Le Papa de Simon, de Guy de Maupassant, ill. de François Roca & adapt. de Charlotte Moundlic
Simon, sept ans, souffre à l'école d'être la risée de ses camarades, car le garçon n'a « pas de papa ». Il s'en défend et se bagarre avec les malotrus. Dépité, l'enfant songe même à plonger dans le lac pour oublier ce flot de quolibets. C'est alors qu'un homme lui pose la main sur l'épaule et engage un début de conversation.
L'enfant, rassuré, le conduit chez lui, où vit sa maman, la belle Blanchotte, qui l'accueille avec réserve. Mais Simon a décrété que son nouvel ami, Philippe, serait son papa ! Il le clame avec fierté, mais de nouveau ses camarades se moquent de lui, sous prétexte qu'il n'a pas le même nom de famille ou ne vit pas avec lui.
Après tout, un papa, qu'est-ce que c'est ?
Ce texte, adapté d'après une nouvelle de Maupassant, remis au goût du jour par Charlotte Moundlic, en offre une définition assez simple, mais attendrissante. Un papa, ça va au-delà du nom, de la présence, de l'idée ou de l'éducation, c'est tout ça à la fois, mais surtout cela comble de bonheur un petit garçon, confronté à la bêtise et à la méchanceté, qui considérera providentielle la rencontre avec le forgeron.
Les illustrations de François Roca nous régalent avec des décors de campagne, ambiance très 19ème siècle, culottes courtes, chemise blanche, cheveux peignés, souliers vernis, besace en cuir... chaque détail compte et c'est d'un raffinement ! Toutefois, l'histoire n'en demeure pas moins contemporaine, à traiter de la cruauté du groupe et d'exclusion, sitôt qu'un détail vous distingue.
Pari est donc réussi pour C. Moundlic, qui a su distiller sa touche personnelle dans ce très beau texte, poignant et saisissant, en parfaite harmonie avec le style précieux et élégant de F. Roca.
Milan, septembre 2014
L'histoire du soir #19 : Jésus Betz, par Fred Bernard & François Roca
Maman, voici ma vie en 33 dates qui claquent, craquent, sonnent ou grincent comme autant de vertèbres sans lesquelles je ne serais qu'une tête. Un coup de poing dans un ciel d'orage, au-dessus de ce monde de brutes.
Je ne t'en veux pas, maman. Je dicte cette lettre pour toi parce qu'aujourd'hui je suis heureux et fier. Je me tiens droit comme un i et ma tête fait le point.
Le 13 avril 1898, tu mets au monde un deuxième enfant. Mon frère Willy qui, lui, serre ses petits poings sur un guidon invisible et pédale avec ses membres inférieurs. Le "p'tit gars" normal tant attendu. Et de père inconnu bien sûr, comme moi. Tu resteras la jardinière d'un arbre gynécologique épineux bien compliqué.
Sous la forme d'une lettre adressée à sa mère, Jésus Betz raconte son histoire. Pour cet homme-tronc, la vie ne s'annonce guère paisible. Enfant, il s'éclate à la chorale et révèle une voix à couper le souffle, mais l'église ne veut pas de lui. Sa mère doit donc trouver une autre solution pour le placer.
C'est ainsi qu'il va passer des passées en mer, à débusquer les baleines, mais un accident de mouette le forcera à retourner sur la terre ferme (où l'attend l'amour !). Il est ensuite enrôlé dans une foire aux monstres, humilié et plus seul que jamais. La vie lui offrira finalement une nouvelle revanche et l'espoir d'être heureux, auprès d'une jolie acrobate muette.
Beaucoup d'émotions dans ce récit, teinté de pudeur, d'amertume et de colère, mais derrière les mots on devine la détresse du héros. C'est beau à lire et à contempler. La prose de Fred Bernard est magnifique, elle possède une force et une justesse qui touche immédiatement. Les toiles de François Roca sont sublimes. Cet album, souvent cité parmi le meilleur du meilleur de ce duo aux talents multiples, mérite amplement ce concert de louanges !
Jésus Betz, par Fred Bernard et François Roca
Seuil jeunesse, édition collector 2012
L'histoire du soir #17 : La Fille du Samouraï, par Fred Bernard & François Roca
Fin XIXe, sur la scène d'un Concours d'histoires vraies ou presque consacré aux îles de l'Orient, un jeune homme du nom de Tomé Dias raconte son histoire. De type européen, il est habillé à l'orientale et est accompagné d'une jeune fille voilée, vêtue d'un kimono. Il était fils de marin et avait pris la mer pour la première fois. Tomo Musashi était la fille unique d'un vieil homme aveugle, qui vivait reclus sur une île. Suite à un naufrage, Tomé s'est invité dans leur existence, est tombé amoureux et a appris auprès de Masumi Musashi le maniement du sabre.
Car, pas très loin, un danger les menace. Les terribles Guerriers-Démons et leurs dragons maudits ont soif de vengeance et obligent le vieil homme à quitter sa retraite paisible. En vrai, Maître Musashi est un puissant et redouté samouraï, qui nourrit pour sa fille un amour démesuré et protecteur, aussi remuera-t-il ciel et terre pour l'arracher des mains de l'ennemi.
Cette fabuleuse histoire réunit tous les ingrédients qui font le succès d'un conte (il est question d'amour, de combat, de légende, de valeurs ancestrales, de démons et de sacrifice), tout ça sur une touche d'exotisme, avec la découverte d'une nouvelle culture. Tomo, la belle japonaise, dévoile sa peau tatouée avec subtilité par son père, en fait la mémoire de toutes les techniques secrètes de combat, entièrement codées afin d'être préservées et permettre au Bien de triompher du Mal. C'est magnifique !
Forcément, les toiles de François Roca glorifient l'histoire et forcent l'admiration. Encore une fois. Ce duo remporte tous les suffrages, la magie des mots et le pouvoir des images, le mariage est sublime, une vraie réussite !
La Fille du Samouraï, par Fred Bernard et François Roca
Albin Michel jeunesse, 2012
Et il y aura assez de galettes au miel pour deux enfants...
Magnifique, Anouketh !
Anouketh est une petite fille en colère et elle l'exprime sans ménagement en écrasant les petites fourmis rouges sur son chemin. Ces dernières protestent, hé ho ! ça suffit le massacre. Même ses camarades imaginaires (les enfants des dieux Anubis, Horus...) sortent du rang pour la cajoler et comprendre ses soucis. Or, Anouketh se renferme et prend la poudre d'escampette. Elle dépasse les limites de son terrain de jeu autorisé, se retrouve près des rives du Nil et laisse exploser la raison de son mécontentement. Et pour preuve, elle lance une grosse pierre, plouf, qui tombe dans l'eau mais qui entraîne dans sa chute la fillette. Vite, un papa à la rescousse !
Anouketh est un album MAGISTRAL. Les illustrations sont parfaites, de toute beauté. L'histoire est piquante, cocasse grâce aux apartés des fourmis, c'est obligé de sourire. La colère de la petite fille est mignonne, elle a pour objectif d'atténuer la jalousie entre l'aînée et l'enfant à naître. Ce plongeon dans l'Egypte antique aussi produit un effet magique, à la fois dépaysant et fascinant, oui j'étais complètement sous le charme ! Anouketh figure parmi mes albums préférés du duo talentueux (j'ai nommé, François Roca et Fred Bernard).
Anouketh, par Fred Bernard et François Roca (Albin Michel jeunesse, 2011)
Epinglée, notre Gaëlle aussi a craqué pour les fourmis rouges ...
Une autre petite histoire d'amour filial,
“Moi, j’aime quand Papa me donne le bout de la baguette chaude…
Moi, j’aime quand Papa il me prend sur ses épaules …
Moi, j’aime quand Papa il fait des blagues au téléphone ..
Moi, j’aime quand Papa il regarde avec moi le rugby à la télé
Moi, j’aime quand Papa il fait une surprise à Maman …”
Un concentré des petits moments de vie pleins de tendresse et de complicité entre un papa et son fils. Mignon tout plein.
Moi, j'aime quand papa... par Arnaud Alméras et Robin (Gallimard jeunesse, coll. Giboulées, 2011)
Pêle-mêle Clarabel #28
Toute la nuit, la tempête a soufflé sur la petite ville. Le lendemain matin, les fillettes, en vacances chez leurs grands-parents, bravent l'interdiction de quitter la maison pour se rendre aux alentours et découvrir les dégâts. Elles arrivent au cimetière, complètement ravagé, et se chargent alors de tout remettre en ordre, de nettoyer les allées et de réorganiser les fleurs pour mieux embellir les tombes. Elles ignorent que leurs petites silhouettes filantes ont été aperçues par la femme du maire et que cela a déjà été colporté à la connaissance des grands-parents, lesquels font alors mine de se poser des questions. L'histoire est toute mignonne, simple et souligne l'innocence de l'enfance. J'ai aimé les illustrations de toute beauté de François Roca, ce qui n'est guère surprenant.
Après la tempête, de Charlotte Moundlic & François Roca (Albin Michel, 2011)
J'ai parcouru un autre album illustré par François Roca - vraiment superbe ! Il y a un réel souci du détail et les ressemblances avec le vrai personnage d'Elinor sont bluffantes (cliquez ici par exemple). L'histoire met à l'honneur une femme d'exception - Elinor Smith, une américaine pionnière de l'aviation. Son aventure est éblouissante car tout est parti d'un rêve, à l'âge de six ans, qui n'a jamais été contrarié par ses parents ou par l'adversité. Elinor souffrait de petits handicaps comme son âge, son sexe (nous sommes dans les années 20) mais cela n'a jamais été un frein pour elle. Elle a atteint ses objectif, relevé le défi de voler sous les quatre ponts de la ville de New York, décroché des médailles de mérite, bref Elinor Smith est un beau symbole de féminité et de détermination. L'exemple parfait qu'il faut s'accrocher à ses rêves et ne jamais renoncer.
L'incroyable exploit d'Elinor, de Tami Lewis Brown & François Roca (Albin Michel, 2011)
J'ai aimé l'originalité qui se cache dans cet album de Merlin - Le garage. Ce sont des pliages, des pages qui s'ouvrent en grand, des indices cachés et des clins d'oeil rigolos qu'on trouve à la pelle. Une belle partie de cache-cache chez un garagiste qui a bien du mal à gérer sa petite troupe facétieuse.
Le Garage - Merlin (Albin Michel, 2011)
Le pompier de Lilliputia ~ Fred Bernard
& Illustré par François Roca
Albin Michel jeunesse, 2009 - 40 pages - 14,90€
Ma fille a pris les commandes de ce blog, voici encore un album qui porte la marque de notre coup de coeur.C'est l'histoire incroyable et vraie de Henry Mac Queen, pompier de Lilliputia, à Cosney Island (NY). Nous sommes à la fin du XIX° siècle, à New York. La famille Mac Queen habite une grande, belle maison, avec une multitude de domestiques, quelques araignées sous les plafonds, un papa trèèès occupé par ses ambitions politiques et une maman douce et affable, vite fatiguée par l'éducation de ses trois enfants.
Le plus jeune, Henry, n'est pas très grand pour son âge. Les médecins annoncent d'ailleurs leur verdict, cet enfant ne grandira plus, et les parents sont consternés. Henry ne dit rien mais il remarque très vite que ses proches ont honte de lui, il est mis de côté, il reste dans sa chambre les soirs où la maison grouille d'invités de marque, il n'a pas d'amis et il se sent seul.
Sur l'île de Cosney Island, existe un parc d'attractions avec un quartier appelé Lilliputia, exclusivement réservé pour les personnes de petite taille. Henry y trouve sa place, bien naturellement. Depuis quelques années, en plus de son malaise, il sent dans son ventre et sur ses mains une sensation de feu. Sa famille et lui ont échappé de peu à un incendie qui a ruiné leur belle maison, Henry a eu chaud (c'était un peu sa faute, aussi... il a oublié sa petite bougie qu'il allumait exprès pour lire dans son lit).
A Lilliputia, Henry va accomplir son rêve sous forme de spectacle : il devient pompier... pour épater la galerie. Avec sa petite troupe, il met en scène des opérations de sauvetage durant lesquelles il finit par tomber sous le charme de la délicieuse Nadja.
Et si Henry finissait par gagner la fierté de son père, l'admiration des plus grands et les honneurs de toute une ville grâce à son courage lorsqu'un soir de 1911 une partie de Cosney Island part en fumée ? Cette histoire nous paraît encore plus époustouflante puisqu'elle s'avoue authentique.
Ce fantastique album, porté aux nues par les illustrations grandioses de François Roca, nous transporte au-delà des époques et des océans. C'est merveilleux, le texte de Fred Bernard est beau, plein de charme et d'élégance. Cette combinaison de deux talents rend cet album précieux et indispensable.
A découvrir dans le ^feu de l'action^!
> également apprécié par Simon de la librairie M'Lire et par Lili O.
> de François Roca, nous avions déjà énormément aimé Suzanne ! L'illustration du Pompier de Lilliputia s'y rapproche d'ailleurs beaucoup.
Coup de coeur, coup de coeur !!!
La saga Mendelson ~ Fabrice Colin
Fabrice, un ami de la famille Mendelson, choisit d'écrire toute leur histoire depuis sa récente découverte d'une malle aux trésors, qui avec ses journaux intimes et ses photographies racontent leurs aventures étonnantes. La saga Mendelson peut commencer, à Odessa en 1895. Elle s'ouvre sur le couple Isaac et Batsheva, dans une ville qui sera bientôt balayée par les pogroms, les insurrections et la tristement célèbre affaire du Potemkine. Forcés à l'exil, le couple et ses deux enfants vont se rendre à Vienne.
C'est un roman plein de charme qui ouvre cette trilogie historique d'une famille juive plongée dans la tourmente du 20ème siècle. Le rythme est échevelé, l'histoire riche, bien écrite, mélangeant les anecdotes authentiques au souffle romanesque, et le produit en lui-même est très original. C'est en effet une somme de témoignages, d'extraits de journaux intimes, de clichés et de dessins qui composent ce récit, entrecoupé par la voix du narrateur.
Cela pourrait commencer ainsi : il était une fois un horloger modeste qui rencontra la femme de sa vie, elle était d'une grande beauté et l'aimait également d'un amour fou et exclusif. Leur monde s'écroule lorsqu'un vent de haine souffle sur l'Europe et, parce qu'ils sont de confession juive, les oblige à s'expatrier toujours plus à l'ouest. D'un seul coup on se retrouve avec une saga palpitante, qui raconte le destin hors du commun d'une famille marquée par les coups du sort, et qui, de plus, se télescopent aux grandes pages de l'Histoire.
D'Odessa à Hollywood, en passant par Vienne et New York, cette famille exceptionnelle va connaître une destinée tout aussi époustouflante, nous n'en sommes qu'au début (ce premier tome couvre la période de 1895 à 1929) mais l'histoire ne manque déjà pas de rebondissements (séparations, exils, liaisons amoureuses, pauvreté et richesse). Les personnages ne sont pas encore trop nombreux, ce sont les premiers, donc les plus attachants, ils ont le privilège des rencontres étonnantes, avec un certain Adolf Hitler, alors étudiant recalé de l'Académie des Beaux-Arts, le peintre Egon Schiele, ou le producteur de cinéma, Louis B. Mayer.
Sans le vouloir, les Mendelson ont le chic d'être au coeur des événements les plus brûlants et ne semblent pas se contenter d'une existence sage et rangée.
Tant mieux !
La suite promet de palpitantes révélations !
A découvrir en novembre 2009 : les insoumis (1930 - 1965) et au printemps 2010 : les fidèles (1965 - 2000).
Les premières pages des Exilés, tome 1 de La Saga Mendelson à paraître le 16 avril, sont en ligne ici.
Seuil jeunesse, 2009 - 269 pages - 16,50€
illustration couverture : François Roca
concept graphique : Frédérique Deviller