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Chez Clarabel
12 mai 2009

Le cartable à musique ~ Claudie Pernusch

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Pierre est marié et père d'un garçon de neuf ans, il est écrivain pour la jeunesse, avec une série qui cartonne à la télévision et des traductions à l'étranger. Pierre vit un bonheur tranquille, auprès d'une épouse qui « vit le bonheur comme une évidence, le malheur comme une vulgarité ».  Un jour, il répond à une petite annonce d'un professeur de piano qui donne des leçons à domicile. Pierre se rend chez cette Sarah Deplane et découvre une jolie brune bouclée, la silhouette gracieuse, le sourire chaleureux, le tailleur strict, l'attitude très professorale. La séance se passe mal, Pierre est piqué au vif, il sort de sa première leçon ulcéré et s'engage à ne plus revenir.
Mais Pierre y retournera, car il ressent insidieusement une attirance vers Sarah, vers l'aura austère et stricte qui l'entoure. A force de penser à elle et d'en faire l'objet de son obsession, il se rend compte qu'il est tombé fou amoureux d'elle, à tel point que la chaleur de son propre foyer l'insupporte et qu'il serait prêt à tout renoncer pour bâtir une nouvelle vie consacrée à sa folle passion.
Et puis les choses se compliquent, lentement la comédie vaudevillesque tourne au vinaigre. L'humour alerte de Pierre devient acide, son comportement est celui du mauvais perdant, du lâche qui veut tout et tout de suite, et fléchit trop facilement face aux sursauts de son caprice. La petite note de la fin vient d'ailleurs jeter ses derniers grains de sel dans cette histoire tendre et amère.

C'est un roman très agréable à parcourir, il traite avec gravité de l'infidélité, de la passion, du désir d'absolu, des concessions. Mais surtout de la liberté, la liberté d'aimer, comme de l'amour libéré du jeu social. (mot de l'éditeur)
J'ai beaucoup apprécié les envolées lyriques et emphatiques du narrateur, dans toute la première partie du roman, alors qu'il plonge les deux mains jointes dans ce merveilleux désastre, comme il l'appelle. L'histoire suit une logique guère surprenante, et pourtant la tournure des événements nous arrache un léger hoquet de stupéfaction. Quel monstre, ce Pierre ! Il a eu le culot de me tirer des sourires et des grimaces de dégoût, je l'aime bien comme personnage mais je n'en ferai pas mon casse-croûte. Non merci. Il nous offre une vision du couple, de la paternité, de la famille à rebrousse-poil des images sirupeuses. C'est parfaitement cynique, délicieusement ironique.
Un très bon roman à découvrir !

Albin Michel, 2009 - 160 pages - 14€

illustration : Catherine Meurisse

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10 mai 2009

L'homme barbelé ~ Béatrice Fontanel

homme_barbeleFerdinand était un mari et un père. Ferdinand a connu deux guerres, il est sorti en héros de la première et a été résistant durant la seconde. Ferdinand a été dénoncé, arrêté et déporté. Ferdinand est mort à Mauthausen. La famille de Ferdinand a poussé un soupir de soulagement.
Car cet homme avait du Mr Hyde en lui, c'était un tyran domestique, un monstre familier. Il hurlait, il jetait le rôti par la fenêtre, il empochait le salaire des enfants, il ne souriait jamais, il ne parlait pas, il était cet inconnu qu'on retrouve après la mort, soudain auréolé de louanges et de marques d'affection qui laissent ses proches dans l'indifférence.
La narratrice, bien des années après, décide d'écrire un livre qui ressemblerait à un documentaire mais de façon romancée sur cet homme aux deux visages. Elle rencontre les enfants de Ferdinand. Ils ont maintenant plus de quatre-vingt ans mais ils n'ont rien oublié et font revivre ce passé, en traversant les rues, les quartiers, en roulant toujours plus à l'est, sur les pas de Ferdinand.
« Ferdinand, monstre familier, marchait en nous, de son pas rude, infatigable. »
Au bout de 100 pages de lecture, hélas, j'avais le sentiment d'avoir déjà tout lu. Les 200 pages suivantes m'ont paru une répétition de faits et d'anecdotes pour aboutir à une conclusion déjà entendue. Ferdinand et ses deux facettes, la terreur domestique et le camarade jovial, un héros de guerre. Et à côté, il y a la famille qui n'est même pas surprise, mais soulagée. Les enfants ne semblent plus étonnés, la mécaniques des catastrophes, dit-on.
La construction du roman semble avoir dérapé accidentellement : au début, on comprend que le livre traite d'un drame familial, puis finalement il ne parle plus que de guerre. A ce sujet, il est très bien documenté, il retrace bien l'horreur des camps et la guerre des tranchées, la campagne de Syrie, etc. En tant que lectrice, toutefois, je n'ai pas été emballée plus que ça.
De plus, je n'ai pas le sentiment d'avoir trouvé la réponse à ma question : pourquoi Ferdinand maltraite-t-il sa famille ? Je suis donc déçue, j'avais lu des critiques tellement positives au sujet de ce premier roman de Béatrice Fontanel, que j'apprécie pour sa série des Bogueugueu (ça n'a strictement rien à voir, je sais !), le résultat n'a vraisemblablement pas été à la hauteur de l'attente. Tant pis.

« C'était ça, son truc : nourrir les étrangers. Pas sa famille qui voyait s'envoler les rôtis par les fenêtres. Crever pour l'inconnu, incognito. Pas pour les siens. C'est la conclusion à laquelle ils sont arrivés. La privation et le don, il en connaissait un rayon, le grand maître d'oeuvre en méchanceté, qui dessinait si bien le tracé des voies ferrées, dans leur harmonie de rouille et de tristesse. »

Grasset, 2009 - 290 pages - 17,90€   

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7 mai 2009

Nueva Königsberg ~ Paul Vacca

« Ici, je vis un cauchemar. Je suis tombé dans une communauté du genre des Amish. Oui, ces sectes qui ont arrêté le temps et vivent comme au XVIIIe siècle. Ces fous se sont enfuis de Königsberg où les bombes tombaient du ciel et ont décidé de vivre à la manière de Kant. Oui, Immanuel Kant, l'austère philosophe allemand...
Quand je dis vivre "à la manière de", c'est vivre exactement comme lui. Oui, tu as bien lu : ils ont arrêté le temps en 1771 ! On se déplace en calèche. Exit les transistors, le téléphone, l'eau chaude, les voitures, les cigarettes, le jazz, l'électricité... Et même - excuse ce détail trivial - les toilettes et les bidets !
Il y a une statue de Kant au centre de la communauté. Chaque fois que je passe devant elle, j'ai l'impression qu'il m'épie.
Et puis tu verrais comment on est habillé... Je porte, comme tous les hommes ici, la tenue de Kant : bas, pantalon, chemise à jabot, veste et perruque !
Quant aux femmes, elles ressemblent toutes à des servantes avec leur grande robe couleur taupe, une bagnolette plaquée sur les cheveux. Et pas une once de fond de teint, de rouge à lèvres ou de khôl. Pas vraiment sexy ! Bref, le cauchemar. »

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Vous avez peut-être eu le coeur gros en lisant La petite cloche au son grêle, vous allez sourire et rire en lisant cette aventure philosophico-burlesque, avec dans les rôles de Pangloss et Candide, Botul, le philosophe français, et Sébastien, un jeune zazou des beaux quartiers de la rive gauche. « Pourquoi pas le Paraguay ? » lui a glissé le philosophe, le garçon a dit banco et tous deux ont traversé les océans pour s'installer à Nueva Königsberg, une communauté d'exilés qui revit à l'identique les préceptes de Kant. Un détail risque de mettre en péril cette douce utopie : le sexe. Faut-il ou non le pratiquer, si l'on considère la chasteté légendaire de Kant ? En suivant cette logique, l'avenir de la communauté est vouée à s'éteindre.
En huit causeries, Botul va donc amener les disciples à réfléchir sur les contributions et motions sexuelles ; parallèlement, Sébastien, en plein supplice existentiel, vit une passion nouvelle et naissante avec une maîtresse d'école, portant collerette, fichu et tablier, le verbe en bouche, les idées sûres et arrêtées.

C'est très drôle, et même si je fais allusion à Candide, le texte de Paul Vacca reste beaucoup plus digeste (j'ai détesté Candide !), le contenu philosophique de cette intrigue se boit comme du petit lait, pas besoin de se creuser les méninges. Le comique de situation n'est jamais lourdingue, c'est fin, spirituel, enlevé, cocasse.
J'ai beaucoup aimé !

Philippe Rey, 2009 - 215 pages - 17€

 

A déjà été lu par Lily, Keisha et Cathulu ... & Amanda

6 mai 2009

Un hiver avec Baudelaire ~ Harold Cobert

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C'est l'histoire d'un homme qui vient de divorcer, perd son logement et son boulot, ne voit plus sa petite fille et finit par se retrouver à la rue. Un résumé qui ne donne pas du tout envie, je le conçois, dans un climat social déjà frileux, c'est normal d'avoir besoin de lire pour se divertir ou chasser les idées noires.
Et pourtant ce serait dommage, vraiment dommage de passer à côté. Il ne s'agit pas du roman de l'année, c'est simplement un rendez-vous émouvant. Très émouvant. Qu'est-ce que j'ai pu pleurer, du début à la fin, je n'arrêtais plus, mais je ne pouvais pas reposer le livre ni le refermer, c'était comme si j'allais tourner le dos au personnage, le laisser dans sa galère, et ça me fendait le coeur.
Donc, gorge nouée et larmes aux yeux, j'ai suivi la descente en enfer de Philippe, qu'une rencontre va permettre de sortir la tête de l'eau. Un jour il croise Baudelaire, un chien au pelage rongé et irrégulier, et grâce à lui le parcours de Philippe va se teinter de jolies couleurs, s'élever pour toucher quelques étincelles de bonheur.
Car c'est un roman sur l'espoir, qui déborde de combativité et de courage. Il plonge sans fard dans le quotidien des plus démunis, en mêlant romanesque et vérité sociale, poésie et âpreté. C'est vraiment triste, cela vous rappelle les histoires de tous les jours, l'équilibre précaire sur lequel repose nos petites vies. Mais heureusement l'histoire montre de belles, belles choses aussi, des gens extraordinaires et la conviction que le chien reste le meilleur ami de l'homme (j'ai d'ailleurs souvent pensé à
Far Ouest le roman de Fanny Brucker).
J'ai beaucoup aimé, même si cela m'a fait énormément pleurer.
Avec un petit goût de boulettes de viande, de conte pour enfants avant de s'endormir et de Charles Baudelaire, car tout poète est immortel.

Editions Héloïse d'Ormesson, 2009 - 270 pages - 19€

La couverture est splendide !

Il faut lire ou relire Le Spleen de Paris ... dont est extrait ce passage intitulé Les bons chiens (en épigraphe du roman de Harold Cobert):

   Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l'instinct, comme celui du pauvre, du bohémien et de l'histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, cette vraie patronne des intelligences!
   Je chante les chiens calamiteux, soit ceux qui errent, solitaires, dans les ravines sinueuses des immenses villes, soit ceux qui ont dit à l'homme abandonné, avec des yeux clignotants et spirituels "Prends-moi avec toi, et de nos deux misères nous ferons peut-être une espèce de bonheur!"2463420849_14f8d898e7

5 mai 2009

Vendredi soir chez les Becker ~ Alain Teulié

 

vendredi_soirCe sont deux couples que tout oppose : Pierre et Julia, quarante ans, mariés, profs, parfait petit couple bobo ; Tom et Sarah, bientôt trente ans, des losers de première, ils crèchent en banlieue, n'ont jamais un sou en poche et vivent de leurs charmes. Oups, le sujet s'annonce glissant lorsqu'au début du roman, Pierre rentre de sa journée et prévient sa blonde épouse de la venue d'un couple ce soir, comme convenu. La belle Julia est glacée, mécontente, plus du tout partante. L'homme s'est inscrit sur un site de rencontres, sa femme et lui en avaient discuté, ils voulaient assouvir leurs fantasmes, mais l'heure du dégrisement est venu. Les pendules de l'horloge tournent, pendant ce temps le couple s'engage dans une longue discussion.
De l'autre côté, Tom et Sarah ont la même conversation venimeuse, animée par la rancune, la frustration, la jalousie, l'incertitude. Les deux couples ont en point commun de se poser des questions mortifiantes, sur leurs désirs, sur la vie faite de faux-semblants, sur leur rencontre, sur leurs attentes et pourquoi ils en sont arrivés là.
La soirée s'annonce chaude, tendue, explosive.
Si vous pensiez vous rincer l'oeil, laissez courir. Cette soirée d'échangisme met finalement en avant tous les loupés du couple actuel, « une soirée bancale à l'image même d'une vie où les désirs avaient été rarement exaucés, les ambitions peu satisfaites, et les prières lancées vers un ciel sans fin ».
Cela peut paraître très verbeux, et pédantesque. Au contraire, j'ai eu le sentiment de goûter à une pièce de théâtre. La mise en scène est impeccable, offre un miroir de deux couples au bord de la crise de nerfs, avec la perspective d'une soirée qui va chambouler toutes les données. Dans cette atmosphère étouffante, la vision du couple est écornée. Qu'ils soient des intellectuels branchés ou des exclus des cités, les couples d'aujourd'hui ne sont pas jolis à décrypter à la loupe ! Mariage, désirs, argent, fidélité, réussite : ils essaient de voir clair dans tout cela sans y parvenir.
C'est une radiographie dérangeante, qui mêle un humour grinçant à une franche ironie. La tension y est fort perceptible, et tout vole dans les plumes. Pour un résultat effarant.
J'ai bien aimé !

Plon, 2009 - 232 pages - 18€

extrait :

    « Ils vivaient à une époque étrange, où la culture n'était plus la marque de repères et de traditions, mais une incontournable obligation destinée à donner de soi une image valorisante. Autrefois, l'identité faisait la culture. Désormais, c'était la culture qui forgeait une identité. Le résultat, c'était que chacun se forçait à lire des livres, voir des films, courir des expos ou visiter certains pays, juste pour dire qu'ils l'avaient fait. Juste pour avoir l'air d'être quelqu'un de bien. »

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30 avril 2009

Traques ~ Frédérique Clémençon

« je devenais une jungle d'histoires que moi seule connaissais, une jungle rétive et imperméable à leurs tourments tapageurs, je devenais une île »

traques

« Car les mots, dans notre maison, ceux qu'on disait entre nous mais aussi ceux qui cavalaient comme de beaux diables dans notre cerveau sans jamais quitter leur prison, avaient dressé autour de nous un mur plus haut que les plus hautes falaises au bord desquelles grand-père et moi nous promenions pour fuir le bruit, le fracas, les tempêtes, jusqu'à ce qu'il renonce pour de bon à la lumière de jour, à la rumeur sans fin de leurs chagrins, mots et mains distribuant de drôles de caresses qui laissaient sur ma joue, mon visage tout entier, des souvenirs sales, des images sans joie. »

Sans joie, effectivement. Ce texte qui laisse se croiser quatre portraits d'hommes et de femmes aux vies tourmentées est dénué d'artifices. Il est totalement sobre, retenu, pudique et plat. Pas ennuyeux, juste indéchiffrable et déroutant. A tour de rôle, Elisabeth, Jeanne, Anatole et Vincent parlent de leur vie, c'est d'un triste à pleurer (mais on ne pleure pas !), c'est plutôt sombre et usé.

Que ce soit Elisabeth, vieille femme de quatre-vingt ans qui croupit dans une maison de retraite, ou Vincent, son fils, cadre dans une entreprise où il est sans cesse scruté, repris, surveillé, houspillé, la vision est d'un pessimisme profond. Jeanne, elle, se confie à Anatole, qui a fui son pays pour longtemps errer dans des marais, avec d'autres compagnons d'infortune qu'il a perdus à force d'épreuves rudes et épuisantes. Donc, Jeanne a quitté son foyer où cohabitaient la grand-mère, la mère et Claire, la soeur. C'était celle-ci qui ambitionnait de tout plaquer, mais c'est finalement Jeanne qui est partie. Elle a tourné le dos à cette vie de chagrins, peuplée de fantômes (des morts, partout !). La maison se trouve près d'une falaise qui s'écroule au fil du temps, les disparitions surviennent à tour de bras.

Bref, ce sont des bouts de vie qui s'envoient et se renvoient comme des balles de tennis, elles résonnent dans le vide, leur écho nous glace le sang. J'étais pressée de sortir de cette ambiance, un peu trop sinistrée à mon goût. Mais l'écriture de Frédérique Clémençon est nette, précise, habile car elle jongle sans trembler entre longues phrases et rythme syncopé pour un résultat étonnant, mais séduisant. 

Editions de l'Olivier, 2009 - 160 pages - 16€

A été lu (après un vernissage arrosé) pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo

17 avril 2009

Mausolée ~ Rouja Lazarova

« Ils avaient peur des fugueurs, de ces gens qui, au risque de leur vie, profitaient d'une pause-pipi du bus traversant l'Autriche pour courir se réfugier dans une ambassade occidentale, qui franchissaient les frontières en rampant dans des marécages et parfois y restaient, criblés de balles ; de ces gens dont la seule évasion désespérée témoignait de ce qu'était le régime. »

mausolee

Bulgarie, 1944. Peter, musicien de jazz, est convoqué au ministère de la guerre et disparaît soudainement. Sa compagne, Gaby, enceinte de neuf mois, est désespérée. Elle accouche d'une fille, Rada, déménage grâce à son frère, qui est un membre influent du parti, et se console dans les bras de Sacho le Violon, un ami du couple. A son tour, celui-ci disparaît en février 1964.

C'est un roman qui combine à merveille le sulfureux mélange de douceur et de force. Un roman qui raconte l'histoire d'hommes et de femmes dans la Bulgarie de 1944 à nos jours. Ce livre témoigne aussi du brutal changement de décor subi comme une douche froide lorsque le communisme s'est invité. Et c'est une population transie de peur, retranchée derrière ses barricades, impuissante et dégoûtée, paralysée dans ses envies, que l'on rencontre. Ils sont devenus des funambules du socialisme, car « c'est sur ce fil ténu de la subversion contenue, de la provocation s'arrêtant juste avant le danger, que beaucoup d'entre nous avons passé notre existence ».

Le livre évoque l'hypocrisie du régime, l'ambiguité d'être ou de ne pas être du parti, et donc de pouvoir tracer sa route selon ses aspirations. La population est vite prise entre deux feux, les intellectuels sont dénigrés, les voyages à l'étranger totalement proscrits, s'offrir une voiture devient un privilège rare et le fruit d'une longue tractation boursière avec l'Etat qui peut s'étaler sur une décennie, et j'en passe. Ce sont les petites vies de Gaby, sa fille Rada et sa petite-fille Milena qu'on suit particulièrement, et avec elles une montée de rebellion, de souffrance. A tour de rôle, elles sont nouées par la peur et en même temps elles transpirent de haine pour le régime qui dicte leur pays. Elles ne peuvent que subir leur triste sort, ce qui décuple leur colère.

Il y a une vraie histoire dans ce livre, qui adopte une juste dosage entre le didactique et le romanesque. Car ce n'est ni un document ni un roman historique, c'est un peu des deux, et plus encore. On s'attache très vite aux personnages, à nos trois générations de femmes, en plus des hommes de leur vie ou de leur belle-mère, oncle, cousin et camarade d'école. Il y a une évidence flagrante de l'énorme frustration qui sommeille en eux, sur le fait de ne pouvoir nourrir le moindre désir ou sur la mise en berne de l'éducation sexuelle. Nous sommes dans les années 80 et Milena est terrorisée de découvrir pour la première fois un film porno ! C'est une gamine maladroite et mal à l'aise dans son corps, au même âge sa mère avait été traumatisée par sa visite (imposée) du mausolée. Il s'agit en fait de l'édifice construit à Sofia pour y recueillir le corps embaumé du père de la révolution, Georgi Dimitrov. Un exemple de lubie héritée des dirigeants russes. Donc, lors de cette visite, Rada avait été effrayée par la vision des lèvres bleues du défunt exposé aux yeux de tous (on la comprend !).

Le roman évoque le climat de peur, mais ce serait injuste de le réduire à ce sentiment car il est vraiment passionnant à lire. On y découvre aussi de l'humour, de la tendresse, du chagrin, des élans amoureux, de la cocasserie, de la bêtise et d'autres états d'âme qui balisent une vie simple et ordinaire. Personnellement je me suis plongée dans cette lecture avec délectation, apprécié l'élégance de la plume de Rouja Lazarova (qui écrit en français dans le texte, chapeau !). J'ai découvert ce livre grâce au prix de la révélation littéraire auFeminin.com et je suis enchantée par leur sélection car elle a su véritablement mettre en lumière des VRAIES REVELATIONS LITTERAIRES ! Pour l'instant je ne suis pas déçue !

Flammarion, 2009 - 332 pages - 19€

Lu pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo   
 

16 avril 2009

Il était une fois... peut-être pas ~ Akli Tadjer

« toi et moi, on s'aime sans réfléchir alors on croit que dans la vraie vie c'est pareil »

 

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Mohammed a élevé seul sa fille, Myriam, et lui porte un amour fort et absolu. En bon papa poule qui se respecte, Mohammed a beaucoup de mal à dire non, à laisser partir sa fille et à accueillir le nouvel homme de sa vie. Gaston Leroux, comme l'auteur ou la chicorée, mais pour Mohammed la réaction est virulente, « un Français de souche, blanc comme la cuvette des chiottes, franchement, tu te fiches de moi ».
En fait l'homme est jaloux. Il affiche une tête de six pieds, d'autant plus que sa fille chérie lui demande mielleusement d'héberger le fameux gus qui n'a plus de toit car il s'est fâché avec ses parents et souhaite trouver du boulot à Paris.

C'en est trop, mais Mohammed est bonne pâte. La cohabitation n'est pas rose, les deux hommes se cherchent des poux, la situation dégénère et puis c'est le calme plat, la brutale solidarité masculine parce que l'objet de leur affection, Myriam, n'est plus la même. Elle fait ses études à Toulon, elle vit seule, a gagné en indépendance et a rencontré un autre type. Le sang de Mohammed se glace, la prunelle de ses yeux lui échappe, en perdant la tête dans sa nouvelle passion qui l'endoctrine dans un culte religieux, contre tous les principes de Mohammed. L'homme se sent seul, perdu, il a pris l'habitude de se réfugier dans ses contes et légendes algériens qu'il récite aux peluches Cruella et Lucifer, des vestiges de l'enfance, mais c'est une autre histoire qui va apparaître.
Car où est la mère de Myriam ? Elle brille par son absence, et Mohammed se défile devant les questions qu'on lui pose. Toutefois, pour sauver sa Myriam, il est prêt à raconter la vraie histoire, à ranger au placard ses histoires à dormir debout.

Ce roman est d'une grande beauté, écrit avec humour et sensibilité, il raconte avec exactitude l'amour d'un papa pour son enfant unique. On a parfois le coeur gros ou le sourire aux lèvres, mais on ne décolle pas une minute son nez des pages. C'est une histoire incroyable, que j'ai découverte avec plaisir.
En plus d'un amour fusionnel, le livre rapporte une histoire familiale pas banale et une aventure humaine pleine de couleurs. Mohammed est un narrateur bougon mais attachant, ce n'est pas le type le plus sociable de la planète mais il se soigne. Il a aussi une façon de parler qui n'appartient qu'à lui, employant des expressions très drôles, « quel est l'intérêt d'avoir inventé ces contes et légendes si tous mes personnages doivent se ressembler comme des petits pois alignés les uns derrière les autres » ou «c'était d'une misère à se foutre à l'eau le pavé autour du cou ». Ses bons mots nous charment, en plus ils sont terriblement vrais, « c'est de l'antagonisme que naissent la beauté et la richesse » et aussi « il n'y a pas de race pure, il n'y a que la bêtise humaine qui le soit ».
J'ai follement aimé ce roman, je ne connaissais pas Akli Tadjer, mais c'est un auteur que j'inscris d'office dans mes incontournables, à suivre, à découvrir.

JC Lattès, 2008 - 325 pages - 17€

Lu pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo

 

7 avril 2009

Les mains nues ~ Simonetta Greggio

« quand on tient un amour on le garde, on le défend contre lui-même et contre les autres »

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Emma est une femme de quarante-sept ans, vétérinaire en pleine campagne, qui a choisi de vivre une existence rude et solitaire. Débarque Gio, quatorze ans, bientôt quinze, « l'âge des catastrophes naturelles ». Il est le fils de Raphaël, qu'elle a connu autrefois, et avec qui s'est joué quelque chose qu'elle a voulu oublier. Gio est en fugue, en colère contre ses parents, contre leurs secrets aussi. Il trouve refuge chez Emma, qui accepte de l'héberger mais en échange il doit prévenir ses parents. Au début cela l'embête car elle s'était jurée de se tenir à distance des histoires de Raphaël et Micol, mais Gio possède une tendresse et une gentillesse qui lui rappellent des doux souvenirs. Entre eux, la passion folle ne naît pas sur un coup de tête, c'est simplement le résultat d'une longue patience, de regards échangés contre tous les discours du monde, d'une connivence certaine et inébranlable.

« Peut-être avais-je toujours été suspecte d'être une femme seule, sans mari, sans même le plus vague fiancé. Je me devais d'être accompagnée d'un homme, d'avoir des enfants - ou de me plaindre de ne pas en avoir. Je n'avais pas joué le jeu, n'avais respecté aucune règle. Je n'avais même pas fait semblant, et peut-être était-ce ça le plus grave, ce qu'on ne pouvait pas me pardonner. »

Voilà un roman qui ne parle pas que d'un amour interdit, mais qui aborde également toutes les nuances chez une femme qui vieillit et qui assume sans complexes sa sensualité et ses rides, « être trop jeune pour être vieille, un peu trop vieille pourtant pour être encore jeune » reconnaît Emma. Elle est dans la fleur de l’âge et elle n’a pas honte de son corps de femme qui réclame encore d'être caressé et aimé. Elle s'émeut de la tendresse offerte sur un plateau par un gamin plus jeune qu'elle. Elle va en payer le prix. 

Son histoire avec l'adolescent reste très pudique, tout est chuchoté, pas du tout racoleur. Aucun détail n'est d'ailleurs donné. On n'en retient que les cris, une gifle, l'impuissance et la jalousie. Pas besoin d'en dire trop, car tout ceci repose aussi sur un écheveau d'intrigues et de liaisons secrètes. De vengeance aussi. Simonetta Greggio signe un bon roman, écrit avec beaucoup de sensibilité et qui met en avant une femme remarquable, qui accuse et s'accuse (pas de quoi soulever les ligues de la bienséance, je vous rassure !). Toutefois je n'ai pas retrouvé ce qui avait su me séduire et m’enchanter lorsque j'avais lu La Douceur des hommes, son premier roman publié en 2005.

Stock, 2009 - 170 pages - 16€

Lu pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo

6 avril 2009

UN AUTEUR : Madeleine Bourdouxhe

« A toi d'aimer, à toi de vivre. Exiger de la vie, c'est-à-dire exiger de soi-même. »

A_la_rechercheMarie est une jeune femme simple, sensible, qui s'est accomplie dans le mariage. Elle aime Jean depuis six ans, entre eux l'entente est parfaite. Ils se parlent peu, mais se comprennent instantanément. Ils passent leurs vacances près de la mer, loin de Paris et de leur routine, cela change. Cela leur fait du bien. Marie passe son temps à regarder Jean se baigner. La mer la fait rêver. Un jour, elle aperçoit un jeune homme qui la trouble. Il lui donne son numéro de téléphone. A Paris, elle décide de l'appeler.

Marie va changer, s'ouvrir et s'épanouir. Le roman longtemps souligne combien elle s'est réalisée dans le mariage, et en même temps on sent une inertie chez elle, dans sa vie. Elle donne des leçons à domicile, elle est appliquée. Sa soeur Claude compte aussi beaucoup pour elle, même lorsque celle-ci perd pied et commet une bêtise. Marie a des mots très justes, très touchants sur l'amour et la vie. « On ne voit que ce que l'on comprend. Et l'on ne comprend que ce que l'on aime. Il faut d'abord se donner, s'engager, alors on recevra en échange. »

Les romans de Madeleine Bourdouxhe (cf. La femme de Gilles) dégagent un vrai sentiment de cocon, d'élégance et de grâce. Ses personnages féminins ont une beauté sincère et intérieure, qu'on cerne difficilement au début, j'avoue, tant de dévotion de la part des épouses pour leurs hommes peut déconcerter. Et ce sont des romans qui semblent intemporels, celui-ci a été publié dans les années 40 par exemple, et pourtant les considérations de l'héroïne sur l'engagement, l'amour, la vie sonnent toujours d'actualité. C'est d'une grande simplicité, d'une grande pudeur, et encore une fois ce texte surprendra par sa grande sensualité, en des termes chics et authentiques. Personnellement cela me touche beaucoup.

Actes Sud, 2009 - 158 pages - 15€

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A noter également la sortie en format poche d'un recueil de nouvelles : les_joursLes jours de la femme Louise

Sept nouvelles, sept femmes silencieuses, la violence suit le contour du quotidien.

Quatrième de couverture

Elles s'appellent Louise, Anna, Blanche ou Clara. Elles sont ouvrière, femme au foyer, mère seule avec un enfant, bonne chez Madame. Elles sont confrontées à la vie, à l'amour, à l'ennui, à la frustration, à la violence des hommes, leur indifférence ou leur condescendance. Toutes ont en commun des rêves trop grands pour elles, des peurs d'enfant, des désirs qui n'osent s'exprimer. Alors elles avancent vaille que vaille, tombent et se relèvent, touchantes de fragilité, admirables de courage opiniâtre, fortes de leur douceur même, belles de tout cet espoir lumineux en elles que rien ne parvient à éteindre.

Ce qui bouleverse, dans l'écriture de Madeleine Bourdouxhe, c'est son style simple et franc, en empathie troublante avec les personnages, son réalisme poétique qui ne craint pas l'engagement social ou féministe mais privilégie l'émotion, la justesse psychologique.

Babel, 2009 - 126 pages - 6,50€

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Et pour rappel, le roman qui m'a fait connaître Madeleine Bourdouxhe : La femme de Gilles (2004)

femme_de_gillesMilieu ouvrier, Nord de la France. Elisa est mariée à Gilles, ils ont deux petites filles, attendent un troisième enfant. C'est l'amour tranquille, le cocon familial idyllique, Elisa est amoureuse de Gilles, et réciproquement.

Puis, le drame : Gilles a une aventure avec Victorine, la soeur d'Elisa. Elle s'en rend compte comme ça, en le "sentant" et forcément ça la bouleverse mais elle préfère se taire. Par peur de perdre l'amour de Gilles. Alors elle prend sur elle, prête une oreille attentive, confidente et compréhensive, jamais elle ne pipe mot, seul le lecteur a conscience de sa souffrance.

Son côté "bobonne" fait bondir ! On s'insurge contre le mari adultère, la soeur intriguante, contre les gens qui pensent qu'elle "ne vaut pas mieux si elle accepte sans rien dire", contre la mère qui blâme sans tout savoir... On plaint beaucoup Elisa, on a du mal à comprendre son chemin de croix, son martyr silencieux. C'est beau, tout cet amour ? Oui, surtout quand Elisa répond que "sans amour je ne suis rien", et puis "à quoi sert de vivre sans cet amour". Oui, à quoi ça sert ?

Ce roman, c'est l'histoire d'une dévotion. Une histoire de totalité, d'égoïsme et de goujaterie. C'est fort, sensuel, dramatique et émouvant. C'est un roman qui a été publié en 1937, remis au goût du jour grâce au cinéma, et c'est un miracle de constater que ce livre n'a pas pris une ride !

Actes Sud, 2004 - 154 pages - 13,50€

A voir : La femme de Gilles par Frédéric Fonteyne, avec Emmanuelle Devos dans le rôle d'Elisa, mais aussi Clovis Cornillac (Gilles) et Laura Smet (Victorine).

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et un peu de musique... Piers Faccini :

 

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