Souvenirs perdus, tome 1 : Étrangère, de Samantha Bailly
Les habitants d'Enfenia vivent en toute quiétude sur leur île, protégée par la créature mythique du Léviathan qui veille au large, empêchant toute intrusion, mais excluant aussi tout départ ou projet d'évasion. Nel est la fille du chef, promise à reprendre le flambeau, elle tente d'immuniser sa jeune sœur de l'influence néfaste de Syon Huinë, un garçon rebelle et trop sûr de lui, dont le père a mystérieusement disparu en mer, et qui tente aujourd'hui de partir à sa recherche ou d'obtenir des réponses en posant des questions dérangeantes. Un jour, Nel découvre le corps d'une adolescente qui vient de s'échouer sur la plage. C'est le grand chambardement. Qui est-elle ? d'où vient-elle ? que veut-elle ? Mais celle qu'on prénommera Isil a la mémoire en vrac et est dans l'incapacité de répondre à la pression environnante. N'en pouvant plus, Syon va prendre les devants et frapper un grand coup. La suite de l'histoire nous embarque dans une aventure flamboyante, totalement dépaysante, au cours de laquelle les personnages verront leurs acquis et leurs convictions sérieusement ébranlés. C'est aussi très excitant de les accompagner dans cet univers inconnu, riche d'un exotisme sauvage, promesse de détente et rêverie. L'intrigue n'est pas en reste, puisqu'elle est fouillée, maintient le suspense et relance sans cesse la donne. C'est vraiment très agréable. Par contre, les personnages sont assez creux et pêchent par leur absence flagrante de maturité. Au vu de leur expérience et leurs conditions de vie, j'aurais espéré des jeunes gens moins caricaturaux. Toutefois, c'est vraiment un léger détail car la lecture reste un vrai plaisir. La suite doit paraître en septembre 2014, je la lirai de bon cœur.
Syros ♦ mai 2014 ♦ illustration de couverture : Prince Gigi
❅❅“C'était l'hiver. Il neigeait. Une petite fille était perdue dans les bois. Et il y avait...un loup.”❅❅
Orpheline, sans le sou, Sophie Smith vit en pension dans une école privée à Londres. A l'approche des vacances, ses amies et elle sont invitées à se rendre en Russie pour rencontrer la princesse Volkonski. Cette dernière occupe un palais d'hiver, en rase campagne, dans la région de St-Petersburg. L'endroit est féérique, même s'il porte encore les stigmates des vieilles querelles politiques et des tragédies familiales. Sophie est, pour sa part, avide d'aventures merveilleuses. Elle tombe sous le charme de cette princesse au charisme ravageur - si énigmatique, mais envoûtante. D'autres mystères entourent les lieux, dont la forêt qui sert de refuge à une meute de loups. Chaque nuit, leurs hurlements hantent les rêves de Sophie qui se sent de plus en plus perdue, mélangeant la réalité et la fiction. Elle ressasse aussi des souvenirs de son père, qui avait coutume de lui chanter une même berceuse ou aimait lui raconter des légendes lointaines. Comment expliquer ces soudaines réminiscences, sinon qu'elles sont ravivées par le décor qui l'entoure et lui fait tourner la tête ?
Son histoire s'éclairera à l'aube de révélations éclatantes, qui surviendront dans les derniers chapitres. Mais n'imaginez surtout pas que celles-ci vous surprendront plus que de raison, car finalement la trame romanesque est toute simple et évidente. C'est finalement dans la forme et son décor que l'histoire est attachante. On baigne dans un cadre idyllique, au cœur de la Russie, en plein hiver, on vit et partage des activités toutes plus extraordinaires les unes que les autres (pique-nique de minuit sur un lac gelé, balades en vozok, patin à glace au coucher du soleil...). En somme, c'est un joli conte enchanteur qui séduit pour sa simplicité, son élégance et sa tenue. C'est ravissant, et cela m'a beaucoup plu.
Sophie et la Princesse des Loups, par Cathryn Constable (Gallimard jeunesse, août 2013 - traduit par Alice Marchand)
« Sophie tira la couverture jusque sous son menton et s'assit dans son lit pour regarder la lune. Peut-être qu'en se concentrant sur cette lumière blafarde, elle arriverait à comprendre ce qui venait de se passer, pourquoi elle était ici, dans ce palais oublié, perdue au milieu d'un immense pays désert, avec ces gens qui se comportaient d'une façon si étrange. Elle était déconcertée, déracinée, comme un petit bateau partant à la dérive sans espoir de retrouver la côte, livré aux marées, aux vents et aux courants. »
Autres idées de lecture : Nina Volkovitch, de Carole Trébor - Petite feuille nénètse, suivi de Un été sibérissime d'Anne Bouin
“What are we, if not an accumulation of our memories?”
Une femme se réveille dans un lit, la mémoire en vrac. Un homme dort à côté d'elle. Un sentiment de frayeur la gagne aussitôt. Dans le miroir de la salle de bains, son image lui fait pousser des cris d'effroi : elle a vingt ans de trop. Qu'est-ce que cela veut dire ? Et c'est ainsi, chaque matin, le même rituel. Christine souffre d'une amnésie rare (elle n'a plus aucun souvenir et ne peut stocker de nouvelles données). Elle a été victime d'un accident à l'âge de vingt-neuf ans, le temps a passé, la mémoire aussi, désormais elle tente de se reconstruire et de s'accrocher à sa vie en cherchant à comprendre. La lecture de son journal l'aidera peut-être à débroussailler son esprit ravagé. Jour après jour, Christine doit enregistrer les mêmes informations. Son présent est morne, son passé est évanoui, elle tente de cerner les ombres, de combler les vides et cherche à reconstituer le puzzle. C'est long, troublant, assez répétitif, tous les matins elle repart de zéro, doit encaisser le même choc et ainsi ingurgiter vingt années d'une vie qui s'est déroulée sans elle. Alors pourquoi un tel traumatisme ? qu'est-ce qui a pu provoquer son accident ? pourquoi son mari Ben refuse de rencontrer les médecins ? Quel est le vrai du faux, en somme ?!
Car l'histoire, aussi habile et terrifiante soit-elle, nous plonge dans un climat de paranoïa d'où germe un sentiment de doute qui ne fait que grossir. Heureusement j'aime être baladée de la sorte, ne plus savoir ce qu'il faut penser, se méfier de tout et de tout le monde, imaginer le pire scénario, craindre un dénouement encore plus tordu qu'il n'est en réalité. Tout du long, la tension psychologique est parfaitement maîtrisée. Le format livre-audio permet aussi une nouvelle approche de la lecture, c'est une expérience excitante et bien frustrante aussi, puisqu'il faut s'en tenir au rythme de la narratrice et qu'il est impossible de sauter des passages. Je l'avoue, parfois j'ai eu envie d'aller plus vite que la musique. Mais je ne regrette pas ce format non plus ! Pour info, le texte est lu par Françoise Cadol, la voix française d'Angelina Jolie et de Mary Alice dans Desperate Housewives. (Prévoir 11 heures d'écoute !)
Avant d'aller dormir, par S.J. Watson
Audiolib, 2012 (Livre audio 1CD MP3 - 644 Mo) ou éditions Sonatine, 2011
traduit par Sophie Aslanides / Prix SNCF du polar-roman 2012
Eddy Milveux : dans tous ses états !
Arf, qu'est-ce que j'ai pu rigoler ! A première vue, c'est tout simple et complètement débile mais j'ai vraiment adoré.
Un jour, Eddy Milveux a sauvé une blatte magique d'un chewing-gum et a voulu tenter un vœu farfelu pour tester les pouvoirs de la bestiole : et paf, depuis il a les cheveux roses ! Chaque jour, la blatte est capable de lui réaliser le vœu qu'il désire, il prendra fin dès le lendemain, seul le tout premier est ineffaçable. Argh.
Dans ce deuxième tome des aventures d'Eddy, nous le découvrons comme tout jeune adolescent dans sa vie de tous les jours, avec des parents qui se disputent et prennent la décision de se séparer. La mère est en effet tombée amoureuse d'une autre femme. Dans la foulée, Eddy et sa soeur héritent d'une demi-soeur empoisonnée, mais font contre mauvaise fortune bon coeur en découvrant la jolie maison avec piscine.
De son côté, le père va déprimer et se consoler avec des chips. Résultat, il va devenir obèse, perdre son boulot et ne plus pouvoir sortir de chez lui. Heureusement il va reprendre du poil de la bête, et Eddy va continuer à jongler entre ses deux foyers sans trop se prendre la tête.
Pour rendre l'ensemble moins planplan, Lisa Mandel a donc introduit sa blatte magique, sa blatte infernale, celle qui exauce un vœu par jour. Chouette cadeau, on se dit, mais pas du tout ! En fait, il apparaît que les vœux souhaités sont mal interprétés et provoquent des situations encore plus dingues et catastrophiques, ce qui plonge Eddy dans l'embarras (on le comprend !). Impossible pour lui de tirer profit de la situation, c'est terriblement injuste.
C'est donc le lecteur qui s'éclate dans son coin, se régalant des bonnes trouvailles et des chutes infernales de chaque gag. Entre nous, il faut être amateur de l'humour absurde pour franchement apprécier cette série. Mais il y a un tel potentiel derrière l'histoire et les dessins, ça peut paraître bête mais c'est efficace. J'étais bidonnée par les nombreux déboires d'Eddy, à chaque page c'est la promesse d'une nouvelle débâcle et ça s'étale sur seulement 50 pages... non, sérieusement, c'est beaucoup trop court !
Une série originale, rigolote et carrément farfelue.
Eddy Milveux, tome 2 : Eddy dans tous ses états ! par Lisa Mandel (BD Kids, rééd. 2012)
Contes d'hiver
petite piqûre de rappel,
On pénètre dans ce roman comme dans un conte, c'est l'histoire de deux frères élevés comme des jumeaux, l'un d'eux va être enlevé. Nous sommes à Petite Terre, une île où on y trouve que des livres et de la neige. Pas besoin de chercher sur une carte, ni de situer dans le temps, c'est une histoire qui pourrait se passer ici ou ailleurs, une histoire qui n'a pas d'âge. Elle te touche, là, maintenant, et c'est le principal.
Je conseille à tous ceux qui auront l'occasion de lire ce roman de ne pas aller à la pêche aux informations, de faire confiance à l'auteur exceptionnel qu'est Jean-Claude Mourlevat et d'ouvrir ce livre en acceptant de suivre le guide.
Les 200 premières pages se lisent d'une traite, elles vous transportent à Petite Terre où le roi vient de mourir. Suivra alors une folle chevauchée où il sera question de séparation, de fraternité, d'amitié et de conquête. Les personnages sont attachants et semblent tout droit sortis de royaumes imaginaires et enchanteurs (un nain maniaque qui part à l'aventure avec son violon à l'épaule, une vieille sorcière qui mange les têtes de rat ou une femme aux yeux de louve qui vit pour l'amour exclusif d'un homme).
Je pense d'ailleurs que toute la première partie est la plus belle, la plus envoûtante. La deuxième aussi est captivante, elle reprend les thèmes chers à l'auteur, que sont la guerre, la dramaturgie, l'absolutisme, le sacrifice, la rédemption. Forcément, à la fin, on ressent un petit pincement au coeur à l'idée de devoir quitter cette terre peuplée de personnalités inoubliables. Mais il nous reste le bonheur d'avoir lu et partagé un vrai, beau et grand roman. Comme seul JC Mourlevat a le mystère.
Le Chagrin du Roi Mort, par Jean Claude Mourlevat
Folio junior, coll. Pôle Fiction, 2011.
Dans un registre tout aussi fascinant, il faut jeter un oeil à l'édition La Reine des Neiges illustrée par Stéphane Blanquet.
Un petit côté sombre et effrayant pour un effet tout aussi envoûtant.
La Reine des Neiges, par H.C. Andersen - illustrations de Stéphane Blanquet.
Traduit du danois par P. G. La Chesnais. Gallimard jeunesse, coll. Giboulées, 2011.