26/01/10

Le baby-sitter ~ Jean-Philippe Blondel

le_baby_sitterJe n'avais pas très envie de parler du dernier roman de Jean-Philippe Blondel. Je l'ai lu, j'ai aimé. Je n'avais pas plus d'avis que ce qui a déjà été dit sur d'autres blogs, je pense. (J'ai zappé tous les messages avant de m'y plonger, de peur d'être influencée.) Alors, pour ceux qui ne connaîtraient pas, voici donc cette petite bafouille.
L'histoire est simplissime : Alex, étudiant sans le sou, devient baby-sitter et psychanalyste sur commande. C'est incroyable cette connivence qu'il crée avec chaque personne qu'il rencontre - la boulangère, le père dépressif, les enfants, la jolie Marion, sa propre mère, avec laquelle les rapports sont loin d'être conventionnels. Dans le fond, j'ai eu du mal à gober toute l'histoire, de croire que ce garçon sorti de nulle part allait pouvoir résoudre les problèmes d'inconnus, s'immiscer dans leur vie comme s'il y avait toujours appartenu, être l'oreille grande ouverte, l'âme compatissante, le donneur de bons conseils, forcément, alors que lui-même patauge dans sa propre existence, bon, bref. C'était assez hallucinant à croire. Et puis je n'ai pas su aimer le personnage d'Alex, même s'il a pour lui d'aimer The Last Shadow Puppets et lire des romans, j'ai trouvé qu'il était mou, trop gentil, passif et souvent à côté de la plaque. Son histoire de baby-sitting, disons-le, est tirée par les cheveux. Je ne reviens pas là-dessus, et je sais que c'est un roman, donc une histoire inventée, imaginée, folle, délirante, blablabla. Je sais, je sais, le baby-sitting sert à raconter une histoire - ce que l'auteur sait très bien faire - et donc à montrer un bout de vie avec des gens aux bras cassés qui vont s'entraider et se serrer les coudes. C'est tout à fait un roman dans la veine des Ensemble, c'est tout. Sauf que, dans ce registre, j'avais trouvé JP Blondel meilleur avec son livre,  Au rebond.
C'est un roman qui se veut, comme le souligne l'éditeur, extrêmement positif et sensible. Je suis d'accord. Ce roman caresse dans le sens du poil, cela fait du bien aussi dans une époque où on cherche absolument à exister (ou briller) à travers le cynisme.
Ce que j'attends de JP Blondel, maintenant, c'est une saison 2 de Juke-Box. S'il te plaît, s'il te plaît.

1er roman de l'auteur publié chez Buchet Chastel, 2010 - 304 pages - 19€

pour toi, Alex... ;o)

And it's solid as a rock rolling down a hill
The fact is that it probably will hit something
On the hazardous terrain

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04/01/10

Le camion blanc ~ Julie Resa

Une pensée pour Lhasa ...

Tout lui échappait.
Son corps, bizarrement flasque et strié depuis l'accouchement. Toujours fatigué, toujours affamé.
Son esprit qui se farcissait n'importe quoi au lieu de se libérer, de se vider.
Sa vie qui tournait en rond depuis qu'elle avait choisi de prendre un tournant.
Et ce camion qui l'obnubilait, se moquait d'elle.

C'est l'histoire d'un affrontement entre une femme, jeune maman qui se rend constamment sur la tombe de sa mère, décédée dix ans trop tôt dit-elle, et un camion blanc, stationné impunément devant la belle maison de son père, dans un quartier chic et résidentiel, un havre de paix qui va progressivement devenir un enfer pour la narratrice.

L'affrontement est muet, insolent, de la résistance passive puis du dur, du violent, de la sournoiserie. La jeune femme a choisi de cristalliser sur ce camion blanc et son propriétaire ses propres refoulements, ses relents de haine, sa frustration, sa fatigue, son dégoût de la vie. De sa vie.

En seulement 90 pages, le face-à-face est pathétique, drôle, mesquin, abusif. On sait que cet acharnement cache autre chose, chez cette femme lessivée par sa non-existence il y a aussi ce deuil mal cicatrisé, cette absence de la maman qui repose au cimetière. Et le bébé qui braille, la maternité pas bien assumée, le père qui devient le dernier rempart où se refugier pour trouver un dernier semblant de l'enfance...

le_camion_blancCe petit roman en dit plus qu'il ne paraît et j'ai purement apprécié sa brièveté, sa finesse, sa tonalité et sa narratrice désabusée et insupportable.
Un petit roman qui mériterait d'être découvert.

Buchet Chastel, 2010 - 90 pages - 10€

> également lu par keisha 

en librairie le 14 janvier 2010

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27/06/09

Miel et vin ~ Myriam Chirousse

Empoignant son édredon, Judith le serra si fort dans ses bras qu'il lui sembla que Charles était encore là, dans la tiédeur des draps, contre sa peau, au bout de ses ongles... Emergeant du sommeil comme un noyé refait surface, elle sentit croître en elle une douleur diffuse, comme si sa peau lui faisait mal, comme si ses yeux lui faisaient mal, comme si respirer  et sentir son coeur battre lui faisaient mal aussi. C'était une douleur indéfinissable tapie avec elle dans les limbes de la nuit, une vieille souffrance endormie depuis longtemps, un manque atroce, un arrachement, le mal des amputés qui n'ont plus que la moitié d'eux-mêmes pour aller par le monde et ressentent jour et nuit le néant de la part manquante... Elle se recroquevilla. Dans la confusion du réveil, elle le pressentit dès cet instant : plus rien ne serait comme avant.

miel_et_vin

Premier roman, certes... mais quel talent ! Nous sommes dans le Périgord, en 1773, lorsque Guillaume de Salerac, génial inventeur loufoque, découvre une petite fille dans les bois. Elle sera recueillie par sa soeur, Louison, et adoptée sous le nom de Judith de Monterlant. Ignorant tout de son passé, la demoiselle reçoit une éducation de jeune fille appliquée mais son caractère impétueux et frondeur la distingue de son rang. Judith a le goût de l'espace, de la liberté. S'échappant de la vigilance des adultes, elle s'envole à bord de l'aérostat de son oncle alors qu'elle n'est qu'une gamine et rencontre chez un voisin celui qui lui fera battre son coeur et perdre tout bon sens dans les années à venir. Charles de l'Eperai, héritier en titre, est également connu pour être un enfant maudit et un bâtard. Il a le coeur dur, le regard froid et le diable dans le ventre. Lorsque le couple se croise à nouveau, lors du mariage de la soeur de Judith, l'attirance est évidente, la passion palpable. Et pourtant, il faudra attendre la fin de l'été pour assouvir cette soif et cette faim qui les poussent l'un vers l'autre.

C'est effectivement un grand roman sentimental et historique. Nous sommes en 1788, le peuple français est mécontent, les états généraux sont réunis. Judith a rejoint Paris avec son mari, mais son histoire avec Charles n'est bien évidemment pas terminée. Car c'est de cette passion que se nourrit l'intrigue et qui rend le lecteur dépendant, au point d'absorber sa lecture en ingurgitant page après page, sans hoqueter. Il en fallait bien - de l'amour, de la flamboyance, des éclats - pour attacher le lecteur à 544 pages, sans susciter de l'ennui. C'est un pari réussi, un roman passionnant, acquis dès les premiers chapitres. Impossible de s'en séparer. Et puis, le soleil aidant, les beaux jours et les vacances s'installant, il devient une prescription incontournable pour tuer le temps. S'il ne fallait en lire qu'un, dans vos bagages, glissez Miel et Vin. Parce que c'est un roman doux et sucré et piquant, gourmand et langoureux, avec des personnages aux destins inextricablement liés, par le secret de leurs origines et par cet amour fou qui les enchaîne. Ce n'est pas un roman mièvre ou trop long, avec des détails inutiles. Le romanesque est présent, très important, et l'amour a un pouvoir magique, troublant, envoûtant. Ce n'est pas du harlequin déguisé, c'est un bon gros roman captivant, qui ne vous lâche plus une fois la première page ouverte. A dévorer !

Buchet Chastel, 2009 - 544 pages - 24,50€

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Invitation à un pique-nique littéraire, en compagnie de Myriam Chirousse, le dimanche 28 juin 2009, dans le bois de Vincennes : confirmer ou non sa participation sur Facebook

14/04/09

L'année brouillard ~ Michelle Richmond

« un petit mystère âgé de six ans, une magnifique réplique féminine de son père »

annee_brouillard

C'est l'histoire d'une petite fille, elle s'appelle Emma, elle marche sur la plage. Abby détourne les yeux, quelques secondes passent. Quand elle regarde de nouveau, l'enfant a disparu. Elle va ressasser inlassablement ce court laps de temps, ne pas en croire ses yeux, filer appeler son fiancé qui est le père de la fillette, avertir la police, courir sur la plage, chercher dans les toilettes publiques, fouiller les poubelles. Aucune trace d'Emma. La police pense à une noyade, Abby est convaincue d'un enlèvement. Jake, lui, est anéanti.
Au fil des jours, des semaines et des mois qui passent, le couple est cassé. Dans le regard de l'homme, brillent la douleur et la rancune muette. Abby ressent tout cela. Aussi, pour combattre le mauvais sort, elle s'accroche à son espoir, force sa mémoire à se rappeler le moindre détail, fait même appel à l'hypnose pour chercher un indice quelconque.

C'est le cauchemar de tout parent raconté avec une minutie stressante mais captivante. C'est très long, le roman est lourd de 500 pages, c'est trop, mais d'un autre côté cela rend compte de l'attente, de l'angoisse, celle de ne pas savoir, de ne pas comprendre.

L'histoire est racontée d'après le vécu de la jeune femme, Abby, qui est photographe de métier. Très vite on sent une grande sensibilité chez elle, à travers son histoire d'amour avec Jake, son enfance et ses rapports avec sa soeur Annabel, de même on la comprend lorsqu'elle s'estime impuissante, incapable, coupable, déconcertée. Elle sait désormais qu'elle représente celle qui a perdu Emma, même si elle va déployer une énergie démentielle pour la retrouver à tout prix, elle ne pourra pas effacer les quelques secondes durant lesquelles elle a détourné son regard de l'enfant. Faute d'inattention, faute impardonnable.
Et puis elle n'est pas la maman d'Emma, juste une pièce rapportée. Est-ce que cela lui ôte davantage de légitimité ? La mère, Lisbeth, est partie depuis trois ans, sans jamais donner de nouvelles. L'enquête aidant, Lisbeth refait son apparition et c'est le choc pour Abby qui comprend que, contrairement à elle, Lisbeth restera, aux yeux de Jake, celle qui lui a donné Emma. Envers et contre tout.

Ce roman réussit l'exploit de soulever toutes les tensions complexes créées par la disparition d'un enfant. Mais qu'est-ce que c'est épuisant à lire, nerveusement ! C'est simple, le lecteur est à cran. Et il faut reconnaître que 500 pages, c'est beaucoup trop. C'est un soulagement d'en voir la fin, d'avoir la solution, même si une nouvelle fois on reste surpris et abasourdi par ce qu'on apprend. Quelques pages plus loin, rebelote, la fin n'en finit pas de finir. Ça manque de punch et de perspective, c'est le brouillard - et ce n'est pas qu'une image !
Pourtant, ne vous méprenez pas, j'ai beaucoup aimé ce roman. Malgré son poids et son nombre de pages, j'ai trouvé qu'il était haletant, parfaitement intraitable avec nos nerfs, mais bougrement scotchant.

Buchet Chastel, 2009 - 512 pages - 25€
traduit de l'anglais (USA) par Sophie Aslanidès

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15/03/09

Vingt fragments d'une jeunesse vorace - Xiaolu Guo

vingt_fragmentsFenfang a dix-sept ans lorsqu'elle quitte sa campagne pour vivre à Pékin asseoir son ambition de vie moderne et devenir actrice. A la place, elle trouve déception et désoeuvrement. Elle ne décroche que des petits boulots, ou fait de la simple figuration, elle loge dans des appartements communautaires, elle est épiée par des voisins qui cohabitent avec des poules, et elle connaît sa première aventure amoureuse avec un type qui aime la sauce de soja et qui a un caractère de jaloux despotique et violent. La mélancolie gagne peu à peu Fenfang, qui a soif de réussite, et forte du soutien de quelques camarades, elle commence à écrire ses propres scripts.

C'est un portrait original sur la jeunesse chinoise qui, de nos jours, se heurte à affirmer son individualisme et son désir de fortune dans une société dressée à penser collectif. Fenfang ne fait pas exception à la règle, elle s'est échappée de sa campagne car elle ne voulait pas finir plouc, mais dans la mégalopole chinoise, elle découve aussi son lot de misères. C'est ainsi que la jeune femme appréhende la notion abstraite de la solitude, et plus le temps passe et plus elle va se sentir démoralisée et abattue. Pourtant le roman ne sombre pas dans la morosité, le spleen n'empiète pas sur la lecture, sans pour autant affirmer qu'il y règne une pleine allégresse.
Xiaolu Guo est brillante, son Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants avait été une révélation, un mélange d'humour et de réflexion sur la complexité culturelle et émotionnelle entre l'orient et l'occident. Ses Vingt fragments d'une jeunesse vorace laissent entrevoir une nouvelle génération pleine de contradictions, à l'image de Fenchang, intelligente et belle, mais qui comprend que son pays ne sait pas ce qu'est le romantisme alors qu'il revendique la communion d'esprit et le culte patriotique. C'est différent, mais intéressant. Et cette fois, la langue est moins tarabiscotée, c'est simple, limpide et évident.

Le mantra du jour : « Le café bien chaud, c'est comme un homme à 37°2. Ça vous donne le courage d'affronter la journée. »

Buchet Chastel, 2009 - 185 pages - 17€
traduit de l'anglais (Chine) par Karine Lalechère

l'avis de cocola

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L'assassinat - Christophe Dufossé

assassinatMe voici bien en peine, car j'ai été déçue par le roman de Christophe Dufossé. Je m'attendais à un semblant de thriller, un roman captivant, bourré de suspense... en fait j'ai eu droit à une fiction politique, un texte court et rapide, où j'ai senti grimper une réaction épidermique à cause du caractère principal. Le personnage du roman, un homme dont on ignore le nom, cela pourrait être monsieur-tout-le-monde donc, est un individu froid, obstiné. Déçu et dégoûté par l'homme qui été élu à la présidence, il a choisi de l'éliminer, au nom de tous les opprimés qui souffrent en silence et qui entendent les discours sans pouvoir lever le petit doigt. L'homme est convaincu de marquer l'Histoire par son geste, il s'identifie également à d'autres criminels comme Lee Harvey Oswald, et il se sent porter par l'assentiment (muet) de l'opinion publique (croit-il). Il est donc en visite au salon de l'agriculture, l'arrivée du président est annoncée pour seize heures tapantes, le compte à rebours a commencé (il est 15 heures, en début de roman). Le type a un colt dans sa poche, et là je me demande comment a-t-il pu entrer dans le salon, lors d'une journée classée à risques, sans avoir été inquiété par les vigiles ?
En fait, je suis plutôt déçue de moi-même parce que j'avais vraiment attendu ce roman avec impatience. Rendez-vous loupé, pour cette fois. Mais ce n'est que partie remise. Je vous conseille aussi de lire les romans de Christophe Dufossé comme L'Heure de la sortie (prix du premier roman 2002), Dévotion ou La Diffamation (celui que j'ai préféré !).
Ce fut un roman court, efficace mais agaçant.

Buchet Chastel, 2009 - 138 pages - 13€

l'avis plus positif de Lily

C'est tout. Je ne me foule pas trop aujourd'hui, désolée. Sur ce, je retourne me plonger dans The Tudors.
Au revoir !

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03/02/09

Le proscrit - Sadie Jones

51_VDhcpUSL__SS500_Elizabeth Aldridge est une jeune femme moderne. Nous sommes à la fin des années 40. Elle aime les blagues d'un goût douteux, elle boit beaucoup, elle déteste se rendre à l'église et fréquenter les autres épouses de cette bonne société du Surrey. A la place, Elizabeth passe son temps libre avec son fils de 7 ans, Lewis, elle préfère flâner, lire ou discuter avec sa cuisinière, Jane. Avec la fin de la guerre, son mari Gilbert rentre au bercail. L'ambiance change. L'homme entend rétablir la hiérarchie dans son foyer, montrer qu'il est le centre d'intérêt et que son fils doit quitter les jupes de sa mère pour le pensionnat. Trois ans passent, Lewis a dix ans. Sa mère et lui sont toujours inséparables, mais un drame va déchirer cet amour. Lors d'un pique-nique au bord de l'eau, Elizabeth se noie sous les yeux de son fils.

C'est un monde qui s'écroule. Gilbert, qui déjà ne s'accordait pas avec Lewis, le tient pour responsable. Un climat lourd de ressentiment règne à la maison. Et puis Alice fait son entrée, lorsqu'elle se marie avec Gilbert Aldridge, moins d'un an après la mort d'Elizabeth. Lewis, proscrit, s'est déjà isolé dans son chagrin. Il ne laisse pas la moindre chance à la jeune femme de le comprendre, et elle-même se sent incapable de faire le moindre effort. Elle est jeune, totalement naïve aussi. Elle renonce donc très vite à être du moindre secours. « Lewis était pour elle pareil à un oiseau blessé. Et les oiseaux blessés finissaient toujours par mourir. »

Lewis va également s'exclure du groupe des enfants avec lequel il avait coutume de passer toutes ses vacances, il est banni pour un acte de violence que tous condamnent, seule la petite Kit Carmichael cherche à le défendre. Elle sait pourquoi il a agi aussi spontanément, pourquoi il a cassé le nez de cet autre garçon, mais ses cris de protestation sonnent dans le vide. Lewis lui-même préfère le silence, il a trouvé « enfin quelque chose qui le soulagerait » en se mettant à boire. Le garçon a quinze ans, la spirale infernale est lancée. Le début du roman a montré Lewis, âgé de dix-neuf ans, en train de sortir de prison après avoir purgé une peine de deux ans pour l'incendie de l'église de Waterford. Son père lui a mandaté une forte somme d'argent, appelant ainsi à ne pas rentrer à la maison, mais Lewis choisit de revenir.

Ce retour met le feu aux poudres. Dans cette petite communauté régie par les apparences et le conformisme, Lewis, par sa simple présence, met le doigt où ça dérange, débusque les secrets honteux, dénonce les drames où la violence familiale a fait son nid. C'est un personnage remarquable, attachant malgré son caractère taciturne, violent et effrayant. Car il reste le petit garçon blessé, témoin du drame qui a coûté la vie de sa maman. Ok, il s'est renfermé, il ne laisse personne l'approcher ni l'aider, il commet d'énormes erreurs. La vie aussi ne lui a fait aucun cadeau. Heureusement, il y a l'émouvante Kit Carmichael, une jeune fille également au coeur de la tourmente. Depuis son enfance, elle s'est accrochée à Lewis, parce qu'il représentait, à ses yeux, l'héroïsme, la résistance, la bravoure, la plaie à vif. Ce n'est pas un secret pour le lecteur que le père de Kit est un homme violent qui bat sa femme, et plus tard sa fille cadette. Mais à Waterford, on se tait. C'est l'après-guerre, il faut reconstruire et recoller les morceaux fragmentés. C'est difficile, car dans les années 50 la bonne société du Surrey s'accroche à l'illusion de valeurs sûres et irréprochables. Et Lewis est contre l'hypocrisie, on le comprend, il en a été la victime malheureuse.

C'est un premier roman étonnant, émotionnellement fort, mais qui ne cherche pas à vous mettre à plat. On sent le climat lourd, le drame, le manque de la maman, la douleur jamais cicatrisée, l'injustice. Il y a une pointe de nostalgie, derrière le récit, qui est poignante. L'histoire est d'ailleurs racontée en flashback, elle se déploie lentement, elle fait grimper la tension, elle répand la tragédie... or, jamais je n'ai ressenti d'oppression ni d'abattement. Le spleen est efficace, les personnages sont complexes, ce n'est pas une histoire gaie, c'est bel et bien un drame humain, mais bon sang c'est limpide, sensible et juste. J'ai beaucoup aimé. 

Buchet Chastel, 2009 - 377 pages - 23€
traduit de l'anglais par Vincent Hugon
 

« Pourquoi ne peux-tu pas t'entendre avec les autres ? Tu te rends compte à quel point tu es impossible ? »   

 

 

 

 

 

Une bande-annonce a été créée spécialement pour la promo du livre.
C'est intéressant, mais attention aux *spoilers* !

http://www.libella.fr/buchet-chastel/auteurs/jones/video/


Booktrailer - "Le Proscrit", premier roman de Sadie Jones
envoyé par editionslibella

Les droits cinématographiques viennent d'être vendus dans la perspective d'un film par John Madden, le réalisateur de Shakespeare in love.

l'avis de Laurence

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22/01/09

Un mètre quatre - Anne de Rancourt

51gO1tVEj5L__SS500_Anne, mais tout le monde dit Nanou, a sept ans. Elle n'est pas très grande pour son âge, 1 mètre quatre sur le mur des tailles, et elle souffre d'une maladie du sang que les médecins n'arrivent pas à diagnostiquer. Mais c'est grave, disent-ils à la famille. Alors Nanou doit être courageuse, aidée par sa tante Alice fantasque et souriante, qui lui confie un grand cahier bleu dans lequel elle pourra écrire toutes les histoires qu'elle veut. C'est le rêve, surtout pour une petite fille qui vient d'apprendre à lire et écrire, et qui aime les livres et le dictionnaire. Elle ne comprend pas tous les mots qu'on emploie autour d'elle, mais elle les enregistre, ou elle improvise à sa façon, en parlant de la firmière, de stage ou de greve. C'est un charabia d'une simplicité bouleversante, mais pas du tout pleurnichard. Nanou est une fillette pleine de courage, qui en a un peu ras-le-bol d'aller à l'hôpital, qui pleure quand elle a mal avec les piqûres ou parce que sa grande soeur lui dit des méchancetés, mais il y a toujours la tante Alice qui dédramatise tout, qui explique les grimaces de sorcières dans le ventre, faites exprès pour embêter le monde, ou qui dit combien sa soeur Valentine se sent seule et triste, mais elle exprime sa colère maladroitement.

La tante Alice a une place très importante dans l'histoire, et on se demande où se trouve la maman (et ce n'est pas de bol non plus pour elle, mais non elle n'est pas morte !). Alors tout cela est caché derrière la ravissante couverture, pleine de naïveté. Pour un moindre mal ? Pas du tout, je rétorque. Car cette histoire n'est finalement pas tristounette, malgré son support. On a plutôt envie de sourire en découvrant l'inventivité de la petite fille, et son combat contre la maladie ressemble vite à une anecdote importune. C'est son regard aussi sur sa famille qui est touchant, très beau. Il y a beaucoup de candeur dans ce livre, au-delà de la maladie, de la souffrance et surtout des larmes. Tout ceci est vite recalé, la petite Nanou s'en charge.
A prendre ou à laisser (mais la 2ème option serait dommage).

Buchet Chastel, 2009 - 172 pages - 13€

Anne de Rancourt est aussi l'auteur de "Comment élever un ado d'appartement?" et "Je suis ronde et j'aime ça".

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12/01/09

Juste pour le plaisir - Mercedes Deambrosis

Ce n'est pas facile de trouver les mots pour ce roman, mais une chose est sûre : il est bon, très bon !

Au début, au risque de s'y perdre, on s'accroche, on suit à travers les époques et les lieux différents plusieurs personnages en de courts chapitres qui se suivent sans relâche, à vous donner le tournis. Il y a par exemple un commissaire avec quelques années en plus, qui n'oublie pas une affaire douloureuse survenue pendant la guerre, avec le meurtre de trois jeunes filles qui étaient des voisines à Montreuil. Le dossier a été trop vite rangé dans les placards, cela continue de le hanter. Eté 1942, la famille Meïer est arrêtée pendant la rafle du Vel d'Hiv, sur simple dénonciation - pense la mère, un peu dégoûtée de confier les clefs de son appartement au mari de sa bonne, Germaine, qui ne donne plus de nouvelles. Il y a aussi un homme brun, une anguille ou un caméléon, on le voit se faufiler sur tous les sites en ruine et en guerre, il n'a pas de patrie, il n'a aucune moralité, ce type appelé Zacharie file des frissons dans le dos. Fin des années 80, en Allemagne, dans une tour abandonnée de tous, est retenu un prisonnier hors du commun, un criminel de guerre jugé à Nuremberg - un certain Rudolf Hess.

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J'ai déjà lu deux livres de Mercedes Deambrosis, qui est d'origine espagnole mais écrit en français. L'un était un roman léger, acide et amer, sur deux copines qui se retrouvaient après bien des années, elles s'arrêtent prendre un verre et papotent allègrement, et la conversation vire doucement à l'aigreur, attention aux révélations finales qui font bing bang boum. (cf. Un après-midi avec Rock Hudson). L'autre était un recueil de nouvelles dans lequel l'auteur n'hésitait pas à régler quelques comptes avec son pays à l'histoire douloureuse, meurtrie par une guerre civile, et soldée par une tuerie inutile et bête. Comme souvent dans toutes les guerres. (cf. La promenade des délices).

Ce que j'ai souvent constaté chez Mercedes Deambrosis, c'est de pouvoir calfeutrer les dénonciations sous un vernis de douceurs et de paroles gentilles, le genre de politesses glissées dans un sourire, et pourtant elles ne font pas dans la dentelle. Avec ce roman, Juste pour le plaisir, on assiste à un livre « qui a le rythme d'un thriller », un vrai roman noir, où la palette des personnages réunit des gens laids, fourbes, arrivistes, ou opprimés, violentés, bafoués, (« petites gens, salauds, trouillards, naïfs, crapules, femmes violentes, femmes écrasées »). Des bourreaux et des victimes. Des menteurs et des héros. Les périodes les plus troubles révèlent les âmes les plus sombres.

C'est comme un puzzle immense qu'on bricole en plus de 400 pages, et cela tournicote pendant longtemps. Cela a trait à la guerre, à l'occupation et à la collaboration, et par-dessus tout, aux actes des hommes, du commun des mortels sous la couche duquel peut dormir un dangereux tortionnaire. C'est stressant, curieux, d'une absolue et irrésistible cruauté. C'est très bon. 

Buchet Chastel, 2009 - 461 pages - 21€

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22/08/08

Vacance au pays perdu - Philippe Ségur

Victime d'un malaise cardiaque, le narrateur - un graphiste hypocondriaque, végétarien et las de son job vendu au capitalisme - décide de faire un break et part en Albanie. Une semaine pour se ressourcer, en compagnie de son meilleur ami cricri,  notre homme a opté pour un ailleurs vierge des lois d'un système qui l'étrangle.

Foin de tourisme, de confort et du rang d'oignon ! Nos deux compagnons s'en vont au pays du raki et du byrek et ne sont pas au bout de leurs surprises. Agacés d'être entubés et de passer pour des touristes nigauds, cricri et notre narrateur s'enfoncent toujours plus loin vers des interdits qu'ils sont seuls à s'imposer. Pour pimenter ce périple atypique, l'envoi de SMS à la proche famille leur donne le sentiment de vêtir - pour un temps - l'habit du routard sans foi ni loi. La vérité sur le terrain est à mille lieux des propos alarmistes et pseudo aventuriers.

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Premier verdict : c'est très drôle ! Cette épopée dans un pays qu'on connaît mal, ou par ouï-dire, promet d'être un marasme qui vilipende tourisme de masse et société de consommation. Notre homme cherche à guérir son sentiment d'être un étranger dans la vie qu'il mène, il n'en sortira peut-être pas guidé ou mieux dirigé, mais il conservera la honte d'être lui-même - un nanti.

Dans la tradition picaresque, Ségur nous offre un roman désopilant, sous couvert de mettre à nu nos petites contradictions. On ricane beaucoup, on ne s'apitoie jamais et on apprend à mieux découvrir l'Albanie. Riche programme !

Vacance au pays perdu

Buchet Chastel, août 2008 - 240 pages - 18€

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