Instantanés de lecture #1
L'adolescence dans tous ses états ... Ces petites lectures ne trouveront peut-être pas le chemin du blog, faute de temps ou d'inspiration, mais elles n'en demeurent pas moins intéressantes à découvrir !
Moi, les nichons, j'en veux pas. Les filles au collège qui se mettent des Wonderbra ou se fourrent du coton dans le soutif me débectent. Est-ce que les gars pensent à se mettre des coques dans le caleçon ?
J'ai pas envie de devenir femme. Pas encore, pas tout de suite. Je ne suis pas prête. Mais mon corps change, il déborde de partout, les seins, les fesses, le ventre... Ça déborde dans ma tête. J'ai peur.
Je me préférais avant, modèle petite fille plate. Brindille. Phasme, disait mon aimable frère. J'étais plus à l'aise avec mes jupes courtes et mes jambes d'allumette.
Maintenant, obligée de porter des gros jeans, des T-shirts XXL, des gilets, pour planquer ce corps qui m'encombre.
Mes cuisses qui font plof plof en course d'endurance, mon cul qui explose dans les maillots de bain, c'est pas possible. C'est ça, devenir femme ?
Honte de tout, par Carole Fives (éditions Thierry Magnier, coll. Nouvelles, 2013)
Théo et moi, on est des alchimistes : on a pris les ingrédients amers de nos vies, et on en a fait du sucre doux. Quand on est séparés, c'est une aberration, un manque d'air qui coupe le souffle, une jambe en moins, un vieux vertige insupportable, la perte de la moitié de notre intelligence, de la moitié de nos réflexes, de la moitié de notre imaginaire.
Plan B pour l'été, par Hélène Vignal (éditions du Rouergue, coll. doAdo, 2012)
Je suis l'aînée de six enfants : après moi, il y a Valentin, Côme, Paola, Marguerite, et Lili la benjamine. Mes parents travaillent dur. Et depuis que je suis petite, je les aide à la maison et parfois au restaurant. Pour moi, ce n'est pas une corvée. C'est naturel.
J'aime chahuter avec Lili, lire des histoires à Paola, me disputer avec Valentin, pousser Marguerite sur la balançoire. J'aime servir les grenadines au comptoir, parler avec les clients. J'aime les pichenettes tendres de mon père, les blagues de ma mère. Notre complicité est une forteresse.
Il faisait chaud cet été-là, par Agnès de Lestrade (éditions du Rouergue, coll. doAdo, 2013)
Le monde appartient aux autres. Je n'y ai pas ma place. Il me manque peut-être un gène, une disposition, une qualité mystérieuse mais indispensable, quelque chose que les autres ont et qui leur permet de vivre, avec un naturel confondant. Tout m'échappe et m'abandonne, à commencer par moi-même. Je ne sais d'où vient une condamnation aussi radicale. Je ne peux pas exister. Ce n'est que du flou, du tremblement, de la douleur.
Je me débats, je lutte, je me défais, je ne sais pas ce qui me détruit.
Rester vivante, par Catherine Leblanc (Actes Sud junior, 2010)
C'est moi qui l'avais fait éclore, ce petit sourire, au coin de sa bouche en bouquet de fleurs.
Deux nouveaux titres viennent compléter la chouette collection ZigZag, que j'affectionne particulièrement. Ce sont deux romans très attachants, admirablement écrits, avec des formules et des petites phrases qui touchent, paf, en plein coeur, avec des histoires tendres et amères, d'une perspicacité qui ne laisse pas indifférent.
Ça déménage ! par Cécile Chartre - illustrations de Charlotte des Ligneries (Rouergue, coll. ZigZag, 2012)
La vie d'Alexandre, huit ans et des pépettes, n'était que bonheur et tranquillité dans sa petite maison à la campagne, jusqu'au jour où maman et lui sont partis en ville, dans un appartement, parce que papa a décidé de refaire sa vie avec une autre. Pour Alexandre, c'est le début d'une douce rébellion. Il n'aime pas, mais alors pas du tout, son nouveau foyer. Et puis sa mère ne cesse de le coller, de le câliner, c'est insupportable. Même le chat Jean-Claude Chipolatas préfère quitter le navire, après avoir bien noyé le lit de son urine... Hmm, Alexandre aussi veut manifester son mécontentement, lui aussi voudrait qu'on lui rende sa liberté, mais au contraire, sa mère ne cesse de l'étouffer. Il tente d'exprimer son chagrin par la colère et la force, il tape du pied et du poing, les voisines sont d'ailleurs très mécontentes, mais lui s'en fiche... il veut retourner à sa vie d'Avant. Il veut son papa, avoir une discussion, comprendre que les larmes ne sont pas que pour les minus, qu'il faut parler pour expliquer l'inexplicable, que la vie est sans cesse une nouvelle histoire à écrire, avec d'autres maisons et d'autres familles, mais ça ne veut pas dire qu'on change de parents, non. Ni de nom, ni de prénom. Parfois, la vie d'après n'est pas aussi affreuse.
-) Ce petit texte permet de mettre des mots sur le désarroi des enfants, pris dans le feu des tourments des adultes. Ce n'est jamais facile, il y a beaucoup de maladresse et de tristesse, mais heureusement la vie offre aussi la possibilité de rebondir et de croire en des lendemains plus jolis.
L'histoire d'Aimée est celle d'une petite fille qui a grandi dans un foyer, parce qu'elle n'a plus de parents. Elle a été abandonnée quelques jours après sa naissance, avec juste un petit mot où était inscrit son prénom. Aimée s'est construit un petit cocon avec ses soeurs d'adoption, mais elle n'a jamais osé avouer que le manque de maman était de plus en plus pesant. C'est en voyant sa copine Clémence qu'elle a compris ce que signifiait l'amour d'une mère, et en cachette Aimée s'est inventé une maman de papier. Au foyer, les filles pensent que c'est un mot d'amour de Medhi. Medhi et ses sanglots qui mangent tous ses mots. Medhi avec un sac de problèmes qui pèse une tonne et un coeur aussi grand que le haut du ciel. Et même si Aimée est méfiante vis-à-vis de l'amour, elle n'est pas insensible au regard doux et triste de Medhi, à ses yeux lourds comme l'amour, à sa lettre avec des ratures et plein de fautes d'orthographe... Et puis, il suffit d'un baiser sur la joue pour faire naître un sourire sur le visage du garçon, c'est dire le potentiel d'Aimée à donner du bonheur. Pourquoi ne pas aller plus loin, alors ? Et croire enfin qu'elle aussi peut faire des trucs bien dans sa vie.
-) Ce petit roman fait bougrement du bien, même si le sujet n'est pas gai et encore moins joyeux, il échappe toutefois à paraître sinistre ou démoralisant, et c'est ça que j'aime dans cette collection, la volonté de ne jamais baisser les bras, d'admettre que la vie n'est pas rose tous les jours mais que ça ne veut pas dire qu'il faut cesser d'y croire. Une vie sans parents, par exemple, c'est ce qu'il y a de plus douloureux pour un enfant. Et la petite Aimée est drôlement attachante à sa façon, parce qu'elle est aussi à fleur de peau, elle passe son temps à observer le monde, à se poser des questions, à avoir des envies, à avoir peur de les vivre ou de simplement les ressentir... La magie d'un livre, c'est donc d'offrir des rêves et des ailes dans le dos, de vous chambouler la tête et le coeur avec toutes ces belles idées. Je crois qu'on n'en a jamais en trop !
L'invention des parents, par Agnès de Lestrade - illustrations de Lucie Albon (Rouergue, coll. ZigZag, 2012)
Angora
Encore une tournée de petites lectures, pour le plaisir de vivre des rêves qui pincent le coeur et nous font comme des papillons dans le ventre. Ceux qui nous feraient courir à l'autre bout de la Terre même sous la pluie, même sous la neige ou le soleil brûlant. Marika ne rêve pas d'aller à la mer (voyage offert par le Secours Populaire) mais elle rêve de galoper sur un pur-sang arabe. C'est un rêve inaccessible parce que cela représente beaucoup trop d'argent, et ses parents, comme tous ceux de la cité des Muguets, ne roulent pas sur l'or. Alors, ce sera une journée à la plage en compagnie de sa meilleure amie Sofia. Et quelle journée ! Les filles vont s'amuser, barboter dans l'eau, faire des batailles de sable, découvrir le talent caché de Christian... Voilà une lecture qui donne du baume au coeur, et du rose aux joues. Et des étoiles dans les yeux ! C'est important d'avoir des rêves et de s'y attacher très fort (on ne sait jamais). Très beau texte d'Agnès de Lestrade, avec des illustrations au poil de Nathalie Choux.
Après le temps des rêves, le temps de rire. Janin s'interroge sur son identité, à savoir s'il est bien le fils de son père. C'est suite à la réflexion de l'épicier italien qu'il s'est mis à douter, en se regardant dans le miroir. Autant il est blond comme les blés, autant son père est brun, très brun, avec une fossette au menton, la marque de fabrique, comme il dit, même le petit frère en a hérité et pas lui ! Janin est un garçon à l'imagination débordante, il va d'abord croire que ses parents ont été le choisir dans un supermarché de nourrissons, au prix de cinquante-cinq euros le kilo. Cela va lui coller une fièvre phénoménale et le droit de rester à la maison le lendemain. L'occasion de se rendre au Monoprix, d'acheter une coloration pour cheveux, de rentrer ni vu ni connu chez lui, et le soir dans la salle de bains, il passe à l'action. Alors, là, c'est vraiment le moment le plus drôle du roman. J'ai ri, mais qu'est-ce que j'ai ri ! C'est un petit livre très attachant, qui fait dire aux enfants qu'on doit ressembler goutte pour goutte à ses parents, sinon c'est inquiétant. Cette introspection est vécue avec tout le charme et la folie de l'imagination débordante du jeune héros. Les illustrations de Gabriel Gay sont très expressives et ont su plus d'une fois m'enchanter.
Ce n'est pas nouveau de lire des romans où les enfants s'interrogent sur qui ils sont, où ils vont, à quoi ils ressemblent, etc. Raphaëlle, neuf ans et des pépettes, est confrontée à un corps qu'elle ne comprend plus. Tout fout le camp : des poils par ci, des seins par là... mais à quoi elle ressemble ? A une créature monstrueuse, pense-t-elle. A moitié fille, à moitié garçon ? Ne supportant plus son image, Raphaëlle se camoufle sous des piles de vêtements, qu'on lui fiche la paix ! Perdue dans la galaxie entre deux planètes inconnues, elle est à la recherche de ses semblables et, allez savoir pourquoi, son vaisseau ne répond plus... Tellement vrai et juste, ce texte de Charlotte Moudlic fait dans la simplicité et parle de la préadolescence avec tendresse. Et tant mieux, j'ai envie de souligner, c'est un passage qu'on oublie trop souvent de raconter ou de mettre en mots, pourtant ça aiderait les petites demoiselles !
On termine sur une note d'émotion avec le très, très beau texte de Thierry Lenain : l'histoire d'une rencontre entre une jeune fille, très proche de son père, et d'un bébé abandonné à l'autre bout du monde. Marion prend très à coeur sa mission à l'orphelinat, aussi elle se sent insultée lorsqu'une infirmière lui reproche de trop s'attacher au bébé, en lui donnant goût au bonheur, aux petites attentions... C'est une remise en question, où l'on se demande si l'on peut faire du mal en croyant faire du bien, et on découvre aussi que c'est un formidable apprentissage pour Marion, qui vient de son pays doré, qui aime et est aimée en retour et qui réalise ainsi que c'est un luxe. Qu'est-ce que j'ai aimé cette façon de tout raconter à travers le regard du papa ! Très beau, très touchant. Qui fait réfléchir, pleurer et sourire aussi.
Toutes les références :
- Tout le monde veut voir la mer, par Agnès de Lestrade (illustrations de Nathalie Choux) - Rouergue, coll. Zig Zag, 2011
- Ma tête à moi, par Xavier-Laurent Petit (illustrations de Gabriel Gay) - Mouche de l'Ecole des Loisirs, 2011
- Presque ado, par Charlotte Moundlic - Ed. Thierry Magnier, coll. Petite poche, 2011
- Lali l'Orpheline, par Thierry Lenain (illustré par Olivier Balez) - Oskar éditeur, coll. Trimestre, 2011
Pêle-mêle Clarabel #32
C'était notre découverte d'un soir, Le bébé tombé du train par Jo Hoestlandt & illustré par Andrée Prigent.
J'ai été ravie par cette lecture, en fait ! C'est l'histoire d'un vieil homme seul, Anatole, dont la maison se situe près d'une voie ferrée. Il est coutume qu'il retrouve toutes sortes de choses dans son jardin, comme des lettres ou une brosse à cheveux, le genre de détails auxquels il a fini par ne plus prêter attention... jusqu'au jour où il découvre avec étonnement un bébé, un vrai bébé qui rampait dans les herbes. Aussitôt Anatole décide de l'adopter et prend soin de l'enfant ; commence alors une belle relation entre le vieil homme et le petit Virgile. Le temps passe, on toque à sa porte mais Anatole rembarre les gendarmes, mais pas cette jeune femme qui se présente à lui. Je me suis laissée porter par l'histoire, n'ayant rien deviner malgré les indices, et la fin a été un beau cadeau que j'ai déballé avec ravissement. J'aime définitivement cette collection (Trimestre, chez Oskar jeunesse) où la voix d'un auteur devient complice du talent d'un illustrateur pour un plaisir de lecture garanti.
Nous avons également lu le dernier roman d'Agnès de Lestrade, Le jour où j'ai abandonné mes parents.
Karla-Madeleine n'a pas seulement un prénom impossible à porter, elle a aussi des parents insupportables, tellement différents l'un de l'autre qu'ils passent leur temps à se chamailler. Et quand arrive un gros souci domestique dans la maison, pendant les vacances, et qu'il leur faut donc plier bagages pour aller au camping, Karla-Madeleine ne va plus vouloir supporter les querelles entre ses parents et va choisir de vagabonder entre les allées. Elle y fera une bien étrange rencontre ! Ceci l'amènera à mettre son grain de sel dans les relations conflictuelles de ses parents, en réalisant qu'il existe bel et bien de la tendresse et un amour fou entre eux, puis elle voudra raccomoder ses parents avec leurs familles respectives à l'occasion d'un évènement inattendu. L'histoire doit son rythme enjoué et agréable à son héroïne pétillante, car c'est drôle et facile à lire, même si j'ai trouvé la première partie plus avenante (les situations finales me semblaient trop téléphonées). Très sympa et idéal pour les vacances ! (Rouergue, coll. Dacodac, 2011).
Lu aussi La mensongite galopante d'André Bouchard.
Voilà une lecture particulièrement loufoque ! Adrien a besoin d'attirer l'attention de ses copains et s'invente donc un oncle imaginaire, Honoré Aubenard, milliardaire après avoir déterré un poireau, soldat de Napoléon et portant désormais un oeil de verre en diamant. Aussi, quelle surprise pour lui lorsqu'il croise dans la rue cet homme pour de vrai et lorsque celui-ci prétend que Adrien est en toc ! L'oncle fait alors tout pour prouver qu'il a raison, convoque même Napoléon pour une partie de cartes avec les parents d'Adrien, fait des merveilles auprès des copains en les invitant à bord de son hélicoptère personnel. Bref, c'est un cas grave de mensongite galopante (une maladie contagieuse qui fait qu'on ne peut pas s'arrêter de mentir) ! C'est d'ailleurs une surenchère perpétuelle entre Adrien et cet oncle imaginaire-qui-existerait-pour-de-vrai, car tous deux, en fin de compte, apprécient d'être la vedette et n'aiment pas qu'on la leur prenne ! Chaque nouvelle page tournée promet un mensonge encore plus dingue et délirant, c'est un texte rigolo, qui montre surtout le bon côté du mensonge (et ses conséquences démentielles) parce que cela ouvre la porte à la folle du logis, et le jeune lecteur appréciera probablement. (Gallimard jeunesse, 2011)
Pêle-mêle Clarabel #30
Lu et aimé Le Paris de Léon par Barroux.
Léon est chauffeur de taxi depuis toujours. Il connaît Paris sur le bout des doigts, il pourrait même conduire les yeux fermés. Et jamais, jamais un seul pépin. Sa voiture jaune est son alliée la plus fidèle et il lui rend bien son amour. Il a vu aussi défiler toutes sortes de clients, a répondu à toutes les attentes, a entendu toutes sortes de confessions. Vraiment, Léon a le sentiment du devoir accompli avec fierté et bonheur. Aujourd'hui il a choisi de prendre sa retraite pour, à son tour, découvrir le monde sur les flots.
Les couleurs de l'album sont superbes (et toujours ce jaune du taxi qui tape à l'oeil). Chaque petit détail compte, les rues de Paris défilent, collent malicieusement à la clientèle (la momie et la pyramide du Louvre), même le texte y va de sa facétie en comptant fleurette à madame la poésie. Tout ça pour dire que c'est chaleureux, coloré et éclatant. (Actes Sud junior, 2011)
Découvert Qui veut aller à Hollywood ? de Nurit Zarchi, illustré par Batia Kolton.
Malika Murdoch rêve d'être une star à Hollywood. C'est d'ailleurs très important pour elle de porter les mêmes initiales pour son prénom et son nom, voire même d'en avoir trois comme son chien, Marilyn Monroe Murdoch. En fait, c'est elle la véritable star de l'histoire mais Malika l'ignore. Elle sera même la dernière au courant lorsque sa petite chienne gagnera la finale d'une émission télé et s'embarquera à bord d'une limousine rose pour Hollywood ! Elle recevra des petites cartes postales, non signées, que seule Malika parviendra à décoder (la faute aux yeux trop maquillés de sa mère et de la mauvaise vue sans lunettes de son père). Elle est donc convaincue que c'est sa petite chienne qui lui adresse des messages subliminaux et qu'elle fera des merveilles, prochainement, à la télévision. C'est bien simple, elle sera même la seule à l'avoir vue faire son show en direct (alors qu'ils sont nombreux à s'être lassés du tohu-bohu !). Du rêve à la réalité, cela ne tient qu'à un fil...
C'est un petit texte cocasse et accessible aux plus jeunes lecteurs (collection Benjamin chez actes sud junior !). Il se moque gentiment des dérives de la course à la célébrité et de ce fantasme débridé d'être une star. Pour ma part j'ai surtout apprécié les illustrations de Batia Kolton, véritable découverte, dont le charme rétro et la fraîcheur me ravissent totalement !
Et pour célébrer la belle saison dont se pare ce joli mois d'avril, voici Le chapeau de Philibert d'Agnès de Lestrade & illustré par David Merveille.
Philibert est un homme fantaisiste. Il va bouleverser la tranquillité de son quartier en faisant apparaître, sous le bitume et les pots d'échappement des voitures, du gazon, des fleurs, des cerises, des rivières et des oiseaux, bref un jardin magnifique pour qui souhaite bousculer le train-train et l'ordinaire de la vie. Le chapeau de Philibert est, sans aucun doute, un hymne à la folie douce !
(Rouergue, 2011)
Lecture du soir #1
Je suis allongée depuis à peine cinq minutes que se pointe un garçon des CEP : classes des enfants précoces, rebaptisées par nous "classes des bouffons". Je fais mine de dormir parce qu'il est hors de question que je lui donne le moindre espoir de sympathiser avec moi.
J'entends le deuxième lit qui grince et je sens une odeur qui couvre celle d'eau de Javel de l'infirmerie. Et pour couvrir l'eau de Javel, il faut mettre le paquet.
En l'occurence, le paquet, ce sont ses chaussettes.
- T'as quoi exactement ? me demande-t-il.
Cet enfant précoce est peut-être un festival de neurones à lui tout seul, mais côté physique, ça laisse à désirer. Petit, gringalet, boutonneux et chaussettes pourries en prime, il coche toutes les cases. J'ai pas franchement envie de lui faire la conversation, alors histoire de m'en débarrasser une bonne fois pour toutes, je lance :
- J'ai un indien dans le jardin.
Evidemment, je m'attends à ce qu'il ouvre des yeux ronds comme des billes. A la place, il s'agite sur son lit, ce qui fait remonter l'odeur de ses chaussettes jusqu'à mon nez, et il déclare :
- C'est drôle, parce que moi, j'ai une grenouille affamée dans la tête ! Elle saute, elle saute jusqu'à ce que je lui trouve un truc à manger ! Et j'te jure sur la vie de ma mère que c'est épuisant !
C'est pile à ce moment-là que je découvre ses yeux d'un vert gazon. Des yeux tellement incroyables qu'ils pourraient me faire oublier la guirlande de boutons qui clignotent tout autour.
- La prochaine fois que tu verras ton Indien, compte les plumes sur sa tête. Chaque plume représente une épreuve remportée haut la main, comme tuer un bison, communiquer avec les esprits. Alors si ton Indien est tout déplumé, c'est que c'est un naze.
Puis il enchaîne en me disant qu'il s'appelle Youssef et qu'il est une sorte d'Indien avec son QI gros comme un oeuf de pintade qui l'encombre au moins autant que des plumes sur la tête.
extrait de : Un indien dans mon jardin, d'Agnès de Lestrade
Ce petit roman est génial, très drôle, il raconte l'histoire farfelue d'un homme - le papa de Mia - qui se réveille un matin en se prenant pour un Indien. En fait le problème est plus profond et la conséquence de vieilles plaies mal cicatrisées. Quand il était plus jeune, le papa de Mia a vécu quelques mois dans une réserve de la tribu walla-walla aux Etats-Unis, et ce après la mort de ses parents. Les années ont passé, il n'a jamais pu oublier sa tribu et constate aussi qu'il n'a pas totalement fait son deuil. Il a donc besoin de chercher un signe, au coeur du cercle magique, afin de boucler la boucle (soulager sa conscience, en somme). Cela perturbe toute la famille, la vie sera chamboulée pendant un mois, pas de souci, chacun y mettra du sien, quitte à trouver des excuses bidons pour écarter les copains et les voisins trop curieux. Même tatie Ronchon, qui n'est pas née de la dernière pluie, rendra un grand service à tous en dévoilant sa moitié que personne n'avait jamais vue.
Ce petit roman est absolument charmant et étonnant car, sous l'humour, il vous raconte des tas de choses : Parfois, même les mots, ça fait trop mal. Ou parfois les signes sont juste sous nos yeux, il suffit de savoir les regarder.
C'est une jolie lecture qui parle des angoisses des parents vues à travers le jugement (ou l'inquiétude) des enfants, des signes qui surgissent sans crier gare (un bouquet de fleurs dans les bras, des yeux vert gazon), du soutien familial, de tendresse et d'espoir. Et en prime une nouvelle expression pour dire un truc bizarre : Y'a un Indien dans le jardin !
Dacodac du Rouergue (2010) - 57 pages - 6€
ArtO et la FéE des liVRes
Vous aimez les livres qui parlent de livres ? les histoires sur l'amour des livres ? A l'instar de Sophie et le relieur par Hideko Ise, un album terriblement élégant et gracieux, Arto et la Fée des livres se révèle plus poétique et rêveur. En commun, on parle du métier de relier les livres. En commun, bien évidemment, nous pénétrons un univers enchanteur qui met à l'honneur un métier rare, précieux et paré de pouvoirs magiques.
Tara la petite relieuse raccommode les phrases, réconcilie les mots et recoud les pensées.
Chez elle, ça sent le cuir et la poussière, le papier, le carton et le thé aux amandes grillées.
Un jour, le jeune Arto se présente chez Tara en lui tendant un album en cuir rouge, usé et effiloché. Et l'enfant espère que les doigts de fée de la relieuse permettront aussi de raccommoder ses parents (qui se disputent sans cesse).
Laissez-vous conter une histoire merveilleuse, pleine de douceur et de poésie, où l'on palpe le papier et le tissu, où l'on sent la colle et le thé, où l'on discute du passé, de ses souvenirs et des parents, où l'on apprend ce que signifie la patience, où le temps devient aussi un compagnon. Et où l'on pose un baiser sur la joue et où l'on sourit, et son sourire est un soleil. C'est beau, tout simplement. Les illustrations sont parées de couleurs chaudes, à travers lesquelles beaucoup de charme et d'amour se dégagent.
Un joli coup de coeur.
Arto et la fée des livres ~ Agnès de Lestrade
illustrations d'Olivier Latyk
éditions Milan (2010) - 12€
Moi, dans la vie, je crois qu'on peut être vieux dans ses habits et encore tout neuf dans sa tête.
La maman d'Angèle est hospitalisée en urgence car, enceinte de six mois, elle sent son bébé manifester quelques signes de mécontentement. Le papa doit partir au boulot et ne peut pas s'occuper de sa grande fille. Du coup, elle est envoyée en vacances chez Mamia à la campagne. Angèle est folle de joie ! Sa grand-mère a été une brillante comédienne pleine de gaieté et de fantaisie. Désormais, elle coule une retraite paisible dans sa maison entourée de fleurs et d'arbres fruitiers, près d'un lac. Un petit paradis terrestre. Le séjour se déroule à merveille et Angèle oublie d'être tristounette, même si elle pense très souvent à sa maman et à son futur petit frère. Malgré tout, au fil des jours, Mamia n'a pas l'air dans son assiette. Sont-ce les nouveaux cheveux blancs dans sa coiffure ? Ou son air rêveur et égaré ? Angèle se fait du souci. Sa grand-mère souffre d'une maladie des mots qui s'envolent. Une maladie qui lui fait perdre la tête. La petite fille se retient d'être trop inquiète, jusqu'à cette fameuse promenade dans la montagne, à bout de souffle et sans but précis, il est temps d'aider Mamia.
Pardon, Angèle. Mais parfois je m'absente, murmure-t-elle.
Puis elle m'explique que les mots qui s'envolent sont parfois une maladie. Que c'est cruel d'être malade des mots quand on a vécu grâce à eux toute sa vie. Elle me dit qu'elle est fière de m'avoir connue quand elle n'avait pas encore de trous dans la tête et que ce ne serait pas pareil pour mon petit frère. Alors je lui réponds doucement en caressant ses cheveux blancs. Je lui dis que moi, je lui raconterai, au petit frère, la Mamia d'avant. Celle du lac, des pièces de théâtre, des parties de crapette et même de la soupe aux cerises vertes. Je dis aussi que, pour les mots, on l'aidera à les retenir et à les garder longtemps longtemps. Et que pour moi, elle sera toujours Mamia. Qu'elle ressemblera pour toujours aux fleurs qui ne parlent pas mais qui savent tout.
Le câlin de paix a duré jusqu'au coucher du soleil. Je ne voulais plus qu'il s'arrête parce que je savais bien qu'après, plus rien ne serait pareil.
Avant de partir, Mamia m'a entraîné sous un gros noyer :
- Tu vois, ces petites pousses pas mûres, eh bien c'est du muguet. C'est ton grand-père qui l'a planté pour moi. Pour que l'odeur me fasse toujours penser à lui. Tu sais, mon petit chat, je n'ai pas besoin de l'odeur du muguet pour penser à lui.
Du bout des doigts, j'ai caressé les tiges vertes et j'ai compris que l'amour habitait ailleurs que dans la mémoire.
Agnès de Lestrade évoque en douceur la maladie d'Alzheimer avec un regard enfantin, qui respire la fraîcheur mais ne tombe jamais dans la niaiserie. En toute légèreté mais avec sérieux, donc. A aucun moment la maladie et ses conséquences ne sont sous-estimées. Comme Angèle, on s'interroge, on doute et on s'inquiète. En même temps, le bonheur des vacances fait résonner une mélodie rassurante, le confort de vie est éclatant, on se sent bien, on chasse les idées noires. C'est une juste balance entre la drôlerie et la franche inquiétude. Encore un joli roman zigZag.
Mon coeur n'oublie jamais ~ Agnès de Lestrade / illustrations de Violaine Marlange
Rouergue, coll. zigZag, 2010 - 112 pages - 6,50€
Préparer Noël #8
Les souliers de Jacob ~ Agnès de Lestrade
illustrations de Tom Schamp
Jacob est un coordonnier hors du commun, c'est un magicien de la chaussure, il taille, pique, coupe, sculpte, cloue le bois, le cuir et le caoutchouc. Dans sa boutique, on trouve forcément chaussure à son pied ! Un jour, une jolie rousse se prénommant Margot se présente et lui demande une paire de chaussures pour faire le premier pas. Le coeur de Jacob s'affole et ses ennuis commencent. Pour la première fois, le coordonnier peine à dessiner LES souliers de rêve. Son monde s'effronde, comment va réagir la belle ? Au début, elle sera dépitée... et puis, fixant Jacob de ses grands yeux clairs, son regard fera gling gling, bang bang, clap clap.
C'est un merveilleux album, riche en illustrations et en expressions qui jouent avec les mots et donnent le sourire. On connaît le proverbe : « Les cordonniers sont les plus mal chaussés » et Jacob est un coeur à prendre. Il sait contenter les timides, les poètes, les étourdis, les gourmands, les impatients, il leur sert les chaussures qui ne reculent devant rien, celles qui prennent le mot au pied de la lettre, les souliers pour garder les pieds sur Terre, les chaussures qui mettent les pieds dans le plat, celles qui font les cent pas....
Vraiment riche et savoureux, cet album est aussi ravissant par sa palette de couleurs (chaudes, douces, réconfortantes) avec une explosion des détails (l'atelier du coordonnier, la rue, ce qu'on peut voir par les fenêtres, aussi, de l'intérieur ou l'extérieur).
J'ai beaucoup aimé !
Sarbacane, 14,90€
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Au bout des rails ~ Manuela Salvi
illustrations de Maurizio A. C. Quarello
Monsieur Victor est le conducteur d'un train aussi beau qu'une voiture de course. Les voyages avec lui se passent toujours sans souci. La contrôleuse, Magda, le certifie. C'était à craindre que le ciel sans nuages allait se couvrir. Cette fois-là, parmi la joyeuse pagaille (une castafiore qui chante pour payer son billet, un contortionniste qui refuse de s'installer sur son siège et un représentant en pots de peinture), le train fait halte en rase campagne. Victor n'en croit pas ses yeux : il n'y a plus de rails ! Impossible de poursuivre le voyage.
Magda et lui décident alors de tracer eux-même les rails, avec deux pinceaux et de la peinture. Or, leur chemin aussi se sépare car ils ne sont pas d'accord sur la destination à suivre. Victor trace droit devant lui et il va finir par décoller du sol. Entre ciel et mer, à dos de cheval ou sur un vélo, en deltaplane ou en sous-marin, Victor va voir du pays, s'affranchir des limites et sortir des rails.
Dernières escale : Paris, la tour Eiffel. A son sommet, ce sera une autre rencontre qui attend notre conducteur de train, qui s'en remettra alors au destin pour décider le chemin à suivre !
Fabuleux.
Comme souvent, j'adore la réunion des talents que sont Manuela Salvi et Maurizio A. C. Quarello. L'histoire est singulière, pétillante, décoiffante. Les illustrations, belles à couper le souffle, proposent un monde qui n'existe plus et dont le charme rétro me séduit instantanément.
Je vous le recommande chaudement !
Sarbacane, 14,90€
Au gré de mes balades musicales, j'ai même découvert une chanson de Joe Dassin (!) dont voici un extrait des paroles qui collent parfaitement avec notre histoire...
Tous les deux, on se ressemble
On a besoin de bouger
De temps en temps
Contre le vent
De changer de gens
De prendre le temps
Si on veut le refaire le monde
Viens, là-bas au bout des rails
Jusqu'à ce que le train s'arrête
Viens, il faut que l'on s'en aille
Il faut le faire ce fameux voyage
:))
« à quoi ça sert de courir ? je ne suis pas pressée, moi »
de Karin Serres
illustrations d'Anne-Charlotte Gautier
Rouergue, coll. Zig Zag, 2009
90 pages - 6€
« Quand je me réveille, il fait encore nuit. On est en hiver. Qu'est-ce qui me réveille tous les matins, comme ça ? Un bruit ? J'ai trop chaud ou trop froid ? Une fois réveillée, je ne me rendors jamais. Alors je reste cinq minutes sous ma couette pour finir mon rêve, puis j'enfile un pull et je vais dans la cuisine me faire du thé. Assise dans le noir, j'écoute les chevaux de l'eau chaude galoper dans la bouilloire. Je verse l'eau sur un sachet, j'emporte la tasse fumante dans le bureau de ma mère et je dessine en attendant le petit déjeuner. »
Joli coup de coeur pour ce petit roman, admirablement écrit, d'une plume sensible et délicate. C'est l'histoire d'une fillette, Rose, qui se trouve les cuisses trop enrobées. Elle passe son temps à rêver et réfléchir, sur la vie qui est pleine de mystères. Tous les matins, elle écoute le pas de course de sa voisine, la fille aux cheveux rouges, Chloé, et elle se demande pourquoi elle court. Son papa pompier aussi fait son footing tous les matins, et un garçon de la classe, Kevin, le crâneur, s'entraîne pour devenir un pro de la compèt'. Mais quel plaisir à courir ? Sur le chemin de l'école, Rose laisse son imagination vagabonder, parfois elle croise le chien de personne, avec qui elle communique par télépathie. C'est une rêveuse, une contemplatrice... elle a une imagination débordante (elle rêve de crocodiles qui deviennent des loup-garous la nuit tombée), elle dessine beaucoup, elle est plutôt atypique, et attachante, bref elle est vraiment mignonne, cette petite fille !
Découvrir son monde intérieur, tout en réflexion et en rêveries, est un vrai bonheur. Et les illustrations d'Anne-Charlotte Gautier sont délicieuses. Je recommande vivement !
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d'Agnès de Lestrade
illustrations de Charlotte des Ligneris
Rouergue, coll. Zig Zag, 2009
112 pages - 6,50€
Parfois la vie, c'est lourd comme un camion de deux tonnes, ou léger comme le vol d'un hérisson. Le papa d'Eugénie vient de perdre son travail, il est au chômage. Au début il est plutôt content d'avoir du temps libre et il bricole à la maison. Un jour, il rentre de l'anpe déprimé et usé. Il a cinquante ans, il se sent trop vieux. Alors il ne fait plus rien, il ne se lave plus, il traîne devant la télévision, il ne prépare plus à manger. Il a même laissé tomber la cabane en bois qu'il construisait dans le noyer, pour sa fille. Eugénie se sent triste, impuissante et honteuse, à l'école elle n'ose pas en parler à ses amis. C'est alors que sa maîtresse leur fait part d'un concours, autour d'un objet volant. Ce serait bien si un parent pouvait les aider... Tiens, serait-ce l'occasion idéale pour permettre à son papa de remettre le pied à l'étrier, et de lui redonner des ailes. Pourquoi pas ?
« Nous, les enfants, on ne comprend pas tout. Mais on sent très bien ce qu'il y a à l'intérieur des gens. On est comme de grosses éponges qui absorbent ce qui ne se voit pas. Moi, j'ai tout de suite senti que papa essayait juste de ne pas se noyer. »
Un texte sensible, qui colle au climat actuel. Vu par le regard de la petite fille, ce portrait de papa au chômage est émouvant et juste. On voit le papa confiant, puis dégringoler et enfin reprendre goût à la vie. Ce n'est pas une histoire morose pour autant, car on partage les sentiments de l'enfant qui veut se battre. Eugénie se trouve à l'école comme dans une bulle, ça lui permet de souffler un peu, à la maison le silence est pesant, les repas sont avalés sans goût... A la fin, c'est un message d'espoir et de bonheur qui en ressort. Tant mieux.
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