Les Autodafeurs, Tome 1 : Mon frère est un gardien, de Marine Carteron
À la mort de leur père, Auguste doit quitter Paris avec sa mère et sa petite sœur Césarine pour vivre chez leurs grands-parents à La Commanderie, une imposante demeure qui appartient à la famille depuis des générations. Le garçon tente de cacher sa détresse et son chagrin derrière des attitudes de guignol et des répliques sarcastiques mais la perte tragique de son père le taraude. Son entrée au lycée ne lui réussit pas non plus - épinglé par le directeur dès le premier jour, il récolte aussi coups et blessures par un trio de choc, qui fait la pluie et le beau temps sur leur école.
Finalement, son morne quotidien va s'éclairer avec la découverte d'une Confrérie secrète, laquelle s'oppose depuis des siècles aux Autodafeurs, dans le but sacré de protéger la connaissance qui se trouve dans les livres et qui sont jalousement conservés comme des trésors. Ouah ouah ouah... ça fait beaucoup à assimiler, d'autant plus que les enjeux sont énormes pour Auguste. Le garçon doit absorber vite et bien sa mission, ignorant que sa jeune sœur Césarine a déjà une longueur d'avance... en bonne «artiste» qui se respecte (comprendre : autiste).
Le duo frère/sœur est attachant et fonctionne à merveille dans la conduite de l'histoire (se glisser dans la peau de Césarine est d'ailleurs une expérience fantastique et incroyable). Pendant que l'un se débat avec ses problèmes d'ado, tentant de se mouiller à une entreprise périlleuse et inquiétante, l'autre collecte des informations précieuses, sans avoir l'air d'y toucher. Les deux pistes réunies donnent une ébauche intéressante et révélent notamment de lourds secrets de famille qui promettent une suite excitante à cette histoire de plus en plus sombre et inquiétante.
On répète... donc : il y a du danger, du suspense, de l'action, mais aussi de la tendresse et de l'émotion dans ce roman d'aventures, non seulement intelligent, drôle, original et passionnant. J'ai adoré et je me réjouis déjà de poursuivre cette trilogie pleine de surprises !
éditions du Rouergue / mai 2014 ♦ couverture : © Barrère & Simon
Love letters to the dead, par Ava Dellaira
« Je sais que May est morte. Je veux dire, j'en suis consciente mais j'ai l'impression que c'est pas pour de vrai. Qu'elle est toujours là, avec moi. Qu'une nuit, elle rentrera par la fenêtre après avoir fait le mur et me racontera ses aventures. Peut-être que si j'arrive à lui ressembler plus, je saurai mieux vivre sans elle. »
Laurel doit rendre un devoir d'anglais consistant à rédiger une lettre au mort de son choix. De Kurt Cobain à Judy Garland, River Phoenix ou Amelia Earhart, Janis Joplin et Amy Winehouse, l'adolescente mixte entre l'admiration qu'ils lui inspirent et son histoire personnelle. Sa sœur aînée vient de mourir, sa famille a volé en éclat mais elle n'est pas prête pour en parler. Secrète et pudique, elle a donc choisi un lycée où personne n'a eu vent de la tragédie, elle passe son temps à raser les murs et rêve de loin d'un garçon mystérieux (Sky). Seules ses lettres lui permettent d'évacuer son trop-plein d'émotion, de raconter son année dans ce lycée loin de chez elle, avec ses rencontres, ses nouvelles amitiés, ses découvertes musicales, sa première histoire d'amour, et insidieusement le drame de sa vie, la cause du décès de sa sœur. La lumineuse et éblouissante May, qui faisait la joie de ses parents, qui était toujours très entourée, aimée par tous, avec une forte personnalité, indépendante et frondeuse. Laurel n'a eu de cesse de se sous-estimer et tente de faire son deuil en se glissant dans la peau de sa sœur, en revêtant ses toilettes ♪♫the lady in red♫♪, et en imaginant ainsi absorber toute son aura pour se rendre plus importante aux yeux des autres ! J'ai été un peu déçue par l'écriture (ou la traduction) de ce roman, généreusement comparé à celui de Jandy Nelson, mais il est nettement moins bon et ne m'a pas touchée de la même façon. L'histoire n'est pas inintéressante, elle aurait pu être bouleversante mais je n'ai pas eu le déclic. Par contre, pour l'amatrice de musique que je suis, certains passages sont du petit lait à boire. Dommage pour le reste. Cette promesse de lecture n'a pas été à la hauteur des attentes initiales...
Michel Lafon, mai 2014 ♦ traduit par Philippe Mothe
Du son sur les murs, de Frantz Delplanque
Ancien tueur à gages, Jon Ayaramandi a pris sa retraite dans un petit coin isolé du Sud-Ouest avec sa musique, ses livres et ses potes. C'est sa jeune et adorable voisine, Perle, qui va le tirer de son train-train quotidien en lui signalant l'étrange disparition d'Al le pêcheur, qui a abandonné son matériel à sa place habituelle et n'est pas rentré à la maison.
C'est accessoirement son petit copain, aussi redoute-t-elle le pire et tanne Jon de se bouger les fesses. Lui n'est pas très chaud pour se mouiller, mais il ne peut rien refuser à Perle. Il mène donc sa petite enquête, recontacte son ancien patron, éprouve un mauvais pressentiment en tombant sur un vieux collègue, puis tente de cerner le disparu et réalise que celui-ci aurait aussi des petits secrets bien enfouis. Pour lui, Al a été zigouillé. Et puis, bon ...
ATTENTION, roman absolument génial ! Rock-n-roll dans l'âme, dans l'écriture, dans les références, avec son étiquette “roman noir”, il est peu conventionnel, très original dans son histoire, ses personnages, son parcours. On n'y entre pas avec l'espoir de dégoter une intrigue révolutionnaire, menée à fond de train, c'est tout le contraire, et c'est tout un monde qui s'ouvre à nous, l'auteur fait sa popote, avec force humour, punch et décontraction, le résultat n'en est que savoureux. Une découverte, une vraie, qui pousse à suivre ce Frantz Delplanque à l'avenir ! J'ai adoré.
Points ♦ coll. Roman noir ♦ Mars 2014
Beware of the lioness, little sister.
Une nouvelle inespérée vient chambouler toute la famille de Max et Isabelle : une lettre du grand-père Théo vient leur rappeler à tous que celui-ci n'est pas mort, mais qu'il est retenu en Afrique, où il était parti effectué un reportage animalier huit ans plus tôt. Les circonstances sont encore floues, mais Mamicha met sur place une expédition de rapatriement de toute urgence. Les jumeaux sont du voyage, qui s'annonce mouvementé, car lors de leur escale à Amsterdam, leur grand-mère est victime d'une chute et est hospitalisée.
Max a de plus en plus la trouille, tandis que Isabelle part bille en tête, à la découverte de cette force invisible qui veut empêcher Mamicha de s'approcher de son mari. Les jumeaux débarquent à Nairobi, capitale du Kenya, dans une atmosphère brûlante et cacophonique. Ils sont complètement dépaysés, tâtonnent avant de trouver un guide, un guerrier Masaï du nom de Kembele, un garçon très beau, gracieux et mystérieux. Ils s'aventurent en pleine brousse pour une expédition mémorable et palpitante, où les ombres des créatures sauvages ne sont rien en comparaison des images qu'Isabelle perçoit par télépathie. La présence de son grand-père est vague, elle sait toutefois qu'elle s'approche de lui et qu'une puissance occulte tente de la combattre à distance.
J'ai beaucoup aimé ce troisième tome, essentiellement pour son décor exotique et ensorcelant, le dépaysement est total mais grandement excitant. J'apprécie davantage le personnage d'Isabelle, au détriment de son frère, plus fade et ennuyeux, Max apparaît souvent bougon et un peu immature, il faut bien le dire. L'écriture d'Angèle Delaunois fait encore preuve d'élégance, c'est raffiné et très classique, avec des expressions typiquement québécoises qui font gentiment sourire.
Chroniques d'une sorcière d'aujourd'hui : 3. Kembele - Angèle Delaunois
Editions Michel Quintin, 2012 - illustration de la page couverture : Magali Villeneuve
(...) il me restait de toute cette aventure en Bretagne une incroyable impression d'irréalité.
De retour au pays, après leur périple breton, Isabelle et Max pensent reprendre une vie normale mais les événements et les révélations sur la nature de la jeune fille ont fragilisé les relations entre frère et soeur. Max, surtout, est fuyant. Il a trouvé un petit boulot, a repris les cours et vient de rencontrer Alicia, une beauté blonde d'origine argentine, une danseuse de tango, sensuelle et sulfureuse... Cette passion lui fait tourner la tête ! A la maison, l'ambiance est électrique, les parents imposent des règles, le garçon claque la porte. Au milieu, Isabelle se sent paumée et veut aider son grand escogriffe de frère.
Aussi, lorsque celui-ci l'appelle à l'aide, elle accourt sans réfléchir. Alicia est malade, elle est fièvreuse, Isabelle a recours à son don de consoleuse pour l'apaiser. En remerciement, la copine de Max lui offre un bouquet de fleurs ... empoisonnées ! Trop, c'est trop. Isabelle et Max se fâchent. Comprenant que son frère est envoûté, Isabelle cherche à cerner les secrets de son amoureuse... trop belle, trop mystérieuse.
Ce deuxième tome allait déterminer si, oui ou non, j'avais eu du flair en appréciant le précédent volume. La plume est toujours aussi belle, l'auteur parvient à créer un vrai roman à l'atmosphère hypnotisante, et ce parfum des fleurs, qui envahissent l'appartement d'Alicia, en plus des danses de tango, font véritablement tourner les sens. Oui, le charme latin est très présent, c'est sensuel et en même temps dangereux.
Toutefois, je n'y ai pas retrouvé le même attrait qu'avait su générer l'aura du manoir de Bellotte. En fait, j'ai trouvé ce deuxième tome moins cohérent, puisque l'intrigue est centrée sur Max, on a souvent l'impression de faire du surplace à suivre les observations d'Isabelle, qui ne comprend pas, ne ressent pas, ne perçoit pas les évènements de la même façon. Elle pense agir pour le bien de son frère, ou elle boude et ne décide d'intervenir qu'au moment opportun, du coup l'action est plus lente.
Même si je parais moins enthousiate avec ce deuxième roman, je conserve un attachement profond pour la série, riche d'une ambiance qui ne cesse de se renouveller au fil des tomes. Le résumé du prochain épisode apparaît encore plus exotique et palpitant en voyages et découvertes !
Chroniques d'une sorcière d'aujourd'hui : 2. Alicia - Angèle Delaunois
Editions Michel Quintin (2011) - 228 pages - 14,50€
illustration de la page couverture : Magali Villeneuve
Blood and earth, hear my appeal : through skin and flesh, readily heal.
Ce roman est une vraie réussite, pas tout à fait perceptible dans les premiers chapitres, mais lorsque le lecteur se sent à l'aise et a tout saisi de l'ambiance gothique, il ne peut que suivre l'héroïne, Silla, une adolescente complètement paumée depuis la mort brutale de ses parents, et attendre le sombre dénouement avec angoisse.
Direction la petite ville de Yaleylah, dans le Missouri. Les parents Kennicot ont été retrouvés dans un bain de sang, tout le monde accuse le père, prof de latin, d'avoir pété un câble, mais la jeune fille n'y croit pas une seconde et pense que la menace est venue de l'extérieur. C'est comme ça qu'elle trouve le livre des sortilèges de son père, comme ça qu'elle comprend qu'un monde nouveau s'offre à elle, un monde teinté de magie et de sang, comme ça qu'elle ouvre sa boîte de Pandore. C'est fatal, à partir du moment où Silla se rend dans le cimetière, sur la tombe de ses parents, en feuilletant l'ouvrage, elle entre dans la ronde et ne pourra plus en sortir !
L'histoire surprend sur plusieurs plans, d'abord parce que l'auteur n'épargne pas ses personnages, souvent confrontés à des situations violentes et douloureuses, avec force détails et descriptions dégoûtantes. C'est l'un ou l'autre - captivant ou rédhibitoire. Et puis, il y a la magie du sang, dans le genre poisseux et dégoulinant, avec ses rituels, ses masques, ses sacrifices... Il ne faut pas songer ouvrir ce livre si on tourne de l'oeil à la moindre goutte de sang, ce n'est même pas la peine !
Et pourtant j'ai aimé ça !!! L'histoire est ce qu'elle est : ténébreuse, inquiétante, bizarre, effrayante, romantique et tragique. Le cocktail est très curieux, mais produit une effet magique ! (Je me répète, je sais.) C'est une lecture qui imprègne le lecteur, littéralement, et c'est à cheval entre la fascination et l'appréhension qu'on avale les 490 pages du roman. Un bon gros livre, oui, avec ses scènes sinistres et son décor improbable, mais qui offre aussi de jolis moments de poésie et de théâtre (l'influence de Shakespeare est grande !).
Une lecture un brin originale, et à l'atmosphère particulièrement envoûtante.
Blood Magic : Le sang ne ment jamais, par Tessa Gratton
La Martinière J. 2011 - 490 pages - 14,90€
traduit de l'anglais (USA) par Anne-Judith Descombey
"Commence à te souvenir."
Voilà un très bon roman sur la manipulation mentale, les faux-semblants, les limites à franchir et le premier véritable amour. Un roman passionnant, glaçant et stupéfiant.
Nous sommes à Candor, une ville créée de toutes pièces par Campbell Banks suite à un drame familial. Son but est de proposer un monde parfait, et illusoire, où les soucis et problèmes n'ont pas droit de cité. Pour y parvenir, l'homme bidouille des messages subliminaux diffusés dans une musique d'ambiance qui passe en boucle afin de modeler la jeunesse de ces familles richissimes, souvent poussés à bout et voulant le meilleur pour leur progéniture.
Seul le fils de Banks, Oscar, n'est pas dupe de ce manège. En apparence, ce fiston est parfait et ne déçoit pas son père. En douce, Oscar gère un marché secondaire en proposant des messages à contre-emploi pour ceux qui veulent s'échapper de Candor, en échange de fortes sommes d'argent bien entendu. Il a aussi une petite amie parfaite, Mandi, mais cette existence lisse et insipide connaît soudain un grand bouleversement avec l'arrivée de Nia.
Elle vient d'emménager à Candor avec sa famille, et c'est la jeune fille rebelle par excellence. Elle porte du noir, aime l'art et se promène en skate. Elle dit haut et fort ce qu'elle pense, se moque des autres et ne supporte pas l'atmosphère mielleuse de Candor. Lors de leur première rencontre, Oscar est dicté par un désir de désobéissance incontrôlable et bombe de peinture orange un poteau de la ville. Il ne sait pas encore qu'il vient de mettre le pied dans un engrenage infernal. Il a juste conscience que la personnalité de Nia le fascine et qu'il refuse qu'elle change, alors lui glisse-t-il ses propres musiques avec ses contre-messages, sa manière à lui de la garder telle quelle le plus longtemps possible. Car Nia ignore, comme tous les gamins de cette ville, qu'elle est manipulée par des messages. Oscar n'ose pas encore le lui révéler, mais une épine dans le pied va lui arracher les pires grimaces. Sherman Golub, un cas difficile, a payé Oscar pour échapper de cet enfer mais l'opération a été un échec. Il est devenu un électron libre imprévisible. Chaque geste, chaque parole peuvent condamner Oscar d'un instant à l'autre.
Le temps est compté.
La deuxième partie du roman est plus riche et angoissante. La tension psychologique du roman est exacerbée, les évènements se précipitent et les issues sont incertaines. La fausse ambiance de calme et d'apaisement de Candor coule le long des pages et des chapitres, l'exercice d'intoxication est cruellement efficace et pendant un bon bout de temps on a l'impression de ne plus savoir ce qu'il faut penser ou accepter. La rébellion est insidieuse, Oscar Banks n'a plus aucun secret pour nous et ça devient difficile de s'attacher à lui ou de lui faire confiance. Et c'est parce qu'il tombe dans le piège de l'amour qu'il devient, véritablement et enfin, lui-même, qu'il ôte son masque et se rend vulnérable, là, oui je suis de tout coeur à ses côtés, désireuse de voir réussir ses projets de fils désabusé et d'amoureux désespéré.
En somme, après 380 pages de tours et détours sournois, haletants et carrément flippants, je pense que cette lecture demande du temps pour qu'elle fasse son bout de chemin, mais elle vaut le coup d'oeil en tout cas !
Candor, par Pam Bachorz
Editions Thierry Magnier, 2011 - 380 pages - 17€
traduit de l'anglais (USA) par Valérie Dayre