Quand soufflera le vent de l'aube, par Emma Fraser
Île de Skye, début du XXe siècle.
Flora MacKenzie rêve de suivre les pas de son père médecin. Mais l'attention poussée d'un jeune lord - suivie de son étrange disparition - va bousculer ses plans et impliquer la famille MacCorquodale (ses voisins & modestes métayers) dans la même tourmente.
En gros, le fils Archie s'enfuit en Amérique, la fille Jessie renonce à ses études d'infirmière. De son côté Flora part vivre à Édimbourg et tire un trait sur son passé.
Le reste du roman va s'appliquer à raconter les parcours des deux femmes tout en décrivant le contexte sociétal avec un regard très réaliste. Il y a forcément un peu de romanesque dans l'histoire (le sort de Flora et Jessie est franchement triste).
On n'échappe pas non plus au procès sur la misère des plus pauvres, la condition féminine, les pratiques de la médecine, les récits de guerre (des plaines de la Serbie à la retraite vers le Montenegro).
Tout ça pour une lecture poignante et vibrante d'émotions.
Mais il m'aura manqué cette petite flamme pour affoler mon imaginaire... Une atmosphère trop lourde, des coups du destin implacables, des personnages accablés par des revers trop injustes. Tout n'est pas léger, léger. Ou disons que ce roman n'est pas à lire en plein cœur de l'été !
Malgré ces réserves, cela reste une découverte non moins intéressante.
Pocket (2018)
Traduit par Abel Geschenfeld, Dominique Haas & Odile Demange
Par un matin d'automne, de Robert Goddard
Leonora Galloway est en pèlerinage dans la Somme pour se recueillir sur la tombe de son père et confier à sa fille tous les secrets entourant son histoire de famille. En effet, le mystère a longtemps plané sur ses parents : sa mère est morte peu après sa naissance, laquelle est survenue un an après la disparition de son père, mort au combat. Cette ombre au tableau familial a ainsi profité à la seconde épouse de son grand-père, une séductrice impénitente, qui a également manipulé son entourage pour dérober l'héritage et exacerber le sentiment de culpabilité de Leonora. Le temps a passé mais les souvenirs sont toujours vivaces. C'est, du moins, ce que m'inspire cette lecture, intense, romantique et captivante. On replonge dans le passé des personnages, dans une Angleterre isolée, en pleine campagne, là où se situe le manoir de Meongate. On revit les bonheurs et malheurs de la narratrice, le drame de ses parents, et tant d'autres vies fauchées ou emportées par le destin impitoyable... J'avoue avoir préféré, de loin, toute la première partie du roman, à Meongate, qui colle typiquement aux grands classiques anglais, car la suite réserve plus ou moins de bonnes surprises (la succession de rebondissements s'avère un peu pénible car peu crédible au final). Somme toute, la lecture est facile, elle s'écoute non sans une certaine dévotion et on y prend goût ! Au casting, Olivier Chauvel est excellent, Bénédicte Charton tient la distance même si elle accentue un poil trop la note mélodramatique à son interprétation.
©2010 Sonatine. Traduit de l'anglais par Marie-José Astre-Démoulin (P)2017 Audible Studios
- Lu par : Olivier Chauvel, Bénédicte Charton
- Durée : 13 h 45
Le chagrin des vivants, de Anna Hope
En ce début de novembre 1920, trois femmes sont plongées dans les plus noirs tourments.
Ada a perdu son fils unique dans les derniers jours de la guerre et demeure inconsolable au point de vivre parmi les fantômes en s'imaginant que Michael cherche à la contacter. Hettie, danseuse de compagnie au Hammersmith Palais, rencontre des anciens soldats parfois lourdement handicapés, mais espère secrètement voir son destin basculer. Evelyn travaille au bureau des pensions de l'armée, croise des âmes meurtries et égarées, n'en peut plus de supporter ce ballet désespérant, pense à son fiancé décédé et perd les pédales quand on évoque le nom de son frère.
En toile de fond, on assiste aux préparatifs en grandes pompes de la première cérémonie commémorative, avec notamment le rapatriement du corps du Soldat inconnu. Un hommage tardif mais bouleversant. Pour beaucoup, c'est l'occasion de soulager leur deuil et leur chagrin, de saluer aussi le sacrifice d'une génération, car pendant longtemps le premier réflexe était d'effacer et oublier les horreurs des tranchées.
On suit donc trois femmes durant cinq jours dans cette atmosphère d'après-guerre merveilleusement esquissée. On ressent le poids des larmes, l'amertume des vivants, l'ahurissement des survivants, la colère et l'incompréhension, les secrets et les drames.
C'est loin d'être gai, mais c'est captivant. On se sent aspiré par ces bribes de vies, trouvant dans chaque destin une force et une sensibilité rares. J'ai aimé aussi la préciosité des personnages et la description des sentiments. Le style est impeccable, le ton juste, la note pure, avec une touche finale pleine d'espérance. Un roman remarquable, à la fois poignant et transcendant, aux émotions à fleur de peau. Très belle lecture !
Folio, 2017 - Traduit par Élodie Leplat
Titre VO : Wake
Un aigle dans la neige, de Michael Morpurgo & illus. par Michael Foreman
Fuyant Londres et ses bombardements incessants, Barney et sa mère croisent dans le train un individu qui va leur confier l'histoire étonnante de son vieil ami Billy Byron.
Soldat durant la Première Guerre Mondiale, celui-ci a fait preuve d'une bravoure remarquable, largement récompensée par les médailles et les honneurs. Tout à sa modestie, Billy se défendait d'être un héros. Il avait la guerre en horreur mais la saisissait à bras-le-corps pour y mettre un terme au plus vite. Le jeune homme n'était pas inconscient, pas plus courageux ou intrépide, simplement il était déterminé à abréger le carnage, à épargner la population et les soldats sacrifiés.
Mais au cours d'une bataille acharnée à Marcoing, dans le Nord, Billy et son bataillon sortent vainqueurs et rassemblent leurs prisonniers, lorsque un allemand hagard surgit de nulle part, le fusil à la main. Ses camarades le mettent en joue, mais Billy réclame la clémence générale et laisse ce soldat repartir.
Après la guerre, Billy aspire à retrouver une vie tranquille, tout en songeant longuement à une petite fille, Christine, qu'il avait sauvée et conduite à l'hôpital. Il n'aura de cesse de la retrouver... pour finalement l'épouser ! La folie des hommes étant une source intarissable, Billy en subira de nouveau le poids en découvrant un film de propagande nazie. Là, s'affichant sur l'écran de cinéma, un énergumène au regard haineux et aux discours enflammés. Billy reconnaît aussitôt le soldat épargné à Marcoing sous les traits du Führer.
Cette vision va le plonger dans un gouffre sans fond de dépression et de culpabilité. Malgré le coup de fil du Premier Ministre Chamberlain, assurant qu'il avait participé au maintien de la paix en secourant Hitler, Billy va amèrement se reprocher sa charité. N'en pouvant plus, Billy part donc en Allemagne et ne touche mot à personne de son projet d'assassiner le dictateur.
Ce récit romancé a été inspirée par l'histoire vraie du soldat Henry Tandey, « celui qui n'a pas tiré sur Hitler ». Anecdote authentique ou fabulée, elle a donné matière à Morpurgo d'écrire une histoire romanesque et poignante. Avec un art consommé du suspense et de la mise en scène, la lecture se révèle captivante ! On y plonge le cœur battant et on absorbe aussitôt l'angoisse ambiante, à s'imaginer aux côtés de Barney et sa maman, coincés dans leur train qui se planque dans un tunnel pour échapper aux raids aériens. La rencontre avec l'ami d'enfance de Billy va ouvrir la porte aux souvenirs et faire revivre le passé et le parcours du soldat Byron. En dépit des doutes et des interrogations, on ressent une vive émotion à l'évocation des actes manqués du soldat, qui aurait pu changer la face du monde et le cours du destin. Morpurgo et Foreman ont, comme de coutume, uni leurs talents pour recomposer l'injustice de la guerre à travers une intensité dramatique palpable et émouvante. Très bon roman.
Traduit par Diane Ménard pour les éditions Gallimard Jeunesse - Octobre 2016
Le Retour du capitaine Emmett, d'Elizabeth Speller
Au lendemain de la guerre 14-18, l'ancien officier Laurence Bartram sombre dans une profonde mélancolie et tente de s'en extirper en acceptant d'enquêter pour une vieille connaissance, Mary Emmett, qui souhaite éclaircir les raisons douteuses de la mort de son frère. Après son retour du front, John avait été frappé de dépression, puis interné dans un institut privé et huppé, d'où il avait réussi à s'enfuir avant de se suicider. Il incombe désormais à Bartram de fouiller dans les archives d'un conflit aux plaies mal pansées, aux blessures encore suppurantes d'angoisse, de haine, de terreur, aux traumatismes mésestimés et aux actes de condamnation hâtive, sans procès, par simple lâcheté, ou simplement pour couvrir des faits plus graves. Elizabeth Speller dresse un contexte historique authentique et une peinture de l'Angleterre de novembre 1920 très convaincante. On y découvre aussi des personnages éreintés, égarés dans un pays qui se veut vainqueur sans mesurer les conséquences sur les pauvres âmes errantes. C'est assez poignant. L'intrigue est également conduite avec subtilité, bien écrite, agréable à parcourir et maintenant un suspense efficace de bout en bout. Une nouvelle série prometteuse.
10/18 Grands Détectives / Octobre 2014 ♦ Traduit par Nora Bellac (The Return of Captain John Emmett) pour les éditions Belfond
Force noire, de Guillaume Prévost
Alma, comme beaucoup d'adolescentes, déteste les récits de guerre, jusqu'au jour où elle croise dans son immeuble un vieil homme noir, Bakary Sakoro, qui accepte de lui ouvrir sa porte pour s'y réfugier quelques heures (la jeune fille ne supporte plus l'ambiance chez elle, une crise typique, sans importance). L'homme, en train de feuilleter ses albums, se met à lui raconter son histoire.
Né sur les rives du Niger, au Mali, l'homme avait 17 ans quand il a quitté son pays pour rejoindre l'armée française et venger l'honneur de sa famille. Il part à l'aventure, le cœur gonflé d'espoir et portant au cou un talisman, Force Noire, pour invoquer la puissance guerrière de son grand-père. Il croisera en chemin de joyeux drilles, le Siffleur, Goliath et l'Intellectuel, ses compagnons inséparables, mais aussi une belle demoiselle, Jeanne, avec qui il va vivre un amour impossible.
Son destin hors du commun est raconté en toute simplicité, entre émotion, nostalgie et spontanéité, et accorde une place essentielle aux oubliés de la Grande Guerre, soit les « Tirailleurs sénégalais », dont le courage et le sacrifice n'ont jamais démenti. Ce livre leur rend un bel hommage, poignant, au-delà d'une trame romanesque aux envolées “fleur bleue” qui prêtent parfois à sourire.
Ce récit, bien écrit et richement documenté, saura enthousiasmer de jeunes amateurs de romans historiques et autres passionnés d'histoires mêlant adroitement le réel et le fictif.
Gallimard jeunesse, août 2014
Cheval de guerre, de Michael Morpurgo
J'ai longuement hésité avant de le lire, car je ne voulais pas une lecture trop triste, mais c'était avant de découvrir combien l'histoire est touchante et sincèrement prenante. Cela aurait été dommage de s'en priver.
Joey - le narrateur - est un jeune cheval fougueux, destiné à la vie de ferme. Sa rencontre avec Albert, le fils du fermier, va marquer le début d'une amitié forte et indestructible. Mais la guerre s'invite à la fête et le voit partir en France, sur les fronts, où il va se distinguer par son courage et sa ténacité. Témoin de la folie des hommes, de leur désespoir et leur bravoure, Joey va vivre mille vies en l'espace de quelques années. Et c'est son incroyable parcours que l'on suit, à travers un récit poignant et empli d'émotion. Qui aurait pu parier sur l'impact d'une telle lecture ? Franchement, c'est passionnant, saisissant de compassion et d'authenticité. J'ai été littéralement transportée !
“Cheval de guerre” marquait aussi l'entrée en scène de Michael Morpurgo dans l'édition jeunesse (1982). C'est désormais une œuvre majeure, qui a su révéler un auteur remarquable, lequel n'a jamais cessé d'écrire des romans tous plus bouleversants les uns que les autres (Soldat Peaceful, Plus jamais Mozart, Le royaume de Kensuké...). Autant de rencontres permises, qui séduiront un large public ! Ce livre a également été adapté en film par Steven Spielberg (sortie 2012).
Gallimard jeunesse, coll. écoutez lire, mars 2012 ♦ traduit par André Dupuis (War Horse)
Lu par le jeune et talentueux Arnaud Denis qui prête sa voix au cheval Joey. Avec simplicité et émotion, il nous fait partager le quotidien mouvementé d'un cheval en temps de guerre.
14-18 : lectures pour ne pas oublier
14-18 : Une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux par Dedieu (Seuil)
La Vie au bout des doigts, par Orianne Charpentier (Gallimard jeunesse, Scripto)
Force Noire, par Guillaume Prévost (Gallimard jeunesse, Scripto)
Cheval de guerre, par Michael Morpurgo (Gallimard jeunesse)
Mais aussi,
Avant la tourmente (tome 1 de La saga des Reavley) d'Anne Perry (10/18)
Une lettre de vous, par Jessica Brockmole (Presses de la Cité)
Le retour du capitaine Emmett, par Elizabeth Speller (10/18 Grands Détectives)
Toutes ces vies qu'on abandonne, de Virginie Ollagnier (Points)
Par un matin d'automne, de Robert Goddard, (Le livre de Poche)
Au revoir là-haut, par Pierre Lemaître
Deux soldats démasquent la duperie de deux officiers sur le champ de bataille, quelques jours avant l'armistice. Cela va les plonger dans un chaos d'infortune et de misère, d'où ils espéreront en sortir (et clamer ainsi leur vengeance) en élaborant la plus grosse arnaque d'après-guerre.
La période de démobilisation décrite par Lemaître offre un aperçu d'une société en déroute, dépassée par les événements et souvent prête à bafouer le sacrifice des disparus (en se livrant notamment au commerce des morts). C'est ainsi qu'on va suivre le parcours d'individus tristement ordinaires, Eugène, Albert, Henri, M. Péricourt, Madeleine etc., sans charisme pour la plupart, et qui nous laissent donc dans l'indifférence totale.
En toute honnêteté, j'ai été déçue par le roman. Le début s'annonçait prometteur mais le reste s'est étiré en longueur, c'est devenu lassant. Par contre, la lecture audio offre un moment très agréable d'une lecture faite par l'auteur lui-même, qui vous colle l'impression d'une communion entre celui-ci, son texte et le lecteur. Symbiose totale et parfaite. Pierre Lemaître a pris plaisir à lire son propre livre, cet enthousiasme est perceptible, très convaincant, une vraie bouffée d'oxygène dans un univers grisâtre et pétri d'amertume.
Audiolib ♦ mars 2014 ♦ texte intrégral lu par l'auteur (durée : 16h 57) ♦ suivi d'un entretien avec l'auteur
14-18 : Une minute de silence à nos arrière-grands-pères courageux par Dedieu
Un livre hommage aux poilus, avec des images violentes et réalistes, pour dire la guerre là où les mots ne sont plus.
Une lecture percutante, qui se dispense de grand discours (il n'y a d'ailleurs aucun texte, juste une phrase d'ouverture : Chère Adèle, il n’y a plus de mots pour décrire ce que je vis) car les images sont fortes, bouleversantes et pleines d'émotion.
Certaines pages sont un peu dures, elles montrent les ravages laissés par les attaques par le gaz ou les explosions d'obus (une double page saisissante, montrant deux visages de soldats dévastés)... D'autres fois, les visages sont effacés et deviennent des squelettes.
C'est troublant à dire, mais ce livre est magnifique et rend un hommage sobre, délicat et intelligent aux héros de cette drôle de guerre.
A la fin de l'ouvrage, une enveloppe se trouve sur la page de garde. Elle contient une longue lettre d'Adèle, en réponse aux quelques mots de Gustave. La lettre de la femme du poilu, profondément intime, traduit ses craintes et son espoir de revoir celui qu'elle aime.
Cet album singulier dénonce la douleur muette des combattants ainsi que la solitude et les interrogations dont souffraient les proches.
Seuil jeunesse, février 2014