23/07/08

La messagère de l'au-delà - Mary Hooper

Ce premier roman de l'anglaise Mary Hooper raconte l'histoire d'Anne Green, une jeune servante d'à peine seize ans qui fut condamnée à la pendaison pour infanticide. Basée sur des faits ayant existé, mais brodée pour parfaire l'intrigue romanesque, cette histoire n'en paraît que plus captivante.

IMGP5875

Par chapitres successifs, la parole est donnée à la jeune fille qui raconte son histoire. Nous sommes en 1650, dans l'Angleterre de Cromwell. Les lois sont rigides contre les moeurs légères, et à cette époque on évitait de comprendre le drame des enfants morts-nés ou nés prématurément. La science et la médecine étaient encore bien timides, mais audacieuses. Le corps d'Anne Green, par exemple, est confié à l'université pour y être disséqué. Cette autre partie de l'histoire est narrée par Robert, un étudiant sensible et timide qui souffre de bégaiement. C'est grâce à lui qu'un miracle va se produire : Anne Green ne serait pas morte.

Le drame de cette jeune fille, en plus d'être belle, est d'avoir été séduite par un gentilhomme, le petit-fils de la famille où elle travaille. Victime aussi de sa vanité et de sa naïveté, Anne va connaître le prix à payer avec un stoïcisme admirable. Elle a très vite compris que sa mort était la bienvenue pour taire le scandale qui pourrait empêcher l'union du jeune maître Geoffrey avec une demoiselle de grande fortune.

Plusieurs scènes sont remarquables dans ce roman (le procès, l'échafaud, l'accouchement...) et racontées sans verser dans le pathos délirant. Tout est feutré, distillant avec tact la note dramatique. On retrouve aussi le climat austère, la vindicte populaire et le puritanisme accablant qui mettent en exergue la grande solitude d'Anne. Dans le fond, c'est une jeune femme assez cruche, avec une bonté naturelle et pas un soupçon de mesquinerie. Ce n'est qu'une servante sans éducation et sans le sou, avec un charmant minois. Peut-être est-elle dupée par les belles paroles de ce coureur de jupons qu'est le petit-fils de Sir Thomas Read, toutefois son cas fait écho à d'autres détresses comme c'était souvent le fait en ce temps-là.

Et puis, j'ai beaucoup apprécié que ce roman aborde les premiers questionnements concernant l'infanticide, comme il était jugé dans ce 17ème siècle. De manière générale, de toute façon, La Messagère de l'au-delà sait nous surprendre par son intelligence et sa sensibilité. Mary Hooper a su habilement raconter une histoire émouvante, mais en toute sobriété. La puissance de ce récit se trouve dans le désoeuvrement que va connaître Anne Green et par les injustices dénoncées. Bref, c'est un roman historique avec une action dense et palpitante. A découvrir !

La Messagère de l'au-delà - Mary Hooper

Editions du Panama, (mars) 2008 pour la traduction française - 268 pages - 15€

traduit de l'anglais par Fanny Ladd et Patricia Duez

 

D'autres avis : A été lu par Gawou et Ys

Posté par clarabel76 à 10:30:00 - - Commentaires [14] - Permalien [#]
Tags : ,


28/09/07

Fantômes ~ Toby Litt

Paddy et Agatha ont quitté Londres pour s'installer dans cette maison qui a su les séduire sur le champ. Agatha était pleine de l'attente d'accoucher de son deuxième enfant. Le couple était heureux, confiant. Puis, survient L'événement. C'est là que le couple doit n'être qu'un seul bloc pour affronter la douleur et l'horreur, mais non. Agatha et Paddy deviennent deux étrangers qui partagent le même toit. Agatha a soudain des hallucinations, comprend que la maison lui parle, qu'elle respire et lui souffle des messages, rien que pour elle. Mais c'est compliqué à expliquer, même son époux reste sourd et le fossé entre eux se creuse. L'aversion muette de Paddy prend naissance. Il assiste, impuissant, à la folie croissante de sa femme. "Les choses avaient beaucoup changé depuis leur installation dans la maison", tout commence par cette phrase.

La maison est devenue le cadre du cocon, le lieu de sécurité où Agatha se sent aimée et apaisée, capable de continuer et de surmonter l'épreuve. C'est en gros le symbole du foetus dans le ventre de sa mère. Cela se rejoint : Agatha vient de perdre son bébé, sa maison la couve. Mais d'un autre côté, la maison projette des ombres inquiétantes : illusion de fantômes, périodes d'absence pendant lesquelles Agatha ne se sent plus exister. C'est finalement le fond du roman : chimère, rêve et mirage entre le réel et le fantasme constituent la pâte à tarte de ce roman visionnaire.

En fait, Toby Litt s'est inspiré de sa propre histoire et du désespoir de sa femme Leigh qui a fait trois fausses couches. En 60 pages, l'auteur raconte cette douloureuse expérience, sous la métaphore d'un lièvre, un "animal-idée-littéraire", pour une bien étrange introduction, fantaisiste mais incroyablement émouvante. Le roman qui suit, "fantômes", se base donc sur ce point de départ et l'auteur réussit un exercice difficile : se placer dans le corps d'une femme, comprendre sa détresse, raconter sa dépression. Il part ensuite en divagation, n'hésite pas à piquer quelques idées dans les romans victoriens, chez Henry James ou même chez Virginia Woolf (le passage sur les vagues y faisant immanquablement penser). Enfin bref, c'est un roman déroutant, c'est vrai, mais c'est un texte sensible, onirique et élaboré dans la psyché féminine. Pas mal, quoi.

Posté par clarabel76 à 13:48:00 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
Tags : ,