Pêle-Mêle : Le rendez-vous - Au-delà de la forêt - La vie de Smisse : à la maison
Un adorable petit lapin est assis sur un gros caillou, sans rien dire, il attend, tout simplement. Un écureuil passant par là décide de se joindre à lui et s'installe à son tour. Viennent successivement un rouge-gorge, un blaireau, une grenouille, un renard, un chat, un ours, une chouette et un cerf. Tous se demandent ce qu'ils attendent, mais suivent le mouvement, attirés par l'effet de groupe. C'est peut-être un nouveau jeu, façon Roi du Silence, car Lapinou exhorte ses amis à ne pas faire de bruit, mais l'attente est longue, la patience mise à rude épreuve et la curiosité titillée à fond. On devine, sans peine, l'arrivée du Marchand de Sable, à travers cette interprétation facétieuse, illustrée avec tendresse et déclinée dans des couleurs douces, qui apaisent efficacement les enfants au moment de se coucher. De plus, les expressions des animaux sont affolantes de drôlerie. Une lecture doudou par excellence. ADORABLE. ♥
♥♥♥ Le Rendez-vous, de Julie Colombet ♥♥♥
Seuil jeunesse, 2017
Un père et son fils vivent dans une ferme, au milieu d'une clairière, entourée d'une forêt dense et sombre, qu'on suppose hantée par des loups, des ogres et des blaireaux géants. Monsieur Lapin a pourtant toujours rêvé de connaître ce qu'il y a au-delà de la forêt. Pour y parvenir, il décide de construire une tour, d'où son plan ingénieux. Grâce à sa récolte de blé, il se rend au moulin pour moudre le grain, obtenir une farine puis préparer une pâte à pain. Le lendemain matin, la bonne odeur de mie chaude embaume toute la clairière et les clients affluent. Monsieur Lapin demande juste à être rétribué en pierres, et après chaque vente, son fils et lui se lancent dans leur chantier. L'histoire est forte, l'histoire est belle, l'histoire est percutante et montre que rien n'est impossible quand on s'entraide ! L'ambiance vintage et la prose en vers confortent un charme supplémentaire à ce bel et grand album, au scénario parfaitement ficelé, dont la chute est pleinement réjouissante. Une lecture élégante et solidaire. ☺
Au-delà de la forêt, de Nadine Robert & Gérard DuBois
Seuil jeunesse, 2017
Smisse est un petit bonhomme de trois ans, qui déborde d'énergie. Comme souvent à cet âge, son imagination s'exprime avec grandiloquence et fracas. Ainsi, quand Smisse reste à la maison, l'enfant joue avec son singe, se transforme en éricoptère ou en camion poubelle, fait le travail sur l'ordinateur de papa, avale son goûter, joue au coiffeur et fait de l'art pour mettre du soleil sur les murs... Un vrai tourbillon d'idées et d'activités. La mise en page est aussi éclatante d'audace, d'aventure, de bêtises et de jeux. C'est coloré et turbulent. Une vraie cacophonie en images, mais une lecture rafraîchissante, qui met en scène l'enfance, son insouciance et sa jovialité avec une impression de frénésie.
La vie de Smisse : À la maison, de Isabelle Chavigny, Ivan Grinbert & Marie Caudry
Seuil jeunesse, 2017
On aurait dit, par André Marois & Gérard DuBois
Madame Martin va cueillir des légumes dans son jardin. Au même moment, le copain de son fils débarque pour jouer à la maison et tous deux promettent d'être bien sages. Les garçons se mettent alors à inventer une histoire... Une histoire de deux guerriers solitaires, qui n'avaient peur de rien. Et pourtant leurs ennemis sont nombreux, ils attaquent de tous bords, mais nos héros font front et se livrent à une lutte acharnée. Rien ne leur fait peur, pas même le monstre poilu avec ses dents pointues.
Ce qu'on ne dit pas, c'est que les garçons vivent littéralement leur histoire. Ils ont une imagination débordante et ils se mettent véritablement en scène dans de bouillonnantes péripéties : ils dévalisent les placards, ils escaladent des montagnes de meubles et d'objets mis pêle-mêle, ils renversent les pots de fleurs, ils plongent dans la baignoire pleine d'eau... Et ça craque !
Le spectacle, au final, est effrayant. Madame Martin rentre chez elle et découvre le carnage. On dirait que c'est leur nouvelle ennemie à craindre pour de vrai... Cette lecture possède un touche vaudevillesque appréciable, avec un univers très vintage dont Gérard DuBois en fait une marque de fabrique. Son travail a d'ailleurs été récompensé par un Bologna Ragazzi Award pour Enfantillages, publié au Rouergue (Mention Spéciale du Jury).
C'est farfelu, débordant de pep's et de joie. Un album qui donne libre cours à l'imagination des enfants. Grandiose !
Seuil Jeunesse - Août 2016
Enfantillages, de Gérard DuBois
Magnifique album de Gérard Dubois ! La couverture toilée promet déjà un voyage dans le temps, sous une forme très stylée et raffinée ! Et de plonger dans une étrange galerie d'images classiques, où s'opère un savant décalage entre ce qui est de mise - les sourires angéliques, les culottes courtes, les chaussettes blanches, la raie sur le côté ou la frange bien plaqué sur le front - et ce qui se pratique - scier la branche de l'arbre où se trouve la balançoire, car c'est chacun son tour, ou chiper la jambe de bois du papi qui fait sa sieste au coin du feu. La cruauté des enfants y est exposée sans retenue, les images ne nous épargnent rien, même si l'imaginaire participe aussi beaucoup à l'histoire qui se raconte. C'est stupéfiant, avec ce charme vintage qui dénote et fait toute la différence.
Ces enfantillages sont une autre manière d'épingler les travers de nos bambins, mi-anges mi-démons, et d'assister à un spectacle parfois déconcertant, souvent effarant et, malgré tout, sournoisement impressionnant. Gérard Dubois maîtrise cet art de jongler avec les mots, les images et l'interprétation avec une rouerie savoureuse. A offrir davantage pour «grands» enfants.
Rouergue / Octobre 2015
Un pommier dans le ventre, de Simon Boulerice & Gérard DuBois
« Je mange mes pommes en entier. Enfin, presque. Il n’y a que la queue que je ne mange pas.
À la récréation, Rémi Smith me regarde et fait les yeux ronds.
— Les pépins, ça ne se mange pas ! me prévient-il. Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ! ? »
Raphael est effrayé d'apprendre qu'un verger est probablement en train de pousser dans son ventre ! Depuis des années, il avale chaque jour une pomme, pépins compris. Son ami Rémi lui prouve par A + B qu'il est fichu... jusqu'au trognon ! ;-)
Pour le coup, notre bonhomme se sent hyper mal. Il imagine déjà son ventre bosselé, sa peau devenir écorce. Il refuse de boire une seule goutte d'eau, ou même d'ouvrir la bouche, pour éviter d'accélérer la pousse du pommier dans son corps (car ce sont deux éléments essentiels, lui a rappelé Rémi).
Et puis ouf, sa maman le rassure en quelques mots : « Le temps des pommes, c'est à l'automne. »
« Je soupire de soulagement. Nous sommes seulement au printemps. » (...)
Ce texte évoque les peurs enfantines, avec drôlerie et tendresse. Et une pointe de dérision. Qui n'a, en effet, jamais eu la trouille d'avaler son chewing-gum de crainte d'avoir les boyaux collés ?! :-)
En découvrant ce petit album, j'ai d'abord pensé qu'il pouvait s'agir de la réédition d'un titre paru des années plus tôt, au vu des illustrations et de son esthétisme rétro. Que nenni ! Gérard DuBois impose un style élégant et précieux, sans prétention, qui nous donne effectivement l'illusion de basculer dans le temps.
Et la séduction opère illico. J'ai beaucoup aimé cette lecture qui fait preuve d'originalité, tout en traitant avec sérieux des angoisses chez les enfants, avec tendresse et humour. C'est tout bon !
Grasset Jeunesse, octobre 2014
Les Enfants du Roi, de Sonya Hartnett
Jeremy et Cecily Lockwood quittent Londres avec leur mère pour vivre à la campagne, chez leur oncle Peregrine. C'est le début de la guerre, la ville a décrété un blackout et les premiers raids aériens se font attendre. En route, les Lockwood recueillent une jeune évacuée, May Bright. Elle a dix ans, elle est toute mignonne et timide, Cecily décide d'en faire “sa chose”, mais la demoiselle est rebelle.
Finalement, sans prévenir, elle part se promener dans les jardins ou les bois, elle fait même une découverte étonnante dans les ruines du château et propose à Cecily, revêche, de la suivre. Deux garçons, deux frères, sont là. Méfiants, blessants, moqueurs. Cecily prend la mouche, tandis que May est intriguée. Peu de temps après, l'oncle Peregrine leur fait part d'une vieille légende (triste et effrayante) au sujet de Richard III et du mystère des Princes de la Tour.
Plus qu'un simple roman historique, c'est aussi une plongée dans un monde chimérique (avec des fantômes, des mystères, des secrets). On y trouve aussi une ambiance surannée, des personnages crispants (surtout Cecily), du charme, une écriture remarquable, tout en poésie et en subtilité. On se laisse séduire, en dépit de nos doutes ou de nos réticences, ce qui est assez inhabituel. Je pense d'ailleurs que c'est une lecture qui plaira davantage aux adultes, mais qui risque de laisser les enfants dans une certaine perplexité.
éditions (Les Grandes Personnes), avril 2013, traduit par Fanny Ladd et Patricia Duez, illustration de couv. : Gérard Dubois