Travail soigné, de Pierre Lemaitre
J'aurais souhaité n'avoir jamais lu Alex avant celui-ci et procéder aux présentations dans les règles de l'art - Camille Verhoeven, commandant de police, soucieux du travail bien fait, barbotant au sein de sa brigade comme un poisson dans l'eau, amoureux à la ville et bientôt papa. À la place, j'avais déjà aperçu l'image d'un type brisé et désabusé par la faute de cette enquête criminelle qui s'installe présentement.
Des meurtres, ignobles et épouvantables, mis en scène de façon soignée et macabre, basculant toujours plus loin dans l'horreur et l'innommable... Et déjà une étiquette sur ce tueur en série - le Romancier - dont l'obsession consiste à reproduire les crimes les plus célèbres de la littérature policière et récolter les lauriers de la gloire en faisant la une des journaux. Sans se douter, Camille est devenu le jouet du psychopathe.
C'est indubitablement un roman noir, violent, déroutant mais fichtrement prenant. Jacques Frantz - spécialement sollicité par l'auteur pour enregistrer son roman pour Audiolib - accomplit par la même occasion un jeu d'acteur époustouflant. Sa voix rauque et grave nous entraîne vers des sentiers glissants, au cœur de la cellule de crise et en communion avec la détresse de Verhoeven pour un effet vibrant, poignant, étonnant.
¡Madre mía! Ce roman est plus noir que noir, violent et déroutant, même s'il est fichtrement prenant. Certaines scènes sont d'ailleurs assez dures, avec force détails nauséeux et séquences émotionnelles bouleversantes (mais rien n'est jamais gratuit, comme l'explique P. Lemaitre dans l'entretien qui suit la lecture, en rappelant pourquoi on choisit de lire un roman noir et quelles sont nos attentes). Malgré tout, la puissance littéraire est là, intacte - la lecture est saisissante sur toute la ligne, elle remue tripes et boyaux et vous laisse k-o en fin de parcours. Chapeau bas.
Audiolib / août 2015 ♦ Texte lu par Jacques Frantz (durée : 12h 33) ♦ Suivi d'un entretien entre l'auteur et l'éditeur
Le 5e Règne, de Maxime Chattam
La petite ville d'Edgecombe, en Nouvelle-Angleterre, est sens dessus dessous lorsque la police fait la découverte d'un nouveau crime d'enfant. Le shérif Hannibal n'a pas l'ombre d'une piste et voit arriver un agent du FBI, Glenn Ferguson, pour lui prêter main forte. Mais celui-ci commence à s'engager sur un sentier pentu, impliquant des théories peu rationnelles. Allô, Mulder ? Des puissances occultes auraient-elles élu domicile dans cette bourgade paisible ?
Ou serait-ce ce vieux grimoire, trouvé dans un grenier par une bande d'ados, qui aurait déclenché les hostilités ? Toujours est-il que Sean, Lewis, Zach, Tom, Eveana et Meredith ont mis le doigt dans l'engrenage, ils ont ouvert un livre interdit et libéré son pouvoir démoniaque. Les voilà maintenant aux prises d'hallucinations effroyables, se sentent poursuivis par des yeux rouges et entendent des bruits dans leurs placards...
Ils seront vite dépassés par la situation, qu'ils ne peuvent expliquer aux adultes. Pris à leur propre piège, devant affronter seuls des ennemis redoutables, ils vont vivre un cauchemar éveillé, sous les traits d'un Ogre qui dévore les enfants et rôde dans l'ancienne usine désinfectée, mais aussi d'un trio diabolique, débarqué de nulle part, qu'il vaut mieux éviter de croiser le soir dans une ruelle. Mamma mia !
C'est à vous filer des frissons dans le dos ou je ne m'y connais pas. L'ambiance, digne d'un roman de Stephen King (je ne compte plus les ressemblances), est crépusculaire, sourde, oppressante, mystérieuse et inquiétante. Même les éléments sont déchaînés (il pleut constamment et ça dégénère en cyclone !). Cela vous plante le décor, et c'est plutôt efficace. En tout cas, c'est parfait en cette saison automnale, dédiée aux lectures qui font peur. ;o)
J'ai également beaucoup apprécié les personnages, surtout Lewis, dont les réparties rigolotes ont plus d'une fois permis de détendre l'atmosphère. Certes, il y a aussi pas mal d'incongruités, comme la quasi absence des parents, qui vivent leur vie en marge, sans se soucier du maniaque en ville et du couvre-feu en vigueur. Les adolescents sont en roue libre, même l'encadrement au lycée est très léger. Ce sont des détails, et je chipote, car franchement c'est une lecture prenante et forte en sensations, qui a su me scotcher du début à la fin.
Pocket, janvier 2012 pour la présente édition (éditions du Masque, 2003, sous le pseudonyme de Maxime Williams)
Jane Austen à Scargrave Manor ~ Stephanie Barron
Labyrinthes, une collection des éditions du Masque, 1998 - 446 pages - 8,50€
traduit de l'anglais (USA) par Corinne Bourbeillon
Jane Austen a bientôt 27 ans, elle vient de rompre ses fiançailles avec Mr Bigg-Wither et se réfugie chez son amie Isobel, nouvellement mariée au comte Scargrave, de deux fois son aîné. Elle compte bien s'étourdir dans l'effusion des bals donnés à Scargrave Manor. Hélas, le vieux lord meurt dans d'atroces souffrances et la maison porte le deuil. Des petits billets font très vite leur apparition et accusent la jeune épouse d'avoir comploté le décès du comte, ses liens avec Fitzroy Payne, vicomte et neveu de son mari, dénoncent une connivence trop proche, trop tendre. Scandale à l'horizon ! Jane est émue de la détresse de son amie, tous les soupçons l'accablent et d'étonnantes révélations viennent assombrir la réputation de la jeune femme et de son ami (et soupirant), lord Payne, héritier du titre et de la fortune de Scargrave...
Ce n'est pas parce qu'on trouve Jane Austen en titre qu'il faut s'attendre à une lecture d'égale qualité, non, non... l'esprit, l'essence, l'adoration, l'humour et la finesse y sont forcément brodés et utilisés à bon escient mais il va sans dire que Stephanie Barron n'a pas le talent de l'anglaise, même si du talent elle en possède aussi certainement... Car j'aime ses romans, c'est le deuxième titre que je lis de sa série (cf. Jane Austen et le révérend) et j'y trouve un vrai, grand plaisir. C'est une lecture de pure distraction, du divertissement pour zoner sur son canapé, c'est assez bien écrit, l'ambiance est admirablement reproduite, la silhouette de Jane Austen est mise à l'honneur, on trouve une jeune femme vive et intelligente, qui rougit beaucoup et qui répète souvent être de bonne condition physique et donc d'apprécier la marche et les promenades. Ceci étant, c'est tout de même comique de l'imaginer en détective, si l'on transpose l'idée d'une Miss Marple avec quelques années de moins... Là je dis stop, cela casse l'image et cela devient totalement ridicule.
La série de Stephanie Barron n'a pas d'autre intention que d'être agréable à la lecture et de ne pas prétendre usurper l'identité de Jane Austen, juste de la respecter, ensuite le personnage de l'écrivain anglais est mis en scène, mais jamais dans des situations incongrues, ou tout juste peut-on trouver que cela reste terriblement romanesque, Jane n'était pas une beauté fatale, elle le rappelle, mais son charme de l'esprit n'avait de cesse de faire tourner les têtes, et c'est avec étonnement que je constate de nouveau les ravages qu'elle provoque ! Cette lecture donne le sourire, c'est indéniable. L'enquête criminelle demeure de facture classique, je n'ai pourtant pas su deviner le coupable avant la révélation au dernier chapitre. Stephanie Barron sait entretenir le suspense, mais son roman pourra paraître bien long et bavard pour ceux qui attendent de l'action et des rebondissements. Il n'en est pas du tout question dans ce livre ! Ambiance georgienne joliment léchée, voilà de quoi ravir les amateurs. Entendons-nous bien.
> un extrait :
Sachant que le lieutenant Hearst avait tué un homme, je ne parvenais à songer à rien d'autre ; mais l'on se doit, lorsqu'on enchaîne les figures, de causer un tant soit peu avec son partenaire ; je me mis donc l'esprit à la torture, désespérant de trouver un mot pour engager la conversation. Rougissante - j'en ai peur - et les yeux obstinément baissés, je dus lui faire l'effet d'une vraie petite oiselle, lui offrant ainsi une image de ma personne probablement aussi imparfaite que le portrait que miss Delahoussaye m'avait dressé de lui. Lui-même, devant mon mutisme embarrassé, hésitait à prononcer une syllabe ; et nous persistâmes péniblement dans ce silence d'une profonde sottise pendant près de la moitié du temps que dura la danse. Mais s'il est une chose que je déteste par-dessus tout, c'est bien de me retrouver flanquée d'un cavalier muet ; aussi, surmontant mon horreur des coups de pistolet à l'aube, je me réfugiai dans la légèreté d'un badinage féminin.
- J'ai profité de votre absence, lieutenant, pour me renseigner sur votre caractère, lançais-je.
Levant un sourcil, il me jeta un regard amusé.
- Et suis-je digne de toucher votre gant ?
NB : Il s'agit du premier tome de la série.
> lu aussi par Plaisirs à cultiver et La bibliothèque d'Allie
Un pied au paradis ~ Ron Rash
Editions du Masque, 2009 - 262 pages - 19€
traduit de l'anglais (USA) par Isabelle Reinharez
Au départ, on s'attend à une intrigue facile et déjà lue : un type dénommé Holland Winchester est porté disparu. C'est la mère qui signale au shérif Alexander l'étrangeté de cette disparition, elle a entendu un coup de feu chez le voisin et depuis elle soupçonne Billy Holcombe d'avoir tué son fils. L'enquête commence aussitôt, la police passe au peigne fin le terrain et la rivière attenante, le couple Holcombe est interrogé, mais nulle trace du corps. Niet. L'affaire est close.
Dans le chapitre suivant, l'histoire prend une autre tournure lorsque le narrateur principal - le shérif - passe le relais à Amy Holcombe, apportant ainsi un nouvel éclairage à cette affaire. Viendront ensuite les voix du mari, du fils et de l'adjoint pour compléter tour à tour le récit, et finalement l'histoire devient très différente de ce qu'on imaginait au début.
Disparition ou meurtre ? Ce n'est pas ce qui compte le plus, car le roman révèle une histoire plus intense, une histoire d'amour teintée de jalousie et de vengeance, une histoire de filiation et de sacrifice, une histoire de pardon, d'écoute, de patience et de courage.
Nous sommes dans les années 50, sur les terres des Appalaches du Sud, la sécheresse frappe les récoltes des agriculteurs, et la compagnie d'électricité rachète peu à peu toutes les terres afin de construire une retenue d'eau, ainsi un immense lac viendra recouvrir les champs et les fermes.
C'est dans un climat de stérilité et de mort que se passe ce roman. Un climat aride, étranglé et en sursis. Au début, c'est vrai que le livre n'offre rien qui sorte de l'ordinaire, mais sa richesse s'ouvre lorsque les voix des différents protagonistes se font entendre. L'histoire étale alors sa palette de sentiments, passant du tragique au touchant, du dramatique au bouleversant, que sais-je, j'ai été vraiment émue de lire les secrets du couple Holcombe, ce que la disparition de Holland Winchester impliquait, les conséquences sur la vie des uns et des autres.
C'est un roman fort en émotions, qui se découvre au fil des pages et qui laisse son empreinte. Un roman qui laisse aussi supposer un calme sous lequel gronde la tempête. Le paradis sur terre et ses ronces cachées.
Belle découverte.
Les meurtres de la Salamandre ~ Paul Halter
Editions du Masque, 2009 - 314 pages - 6,50€
J'ignorais tout de Paul Halter, j'ignorais qu'il était français et auteur contemporain né en 56, et non pas, comme je le supposais bêtement, un rosbif, un pur, un dur, un bien campé sur ses positions, dans la grande lignée des auteurs du siècle dernier ! Atmosphère, atmosphère...
Cet auteur a plus d'un atout dans son sac, tant il sait admirablement nous plonger dans une intrigue policière très british, qui se passe en 1931. L'action se déroule à Marney Hall, une demeure familiale frappée de malédiction parce qu'un amoureux éconduit, des années auparavant, a prédit qu'il se vengerait, tout en s'immolant sur la place publique et en clamant qu'il était l'égal de la Salamandre. L'homme ne craint donc pas le feu, du coup il va survivre pour disparaître pendant quelques années, dans le même temps un individu cambrioleur fait tourner la tête des inspecteurs de la Sûreté en France, il signe sous le nom de la Salamandre. S'agit-il du même type ? Son arrivée sur le territoire anglais vient d'être signalé. Archibald Hurst, inspecteur de Scotland Yard, et son ami le Dr Twist vont s'employer à lui mettre la main dessus.
Paul Halter est définitivement un digne héritier des auteurs du siècle dernier, je n'avais qu'à fermer les yeux pour penser à Dickson Carr ou Conan Doyle, Leroux, pour les français, tant l'illusion est parfaite. C'est désuet, mais charmant. L'intrigue s'enroule autour de secrets de famille, de lettres anonymes, d'un fils qui rentre au bercail avec des diamants en poche, d'héritage qui se lisse, de morts inexpliquées, et d'une scène incroyable où un poignard est lancé dans le dos de la victime, en pleine salle de bal, en présence d'une dizaine de témoins dont aucun n'a vu le meurtrier. Ce crime impossible devient donc le casse-tête de notre couple de fins limiers, à eux - Hurt et Twist - de ne pas s'éparpiller, de garder la tête froide et de ne pas céder aux sirènes du fantastique. Car toute explication est rationnelle ! La solution se trouve dans ce très bon roman policier, un modèle qui ne faillit pas à la grande tradition de la collection du Masque. L'intrigue est à la fois convenue et bien ficelée. Lecture agréable, en somme. ;)
Cachez-moi ça - Kyril Bonfiglioli
Il est snob et persifleur, insolent et tricheur, roublard et esthète, gourmet appliqué et insolent fini. C'est un Arsène Lupin sous l'uniforme d'un marchand d'art londonien. Il a volé un Goya au Prado et cherche à le faire passer discrètement en Amérique, en le cachant dans le double plafond de sa Rolls. Mais ses faits et gestes sont épiés, car notre bonhomme est suspecté et harcelé par la police spéciale de Sa Majesté - avec, en tête, Martland au volumineux postérieur !
Charlie Mortdecai - ainsi se nomme notre personnage - est un pendant de Bertram Wooster sous acide. Il se joue de l'idée avec cynisme, il a son Jeeves en la personne de Jock, enfin c'est un anti-Jeeves car il est décrit comme son voyou de service, tant il est grossier, saoûlard et bagarreur (rien à voir avec la copie originale !). Ensemble ils nous offrent une escapade sauvage et décadente, de l'Amérique au Nouveau-Mexique avant de se réfugier en Irlande.
Publié dans les années 70, ce roman est en fait le premier volet d'une trilogie qui a connu un grand succès en Angleterre. C'est une histoire qui fait penser à un croisement entre Woodehouse et Chandler, c'est écrit avec élégance et ironie, l'action est rebondissante, l'intrigue assez noire et malgré tout il y a une légèreté derrière tout cela, exactement là où l'art et l'alcool ont droit de cité. Vraiment hilarant, un peu étourdissant, mais hélas trop méconnu !
Editions du Masque, octobre 2008 - 286 pages - 6,50 €
traduit de l'anglais par Marie-Caroline Aubert
titre vo : Don't point that thing at me
Old-fashioned, but delicious !
Dans le quartier des Batignolles, le corps d'un petit vieux est retrouvé dans un bain de sang... La victime a juste eu le temps de griffonner les premières lettres du nom de l'assassin : il s'agit de son neveu, Monistrol. Ce dernier avoue aussitôt les faits, le juge et la police se frottent les mains de conclure une affaire aussi vite. Mais Méchinet, agent de sûreté, n'est pas du même avis. Il est secondé par Godeuil, un jeune officier de santé. La rencontre entre ces deux personnages n'est pas sans rappeler la paire sympathique de Sherlock Holmes et Docteur Watson, ou Hercule Poirot et le commissaire Japp.
Bref, Méchinet devine d'instinct que l'enquête ne fait que commencer. Il va rencontrer la blonde et délicieuse Mme Monistrol, trop belle pour être honnête, trop cupide, trop ambitieuse et trop rayonnante auprès d'un époux au physique peu attrayant. La dame a un alibi, le mari plaide coupable. Mais alors ? Les petites cellules grises de nos deux compères s'activent. Cette intrigue est rondement bien ficelée, classique et décrit un Paris du 19ème siècle guindé, suranné mais charmant.
Emile Gaboriau est un pionnier du roman policier français, auteur d'une oeuvre qu'on compare facilement à celle de l'anglais Wilkie Collins par exemple. Le petit vieux des Batignolles inaugure un cycle de nouvelles (l'histoire ne fait que 86 pages). Le texte est suivi de deux nouvelles qui composent Mariages d'amour : Monsieur JD de Saint Roch, ambassadeur matrimonial et Promesses de mariage.
Ces deux récits dénoncent la spéculation des sentiments humains et des mariages arrangés. Monsieur JD de Saint Roch est un brocanteur du mariage, comme il se décrit. Il embobine le fils d'un avoué, qui a déjà créé le scandale de démissionner de son poste d'ingénieur des Ponts et Chaussées, puis a su construire une honnête fortune à force de spéculations. L'entremise de petites lettres qui dénoncent, conspuent et colportent des vérités à demi cachées ou avouées va semer la zizanie dans le coeur des jeunes gens épris. Promesses de mariage permet à l'auteur de s'attaquer aux mariages arrangés qui sont encore monnaie courante sous le Second Empire. Gaboriau se livre ici à un anti-marivaudage féroce et réjouissant.
(Personnellement j'ai plutôt apprécié la première histoire, car on y perçoit bien le policier qui va ouvrir la voie à d'autres personnages ou influencer des futurs auteurs. Cf. Simenon et Maigret, encore un exemple.)
S'il n'est pas l'inventeur du genre, Emile Gaboriau a su incontestablement donner au genre policier ses premières lettres de noblesse. Et même créer un archétype de personnage débonnaire qui poursuit l'enquête sans trop avoir l'air de s'y intéresser, qui sait toujours où il va mais laisse tout le monde perplexe. La liste des personnages qui doivent à Gaboriau leur caractère propre est vaste, ici naît sans aucun doute aussi bien Holmes, nous l'avons dit, que Colombo, dont le faux-air ahuri est le meilleur piège à vérité. Et tout est ici, dans une langue savoureuse et simple, qui met le quotidien dans un roman et parvient à en faire toute une histoire. Source : Boojum-mag.
Le petit vieux des Batignolles, et autres nouvelles - Emile Gaboriau
Editions du Masque, coll. Labyrinthes - 2008. 345 pages. 8€
Lady Angatell et son époux reçoivent pour le week-end quelques amis dans leur splendide domaine du Vallon. Des amis, certes, mais toute cette petite communauté réussira-t-elle à cohabiter ? Voilà que Lucy Angatell commence à en douter. Et les domestiques eux-mêmes sont sens dessus dessous, rien n'est prêt pour le déjeuner alors qu'un invité de marque est sur le point d'arriver au château : le célèbre Hercule Poirot en personne. Son métier est de démasquer les assassins, mais il vient cette fois pour se reposer, du moins le croyait-il : le médecin, John Christow, est retrouvé tué par balles au bord de la piscine. Les soupçons se posent sur Gerda, l'épouse qu'on a retrouvée près du corps, le revolver dans une main. Or, les preuves font défaut.
Naturellement cette dernière avait toutes les raisons d'être jalouse (Christow collectionnait les conquêtes féminines), et la dévotion de l'une d'elles, qui dans l'ombre oeuvre pour masquer les indices, va compliquer l'enquête criminelle menée par notre cher Poirot.
Ambiance serrée par ce huit-clos efficace où, très vite, on soupçonne tout le monde, Le Vallon échappe au genre du whodunit dont les règles sont ici un peu chamboulées. Agatha Christie s'attache à décrypter les personnages, les psychologies et distille une atmosphère mêlant l'intrigue amoureuse à la résolution de l'énigme policière. Ce titre de la très productive reine du crime est quelque peu méconnu, mais gagne à être découvert sans tarder !
Le Vallon a été adapté au cinéma par Pascal Bonitzer sous le titre Le grand alibi. (au cinéma le 30 avril 2008)
Le Vallon, d'Agatha Christie
Librairie des Champs Elysées, 1995 pour cette traduction
(traduit de l'anglais par Alexis Champon). titre vo : the hollow
Joan Scudamore, anglaise d'une soixantaine d'années, est coincée dans un relais en plein désert, à la frontière turque, pour rentrer dans son pays. Elle vient de rendre visite à sa fille Barbara qui vit avec son époux à Bagdad. Dans cet endroit coupé de son petit monde confortable, Joan rencontre une ancienne amie d'école, Blanche Haggard. Celle-ci a toutefois subi les foudres du temps, devenant plus vulgaire, âgée et mal vêtue (selon les critères de la très respectable Mrs Scudamore). Très vite, on devine une suffisance chez cette femme, malgré la sympathie qu'elle nous inspire. On ne peut s'empêcher de pincer les lèvres et les narines : c'est une épouse dévouée, une mère accomplie, une femme exemplaire. Un peu trop ?
Car derrière cette façade trop lisse, on cherche les failles et les fêlures. Et c'est en voulant la taquiner, en lui prédisant d'être bloquée dans son relais à cause des pluies qui s'annoncent et du terrain impraticable pour les trains, que Blanche va provoquer son temps de réflexion. Or, elle soulève un point délicat : "si l'on n'avait rien d'autre à faire que penser à soi-même pendant plusieurs jours de suite, je me demande ce que l'on découvrirait..."
Totalement désoeuvrée, Joan va donc devenir "détective lancée sur la piste de sa propre vie passée" et soudainement ce voyage l'entraîne à éclaircir des contrées mises - dans son subconscient - en abîme. Cette femme s'enorgueillissait d'avoir réussi sa vie, quitte à regarder de haut Blanche Haggard en la méprisant. Elle va s'apercevoir qu'elle a occulté ses propres erreurs.
Sous le pseudonyme de Mary Westmacott, on retrouve Agatha Christie, auteur de ce roman d'introspection qui est aussi le monologue enfièvré d'une femme blessée par la vie. Ecrit en trois jours et trois nuits dans une sorte de transe, selon les dires de la grande dame, Loin de vous ce printemps dévoile un talent caché d'Agatha Christie, celui de broder sur un sujet autrement bateau qu'un indécrottable whodunit (genre très appréciable, sans nul doute). A noter pour vous en persuader !
Loin de vous ce printemps - Mary Westmacott (Agatha Christie)
Robert Laffont, 1951 pour la traduction - Livre de poche, 1990
roman traduit de l'anglais par H. de Sarbois - titre vo : absent in the spring.
Miss Marple, volume 1 - Agatha Christie
Miss Marple est une jeune novice de soixante-cinq ans quand on la rencontre pour la première fois en 1930 dans L'affaire Protheroe. Elle va devenir au fil du temps une enquêtrice redoutable et la concurrente la plus sérieuse du célèbre Hercule Poirot.
La campagne anglaise est un véritable havre de paix parsemé de petits villages aux cottages si typiques. Ainsi St Mary Mead où vit une communauté tranquille composée de colonels à la retraite, de dames soignées et de vieilles filles à l'existence rangée, du moins en apparence... Car l'une d'elles, Miss Marple, est convaincue du contraire : « Le mal rôde partout ! » Et elle le prouve en observant avec minutie la vie de ses contemporains, leurs qualités et leurs travers. Abandonnant alors son tricot, elle vient prêter main-forte à la police locale ; et ses idées saugrenues mais géniales permettent de résoudre les enquêtes criminelles les plus complexes.
Recueil des premiers cinq romans mettant en scène, de 1930 à 1950, Miss Marple, vieille dame à l'existence rangée, en apparence, qui observe avec suspicion ses concitoyens de St Mary Mead.
J'ai repris l'excellente présentation de l'éditeur, car tout y est : le personnage, le cadre, les enquêtes qui se tricotent comme une écharpe ou un pull, au coin du feu, la tasse de thé pas loin, et les scones au raisin ! Miam. Tout est indémodable chez Agatha Christie, peut-être vieillot et plan-plan pour les amateurs de sensations plus croustillantes. Mais personnellement je trouve qu'il fait bon de regarder en arrière et de se reposer dans cette atmosphère hors du temps. J'aime cette détestable Miss Marple, cette mêle-tout perspicace, discrète comme une ombre, qui fourre son nez dans le linge sale des autres, un rien sainte-nitouche quand elle veut ! Non, ce n'est pas méchant. C'est la petite vieille qui ne paie pas de mine, impeccable pour ne pas attirer l'attention ni éveiller les soupçons, mais la mémé est redoutable ! Sur le petit écran, j'ai appris à l'apprécier sous les traits de l'actrice Joan Hickson, pour la chaîne BBC (3 saisons existantes).
Miss Marple fait sa première apparition dans L'Affaire Protheroe où le corps du colonel P., personnage hautement détesté par ses semblables, est retrouvé assassiné dans le presbytère du narrateur (un pasteur assez fat, qui prend son épouse pour une andouille, à mon goût !). Ce roman a été publié en 1930 et ne devait pas marquer le début d'une série. Et de fait, Miss Marple ne réapparaît qu'en 1942 dans Un cadavre dans la bibliothèque qui est l'une des intrigues les plus connues dans l'histoire policière (un cadavre d'une jeune fille inconnue est découvert dans la bibliothèque d'une maison bourgeoise). Dans La plume empoisonnée, Miss Marple n'intervient que très tardivement dans l'enquête, qui ne se passe pas à St Mary Mead. Very shocking, isn't it ? Cette histoire est comme le vin, elle se bonifie avec le temps. A l'époque, elle passait même pour audacieuse et révolutionnaire ! On y trouve des femmes divorcées, des lettres anonymes qui sèment le trouble dans la petite communauté, une jolie gouvernante amoureuse de son patron, et d'autres figures atypiques, excentriques qui exacerbent les plus folles spéculations ! L'enquête qui suivra, dans Un meurtre sera commis le..., se replace dans le décor de prédilection du petit village anglais près de St-Mary Mead. Une petite annonce a été publiée dans la gazette locale faisant écho d'un meurtre qui sera commis à Little Paddocks le vendredi 29 octobre à 18h30 très précises. Strictement réservé aux intimes, cet avis tiendra lieu de faire-part. Une murder-party, damned ! On retrouve encore une fois dans cette histoire la palette des personnages haut en couleurs (le pasteur et sa femme, les vieilles filles, la jeune femme pauvre ET des réfugiés ! L'auteur se place ici en bonne chroniqueuse des séquelles laissées par la guerre.).
Bref, lire ou relire Agatha Christie, LA reine du roman policier, championne du whodunit, est un ticket pour l'assurance et le confort d'un travail bien fait, bien net et délicieusement guindé. Cela ne fait pas dresser les cheveux sur la tête, ne donne ni suées froides ni nuit blanche, mais c'est sophistiqué, suranné. C'est reposant.
L'intégrale - II - Agatha Christie : Miss Marple, volume 1.
Editions du Masque, département des éditions Jean-Claude Lattès, 2008 pour la présente édition. 19,90€
L'alchimiste assassiné - Fidelis Morgan
Perruque déplumée de guingois, visage barbouillé d'une épaisse couche de fards commençant à dégouliner, lady Anastasia Ashby de la Zouche, baronne Penge, comtesse de Clapham, est en prison pour dettes, et pas pour la première fois. Elle doit à son droguiste la peccadille de six shillings, et le misérable a eu la témérité de l'assigner en justice. Les temps ont changé depuis l'intronisation de Guillaume d'Orange, venu de Hollande instaurer la monarchie parlementaire ; la société anglaise est devenue de plus en plus obsédée par l'argent, le profit et la richesse, même Madame la comtesse, âgée de soixante ans, a dû se lancer sur le marché du travail pour survivre. Après une courte carrière dans l'écriture de tragédies héroïques, sous le nom de plume du Galant Ethéré, lady Ashby a ensuite choisi de se tourner vers le journalisme, glanant des bribes de cancans fielleux ou rédigeant des diatribes contre les charlatans, les dernières modes, les nouvelles pièces. Sa mauvaise fortune voulut que le jour où le recouvreur de dettes vint frapper à sa porte, la comtesse se trouvait entre deux contrats. Sa bourse était par conséquent des plus plates.
Qu'elle n'est pas la surprise de lady Ashby de la Zouche, lorsque dans la prison de Fleet, elle tombe nez à nez avec une drôlesse prénommée Alphiew, son ancienne suivante qui disparut sans prévenir avec son argenterie et Monsieur le comte, bien des années auparavant ! Son sang ne fait qu'un tour, elle bondit sur l'ingrate et demande des comptes, mais Alphiew parvient à s'échapper de Fleet, récupérant le contrat en or promis à la comtesse par Monsieur Cue, responsable de presse. La jeune fille n'est pourtant pas mauvaise, puisqu'elle va parvenir à obtenir la libération de sa bienfaitrice, se disculper des accusations injustifées, proposer une collaboration contre le gîte et le couvert à Anglesey House, l'hôtel particulier de German Street, dans les quartiers chics. La façade est galante, or l'intérieur fait peine à voir. Seul Godfrey, l'ancien palefrenier, un misérable vieux coquin, est resté au service de la dame, même après que le cheval fut vendu, et qu'il n'y eut plus eu d'argent pour les payer !
La liberté étant une chose précieuse, la survie en est une autre. Lady Ashby et Alphiew comprennent que l'argent manque et acceptent avec empressement la proposition d'une femme mystérieuse, bien vêtue et élégante, portant capuche pour dissimuler son identité. Il s'agit en fait d'une dénommée Mme Wilson, qui soupçonne son époux, Beau, de lui être infidèle. Elle embauche la comtesse et sa suivante pour espionner les faits et gestes du mari présumé volage. Malheur ! cette mission, finalement pas si anodine, plonge nos deux donzelles dans un fichu pétrin ! Lady Ashby est prise sur le fait : la cheville foulée d'être tombée sur le corps de Beau Wilson, le bustier et les gants dégoulinants du sang de la victime ! Accusée de meurtre, la comtesse est arrêtée et envoyée en prison. Alphiew se sauve mais n'abandonne pas sa maîtresse, pour elle l'enquête doit continuer !
Quelle aventure truculente ! Fidelis Morgan a lancé une série fort sympathique, surtout portée par son duo de personnages atypiques et attachants, Lady Ashby de la Zouche et Alphiew. L'une est fantasque et un peu folle, l'autre n'a pas de culture mais percute en moins de deux, bref elles n'en perdent pas une miette dans ce Londres puant et mystérieux, à courir à toute berzingue, dans les ruelles sombres et dans le quartier d'Alsatia, où vivent tous les criminels à l'abri des poursuites de la loi, se rendent chez les apothicaires, et rusent auprès d'Isaac Newton en personne pour chercher le moindre indice et démasquer le coupable. Ce sont deux tornades, perruques de traviole, le teint un peu défraîchi, mais fortes en culot, pétillantes et toujours pleines d'allant. Elles nous entraînent dans une foisonnante et palpitante pochade libertine, qui fait revivre toute la trivialité londonienne du XVIIème siècle.
Labyrinthes, 460 pages. Traduit de l'anglais par Denyse Beaulieu.
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Existe aussi : Les reines rivales (Labyrinthes, 2007)
Jane Austen et le révérend - Stephanie Barron
Quittant Bath pour la ville de Lyme, la famille Austen est victime en chemin d'un accident qui blesse gravement Cassandra, la soeur de Jane. Cette dernière s'arme de courage et se rend vers la propriété la plus proche, High Down Grange, réputée pour être peu hospitalière. Et effectivement, le propriétaire des lieux, Geoffrey Sidmouth est rustique, bourru, agacé par cette arrivée à l'improviste. Il consent toutefois à venir en aide à Jane et sa famille et les héberge quelques jours chez lui. L'activité dans cette maison est intriguante, et éveille quelques interrogations chez Jane. Il y a d'abord la cousine du gentilhomme, Séraphine LeFèvre, une beauté éthérée un brin mystérieuse, qui est originaire de France. Assez effacée, elle sort peu de la maison ou se promène la nuit avec une lanterne de forme curieuse et vêtue d'une pèlerine rouge.
Le contact avec Sidmouth ne s'est pas fait sans mal, mais Jane a su lui tenir tête et peut-être cela a-t-il influencé dans l'attitude du gentleman pour les jours suivants. Galant et guindé, il adopte un port assez froid, tout en se montrant très prévenant auprès de Jane et sa famille. C'est lui qui débauche le médecin, Mr Dagliesh, pour soigner Cassandra, lui qui conduira les Austen chez Mr Crawford sur son site de fouilles, et pourtant le ton badin semble faux dans le coeur de Jane (qui ne peut s'empêcher de palpiter un peu plus fort). Elle se méfie de l'homme, donnant foi aux ragots qui courent à son sujet. On murmure un tas de choses à Lyme, sur un prétendu Révérend et sa clique, sur la demoiselle Séraphine et sur des activités illégales livrées la nuit sur la plage. Jane a aussi fait la connaissance du capitaine Fielding, qui lui confie instantanément ses soupçons sur Sidmouth qu'il juge être le Révérend, un pilier de la contrebande entre la France et l'Angleterre.
Fielding, qui se dit à la solde des Douanes, voudrait démasquer ce brigand et remporter ainsi la bataille sourde qui gronde entre Sidmouth et lui, dans laquelle Séraphine joue un rôle important. Aucun des concernés n'est prêt à dévoiler le fond du problème, au nom de l'Honneur, mais Jane est bien décidée à mener jusqu'au bout sa petite enquête toute personnelle. Il lui est impossible de réfléchir autrement, incapable de terminer son manuscrit en cours (Les Watsons). Alors la jeune femme use de son sens de la répartie, de sa capacité de jugement et de sa perspicacité toute féminine pour écouter, questionner, sonder, allant même jouer les héroïnes à la Mrs Ann Radcliffe en errant le soir sur le Cobb ou dans une caverne isolée sur la plage...
Que dire sur ce roman d'une Austenite convaincue, passionnée au point d'imprégner son récit du style de son idole (sans parvenir à l'égaler, on s'en doute), mais travaillant avec soin ce souci du détail, de la formule et du contexte avec un aplomb remarquable ?! Stephanie Barron est réellement parvenue à faire illusion, surtout durant les premiers chapitres de son histoire. Elle dépeint une Jane Austen vive, intelligente, pointilleuse et sensible au charme d'un gentleman inquiétant et fort séduisant par toute cette part de mystère qui l'entoure ! Je me dois de reconnaître avoir beaucoup pensé que c'était tout de même drôlement romanesque, dans le fond. Le gentleman arrogant, réputé mauvais bougre, suspecté d'être le fameux contrebandier qui sévit sur la côte, et qui fait battre le coeur de notre demoiselle... l'action où se mêlent le goût du sel marin, les tempêtes, la chasse entre les troupes des Dragons et les bandits en pleine nuit, et une héroïne au coeur de l'intrigue, cheveux au vent, et une séduction qui connaît son acmé !... Il ne faut surtout pas se méprendre, ce genre de roman n'est pas un pastiche de l'oeuvre de Jane Austen. L'écrivain est ici utilisé en tant que personnage principal, et Stephanie Barron a beaucoup respecté la personnalité de la dame, bien cadré le décor, beaucoup lu les biographies et a su baliser son sujet. C'est un zéro faute sur cet aspect, et personnellement j'ai beaucoup apprécié cette part d'imagination. On ne pourra reprocher à Mrs Barron d'avoir spolié Jane Austen, ni d'avoir fait affront au personnage. Et il me semble, alors, que lire les enquêtes de Jane Austen par Stephanie Barron n'est qu'une simple invitation au divertissement littéraire et historique, dans une ambiance élégante et racée, avec une enquête pas extraordinaire, mais tout à fait potable (saluons que le couperet ne tombe qu'au dernier chapitre, et pas un soupçon avant !). Pour toutes ces raisons, j'ai été séduite et je suis prête à poursuivre cette belle lancée.
A signaler, cependant, que ce tome n'est pas le premier de la série, il s'agit en fait de Jane Austen à Scargrave Manor, paru étrangement l'année d'après en France. L'auteur y fait quelques allusions dans ce livre, et c'est bien dommage ce léger couac. Il faut donc considérer, à ce jour, l'ordre de publication en France des oeuvres de Stephanie Barron, comme suit :
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Jane Austen à Scargrave Manor (1998)
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Jane Austen et le révérend (1997)
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Jane Austen et l'Arlequin (2000)
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Jane Austen à Canterbury (2001)
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Jane Austen et la sorcière du Derbyshire (2003)
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Jane Austen et le prisonnier de Wool House (2006)
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Jane Austen et les fantômes de Netley (2007)
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Jane Austen et l'héritage du comte (2008)
* Les dates de publication correspondent aux sorties françaises.
Labyrinthes - 400 pages - Traduit de l'anglais par Corinne Bourbeillon.
Le site de l'auteur : http://www.stephaniebarron.com