La Saison des feux, de Celeste Ng
Les habitants de Shaker Heights, banlieue riche et tranquille de Cleveland, mènent tous une vie parfaite et soigneusement planifiée, où rien ne dépasse, rien ne déborde. La famille Richardson incarne la réussite sociale et professionnelle, ce qui fascine la jeune Pearl, la fille de leur nouvelle locataire, Mia Warren, photographe désargentée et mère célibataire. Mais la fascination est réciproque, car les enfants Richardson découvrent eux aussi un mode de vie sans carcans et sans pression à travers cette amitié. Dans le même temps, une collègue de Mia se bat pour obtenir la garde de son bébé (abandonné un soir de détresse). Le procès est retentissant, les passions sont toutes déchaînées... Et les répercussions à Shaker Heights plus redoutables et dévastatrices.
Ce roman est stupéfiant, inattendu et captivant. D'une tension dramatique insoupçonnée. L'histoire peut sembler lente car elle se déploie avec mille précautions, distribuant patiemment les cartes d'une partie fébrile, mais où les nombreux non-dits et actes manqués vont également ponctuer les heures précédant la catastrophe... Oui, les étincelles crépitent et l'embrasement est proche. Quand la pression est à son apogée, on retient notre souffle, attendant la suite avec angoisse. Quelle prouesse. Celeste Ng revient sur ses thèmes de prédilection (la famille, la transmission, les racines, l'adolescence, la maternité) et propose une nouvelle lecture bouleversante, qui nous entraîne loin, très loin, sur des sentiers chaotiques, où chaque ramification va se croiser de façon implacable. Rien n'est finalement anodin dans cette histoire et chaque recoupement se révèle d'une manière ou d'une autre poignant et grandiose. Cette lecture est terrible, éprouvante pour son effet domino, mais franchement épatante.
©2018 Sonatine Éditions, traduit par Fabrice Pointeau ("Little Fires Everywhere") (P)2018 Lizzie, un département d'Univers Poche.
- Lu par : Micky Sébastian
- Durée : 12 h env.
Bravo à Micky Sebastian pour son interprétation, c'est un plaisir de la retrouver et d'écouter sa voix forte, sensible et admirablement nuancée pour dresser le portrait d'une société américaine vulnérable et pleine de contradictions.
Tout ce qu'on ne s'est jamais dit, de Celeste Ng
Lydia Lee, seize ans, s'est faufilée hors de sa chambre en pleine nuit. En découvrant ça, le lendemain matin, sa mère alerte aussitôt la police. La journée va être longue, très longue, et peu à peu tout espoir va quitter cette famille éplorée. Le corps de Lydia sera retrouvé dans le lac. Et déjà un examen de conscience s'impose. Ôtez immédiatement vos vélléités policières... car le roman va se désintéresser des vraies raisons de la mort de Lydia (fugue, assassinat ou accident) et s'orienter vers des révélations plus sournoises et dérangeantes. On découvre donc un portrait de famille modèle. Du moins, en apparence. Car chez les Lee, les secrets sont légion (et ont probablement conduit à la mort de l'adolescente). La mère aurait calqué ses rêves de médecine sur sa fille, le père insisté trop lourdement sur l'importance de sa vie sociale (lui a souffert d'être rejeté du fait de son origine chinoise, son mariage mixte étant sulfureux dans les années 50). Bref. On va ainsi de surprise en surprise, à tenter de cerner cette famille brisée et taiseuse. Les failles sont profondes, mais mises à jour suite à la tragédie. En fait, la lecture peut sembler démoralisante, car réaliste et poignante, pourtant elle étonne aussi pour son incroyable maîtrise du suspense et sa tension psychologique qui ne faillit jamais. Son atmosphère aussi est touchante, à la fois mélancolique et oppressante. On éprouve perplexité et fascination pour ce roman, qui raconte avec finesse les illusions perdues, la famille et les non-dits, la détresse adolescente et l'héritage qu'on lègue malgré soi. Loin des attentes initiales, ce rendez-vous laisse finalement un goût amer... ou de frustration. Je suis paumée.
Traduit par Fabrice Pointeau (Everything I Never Told You) pour les éditions Sonatine / Mars 2016