Une petite fille à qui l'on offre une belle poupée caresse d'abord son visage de faïence, du bout des doigts, ...
... effrayée à l'idée de froisser des dentelles si propres. Puis elle la prend, elle joue. Elle s'aperçoit, presque déçue, que son jouet se plie à tous ses caprices. Toute belle et neuve qu'elle est, la poupée ne fait rien de plus qu'une autre. Elle sourit, quoi qu'on lui fasse. Pour finir, la petite fille montre son nouveau jouet à ses amies. Bientôt, la poupée de chiffons, démembrée et le crâne fendu, attendra sous un meuble qu'on lui prête attention.
Elle attendra longtemps.
Nous sommes à Vienne, au palais du Hofburg, en 1815. Une silhouette se faufile dans les cuisines et cherche un dénommé Martin, valet de son état. Sous ce déguisement d'homme, se cache la délicieuse Fanny, une corsetière amoureuse, qui a reçu la visite d'un individu venu la prévenir qu'elle se trompait sur son amant. En fait, Martin est le vicomte Frédéric de Waldaw, brillant diplomate qui tente d'avancer ses billes, malgré le climat tendu qui règne en Europe (Napoléon a été exilé sur l'île d'Elbe, les émissaires de tous les pays, Wellington et Talleyrand pour ne citer qu'eux, sont réunis à Hofburg), la police secrète est sur les dents, notamment après avoir repéré l'intrusion de Fanny, avant qu'elle ne se volatilise dans les couloirs du palais. Bref, chacun cherche son chat !
Comble de tout, Fanny fait aussi la rencontre du tsar Alexandre et se voit offrir d'ouvrir le bal à ses côtés ! La demoiselle attire toutes les attentions, Frédéric est blême, fou de rage, conscient du scandale et du drame, sa douce court de graves ennuis, le pire c'est qu'elle semble à mille lieux de s'en soucier, puisqu'elle prend un immense plaisir à broder des histoires sans queue ni tête sur ses origines, son identité secrète, sa recherche de la vérité, et même sur l'évasion de Napoléon ! Rira bien qui rira le dernier...
Alors, forcément, on trouve du marivaudage, des complots, des messes basses, de la vengeance, de la séduction, des culbutes dans un grand feu de passion, parfois des culbutes acrobatiques et même proprement inexplicables (la scène dans la cave, hmm, j'ai besoin d'un dessin !). Le tout se dresse sur un fond historique habilement brossé, on croise un tsar, une impératrice, des princes et des ducs, tous tombent quasiment en pâmoison pour la belle roturière. J'en viens donc à l'incroyable somme de situations téléphonées, de coincidences aberrantes, de fautes d'étiquette et de circonstances grossières et invraisemblables. Est-ce un râle que je sens au fond de la gorge ? (Non.)
Rendons justice à cette lecture, c'est parfaitement entraînant, fluide, romanesque. On traite de politique, de pouvoir et d'amour en dansant la valse ou le menuet, entre une bouchée de quenelle et le sorbet à la rose, après une vive émotion dans la salle des redoutes où se tient le ballet, suivront quelques bouffées de chaleur dans une alcôve, des menaces de mort, un duel au clair de lune, la promesse d'une fuite et d'une autre vie, de la précipitation, du feu, de l'action... Ouh, je confesse, monsieur le juge, un nouveau crime : le plaisir coupable de lecture ! Oui, encore.
Je ne pensais pas que cela allait me plaire à ce point, je n'avais lu que 30 pages et j'avais reposé le livre, avec une petite moue d'insatisfaction, puis par miracle j'ai repris ma lecture et je me suis surprise à tourner les pages en gloussant comme une midinette, oui, oui. J'ai honte, mais tant pis. Ce roman m'a même fait penser à la série d'Anna Godbersen, même si je déplore n'avoir point trouvé de visage en forme de coeur, je me suis consolée avec d'autres poncifs du genre. Nulle ironie de ma part ! C'est une lecture distrayante et cela me convient ! Je lirai le prochain tome avec grand plaisir.
Intruse ~ Nicolas Jaillet
Hachette, 2010 - 236 pages - 12,90€
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