Des histoires de coeur, pour plus grands
Ruptures de Andi Watson
Titre original : Dumped
Traduit de l'anglais par Sidonie Van den Dries
Une petite ville de province en Angleterre.
Au cours d'une soirée un peu trop arrosée, deux jeunes adultes, Richard Binfield dit "Binny" et Debby couchent ensemble alors qu'ils ne se connaissent pas.
Par la suite, les deux tourtereaux vont apprendre à se connaître, et rapidement déchanter en découvrant les petites manies de Binny, le mauvais caractère de Debby, et surtout la capacité de celle-ci à cacher l'existence d'un second petit ami.
Andi Watson nous livre avec cette "nouvelle graphique" une subtile chronique des petits malentendus et des gros mensonges au sein des couples qui se font et se défont.
Je n'avais jamais lu d'album d'Andi Watson jusqu'alors, et c'est en explorant le catalogue des éditions çà et là (qui publie le célébrissime Château l'attente) que j'ai fait cette découverte. C'est une bd ou un court roman graphique, au style totalement épuré et en noir & blanc, qui me plaît beaucoup. C'est très simple, même l'histoire en elle-même n'est pas révolutionnaire. Elle apporte un regard critique sur les amours actuelles, lorsqu'un couple se rencontre et cherche à coincider ses attentes. Ce que vivent Binny et Debby est une parfaite démonstration des petits mensonges, des agacements, des caractères différents au sein du couple qui voudrait que tout ne soit qu'osmose et communion permanente !
J'ai également apprécié la particularité des deux personnages à s'attacher aux vieilles choses, aux fringues de seconde main pour elle et aux livres chinés dans les bouquineries pour lui. Ces objets représentent pour eux plus que des rebuts, chacun a un passé, raconte une histoire, révèle quelque chose du précèdent propriétaire. Mais encore une fois, ils sont tout deux trop obstinés pour s'apercevoir qu'ils partagent la même vision. Par exemple, Binny a choisi de tester Debby en lui offrant une coupe de l'amour avec les initiales des amants, mais la jeune fille n'y voit qu'un vieux pot ébréché et sans valeur.
La petite histoire d'amour que propose l'anglais Andi Watson possède une touche délicate, un soupçon d'élégance dans cet univers sans couleur et un peu terre-à-terre. Quelle chance réserve-t-il à nos deux protagonistes ? Binny le rêveur arrivera-t-il à conquérir Debby la tête de mule ? ... A découvrir.
Ruptures, d'Andi Watson - 55 pages - ça et là - 9.50 €
Pour en savoir plus : http://www.caetla.fr/ruptures.html
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Miho travaille comme vendeuse dans un magasin, pendant que son compagnon Seiichi se consacre à la musique. Même si elle repense souvent à son ex-petit ami, Hagio, elle est heureuse auprès de Seiichi. Le jeune ménage, pourtant, peine à joindre les deux bouts, et Miho doit prend un second emploi. Devenue hôtesse de bar, elle finit par céder, par besoin d’argent, aux avances d’un client. Lorsque Seiichi l’apprend, il ne la comprend pas et s’éloigne d’elle. C’est alors que Hagio ressurgit dans la vie de la jeune femme.
Certains diront que c'est plat et sans saveur, d'autres -comme moi- trouveront que c'est subtil, mélancolique et simplissime. (Pourquoi ce besoin, sans cesse, de surenchère et de fioritures ?!) C'est aussi une bd qui a tout du roman graphique, c'est du Kiriko Nananan, c'est-à-dire extrême sensibilité, niveau sismique à deux de tension et profondes interrogations sur la jeunesse nippone frappée par la confusion des sentiments.
Ce qui me touche dans ce genre de lecture, c'est la beauté du crayon et l'ambiance ordinaire, déjà prouvée dans d'autres albums. Everyday est moins glauque et moins oppressant, c'est un portrait de jeune femme tiraillée entre deux histoire d'amour. Miho n'est pas l'archétype de fille qui s'avère attachante et sympathique d'entrée de jeu. Ses valses d'hésitation et sa mollesse font d'elle une petite tête à claques. Mais tout ceci n'entrave pas le goût de connaître la suite, même si au final on en sort en croyant avoir tourné en rond... Bizarre, mais toujours très envoûtant !
Casterman, coll. Sakka. 204 pages.
Merci Gawou Nowel !!!
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Rachel cohabite avec Rose, barmaid, qui a, entre autres mérites, celui de garder la tête sur les épaules. Non que Rachel soit une écervelée, mais elle manque de confiance en elle et a, du coup, du mal à trouver ses marques : avec François, qui ne rêve que d'une chose : emménager avec elle ; avec son voisin, plutôt joli garçon, mais dont le côté intello lui fait peur ; avec Richard, musicien pilier du bar de Rose, qui passe sa vie à la taquiner, histoire de dissimuler la tendresse qu'il a pour elle et enfin avec sa mère, une psy à l'égocentrisme exacerbé, rendue encore plus imbuvable par son récent divorce.
C'est une histoire en 3 tomes, comme le stipule la quatrième de couverture. La présentation faite de Rachel dans ce volume est plutôt grinçante, car c'est une jeune femme butée et volcanique, assez immature dans ses rapports avec les autres. Je sais que c'est fait exprès pour donner du grain au moulin, mais le trait est exagérement grossi et, parfois, c'est un chouia irritant.
Je n'ai pas compris non plus le choix de ne pas dessiner de bouche pour exprimer l'expression abasourdie des personnages, mais ceci n'est qu'un détail sommaire. Car je crois que je vais apprécier de connaître la suite des aventures de Rachel, de sa copine Rose, du petit voisin intello et du raseur de service. Par certains côtés, cela me fait penser à la série des Julie, Claire et Cécile. Il faut d'ailleurs reconnaître le gros travail de Manboou à dessiner des détails infimes, dans la déco ou le look des personnages. J'étais soufflée. Bref, c'est sympa, ça se lit rapidement et ça ne prend pas le chou ! (Léger ahem pour le tempérament de la demoiselle ... sans quoi, c'est engageant !). J'attends la suite.
Le blog de Manboou : http://www.manboou.canalblog.com/
Dargaud - 128 pages - 9.50 €
Strawberry Shortcakes - Kiriko Nananan
Phénomène manga ?
Je vous invite à regarder ce soir, jeudi 28 juin, le reportage de l'émission Envoyé Spécial qui traite du " Manga, un monde à l'envers " pour mieux expliquer ce phénomène. Les mangas, ces bandes dessinées japonaises déclinées sur tous les modes (jeux vidéo, dessins animés, etc.), étaient voilà peu accusés de tous les maux. Violents, visuellement agressifs, «décérébrants», ils constituaient, selon certains, une menace pour les enfants. Aujourd'hui, les mangas ont triomphé. Plus de 1000 nouveaux titres sont publiés chaque année. Et la France en est, après les Etats-Unis, le plus gros consommateur au monde. Une équipe d'«Envoyé Spécial» est partie au Japon, à la rencontre des maîtres du genre. (Lien de l'émission)
Et par la même occasion, je vous présente :
Elles sont quatre filles dans le Tokyo d'aujourd'hui, elles bossent, elles vivent seules ou en colocation. Elles sont toutes les quatre concernées par les atermoiements amoureux, par l'isolement et par l'envie d'aimer et d'être aimées en retour. Il y a Tôko la dessinatrice qui vit mal la trahison de son petit ami et qui régurgite la nourriture qu'elle absorbe par dépit et dégoût. Elle partage désormais son appartement avec Chihiro, une fille très belle qui a un travail nul mais qui fait tout pour rester à Tokyo et ne pas retourner chez elle, dans sa triste campagne. Elle a un petit ami mais elle attend de lui qu'il soulève des montagnes... Tôko ne supporte plus Chihiro, et cette dernière est jalouse de sa force intérieure et de son indépendance financière.
Akiyo est aussi amoureuse de son meilleur ami Kikuchi mais n'arrive pas à lui dire et souffre en silence. Elle vend son corps pour s'offrir un jour la maison de ses rêves, mais elle craque à force de faux-semblants. La quatrième protagoniste est plus discrète, tranquille dans son existence rangée, gourmande et curieuse, elle attend aussi l'amour, qui ne vient pas.
Alors ça ne semble pas très rose, a priori. Et ce n'est pas faute d'en mettre, comme sur cette délicieuse couverture ou avec ce titre "Strawberry shortcakes" = Millefeuille à la fraise. Pourquoi ? "Malgré les apparences, au fond, nous sommes comme des mille-feuilles aux fraises : jolis, fragiles, sucrés."
Et ce sont également les trois qualificatifs qui viennent en tête quand on termine notre lecture. Ce monde féminin n'est pas sentimental et niais, il est plus complexe. Kiriko Nananan est une experte en la matière, déjà auteur de "Blue" et "Everyday", son créneau s'inscrit dans la douleur douce, dans l'étonnante et émouvante subtilité de la sexualité féminine. Elle pénètre l'âme humaine avec une facilité renversante, aidée par son art du dessin qui joue avec l'alternance de gros plans de visages, de silhouettes ou d'objets décadrés, en plus de l'utilisation du monologue. Même si parfois cela frise la morosité, il est impossible de ne pas adhérer à cette histoire, d'aimer les personnages et de les comprendre, de s'apitoyer sur leurs sorts et de souscrire à leurs préoccupations. Il y a une poésie derrière les larmes et la tristesse, un charme ténu, oui vraiment cette lecture est pénétrante, perspicace et raffinée. J'ai vraiment beaucoup aimé...
Traduction : Corinne Quentin. Casterman, coll. Sakka. 330 pages.
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A lire dans Le Génépi et l'Argousier ; et un avis très pointu sur un blog au titre sympa Glop ? ou Pas Glop ?
Fille de la tempête - Béatrice Bottet
Attirée par cette très belle couverture de Gianni de Conno, je me suis intéressée à cet ouvrage de Béatrice Bottet qui raconte la légende d'Is (ou Ys), la ville engloutie, très célèbre en Bretagne, où elle est née, et partie intégrante de la tradition orale depuis des siècles.
C'est l'histoire du roi Gradlon, parti à la conquête des pays du Nord, qui tombe sous le charme de la reine Malgwen et l'enlève pour rentrer au pays. Mais une malédiction frappe le navire, une tempête s'abat sur l'équipage et Malgwen meurt en donnant naissance à une petite fille, Dahut, fille de la tempête.
Choyée par son père, mais méprisée par le conseiller du roi, le moine Corentin, Dahut demande donc à Gradlon d'édifier une ville rien que pour elle. Sortie des eaux, Is devient ainsi le royaume du plaisir, de la fête et de la fleurette. Mais Dahut s'attire les foudres de Corentin, qui la prévient de la vengeance de Dieu. Or, à cette époque, la princesse voue un culte aux croyances païennes (fées, elfes, esprits de la forêt...).
Dans la ville d'Is, barrée par des portes contre les eaux qui l'entourent, un navire se présente avec à son bord un bel étranger. Il tourne la tête de la princesse Dahut, annonçant le drame qu'on connaît.
Je ne connaissais pas du tout la légende de la ville d'Is et j'ai donc été captivée par cette histoire sur les terres celtiques, montrant le clivage entre la naissance de l'Eglise chrétienne et la religion païenne. Il donne aussi de l'ampleur à une figure féminine passionnante : Dahut est une princesse belle, intelligente et indépendante. Elle s'oppose avec panache à l'Eglise mysogyne, incarnée dans cette histoire par les moines Corentin et Guénolé.
L'histoire aborde timidement les thèmes du bien contre le mal, n'apportant pas un avis tranchant. De plus, le roman se termine sur une note mélancolique avec une Dahut devenue sirène qui se demande pourquoi elle seule a survécu et s'il y avait vraiment quelque chose à expier. Un brin philosophique, donc, "Fille de la tempête" est un joli roman qui taille une légende avec un lyrisme convaincant.
Casterman, coll. Epopée - 155 pages - illustrations : Daniel Maja - couverture : Gianni de Conno. 7.90 euros
Le sang des valentines - Christian De Metter & Catel Muller
"Le sang des valentines" est un album très sombre et qui traite de la guerre 14-18 et des poilus. L'histoire rend merveilleusement hommage à leur sacrifice, à leur calvaire et au déchirement des êtres, entre les hommes prisonniers dans les tranchées ou par les ennemis, et les familles qui demeurent sans nouvelles des leurs. Il existait donc des Valentines, des bonnes âmes dévouées qui correspondaient avec ces hommes se sentant bien souvent seuls, abandonnés et pour qui ces quelques lignes représentaient un petit rayon de soleil dans leur gadoue environnante. Pour Augustin, les lettres de son épouse Geneviève ont su le ramener vivant au sortir des quatre années de tuerie. Il est pressé de rentrer, de la retrouver, un peu inquiet de n'avoir plus de nouvelles depuis quelques mois. L'histoire s'échelonne donc par actes de flashbacks pour expliquer l'histoire d'amour, les amitiés, la trahison, la solitude et les rencontres. La fin est absolument époustouflante - y aurait-il une suite ? C'est en tous les cas un album aux couleurs aussi sombres que son propos, aux traits flous, fous et coléreux, en pleine phase avec le propre de l'histoire. Une réalité complète, épurée et une forte sensibilité !
Casterman