La Fille qui avait deux ombres, de Sigrid Baffert
Perturbée par les frasques de sa grand-mère Rose, qui vient dernièrement d'annoncer son intention de passer sous le bistouri pour changer de tête, Élisa fait des crises de somnambulisme et des rêves étranges. Elle voit des maisons délabrées, entend une ritournelle italienne et comprend que tout est lié au passé de Rose, dans ce village de Sicile qu'elle a quitté sans se retourner. Pour le bien de la famille, pense-t-elle, Élisa fouille dans les affaires de sa grand-mère mais déchaîne sa colère.
Les secrets de famille sont un sujet qui me passionne en littérature, surtout si ce sont des histoires de femmes qui sont au cœur de l'intrigue. Et celle-ci a su me réserver ma dose nécessaire de tendresse, émotion, mystère et fantaisie. J'ai franchement beaucoup aimé ! Élisa est une héroïne attachante, avec une famille qui incarne à merveille la joyeuse tribu originale, partageant un lieu enchanteur (la brasserie familiale, avec sa Ruche et sa collection d'objets hétéroclites, où Élisa passe de longues heures à rêver et imaginer des histoires avec le théâtre de marionnettes).
Dans ce décor pourtant idyllique, l'atmosphère est devenue irrespirable depuis le clash entre Rose et sa petite-fille. Élisa, fidèle à sa nature adolescente, s'embrase, vitupère, dépasse les limites et veut tout tout de suite, mais on la perçoit aussi au creux de la vague, éperdue d'idéalisme et hyper sensible au monde qui l'entoure. Sa ferveur juvénile et sa volonté farouche de crever la bulle conduisent l'histoire dans un dédale de racines et de liens filiaux.
Le chemin est long, douloureux, parsemé de doutes et d'incertitudes, troublé par les fantômes et les non-dits, comme dans chaque histoire de famille. Mais c'est passionnant, raconté avec élégance et délicatesse, sans précipitation. De toute manière, la lecture est douce et réconfortante, elle dégage une aura magique ensorcelante, et puis l'histoire nous fait rêver et voyager. Magnifique !
L'École des Loisirs, mars 2015 ♦ photographie de couverture : Meyer/Tendance floue
"C'est trouver l'amour qui compte. C'est ça, le principal."
"Ça faisait mal. Très mal. Et il y avait beaucoup de sang, aussi." C'est la première phrase de la première nouvelle parmi les huit qui constituent ce recueil. Une phrase racoleuse, qui vous place tout de suite dans l'ambiance. Parce qu'il faut le reconnaître, ils sont drôlement forts, ces Anglais. Ils vous balancent leurs histoires courtes avec un aplomb redoutable, beaucoup de finesse et une drôlerie qui fait mouche, sans compter le ton et la forme qui ne font pas dans la dentelle, mais qui bien évidemment parleront instinctivement aux adolescents.
Dans le lot, on trouve tout de même deux textes classiques, le premier de Mary Hooper, le deuxième de Bali Rai. Ce sont deux histoires qui se passent ailleurs, dans l'Angleterre victorienne ou en Inde, deux cultures différentes, mais avec des parcours de femmes marquées durement par la vie et le désespoir. Sans quoi, on plonge sans complexe dans le petit monde des adolescents, à l'heure où les désirs ne sont plus tabous, où l'on est curieux, impatient, craintif et rêveur. L'incursion est réaliste, jamais déplacée, je pense que les auteurs ont été, à plusieurs occasions, bien en phase avec leur public.
A mon sens, Patrick Ness tire véritablement son épingle du jeu avec un texte percutant sur l'homosexualité, et dont la particularité veut que les mots les plus violents et crus soient dissimulés par un trait noir, ce qui laisse encore plus de place à l'imagination. Quant aux autres nouvelles, de qualité très honorable, elles séduiront immédiatement les ados par leur volonté de faire simple, juste, crédible et actuelle. L'ensemble est parfois cru, mais jamais déplacé, même la grossièreté est justifiée.
Voilà un recueil à faire lire dans les écoles (niveau collège et plus), pour rappeler à nos jeunes impatients / curieux de goûter le fruit défendu qu'il existe des règles essentielles : l'impact émotionnel. Car après tout, "le moment où on cesse d'être puceau est un truc intime qui devrait se trouver derrière un trait noir, plutôt que les insultes et les conneries sur le sexe". Parce que, "faire l'amour pour la première fois, ce n'est vraiment pas très important. C'est trouver l'amour qui compte. C'est ça, le principal."
La première fois (recueil de nouvelles) par Anne Fine, Bali Rai, Jenny Valentine, Keith Gray, Mary Hooper, Melvin Burgess, Patrick Ness & Sophie McKenzie
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 2011 - traduit par Laetitia Devaux et Emmanuelle Casse-Castric