu'il se sente perdu, besoin de le rassurer et le réconforter sur lui, sur sa maman disparue et sur les gens qui l'entourent et qui l'aiment, même s'ils oublient souvent de lui prouver.

C'est un roman très élégant, digne, implacable, où se nichent des drames et des silences qui viendront bouleverser les protagonistes, c'est déjà dit, mais aussi émouvoir les témoins de cette histoire. Car nous ne sommes que spectateurs et impuissants par la même occasion. Nous voyons beaucoup de maladresse, de faiblesse, de non-dits et d'actes manqués. Cela donne des frissons partout, et pourtant ce n'est pas éprouvant ou révoltant. Juste le cours de la vie. Et puis c'est tellement désarmant, l'histoire de Tommy, de Juan et d'Alma forme un noeud dans notre estomac, avant l'impact et l'émotion. On devine que la vie des ces trois-là va basculer - pour le meilleur ou pour le pire.
Le reste est silence.

le_reste_est_silenceUn très beau titre pour un roman touchant, juste et admirable, qui entonne une petite mélodie aux oreilles de ceux qui le veulent. 

Actes Sud, 2010 - 312 pages - 21€
traduit de l'espagnol (Chili) par Claude Bleton

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30/04/09

Le dernier patriarche ~ Najat El Hachmi

« tu dois m'appartenir pour que je t'apprivoise »

le_dernier_patriarche

 

Le dernier patriarche, c'est Mimoun le bienheureux. Premier fils d'une famille qui comptait déjà trois filles, Mimoun s'illustre dès son enfance par son caractère colérique et violent. A six mois, il reçoit sa première gifle par son père, est-ce le geste de trop ? Celui qui, selon la grand-mère, justifierait le comportement bizarre de Mimoun.
A seize ans, il sait déjà que le monde où il vit n'est pas celui où il aurait dû vivre, il sait également qu'il veut une nombreuse progéniture d'une femme qui ne doit être qu'à lui. Tout cela lui devient une évidence.
Il part en Espagne, connaît des galères, rentre au pays et épouse sa promise, qui tombe enceinte d'un fils. Mimoun repart, fait fortune, devient père une deuxième fois, d'une fille qu'il soupçonne ne pas être sienne. C'est son vilain tempérament qui macère, lui le coureur de jupons accuse sa propre femme de le tromper !
A la faveur du regroupement familial, l'immigré marocain fait venir sa famille en Catalogne et continue de lui faire subir son lot de misère et d'humiliation.

Ce n'est pas un secret, au début on apprend que Mimoun va tout perdre, c'est lui le dernier patriarche. Une rupture va survenir dans cette tradition familiale, par la volonté d'une personne, sa fille, la narratrice de l'histoire.

Comment s'y prend-elle ? On le découvre à la toute fin. Et quelle surprise ! La demoiselle n'est pas née de la dernière pluie, « Moi je suis née avec ce devoir affectif envers une mère sauvage domptée dès le début de son mariage et un père que je voyais rarement. C'est avec cet héritage que je devais me soumettre à mes devoirs affectifs. ». Parce qu'elle décide de raconter leur vie de famille, elle rompt ainsi avec le silence. Elle avoue tout de la violence du père, de sa jalousie, de ses colères, de son despotisme et de ses attitudes de macho.

La jeune fille a grandi en Espagne, s'est nourrie d'une culture en décalage des préceptes de ses parents, elle comprend l'affirmation, le goût d'indépendance. Elle rejette la dictature patriarcale. A travers son histoire, c'est aussi le soleil du bassin méditerranéen qu'on reçoit, une façon de vivre, un cocon qui protège ses acquis, un cercle qui se ferme et ne transmet son savoir qu'à travers sa propre génération. Avec la fille de Mimoun, la tradition change, les mots cognent comme des poings, et elle n'y va pas de main morte ! Le texte est cependant baigné par un souffle romanesque, une écriture chatoyante et magique ; il est raconté dans la grande tradition orale, semblable à ses contes et légendes du Sud où on retrouve les larmes, les rires, la beauté, l'insouciance, l'exil, la solitude. Une vraie épopée familiale, avec son lot de mariages, de naissances, de tromperies, de départs et de renouveau.

C'est une lecture agréable, mais qui comporte des longueurs, en plus d'une fin déconcertante (mais la vengeance, même culottée, est belle !). On déteste Mimoun, toutefois on suit son parcours avec passion. Quel charisme ! 

Actes Sud, 2009 - 366 pages - 22,80€
roman traduit du catalan par Anne Charlon

Lu (entre deux épisodes d'Hercule Poirot) pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo

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09/02/09

Un peu de respect, j'suis ta mère ! - Hernàn Casciari

« Ce livre recueille une à une les confessions de Mirta Bertotti, mère de famille de cinquante-deux ans qui habite avec son mari, ses trois enfants et son beau-père dans la ville argentine de Mercedes. Mirta écrit sur sa famille et sur sa vie, elle évoque également sa peur de vieillir et son ennui conjugal. Ne s'agissant pas d'une oeuvre majeure, il n'y a pas grand-chose à en dire, en réalité. L'ouvrage est composé d'environ deux cents chapitres qu'elle a publiés sur un blog entre septembre 2003 et juillet 2004. Elle les a rédigés elle-même avec l'assistance technique de Nacho, son fils aîné, et les a postés jour après jour, sans autre objectif que de lutter contre la dépression, persuadée que nul n'aurait envie de lire les scribouillages d'une « grosse dame » de province. »

51441OQPs5L__SS500_Attention, trop sérieux s'abstenir ! Ce roman est complètement idiot (dans le sens burlesque), mais pas mauvais. Il met en scène une famille barrée dans une comédie déjantée, comme si les Simpsons et South Park s'étaient mélangés entre eux. Imaginez le désastre !

Mirta Bertotti, mère de famille de cinquante-deux ans, nous raconte sans pudeur ni miel trop sucré les aventures rocambolesques des siens : son fils aîné, la prunelle de ses yeux, aime les garçons, le deuxième fils est un crétin fini, la fille en sait plus que sa mère sur les choses du sexe... Son mari traîne devant la télé, il a la main légère et des humeurs d'ours, en plus le beau-père, vieux cochon, fume des pétards et trafique du hasch. Bienvenue chez les Bertotti ! La famille ne roule pas sur l'or, elle joint les deux bouts avec les moyens du bord, lorsque Nacho, le fils prodigue, propose d'ouvrir une pizzeria.

« Parfois j'aimerais avoir une famille comme celle de La Petite Maison dans la prairie. La question la plus impertinente que Laura ait jamais posée à sa mère portait sur la manière d'enfourner les petits pains. Mais il est clair que je n'ai jamais eu de chance, dans la vie ! »

Je me suis régalée en lisant ce livre, ne me retenant pas de rire aux éclats en découvrant le portrait de cette famille, en plus de leurs facéties. Le ton est parfois osé, les noms d'oiseaux volent. La mère est cash, elle écrit comme elle pense, c'est spontané, frais et délirant. J'avoue avoir zappé quelques passages, parce qu'il ne faut pas abuser des bonnes choses. Mais globalement j'ai picoré avec délice cette comédie farfelue d'une desperate housewife qui échappe à la crise grâce à l'écriture de son blog !
N'en attendez pas trop, juste un bon antidote contre la déprime ! Succès garanti.

********** 

Cette histoire publiée quotidiennement sur internet a connu un succès public sans précédent. Mais en fait, Mirta Bertotti n'est qu'un personnage fictif tout droit sorti de l'imagination d'un journaliste argentin, Hernàn Casciari, qui admet s'être librement inspiré d'un personnage réel : sa mère. Reste que jusqu'à cet aveu, Mirta reçut beaucoup de courrier, des messages d'encouragement et même des cadeaux. Hernàn Casciari est devenu le fondateur d'un nouveau genre littéraire : la blogonovella (le blog-roman).

à lire : extrait

Calmann-lévy, 2009 - 345 pages - 18€
traduit de l'espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco

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25/09/08

Les armées - Evelio Rosero

Ismael, un vieil homme, professeur à la retraite, passe son temps dans le verger à reluquer sa voisine, Geraldina. Elle est belle, sensuelle, prend des bains de soleil complètement nue, tandis que son mari, le Brésilien, joue de la musique. Leur fils et Gracielita, la petite cuisinière, courent dans le jardin en poussant de grands éclats de rire. C'est une image idyllique et surréaliste, un peu figée dans le temps. Car tout va être soufflé.

Nous sommes à San José, un village paisible situé à l'orée d'une forêt colombienne. La guerre n'est pas loin, narcotrafic et armée, guérilla et paramilitaires. On déplore des disparitions, des enlèvements. Toute la jeunesse a fui, il ne reste plus que les anciens, les irréductibles. On se retrouve chez l'un ou l'autre, pour des cérémonies teintées de jérémiades, de sermons et grisées par les victuailles et l'alcool. On attend, on prie. Ismael, lui, a mal au genou et se rend chez son vieil ami, le guérisseur Claudino.

Et puis, un matin de bonne heure, un nouvel éclat frappe la communauté de San José, secouée, retournée et hébétée. Tandis que Ismael cherche son épouse Otilia, partie à sa propre recherche, le village se transforme en corridor de violences. De nouveaux kidnappings vont avoir lieu, des rançons faramineuses demandées, Ismael perd la tête, faute à  la vieillesse, la tristesse, le désespoir.

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Il faut absolument lire ce roman ! Il est étonnant. L'auteur a évité les solutions faciles pour raconter son histoire, usant d'une plume langoureuse pour décrire ce qui semble être un petit paradis terrestre. On suit un homme usé, qui va perdre la mémoire et la raison à force d'être confronté au chaos. Ce n'est qu'entre les lignes qu'on perçoit les tragédies, avec les disparitions et les rapts qui touchent toutes les familles de ce village tranquille. On aimerait être bercé par l'illusion de sensualité, mais tout ceci n'est que le calme avant la tempête. On plonge dans un désordre monstre sans flairer le coup. Il plane toutefois dans l'air un sentiment de statu-quo, de désorganisation, d'impuissance, mais on s'accroche comme ces villageois à ce lopin de terre, à l'espérance d'un retour imminent de ceux qui manquent.

Le contraste est énorme, le récit décrit une situation catastrophique mais évite les écueils. Le style sensuel laissera place à un rythme syncopé. Le sursis est immense, et on suit l'évolution par le regard d'un vieillard, ce qui casse toute impression d'héroïsme et de vaillance. Ismael n'en peut plus, il est au bout du rouleau. Lui qui aimait regarder les femmes devient spectateur d'un carnage sans solution, et ça le brise. Ce récit bref de 155 pages est cru, virulent mais le cache admirablement derrière l'apparente sérénité. C'est bluffant.

Les Armées

Métailié, août 2008 - 155 pages - 17€
traduit de l'espagnol (Colombie) par François Gaudry
titre vo : Los Ejercitos

D'autres avis : PapillonEssel

Ce livre a reçu le premier Prix Tusquets à Guadalajara en 2006, dont le jury était présidé par Alberto Manguel.

  • Les premières lignes

 

C'était comme ça : chez le Brésilien les perroquets riaient tout le temps, je les entendais du mur de mon verger, grimpé sur l'échelle où je cueillais des oranges que je jetais dans un grand panier de palme. De temps à autre je sentais dans mon dos les trois chats qui m'observaient, perchés dans les amandiers. Que me disaient-ils ? Rien, je ne les compre­nais pas. Un peu plus loin, ma femme donnait à manger aux poissons du bassin, nous vieillissions ainsi, elle et moi, les poissons et les chats, mais ma femme et les poissons, que me disaient-ils ? Rien, je ne les comprenais pas.
Le soleil commençait à briller.
La femme du Brésilien, la svelte Geraldina, cherchait la chaleur sur sa terrasse, complètement nue, allongée à plat ventre sur un couvre-lit rouge à fleurs. Près d'elle, à l'ombre rafraîchissante d'un kapokier, les mains énormes du Brési­lien effleuraient sagement sa guitare et sa voix se mêlait, placide et insistante, au doux gloussement des perroquets. Ainsi s'écoulaient les heures sur cette terrasse, au soleil et en musique.
Dans la cuisine, la belle petite cuisinière - on l'appelait la Gracielita - faisait la vaisselle, juchée sur un escabeau jaune. Je la voyais par la fenêtre sans vitre de la cuisine donnant sur le jardin. A son insu elle roulait des hanches en lavant les plats; sous sa courte robe d'un blanc éclatant, chaque partie de son corps se dandinait au rythme frénétique et consciencieux de la besogne : assiettes et tasses étincelaient entre ses mains brunes, de temps en temps surgissait un couteau à dents, brillant et joyeux, mais comme ensanglanté.

 

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01/02/08

Pourquoi nous amassons des livres que nous n'avons pas (toujours) le temps de lire...

la_maison_en_papierPrésentation de l'éditeur
Ce très joli récit est une fable sur le pouvoir et la fascination des livres, un conte initiatique où le passage de la ligne d’ombre se fait non sur un bateau mais à travers le voyage réel et dramatique entre deux continents d’un roman de Conrad recouvert d’une croûte de ciment.
Un Argentin, professeur à l’Université de Cambridge, est nommé au poste de Bluma Lennon, morte renversée par une voiture alors qu’elle venait d’acheter un exemplaire des poèmes d’Emily Dickinson. C’est lui qui ouvre le paquet adressé à Bluma, posté en Uruguay, sans mention d’expéditeur et dont le contenu l’intrigue : un exemplaire de La ligne d’ombre, rongé par l’humidité et portant des traces de ciment et de mortier sur la couverture, la tranche et les pages. Comme il doit se rendre en Argentine, le narrateur emporte le livre, et de Buenos Aires prend le bateau pour l’Uruguay afin de retrouver le propriétaire du livre et de l’informer du décès de son destinataire. Là, un libraire d’ancien et un ami lui racontent l’étrange histoire de Carlos Brauer, bibliophile, collectionneur, disparu sans laisser d’adresse, mais dont les traces demeurent sur une plage désolée, inhabitée, battue par les vents et l’océan. De plus en plus intrigué par cette étrange histoire, effrayé aussi par le pouvoir que semblaient exercer les livres sur leur propriétaire, le narrateur se rend sur la côte de Rocha où il découvrira le mystère de La ligne d’ombre et, bien sûr, le lien qui unissait Bluma Lennon et Carlos Brauer.

« Au printemps de l'année 1998, Bluma Lennon venait d'acheter dans une librairie de Soho un exemplaire ancien des Poèmes d'Emily Dickinson quand, arrivée au deuxième sonnet, au premier coin de rue, elle a été renversée par une voiture. »

« La maison en papier » est un joli titre pour symboliser l'invasion des livres dans la vie d'un bibliophile, mais le roman raconte aussi une histoire abracadabrante, à propos d'un homme, d'une femme et d'un livre (« La ligne d'ombre » de Joseph Conrad). ** Cf. la présentation de l'éditeur pour en savoir plus sur l'histoire, très bien résumée. **
Ce roman de Carlos Maria Dominguez est une magnifique plongée dans l'univers des lecteurs compulsifs, sur le pouvoir et la fascination des livres, leur influence grandissante et même dangereuse, une immersion dans le monde des amoureux des livres, des passionnés frappés d'une maladie, d'une soif d'exploration et/ou d'un besoin de conquête. « La maison en papier » est d'une magnificence rare, cultivée et précieuse. L'auteur, lui-même critique littéraire, déballe sa passion livresque et ne cache pas les travers d'une telle passion. Attention, les livres sont dangereux, disait la grand-mère du narrateur, dès qu'il avait le nez plongé dans un ouvrage. Oui, le livre est un objet à manipuler avec précaution. C'est une bombe à retardement, prudence !
« La maison en papier » raconte tout ça avec des mots bien choisis et prudemment mesurés. Il y a beaucoup de très beaux passages sur les livres, les bibliothèques et ce que décèlent leurs contenus, la magie des mots et des ouvrages reliés ... A lire, et relire indéfiniment. Un très beau roman.

Seuil, 112 pages.  13.00 €

Je dédie ce petit billet à tous les amoureux des livres, que nous sommes, acheteurs compulsifs (aussi) et aux aventuriers des challenges qui fleurissent à gogo !!!! ...

Posté par clarabel76 à 07:30:00 - - Commentaires [43] - Permalien [#]
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