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Chez Clarabel
26 mars 2007

Millefeuille de onze ans - Isabelle Jarry

millefeuille_de_onze_ansAprès le refus d'un manuscrit par son éditeur, Isabelle Jarry a eu l'impression que sa vie d'écrivain s'arrêtait, cette vie qui est la sienne depuis si longtemps. "Millefeuille de onze ans" est né de cette terrible déception, du doute et de l'incompréhension d'un auteur face à l'échec.
Isabelle Jarry décide de replonger dans l'année de ses onze ans, à son entrée au lycée Jules-Ferry, où elle fit la rencontre de Viviane Der Tomassian, une jeune camarade aux idées révolutionnaires, figure atypique et flamboyante, qui a bien inconsciemment guidé la jeune fille vers sa "révélation" (être écrivain !).
Dans ce livre aux 46 chapitres, l'auteur fait son portrait de jeune lectrice et d'apprenti scribouillarde, forte en contemplation, entichée de grec et latin, papivore convaincue et étudiante rêveuse et romantique, selon les critères de son amie Viviane...
C'est honnêtement un portrait en finesse, écrit avec ce souci pour les mots justes et simples, qui fait écho à toute jeune fille aux mêmes affinités (le goût des mots, des livres, la curiosité de l'écriture). C'est surprenant le nombre de passages qui interpelle, qui semble avoir été écrit par et pour soi. Même si nous ne souhaitons pas tous écrire (ou "gribouiller"), ce "Millefeuille de onze ans" semble être destiné à tous les lecteurs qui se reconnaîtront ! Cela se déguste avec appétit, moi j'adore les millefeuilles ! Et ce livre donne en aperçu toute la sincérité d'un auteur qui se questionne et revient aux origines de sa passion. Infiniment attachant et authentique, un beau livre sur les livres et le goût des mots, tout comme j'aime !    Stock, 230 pages.

" Dans cet espace ouvert de transition entre l'enfance et l'adolescence, se glissaient des bribes de rêves et de projets, je commençais à penser qu'il y avait une suite à l'histoire, un prolongement à l'enfance qui ne serait pas uniquement fait de ce que je connaissais déjà, un futur dans lequel, chose incroyable ! je pourrais prendre des décisions, des initiatives, choisir mon chemin. Je n'avais pas encore conscience qu'il faudrait un jour apprendre un  métier, et l'exercer, je ne voyais pas du tout les choses ainsi. Ce n'était pas seulement de l'insouciance, mais la conscience diffuse qu'une autre voie allait s'ouvrir, qui me conduirait là où je serais à ma place, en dehors des sentiers battus. Il suffisait d'attendre et de laisser se dénouer les fils qui pour l'instant obstruaient l'entrée du labyrinthe. Inutile de s'en faire à l'avance... "

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24 mars 2007

Sujets libres ~ Clémence Boulouque

"C'était nouveau, ce besoin de savoir, après des siècles où il était obligatoire de s'inscrire dans une lignée puis des décennies d'indifférence ou d'intégration, à tout prix, à toute force. Et maintenant, cet étrange besoin de racines, d'identité, d'arbre généalogique." Violaine Bellasen a 25 ans. Un jour, son ex-fiancé lui propose de rédiger un dossier de presse sur un film adapté d'un roman de Simenon, "Feux rouges". Or, Violaine déteste Simenon mais elle accepte d'y travailler. Et puis l'étrange voyage de Violaine va commencer: d'abord le décès de son grand père et la conscience de la mémoire familiale qui vient de s'éteindre. Ses parents ont fui l'algérie quand ils étaient enfants et se sont installés en France. Violaine leur reproche aujourd'hui d'avoir nié leur passé, leurs racines et de n'en parler jamais. Pourquoi?.. Au lieu de comprendre, elle les condamne, prend ses distances, ne leur téléphone plus. Elle part au Maroc rencontrer une tante. Violaine recherche les feuillets que son grand-père avait écrit sur sa famille: pour Violaine, toute son histoire s'y trouve. Quand Violaine commence à ouvrir le dossier de Simenon, peu à peu l'histoire de l'écrivain l'interpelle. L'histoire de "Feux Rouges" la touche. Elle part à New york, sur les traces de Simenon, mais aussi pour recoller des bouts d'elle-même dans cette mégapole où le melting-pot est l'identité première.
La quête de Violaine c'est aussi celle de tous les enfants d'ici ou d'ailleurs; c'est l'histoire du passé à retrouver, de racines à sortir de terre, et de famille à reconstruire. Ces pays perdus de la mémoire, à retrouver ou à inventer. "Elle a demandé à d'autres fils et filles d'exilés si leurs parents ont la gorge nouée en évoquant le pays quitté, si cela les empêche de parler. Ils l'ont, souvent. Ils choisissent le silence pour transmettre la mémoire. Parmi leurs enfants, certains s'en privent, d'autres s'en moquent. Quelques-uns, enfin, l'inventent. Sujets libres."

mars 2004

24 mars 2007

La mémoire neuve ~ Jérôme Lambert

Ce premier roman de Jérôme Lambert est très mystérieux: le narrateur, Julien, débarque du train, son petit ami l'attend et tous deux partent en voiture vers une destination inconnue. Mais pas si inconnue, car elle semble ramener le jeune homme sur les traces de son enfance, sur les lieux où un événement antérieur a marqué celui-ci au stade de devoir le ramener à ce point de départ pour faire peau neuve.

"La mémoire neuve" parle donc d'un mystère survenu pendant l'adolescence de Julien. Lors d'un été chez ses grand-parents, entouré de ses cousins, le garçon a connu l'attirance et le trouble des fortes connivences masculines. Un pacte avait été scellé, une promesse faite... que le jeune Julien a brisé. Pour un autre, Clément. Un garçon introduit par l'aîné des cousins, un garçon au sourire insolent et victorieux, un garçon qui va semer la zizanie au sein de cette équipée de cousins.

La narration oscille donc entre cet instant présent où le personnage de Julien soliloque intérieurement sur sa trahison et son incapacité à passer outre, à tourner la page et à se confier à son petit ami actuel. Il revient sur l'été de ses douze ans, sur la joyeuse troupe des cousins et le troublant Clément, l'élément catalytique.

Le roman de Jérôme Lambert centralise essentiellement son intrigue autour du monologue intérieur de Julien. Cela crée un suspense latent et captivant. On attend le dénouement avec une certaine impatience, à tel point que la délivrance n'est pas à la hauteur de l'attente. Un peu dommage.
Bon premier roman qui, toutefois, pêche à égaliser le drame prévu à sa véritable réalisation...

mars 2004

22 mars 2007

Les soeurs Delicata ~ Geneviève Brisac

Les soeurs Délicata sont sept: Paloma, Evangéline, Clotharia, Esther, Nouk, Judith et Mo. Sept petites filles qui vivent dans un appartement "qui ressemble à un boa". L'histoire commence le 20 décembre. Nouk, la narratrice, parle de ses soeurs, des anges qu'elles confectionnent, de sa grand-mère (l'extravagante Grand-Mère Oiseau qui vit dans sa chambre, "sa grotte", et en sort parfumée, maquillée, accoutrée avec exubérance). En se rendant à l'église, sous l'escorte de leur gouvernante Méta (qui les laisse seules et s'en revient les cheveux ébouriffés et le rouge à lèvres qui coule), elles rencontrent une vieille dame avec une peau de louve sur le dos, Madame Elohim, qui les comparent à des petites filles échappées des contes d'Andersen !
Les soeurs Délicata entreprennent de faire de bonnes actions (elles tricotent des écharpes, font des cakes aux fruits) et vont les offrir aux résidents de la Villa des Pins, un établissement fermé par une énorme grille en fer, avec des bouts de verre sur les murs ("pour éviter qu'ils s'échappent?" se demande Nouk). En revenant de leur expédition, elles retrouvent l'appartement vide et silencieux. C'est le soir du 23 décembre et leur mère a disparu.
Que se passe-t-il chez les Délicata? La grand-mère Tchaïka débarque, on oublie d'évoquer leur mère, le père est quasiment absent, la gouvernante disparaît également.
Entre hallucinations et croyances, l'histoire des "Soeurs Délicata" plonge le lecteur dans un mystérieux conte à consonnance mystique, à la croisée des Contes Gothiques de Karen Blixen et des contes d'Andersen. L'ambiance est inquiétante, intéressante, palpitante et un rien gothique, le tout sur un mystère qui grossit, dans un univers à la fois onirique et surréaliste.

mars 2004

20 mars 2007

Mort d'un silence ~ Clémence Boulouque

"Je suis la fille du juge Boulouque, et cela ne rappelle plus rien à personne." Clémence Boulouque est bouleversante: de sa plume grave et légère, pleine de tendresse et de rage au coeur, elle se délivre de son enfance. Elle n'était pas une simple jeune fille insouciante, elle était fille du juge qui avait en charge les dossiers anti-terroristes des années 80.

Personnellement, je ne savais pas non plus qui était le juge Boulouque. Je n'ai pas le souvenir de la terreur des années 80: j'avais l'âge de la narratrice. Je partage avec elle cette insouciance d'une gamine qui grandit en écoutant Elsa, qui mange trop de sucreries et qui taquine son père en lui reprochant son absence de plus en plus. Mais ce qui rend la jeune fille différente de toutes les gamines ordinaires, c'est que Clémence était escortée par des gardes du corps, Clémence apprenait de la bouche de son père les mécanismes des bombes à la nytroglycérine, Clémence ne sortait jamais seule, Clémence n'avait pas de petits copains et Clémence n'avait jamais les cheveux mouillés quant il pleuvait à verse... Une voiture blindée, des gardes aux portes, un sac d'école oublié et les démineurs sont sur le qui-vive, bref: l'enfance de Clémence est impressionnante et sous haute surveillance. Au point que la jeune fille souhaitait secrètement que tout ça finisse pour en être délivrée et pouvoir vivre normalement. Hélas la délivrance arrive avec le suicide de son père, deux semaines avant Noël.

Le texte de Clémence Boulouque est émouvant. C'est le témoignage d'une jeune fille devenue injustement orpheline, et qui porte l'éternel regret d'avoir été trop capricieuse et méchante avec son père (pour lui faire payer ses absences). En septembre 2001, elle est à New York. Dans ce pays où elle a cherché à reconstruire sa vie, à oublier et panser ses peines, son passé la rattrape. Les mots de son enfance coulent sur le papier, entre les souvenirs heureux et les moments graves, entre le désir d'être ordinaire et la conscience de demeurer la Fille du Juge. C'est beau, c'est touchant. Clémence Boulouque nous livre un texte magnifique sous forme d'un gros sanglot à jamais contenu.

mars 2004

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18 mars 2007

Le jugement de Léa ~ Laurence Tardieu

Etrange, la raison pour laquelle Léa a tué son enfant, Théo, quatre ans. Pourquoi ? Personnellement je n'ai pas bien compris, et les quelques explications fournies par l'héroïne ne me suffisent pas et ne légitiment pas son acte (à mes yeux). Je crois que l'auteur aurait dû davantage creuser son personnage central, poursuivre dans sa lancée et nous émouvoir un peu plus.
"Le jugement de Léa" est l'histoire d'une jeune femme qui attend le verdict de son jugement. Elle a tué son petit garçon. Depuis, elle n'a plus ouvert la bouche et n'a rien dit à personne, rien dit de son geste, rien expliqué.

En attendant, donc, la jeune femme émeut son gardien qui arrive à briser sa carapace et à 'délivrer' celle-ci. Lentement Léa va raconter son parcours, depuis son enfance dorée, entourée de parents qui ne s'aimaient plus et n'ont jamais su donner de l'amour. Puis, pour fuir ce cauchemar, elle se précipite dans un mariage luxueux mais qui n'arrive pas à la remplir non plus. Elle quitte son mari, rencontre des hommes, mais toujours rien...

Combler son vide, combler sa solitude. Lorsqu'elle apprend qu'elle est enceinte, Léa pense s'en sortir et croit former avec son fils deux solitudes. Jusqu'au jour où ce petit garçon va la regarder autrement. "Que dit-on à un enfant de trois ans qui n'a pas connu son père et soudain le réclame? Que dit-on à un enfant de trois ans dont le père a été un amant de quelques heures, un corps de passage, un corps pour combler le vide? Dit-on la vérité? Et quelle vérité? Que s'est-il passé? Rien, ou presque." Léa est touchante et froide. Silencieuse et meurtrie. "Je n'avais pas imaginé la difficulté d'élever seule un enfant." Non, et c'est tout son drame.

Laurence Tardieu signe un roman grave, solennel et implacable. L'ambiance est pesante, mais le fond de cette histoire nous bouleverse envers et contre tout.

mars 2004

12 mars 2007

Au bar de l'Univers - Benoît Luciani

au_bar_de_l_universIl y a de fortes chances que vous connaissiez Benoît Luciani, on le croise parmi les visiteurs de ce blog sous l'appellation : Ben FAPM Member.. FAPM, me suis-je dit ? Kéçako ?? Une secte ? Un mouvement de libération, de déclamation, de solidarité, de machintrucbidulechouette... ? Alors là je lui demande, Cher Benoît Luciani, c'est quoi FAPM ? ...

Sur ce, revenons à ce livre. Oui, ok. C'est un envoi de l'auteur, une demande gentille, délicate ... comme j'aime. Et pourtant je m'étais faite la promesse de résister aux appels des sirènes (mais je n'ai aucune volonté, je suis d'un naturel trop curieux ! !). Mais j'ai d'autres excuses aussi, et là on ne va pas s'étendre, car cela recule l'instant sacré où l'on parle du livre, enfin ! Alors voilà, j'ai reçu Au bar de l'Univers et déjà cela me plaisait. La couverture d'Yves Jamait est chaleureuse, cela vous invite à y entrer et pénétrer dans cet Univers qui s'annonce original et où le désoeuvrement est permis !

J'ai bien fait d'accepter. Oh non, je ne regrette pas du tout cette rencontre. Et c'est avec un enthousiasme sincère et désintéressé que je vous invite à vous procurer ce livre à votre tour. Vous allez m'en remercier ! ... Le hic, c'est que cette lecture est tellement enivrante et incroyable que j'en ai les mots soufflés !

Les mots étaient justes, sans fard, sans détour. Ils exprimaient la pensée exacte, sans artifice. Ils touchaient à chaque syllabe le creux de l'âme.

Oui, Benoît Luciani a la plume sympathique. Il nous présente en de brefs chapitres ses personnages : Hélène, Thomas, Laurence, Maryvonne, Michael, Jean-Baptiste, Marvyn, Manu... Ils ont entre 35 et 55 ans, sont un peu malmenés par la vie, mariés, célibataires, confus, déboussolés, virés, mais tous prêts à faire de ce jour un tremplin pour un lendemain différent. Par une étrange coincidence, ils se donnent tous rendez-vous au Bar de l'Univers le même soir. Leurs silhouettes se croisent, les mains se touchent, les regards s'effleurent... 3 petits tours et puis ça s'en va...

J'ai lu ce livre d'une traite, complètement saoule par ce flux de mots, par cette apparente facilité d'aligner des petites phrases, de créer avec une aisance étourdissante un esprit à ses personnages et de rendre vivant ce roman ! Oui, ceci est une invitation à courir rejoindre ce quartier du 17ème arrondissement pour poser ses fesses sur une banquette du Bar de l'Univers, saluer de la tête Marvyn qui sirote son whisky au bar, sourire aux retrouvailles émouvantes entre un père et une fille, frissonner d'entendre les éclats de voix de deux loups affamés et se demander comment cet autre homme va rebondir après l'annonce de sa compagne...

C'était bruyant comme d'habitude. Il aimait ça. Le bruit. Non, le brouhaha plutôt. Le flot des discussions qui se croisaient, se rencontraient, s'entrechoquaient. Les verres qui claquaient sur les tables, le cliquetis des briquets, le vrillement des pièces sur les marbres des tables. Les regards aussi vagabondaient d'un groupe à l'autre. On se touchait parfois des yeux. On se faisait des promesses impossibles, ou simplement on s'effleurait en se disant que peut-être... dans une autre circonstance.

Benoît Luciani a déjà écrit un 1er roman : Le bruit des hommes (qui me tente bien, désormais !). Et voici son site : Le bruit des hommes . Je vous recommande de lire cette chronique écrite par Christine Spadaccini - c'est diablement bien dit ! D'ailleurs, moi aussi j'ai eu la réflexion ben, dis donc, il a l'air bien ton bouquin, t'as pas levé la tête une seule fois!  Lisez donc, vous comprendrez ! ça fait l'effet d'une petit bulle euphorisante !!! Et c'est dommage que tout ça se termine, là... j'en veux encore un peu ! :)

Hugo roman, 190 pages (mars 2007).

7 mars 2007

Les beaux jours ~ Jean Christophe Millois

Les Beaux Jours est un roman à double voix entre père et fils. L'un est éleveur de chiens et chauffeur de car scolaire, l'autre est un adolescent en crise. A tour de rôle, ils prennent la parole pour commenter leur vie qui nous sonne presque insipide, glauque et misérable. Tous ont le mal de parler d'amour et de comprendre l'autre, ou alors trop tard... les gestes d'affection sont des claques pour masquer l'angoisse. Mais le père est lui aussi un fils qui se souvient de son enfance assez péniblement, il s'en veut de ne pas être un "bon fils" pour son père qui est désormais veuf. Quand le drame les frappe, tout ce monde sera hébété mais la parole ne découlera pas pour autant...
Franck, l'adolescent, vivote avec son loser de copain: ils fument, boivent, vadrouillent dans une vieille voiture pour draguer des filles. Au bord de l'échec scolaire, il se pose toutes ses questions qu'on a à l'âge de dix-sept ans. Ses parents ont divorcé, sa mère est une ombre et son père un mur. Il est l'héritier d'un tempérament impulsif mais pas mauvais.
Oui, les femmes sont de passage: entre la tante qui se soucie de tous ces garçons en oubliant presque de penser à elle, une mère transparente, une soeur solidaire mais distante, et la nouvelle fiancée du père...
Les Beaux Jours est un roman masculin, qui parle de la difficulté d'être un père et un fils. L'écriture est sobre et classique. Jean-Christophe signe un premier roman déroutant mais bougrement attachant.

mars 2004

5 mars 2007

La première marche - Isabelle Minière

premiere_marcheCela commence par une histoire de photographie. La petite demande à sa mère un cliché d'elle pour une surprise à l'école, elle l'obtient et se réfugie sur une marche de l'escalier pour admirer et embrasser cette photo, à l'abri des regards noirs et de la voix dure. Oui, la mère n'est pas commode, elle est parfois gentille, mais elle est très sévère.
C'est bien simple, la petite ne sait plus comment s'y prendre pour attirer un sourire, une amabilité, une tendresse. Quand survient le passage de l'orange, cadeau du ciel, la petite est au bord de tomber en apoplexie. C'est dire !...

Le temps passe, mollement. La petite est exaspérée des mimiques de son petit frère, le mignon de la famille, qui fait diversion avec ses singeries, et pourtant ce n'est pas assez aux yeux de la petite. De toute façon, personne ne la voit. Elle est si discrète, si timide, elle en devient invisible ! Seule la mère ne l'oublie pas, elle rouspète à pas d'heure, lui inflige des robes au tissu qui gratte, lui coupe ses longues boucles pour chasser les noeuds définitivement, s'emporte après cette femme médecin qui la prend pour une incapable, râle sur sa fille qui fait ses comédies pour dormir, des cauchemars ? quels cauchemars ?!
Décidément, le quotidien de cette petite n'est pas bercée par les cajoleries. Au contraire, elle se sent incomprise, soucieuse, on dit aussi d'elle qu'elle est boudeuse. Parce qu'elle aime se réfugier sur les marches de l'escalier, où elle prend le temps de réfléchir, de mettre tout en place dans sa tête, de jouer avec sa poupée, bref "à partir du moment où l'on s'installe sur une marche d'escalier, on boude peut-être automatiquement, sans s'en apercevoir. Peut-être... ?".

Il y a beaucoup de pointillés dans l'histoire de la petite, beaucoup de questions sans réponses, d'anecdotes qui glacent le sang, de petits riens sur la routine familiale qui est stérile et figée comme du marbre. "La petite voudrait se sauver de cette enfance, interminable. C'est son espoir, c'est sa prière, c'est une lumière qui brille dans le noir, très éloignée, accrochant le regard, vous maintenant debout, vous protégeant du pire, c'est une promesse : toute enfance finit un jour."
En attendant, il faut se contenter de palliatifs et croire que le miracle surviendra. Oui, de manière totalement imprévisible, la voix sonore peut résonner, les tac-tac-tac sur le plancher peuvent marteler de plus belle, la petite va gagner "son billet, valable à vie, pour voyager dans d'autres vies". Formidable sauf-conduit ! La fin réconcilie l'impression morose d'une enfance pas toujours rose, d'une petite mal dans sa peau, en quête d'une caresse ou d'un mot gentil. Isabelle Minière ne taille pas la pierre avec rogne, elle évite les pièges du misérabilisme et trace un portrait criant de tendresse foulée au corps. Le fait que ce soit la petite qui raconte son histoire fait de "La première marche" un roman moins lourd et compassé sur le sujet de l'enfance tristounette et privée d'affection. C'est délicat et éclairé, au bout du compte.

Le Dilettante - 2007 - 188 pages

5 mars 2007

Isabelle Minière en romans

Bon, j'avais promis de faire un "topo" sur les romans d'Isabelle Minière à l'occasion de la parution de son nouveau roman "La première marche"... Voici donc quelques points de repère.

cette_nuit_laLa très grande particularité de "Cette nuit-là" est la narration en " Tu " de bout en bout du roman. Grande audace ! L'auteur use cette forme pour interpeller l'héroïne, Lisa, victime d'un mari violent. Car Lisa est mariée à Clément, homme charmant, aux boucles dorées, très intelligent, aimé et respecté de tous. Un homme irréprochable. Sauf que cet homme-là a deux faces : un côté pile pour la ville, et un côté face pour son foyer. Clément n'est plus Clément, il devient un individu au regard noir, qui jette des éclairs et annonce l'orage. Un homme redoutable. Qui ne lève pas la main sur Lisa, non. Sa perversion va plus loin : il use des mots, il retourne les accusations, il insinue que c'est sa faute à elle, qu'elle le rend aggressif par sa faute. Lui est juste un peu coléreux. Sans plus. Alors, Lisa ? Coupable, responsable, victime consentante ?..
Isabelle Minière en dénoue tous les rouages, livre une spirale infernale. L'homme marié ne peut disposer de son épouse comme d'un objet. Abuser d'elle sans son consentement. C'est voler. C'est violer ! L'auteur fait mouche en déployant l'esprit retors du pervers contre la vulnérabilité de la jeune femme. Se taire, c'est consentir. La coupable, c'est elle. Elle ne peut priver d'un père à son enfant. Etc... "Cette nuit-là" est remarquable : la mécanique de la manipulation mentale est saisissante d'effroi. C'est écoeurant, mais hélas si réel. Cette lecture est dérangeante, certes, mais ça existe.   Le dilettante, 2004

soupirantCe livre est drôle ! Oui, malgré son thème d'abord presque morbide (un père qui se meurt), on sourit beaucoup au soliloque de la narratrice, sans prénom, si ce n'est celui qu'on a décidé de lui coller : Elodie. Parce qu'elle est née le même jour qu'une jeune fille morte, elle a instantanément été prise sous l'aile de son employeuse, quitte à la couvrir de cadeaux - toutes les affaires de la jeune défunte !
Bref, c'est une histoire où on s'intéresse de près aux morts. D'abord, prenons place autour de cette famille presque éplorée d'assister aux énièmes soupirs d'agonie du patriarche, suite à son déjeuner d'anniversaire. Car le problème, c'est que toute la famille n'est pas nouvelle de ces crises de "va-t-il bientôt mourir, ou pas ?". Donc, à la longue, ça plombe un peu toute cette assistance : la mère qui radote et s'invente des souvenirs, le frère qui compte les soupirs du mourant, la soeur aînée qui songe au sens de la vie, de l'argent, de l'amour etc. et la narratrice, sans identité définitive, silencieuse, butée dans un manque de sensibilité qui heurte sa mère. Mais silencieuse, elle ne l'est qu'en apparence car dans ses pensées elle ne cesse de parler, de raconter sa vie et celle de sa famille. Et il n'y va pas avec le dos de la cuiller ! Elle n'épargne personne ! Elle adopte volontairement un ton drôlatique, cynique et auto-dérisoire qui fait merveilleusement mouche. On adore, ou pas. C'est sûrement un roman qu'on parcourt d'une traite et qu'on ne regrette pas d'avoir parcouru ! 
JC Lattes, 2001

couple_ordinaire_2Ce n'est sans doute pas utile de revenir sur Un couple ordinaire dont j'évoquais la sortie en poche dans ce billet . Mais la couverture mérite le coup d'oeil, donc je la glisse... Le dilettante, 2005.

J'espère que ce petit tour d'horizon vous permettra de mieux cerner cet écrivain. Son univers est finalement varié. C'est étonnant comme elle parvient à se renouveller roman après roman, jamais elle ne s'enferme dans un créneau. Et à chaque fois, c'est très intéressant ! (Il me reste deux autres livres à découvrir encore.)

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