06/09/16

Le Grand Marin, de Catherine Poulain

Le grand marin

« Embarquer, c'est comme épouser le bateau le temps que tu vas bosser pour lui. T'as plus de vie, t'as plus rien à toi. Tu dois obéissance au skipper. Même si c'est un con. Je ne sais pas pourquoi j'y suis venu, je ne sais pas ce qui fait que l'on veuille tant souffrir, pour rien au fond. Manquer de tout, de sommeil, de chaleur, d'amour aussi, jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à haïr le métier, et que malgré tout on en redemande, parce que le reste du monde vous semble fade, vous ennuie à en devenir fou. Qu'on finit par ne plus pouvoir se passer de ça, de cette ivresse, de ce danger, de cette folie oui ! »

Lili quitte sa campagne française pour assouvir son rêve de pêcher en Alaska. À force de persuasion, ce petit bout de femme parvient à rejoindre l'équipage du Rebel et s'en va pêcher la morue noire en pleine mer. Commence une expédition exaltante, mais rude, entre les vents violents, la mer déchaînée, les conditions de vie à bord, le manque de confort, le froid, la faim, le sel qui ronge la peau, les blessures... Lili s'accroche jusqu'au jour où son corps lâche l'affaire. Obligée de rentrer au port pour se soigner, la jeune femme se languit d'être loin de son bateau et compte les heures avant de reprendre du service. Cette passion, plus proche de la folie obsessionnelle, est ainsi partagée en toute transparence. Une femme en fuite, un passé brumeux, un chagrin au fond de la gorge, une volonté de prendre le large pour tout effacer, et des objectifs complètement dingues, auxquels elle ne renoncerait pour rien au monde, même pas quand des propositions annexes croisent sa route. Ce roman est étrange, envoûtant et poétique, il nous raconte les grands horizons et les quêtes d'absolutisme avec une énergie féroce et palpable. L'héroïne vit dans un monde de mecs, un univers de bars et d'alcool, dans lequel elle se fond sans frémir. La camaraderie aussi est très présente, on se tape sur l'épaule, on trinque en avalant des White Russians à grande rasade, on s'échange des projets, on se promet de garder contact, on noue des contrats d'une simple poignée de mains. À bas le glamour dans ce livre, qui fait fi de séduction, de charme, de tendresse. Lili et son grand marin vivent une liaison brève et intense dans la deuxième partie du roman, mais n'éclipsent pas le désir toujours puissant d'échappée belle. Au final, on aime, on n'aime pas, on éprouve de l'agacement, un peu d'émotion, et surtout de la curiosité et de la fascination pour ce récit. Il se passe tout et rien à la fois, il n'y a pas de réelle intrigue, puisqu'elle se répète beaucoup autour de Lili-vouloir-partir-pêcher-de la morue, du crabe, du flétan. On y sent aussi du désespoir, du vide, de l'attente, de l'oubli. On ne sait plus trop sur quel pied danser, on soupire après les longueurs et l'absence de rythme. Puis on savoure le souffle des mots et la beauté des phrases, on sympathise avec les personnages, sans jamais s'y attacher non plus. Ce va-et-vient continu entre le bon, le très bon et le potable rend l'expérience épuisante, ou du moins déstabilisante.

Marie-Christine Letort, l'interprète pour Sixtrid, prête sa voix au personnage de Lili et imprime une authenticité à son caractère farouche et indépendant, au point de rendre sa personnalité touchante et énervante à la fois. Une impression particulièrement exacerbée par une écriture sans fard et au rendu parfois simpliste. Cette tranche de vie hors du commun, empreinte de tristesse et de réalisme, s'en sort tout de même avec une belle pirouette en glissant une touche d'exotisme appréciable. 

Texte lu par Marie-Christine Letort pour Sixtrid (durée : 10h 30) / Août 2016

Avec l'aimable autorisation des éditions de l'Olivier

 

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25/09/15

Et rien d'autre, de James Salter

Et Rien D'autre CD

Présentation de l'éditeur : La Seconde Guerre mondiale touche à sa fin. À bord d’un porte-avions au large du Japon, Philip Bowman rentre aux États-Unis. Il a deux obsessions, qui l’accompagneront tout au long de sa vie : la littérature et la quête de l’amour. Embauché par un éditeur, il découvre ce milieu très fermé, fait de maisons indépendantes, et encore dirigées par ceux qui les ont fondées. Bowman s’y sent comme un poisson dans l’eau, et sa réussite s’avère aussi rapide qu’indiscutable. Reste l’amour, ou plutôt cette sorte d’idéal qu’il poursuit, et qui ne cesse de se dérober à lui. 

Quelle déception. J'ai tenté de découvrir ce roman encensé par OdL lors de la rentrée 2014, en profitant du format audio (roman lu par l'excellent Eric Herson Macarel), mais quelle lecture ennuyeuse ! Elle m'est apparue lente, plate, inintéressante. Cela raconte l'histoire d'un pauvre type, Bowman, qui est mou et barbant, de surcroît misogyne, et qui m'a très vite tapé sur le système. Allez comprendre pourquoi. Le texte est farci de scènes de sexe très détaillées (pour moi, elles sont vulgaires et malvenues). Et il ne se passe rien d'exceptionnel dans la vie de cet homme qui mérite qu'on s'y arrête. Tout est banal. C'est une histoire sur le temps qui passe. Super. On a déjà lu ça mille fois. Salter a cependant une belle écriture, agréable à lire. Mais son roman m'est tombé des mains. Abandon à mi-parcours pour cause de saturation. 

Ce que continue d'en dire l'éditeur : Ce livre magnifique est comme le testament d’une génération d’écrivains, derniers témoins, sans le savoir, d’un monde promis à la disparition. Parce que l’art est le seul lieu où les contraires coexistent sans se détruire, il noue d’un même geste la soif de vivre de la jeunesse et la mélancolie de l’âge mûr, la frénésie érotique et le besoin d’apaisement, la recherche de la gloire et la conscience aigüe de son insignifiance.

Sixtrid / Juin 2015 ♦ Interprété par Eric Herson Macarel (durée : 11h 27) ♦ Traduit par Marc Amfreville pour les éditions de l'Olivier (All That Is)

 

Et rien d'autre

Disponible en format poche chez Points, août 2015

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07/04/14

Canada, de Richard Ford

« D'abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard. C'est le hold-up qui compte le plus, parce qu'il a eu pour effet d'infléchir le cours de nos vies à ma soeur et à moi. Rien ne serait tout à fait compréhensible si je ne le racontais pas d'abord. 
Nos parents étaient les dernières personnes qu'on aurait imaginées dévaliser une banque. Ce n'étaient pas des gens bizarres, des criminels repérables au premier coup d'oeil. Personne n'aurait cru qu'ils allaient finir comme ils ont fini. C'étaient des gens ordinaires, même si, bien sûr, cette idée est devenue caduque dès l'instant où ils ont bel et bien dévalisé une banque. » 

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Great Falls, Montana, 1960. Dell Parsons a 15 ans lorsque ses parents braquent une banque, avec le fol espoir de rembourser un créancier menaçant. Le hold-up échoue, les parents sont arrêtés, et Dell a désormais le choix entre la fuite et l’orphelinat. Il traverse la frontière et trouve refuge dans un village du Saskatchewan, au Canada.

Trop calme, trop mou, trop indolent. Rarement un roman n'aura autant multiplié les efforts pour réveiller mon intérêt somnolent ! La faute aussi à Thibault de Montalembert, dont l'interprétation trop maîtrisée a rendu l'ensemble ronronnant, fastidieux et lassant. Eh oui, hélas. Pourtant je me souviens d'une lecture enthousiasmante de La vérité sur l'Affaire Harry Quebert. Cette fois il adopte une posture trop guindée, à laquelle je n'ai pas adhéré.

L'histoire aussi se donne un style “je me révèle lentement”, mais l'effet laisse franchement à désirer. On s'ennuie, à force d'errance, de retour en arrière, de lenteur et de descriptions interminables. Le narrateur fait pitié, tant il est passif. On a envie qu'il se bouge, qu'il prenne sa vie en main, qu'il agisse, et puis non... C'est déprimant. Je n'ai pas du tout été emballée par ce roman morne et assommant, qui n'a pas été sauvé par une lecture à voix haute au ton solennel, pas très concluant. Déception !!!

Audiolib, mars 2014 ♦ texte intrégral lu par Thibault de Montalembert (durée : 14h 27) ♦ traduit par Josée Kamoun pour les éditions de l'Olivier

02/03/11

Les yeux aux ciel

IMG_2623C'est l'histoire d'une famille qui se retrouve pour l'anniversaire du patriarche. Quelques jours dans la grande demeure près d'une plage bretonne. Un par un, les enfants, devenus à leur tour des parents, arrivent avec leurs valises trop lourdes. Des valises qu'ils videront au compte-goutte, mais pas pour plomber l'ambiance. C'est incroyable ce que quelques jours passés ensemble vont finalement déclencher chez les uns et les autres.
Achille, l'aîné issu d'un premier mariage, reproche à son père d'avoir été délaissé et confié à l'éducation rigide de sa mère. Il n'aurait pourtant suffi d'un seul geste pour qu'il plaque tout et se réfugie dans le cocon créé par Marianne, la nouvelle épouse de Noé.
Et pourtant, Marianne est une femme sèche et peu maternelle. Excentrique à ses heures. Elle a lancé de gros travaux pour restaurer la maison. Petit à petit, tous les souvenirs s'effacent. C'est un bien pour un mal, car trente ans plus tôt, un drame a eu lieu. Et cette absence pèse encore.
Merlin, l'éternel vagabond, en est encore fortement marqué. Il cherche continuellement à se racheter. Sa conduite passée lui vaut toujours la méfiance et les sarcasmes de ses proches. Il a par exemple confié sa fille, Scarlett, à ses parents. Aujourd'hui il aimerait la "reprendre", mais cette déchirure est mal vécue.
Lena, la soeur aînée, s'estime malheureuse et au bout du rouleau. Sa vie d'épouse et de mère ne l'enchante plus. Elle se sent éteinte. Stella, la cadette, est spectatrice de son vague à l'âme, mais n'ose pas l'aborder pour l'encourager à davantage de confidences. Elle-même n'est pas venue le coeur léger, elle aussi a peur de grandir et ne se retrouve plus dans sa relation actuelle.
Et ainsi, mis bout à bout, les histoires de cette famille nous touchent et nous prennent par la main. Il règne une belle et délicate ambiance, sous ce climat breton, ensoleillé et ronronnant. C'est doux, réconfortant. Un nid douillet, même si les fantômes font leur sieste. Il n'y a pas de portes qui claquent, pas de révélations qui font mal, pas de gifles qui sifflent dans l'air. C'est davantage dans l'introspection que les membres de cette famille vont se bousculer, et personnellement cela m'a vraiment plu.
J'ai beaucoup aimé cette ambiance que j'ai trouvée chaleureuse et tendre, même derrière le dépit et l'amertume. C'est un roman sur les secrets de famille qui ne revendique aucune prétention, et je l'aime pour ça.

Les yeux au ciel - Karine Reysset
Editions de l'Olivier (2011) - 190 pages - 17€
EN LIBRAIRIE LE 3 MARS.

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15/01/10

La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique ~ Martin Page

 

Avec un titre pareil, le roman de Martin Page nous fait sourciller et sourire gentiment. Alors donc, c'est quoi cette farce ? Il faut l'ouvrir pour le croire et, s'appuyant sur les écrits de l'auteur, il faut donc s'attendre à un texte fou, incontrôlable et pourtant bien sage, bien réaliste, tout à fait possible et envisageable, et fatalement pas si tordu que ça !

Qu'on explique le commencement : une dame de soixante-dix ans reçoit un coup de matraque sur la tête, elle tombe dans les pommes et est hospitalisée en urgence. L'autre souci, c'est qu'il s'agit de Fata Okoumi, une femme d'affaires en visite à Paris, elle est très riche, influente et noire. L'affaire fait grand bruit et le maire de Paris est dans ses petits souliers. Il convoque toute sa clique pour calmer le jeu, pour préparer des discours pompeux et ennuyeux pour rétablir l'ordre et le respect, pour cirer les pompes de la victime et lui présenter toutes les excuses afin d'effacer cette bavure policière. Est donc désigné à cette mission notre narrateur, Mathias, quarante ans, une vie de patachon, célibataire, sans famille, sans enfant, sans animal de compagnie.

Il se rend au chevet de Fata Okoumi et tombe sous le charme. Elle est sonnée, elle balbutie quelques mots... elle souhaite faire disparaître Paris. Qu'est-ce que cela signifie ? Mathias n'a pas le temps d'en savoir plus qu'il est poussé vers la sortie, puis d'autres événements vont l'écarter toujours plus de Fata Okoumi, et lui reste seul avec cette terrible confession, sans queue ni tête. A partir de là, sa vie ne va plus vouloir se ranger dans sa petite case. C'est presque l'anarchie pour ce fonctionnaire qui s'est toujours tenu à distance des dossiers qu'il traitait, c'est bien la première fois qu'une telle masse s'abat sur sa tête ! ...

En quelques 200 pages, le roman va donc nous balader dans Paris, la ville lumière, la ville des philosophes, Paris, la ville faite pour la pluie et la neige, comme le souligne Mathias. Cette brutale confession de Fata Okoumi va prendre un sens aberrant dans la vie de cet homme, à qui soudainement des révélations vont lui être apportées, pas sur un plateau d'argent, car il lui en faudra du temps et des balades et des petits déjeuners dans le lit à se demander mais qu'est-ce qu'elle veut, ... bref c'est un roman que je n'arrive pas à qualifier, mais que j'aime parce qu'il est insensé, attachant, touchant, juste, mélancolique et rêveur. C'est aussi un roman qui parle d'amour et de sentiments, des émotions et d'accouchement, car Mathias va renaître et enfin réaliser que cette femme, Dana, qu'il voit toutes les semaines dans une chambre d'hôtel, depuis des mois, selon un rituel immuable et limite flippant, donc cette femme est bel et bien LA femme et qu'il n'est jamais trop tard pour se l'avouer !

Un autre roman de Martin Page vient de paraître en poche, chez points : Une parfaite journée parfaite. De quoi faire le plein pour découvrir cet auteur hors normes, dont j'ai d'abord appris à apprécier les écrits pour la jeunesse.
Voilà tout pour aujourd'hui, amis lecteurs !

disparition_paris Editions de l'Olivier, 2010 - 215 pages - 16,50 €

 

       une_parfaite_journ_e_parfaite  en poche ! 

   

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05/01/10

Les âmes soeurs ~ Valérie Zenatti

Elle relit ces phrases sur un homme de fiction mais qui semble si vivant, même après sa mort de papier, survivant dans un amour de papier, mais si vaste, si absolu, qu'elle ressent elle aussi un mélange d'amour profond et de deuil.
(...)
Elle relit ces mots qui lui offrent une autre vie, plus libre, reliée au vaste monde, à ses palpitations, aux seules vraies raisons de vivre, l'amour et l'art. Une vie qui tient ses promesses de richesse et d'intensité. Elle voudrait arriver au bout du livre, et dans le même temps elle voudrait qu'il ne s'achève jamais, qu'il reste une histoire dans laquelle elle a pris place et qui lui donne depuis hier le sentiment qu'un sang nouveau coule dans ses veines, le sang de Lila Kovner qui n'a peut-être pas eu une vie heureuse mais qui l'a vécue si intensément, qui a su ce qu'était l'amour, ce qu'était la guerre.

C'est l'histoire d'un livre qui m'a murmuré à l'oreille des choses douces et a fait naître en moi des sensations, des émotions indicibles. Ce livre raconte deux femmes qui jamais ne se croisent, où l'une apprend à aimer l'autre sans espoir de retour et où cet amour finit par donner des ailes et apparaître des vérités.

Emmanuelle est mariée, mère de trois enfants, travaille dans une entreprise et sent combien sa vie ne ressemble plus à rien. Tout l'accable. Tout l'ennuie. Elle en prend conscience grâce à la lecture d'un roman qui lui parle de l'histoire d'une photographe, Lila Kovner. Amour, drame, séparation, anticipation, audace et bravoure. Un choix de vie qui interpelle Emmanuelle, trop handicapée par l'inertie de son quotidien.

Sa lecture la met également face à ses souvenirs, à ses pertes (la mort de sa mère, de sa meilleure amie, son alter ego). A l'occasion d'une journée où elle décide de ne pas aller travailler, de ne pas en toucher un mot à son mari, de déposer ses enfants à l'école et à la crèche, elle prend la clé des champs. Son tête-à-tête avec son roman.

... retrouver le livre, se sentir absorbée par lui, reprendre place dans cette vie secrète et intense où tout lui était possible, où tout était vivable.

La lecture en thérapie.

Emmanuelle va gagner plus qu'un coup de coeur littéraire, elle va aussi se dépasser, atteindre ses limites et franchir la ligne qu'elle croyait ne jamais plus dépasser. La liberté au bout du chemin, comment voulez-vous ne pas applaudir cette jeune femme qui saura prendre LA bonne décision ? !

... son coeur avait appris à battre au rythme des pages tournées, et si sa vie ne lui semblait pas toujours digne de ses rêveries, si elle ne pouvait pas tout changer, tout abandonner, y compris elle-même, elle pouvait au moins briser le carcan de ce travail insipide, prendre le temps de vivre, de regarder autour d'elle et en elle, de faire de la place pour ce qui lui tenait à coeur.

Battement de paupières.

J'ai porté ce livre ! Merci Valérie Zenatti. Cette lecture a été pour moi une évidence précieuse et rare et je convie toutes les femmes qui traversent des périodes de doute de s'y réfugier sans attendre. C'est trop intime d'en dire plus, je me contenterai alors de trois points de suspension... 

les_ames_soeursEditions de l'Olivier, 2010 - 172 pages - 16,50€

 

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30/04/09

Traques ~ Frédérique Clémençon

« je devenais une jungle d'histoires que moi seule connaissais, une jungle rétive et imperméable à leurs tourments tapageurs, je devenais une île »

traques

« Car les mots, dans notre maison, ceux qu'on disait entre nous mais aussi ceux qui cavalaient comme de beaux diables dans notre cerveau sans jamais quitter leur prison, avaient dressé autour de nous un mur plus haut que les plus hautes falaises au bord desquelles grand-père et moi nous promenions pour fuir le bruit, le fracas, les tempêtes, jusqu'à ce qu'il renonce pour de bon à la lumière de jour, à la rumeur sans fin de leurs chagrins, mots et mains distribuant de drôles de caresses qui laissaient sur ma joue, mon visage tout entier, des souvenirs sales, des images sans joie. »

Sans joie, effectivement. Ce texte qui laisse se croiser quatre portraits d'hommes et de femmes aux vies tourmentées est dénué d'artifices. Il est totalement sobre, retenu, pudique et plat. Pas ennuyeux, juste indéchiffrable et déroutant. A tour de rôle, Elisabeth, Jeanne, Anatole et Vincent parlent de leur vie, c'est d'un triste à pleurer (mais on ne pleure pas !), c'est plutôt sombre et usé.

Que ce soit Elisabeth, vieille femme de quatre-vingt ans qui croupit dans une maison de retraite, ou Vincent, son fils, cadre dans une entreprise où il est sans cesse scruté, repris, surveillé, houspillé, la vision est d'un pessimisme profond. Jeanne, elle, se confie à Anatole, qui a fui son pays pour longtemps errer dans des marais, avec d'autres compagnons d'infortune qu'il a perdus à force d'épreuves rudes et épuisantes. Donc, Jeanne a quitté son foyer où cohabitaient la grand-mère, la mère et Claire, la soeur. C'était celle-ci qui ambitionnait de tout plaquer, mais c'est finalement Jeanne qui est partie. Elle a tourné le dos à cette vie de chagrins, peuplée de fantômes (des morts, partout !). La maison se trouve près d'une falaise qui s'écroule au fil du temps, les disparitions surviennent à tour de bras.

Bref, ce sont des bouts de vie qui s'envoient et se renvoient comme des balles de tennis, elles résonnent dans le vide, leur écho nous glace le sang. J'étais pressée de sortir de cette ambiance, un peu trop sinistrée à mon goût. Mais l'écriture de Frédérique Clémençon est nette, précise, habile car elle jongle sans trembler entre longues phrases et rythme syncopé pour un résultat étonnant, mais séduisant. 

Editions de l'Olivier, 2009 - 160 pages - 16€

A été lu (après un vernissage arrosé) pour le prix de la révélation littéraire auFeminin.com   logo

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13/02/09

L'histoire d'un mariage - Andrew Sean Greer

« Nous croyons connaître ceux que nous aimons.
Nos maris, nos femmes. (...) Nous croyons les connaître. Nous croyons les aimer. Mais ce que nous aimons se révèle n'être qu'une traduction approximative, notre propre traduction d'une langue mal connue. Nous tentons d'y percevoir l'original, le mari ou la femme véritables, mais nous n'y parvenons jamais. Nous avons tout vu. Mais qu'avons-nous vraiment compris ?
Un matin, nous nous réveillons. Près de nous dans le lit, ce corps familier, endormi : un inconnu d'un nouveau genre. Moi il m'est apparu en 1953. Un jour où, debout chez moi, j'ai découvert quelqu'un qui avait emprunté par pure sorcellerie les traits de mon mari.
»

51H4gSOw8UL__SS500_Cette histoire s'annonce bien mystérieuse.
Et elle aura un impact encore plus fort si vous prenez le pari d'y aller à l'aveuglette. De toute façon, cette histoire vous donnera le tournis. Cela commence par un amour d'enfance, entre Pearlie et Holland,  qui se consolidera par un mariage. Une vie paisible se trace devant eux : une maison confortable, en bord de mer, dans un quartier résidentiel, en Californie. Un fils, Sonny, vient saupoudrer de gazouillis ce bonheur naissant.
Pearlie n'est que dévotion pour son mari, qui souffre du coeur. Tous les jours, elle épluche le journal et supprime toutes les mauvaises nouvelles pour épargner à son époux un choc trop violent.
Même le chien Lyle ne sait pas aboyer.
Nous sommes en 1953. Une guerre s'est terminée, d'autres s'annoncent. On parle du procès du couple des Rosenberg, on prépare la population à l'exercice d'alerte aérienne.
Tout le climat est tendu, tourné vers l'attente.
Un soir, se présente à la porte du foyer de Pearlie et Holland un homme du nom de Charles Drumer. On devine que sa présence va tout secouer dans cette belle petite histoire d'un mariage, et c'est alors qu'on n'en revient pas ! Ce qu'on s'attend à lire, d'abord, n'arrive pas. C'est autre chose et cela nous laisse sans voix.
Et c'est de cette façon que s'écrit tout le roman. C'est très difficile d'en parler car il faut rester dans le flou. Car moins on en sait, mieux c'est ! Ce qu'il faut savoir, c'est qu'aucune certitude n'est jamais acquise.
De plus, parce que c'est Pearlie qui nous raconte son histoire, on s'imagine à sa place et on vit, on ressent, la situation inextricable dans laquelle son histoire est embringuée. On comprend aussi que tout a un rapport avec le grand amour, le poids des convenances et le sens des sacrifices. Tous les personnages sont d'ailleurs très attachants. Ils participent à rendre l'histoire touchante, gênante, agaçante. Avec une seule question : que sait-on des gens que nous aimons ?
Le roman se veut également le cliché d'une décennie, en montrant combien la société était minée par les peurs et les préjugés. Je n'en dis pas davantage...
Sachez juste que c'est loin d'être une petite histoire convenue, c'est plus fort, c'est stupéfiant.

Editions de l'Olivier, 2009 - 273 pages - 21€
traduit de l'anglais (USA) par Suzanne V. Mayoux
 

 

 

# On my own - Thecocknbullkid

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08/01/09

Des vents contraires - Olivier Adam

vents_contrairesUn homme seul avec ses deux enfants choisit de reprendre tout à zéro en s'installant près de la mer, à Saint Malo. Qu'est-il arrivé dans sa vie pour que Paul soit cassé, le dos en compote, les nerfs à vif, le coeur au bord des lèvres ?

C'est l'histoire d'une femme, Sarah, qui a disparu. Cela fait un an maintenant. Personne n'en parle, c'est le sujet tabou. A-t-elle tout quitté pour un autre ? Pourquoi abandonner les enfants ? Voulait-elle souffler, s'éloigner pour mieux revenir ? Car Paul n'attend qu'une chose, qu'elle rentre. Que la vie d'avant reprenne. Que son fils Clément retrouve le sourire. Que sa petite Manon cesse de pleurnicher à la moindre contrariété. Ils sont trop jeunes, ils posent des questions qui n'espèrent aucune réponse. Car comment expliquer ce qui ne s'explique pas ? Sarah est partie.

Le roman pèse lourd, sur cette présence fantôme, sur le trio qui se serre les coudes, sur la vie en général qui n'offre pas d'alternative. Paul a pensé s'offrir une seconde chance, et du répit en bonus. Il a trouvé refuge auprès de son frère et de son épouse, il donne des leçons pour l'auto-école. Il est un peu comme un Superman, il attire les âmes déboussolées et veut les aider comme il peut. Mais il fait trop, pour tout le monde. Et ainsi, il ne fait pas toujours bien. Avec ses enfants, il est le bon papa gâteau. Il console, supporte, écoute, cajole. Il ne gronde pas. Il se veut comme un mur infranchissable, solide et inébranlable. Or, un matin, il risque d'apprendre comme Buzz l'éclair qu'il n'est qu'un jouet. Juste vulnérable.

Ce n'est vraiment pas la joie. L'un des personnages dans le roman dit à Paul, qui est un écrivain en panne sèche, que ses romans sont « geignards, mais c'est pas mal ». Cette petite phrase m'a fait sourire. Je suis une grande fidèle d'Olivier Adam, mais hélas je commence à avoir de plus en plus de mal à le lire. C'est tellement déprimant, même si c'est toujours bien écrit, tiré vers le haut, de façon remarquable. Malgré tout, et malgré moi, cela fait l'effet d'une enclume qui vous tombe dans le ventre, et vous cloue au sol.

Ce roman est douloureux, il a des accents mélancoliques, qui flirtent entre le désespoir et l'impuissance. L'histoire est triste, très triste. Pleine de détresse, avec des personnages sur la corde raide. Tout est à fleur de peau, les pères sont cabossés, les femmes sont quasi inexistantes. Et l'amour, dans tout ça ? Il s'inscrit partout, dans chaque geste de Paul pour ses enfants. Mais cela ne permet pas d'aérer le climat pesant. Heureusement il y a la mer, autre bouffée d'oxygène, elle s'étend sous nos yeux, elle brille, elle nous éblouit. Cela n'efface pas l'angoisse, les nuits sans sommeil, l'alcool noyé dans le sang, la mère disparue. C'est un sauve-qui-peut. La fin du roman nous tend une autre bouée de sauvetage, et étrangement c'est lorsque les questions trouvent enfin leurs réponses qu'on comprend que ça ne résoud rien. Que la tristesse est toujours là, elle ne s'atténue pas.

(Avis chagrin pour un roman compatissant... je me sens toute grise à l'intérieur ! Brrr.)   

Editions de l'Olivier, 2009 - 255 pages - 20€

 

 

 

 

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07/10/08

Egypt Farm - Rachel Cusk

Michael, narrateur de l'histoire, fit la connaissance des Hanbury quand la soeur de son camarade de chambrée, Adam Hanbury, l'invita à son dix-huitième anniversaire. Le carton indiquait ni adresse ni numéro de téléphone, juste Egypt. Ce n'est pas un pays, mais un lieu-dit perdu au milieu de nulle part, un cadre original, à l'ambiance fourre-tout, et qui procure ce sentiment diffus : celui d'avoir volontairement quitté la bonne route et d'être maintenant perdu, loin de chez soi.

Le jeune homme pénètre un univers nouveau, où évolue la famille délicieusement excentrique d'Adam. On y croise le père, Paul, marié à Vivian, qui n'est pas la mère des enfants Hanbury, c'est Audrey, qui ne vit pas très loin de là, mais qui passe tout son temps à Egypt Farm. Cet endroit n'a pas d'égal et c'est ce qui le rend si bougrement fascinant.

Les années vont passer et Michael va perdre de vue Adam. Un comble ! Le charme d'Egypt avait eu un effet si troublant, comment a-t-il pu tout oublier ? Aujourd'hui, il est marié à Rebecca et père d'un garçon de trois ans, Hamish. Leur vie est molle, neurasthénique et martelée de consternations quant à l'évidente vacuité des sentiments qu'ils nourrissent l'un pour l'autre. Le jour où le balcon de sa maison s'écroule et manque de le tuer signe aussitôt son départ vers cet Eldorado aux allures de Paradis Perdu...

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Je ne suis pas du tout d'accord avec cet extrait de critique lue dans Lire : "avec Egypt Farm, elle se glisse cette fois dans la peau d'un homme, Michael, que l'on découvre sous la douce lumière d'une scène à la Jane Austen", parce que l'entrée en matière du roman ne baigne pas du tout dans l'ambiance austenienne, mais plutôt fitzgeraldienne. Avis personnel !

J'ai tout de suite aimé cette atmosphère à Egypt Farm, sorte de bulle prête à éclater, où la langueur et l'excentricité font bon ménage. Les Hanbury font figure de tribu bobo, assez prétentieuse et arrogante, totalement persuadée d'être un modèle qui suscite l'envie (peut-être n'ont-ils pas totalement tort ?). Or, les années passant, rien n'est plus pareil, si ce n'est la fierté - inébranlable sentiment qui anime la flamme des Hanbury ! Mais qu'est-ce que tout cela cache ? 

La vie à Egypt Farm n'est que poudre aux yeux, laquelle a la qualité magique de donner l'impression que ce qu'on avait à faire ne correspondait pas du tout à l'idée qu'on en avait. L'éclat lumineux s'est éteint, à la place les ombres et les recoins ternes envahissent la place. C'est méconnaissable. Et l'influence est terrible, puisqu'elle prend le pas sur le climat soudain devenu taciturne et amer.

Rachel Cusk continue d'étoffer sa palette de vies maritales complètement désenchantées, ici l'échec du couple est flagrant. Les rapports entre Michael et Rebecca sont vénéneux, tournent sans cesse à l'aigre et à l'orage. Mais le fiasco s'étend aussi chez les habitants d'Egypt, guère épargnés par les mensonges, les vicissitudes et autres fourberies qu'ils entretiennent avec un aplomb déroutant. Les Hanbury ont un secret, qui n'aura pas l'effet d'une bombe, mais qui brisera sans doute les dernières illusions du narrateur !

Au final, voici un roman à l'humour féroce qui ne m'inspire qu'une impression mitigée. J'ai déploré certains passages trop longs (l'agnelage, par exemple) et les relations entre hommes et femmes souvent placées sous un effet de loupe grossier. Le rendu est laid et assez navrant. Et puis, Michael, le personnage principal, est décevant, passif, mou et porte une barbe ! Malgré tout, je n'enverrai pas ce livre aux orties car il porte une signature singulière : celle de Rachel Cusk, lucide et cruelle, réaliste et franche (cf. son précédent roman Arlington Park). Elle manie le cynisme avec une facilité qui force mon admiration... hélas bien mal placée ! Je sais, c'est incompréhensible. Cette lecture me laisse un profond sentiment de contradiction. 

Editions de l'Olivier, octobre 2008 - 300 pages - 21€
traduit de l'anglais par Justine de Mazères

Le premier roman traduit : Arlington Park 

--) critique de lire http://www.lire.fr/critique.asp/idC=52863/idR=217/idG=4

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