Rêver et faire rêver. ♥
« - Bonjour, mon fils, dit-il.
J'ai vu tout son amour dans son regard. Il y avait aussi, derrière, la lumière d'un bonheur lointain, et l'ombre d'une très grande douleur. Ce salut, je savais qu'il n'était pas adressé seulement à moi. Moi, j'avais tant de choses à lui dire alors, tant de choses... Mais, la gorge soudain serrée, les larmes aux yeux, je ne pouvais pas parler. Ça valait mieux. Les mots étaient de toute façon trop pauvres, trop petits pour dire ma pensée. »
✽✽✽✽✽✽
C'est l'histoire d'une fillette de douze ans, Paohétama, qui vit seule avec son grand-père.
Celui-ci se fait vieux et sent son corps usé par les années de pêche. Il est temps pour lui de passer le flambeau.
Il demande alors aux sages du village l'autorisation de transformer sa petite-fille en garçon.
Autorisation accordée.
La fillette doit se raser la tête, porter un pagne, abandonner la compagnie des filles et se joindre aux jeux des garçons.
Sitôt que son corps manifestera les premiers signes de sa féminité, il lui faudra aussitôt rentrer dans le rang.
Ou bien, boire une potion pour lui ôter définitivement ce genre de souci.
Pour Paohétama, l'idée de devenir un garçon représente l'aboutissement de ses rêves les plus fous.
« Pêcher ! Entrer dans ce monde mystérieux et infini de la mer ! Tirer d'elle cette vie aux formes si variées, aux couleurs délicates. (...) Pêcher, chasser la tortue, reine lente de l'eau ! (...)
Plonger ! Devenir poisson dans l'eau calme de la baie ! Cueillir dans ses fonds le corail, les limaces de mer, les cônes, les porcelaines, et surtout ces coquillages noirs dont on tire le nacre, grande richesse de Notre Terre.
Naviguer ! Apprendre l'art économe de plonger la pagaie, la science des vents et des courants, celle de deviner le temps d'après le passage d'un nuage ou la couleur de l'horizon, celle enfin de lire la route ou l'heure dans la course du soleil et les figures des étoiles. »
Voilà une histoire fabuleuse, aux doux accents poétiques et enivrants.
Une belle promesse d'évasion, dans un décor magnifique, à la découverte d'une nouvelle culture et d'un folklore dépaysant.
En somme, c'est une bouffée d'air frais !
On s'attache aussi au parcours de la jeune Paohétama, on vit ses joies, ses doutes, ses peines, on partage ses sensations, souvent exaltées (et exaltantes), on vit d'air pur et d'eau fraîche ! Tout, absolument tout, est décrit dans le but de distraire et faire rêver.
Mais c'est aussi un texte engagé, autour de la féminité et la place de la femme au sein de la société. Et c'est un homme à la plume ! Avec quelle facilité déconcertante il nous touche et nous transporte. Car c'est un roman généreux, beau, charmant. Un texte où la sensualité est à fleur de peau, où les sens sont mis en éveil.
Cette lecture vous séduira à maintes reprises, qu'importe votre attente, votre désir. C'est tour à tour une invitation au voyage, au rêve, une ode à la nature et à la liberté. C'est aussi l'histoire d'une tendre complicité entre un grand-père et sa petite-fille, et de façon plus cocasse, avec un cochon (super craquant !).
En somme, c'est un joli conte initiatique, qui se déguste comme on savourerait un verre de cocktail, sous un parasol, sur une plage en été !
Au Ventre du Monde, par Gilles Barraqué (Ecole des Loisirs, novembre 2012 - ill. de couverture : Hélène Millot)
Une vague idée qui peut donner quelque chose
Un beau titre pour un roman qui promet son lot de petites perles. Eugénie Grandet est mise l'honneur lors d'une exposition de Louise Bourgeois, à laquelle se rendent les soeurs Pratt, Alice et Anne-Louise. Et c'est au cours de cette visite que la plus jeune, Alice, va réaliser ô combien elle étouffe de rester dans l'ombre de son aînée. Elle en tombe dans les pommes et c'est un charmant livreur de fleurs, Alphonse, qui vient à son secours.
Dans la deuxième partie du roman, les soeurs Pratt se rendent chez leur grand-mère dans la Creuse. C'est une femme revêche, qui ne sourit jamais et ne manifeste aucun geste de tendresse. Elle est fermée et sèche. Mais cette fois, les relations vont être mises à plat, car Alice découvre la maladie de sa mamie et va la bousculer pour qu'elle rompe sa coquille.
Et c'est ainsi qu'on se dirige vers la sortie, après un coup d'oeil sur la représentation de La Cerisaie de Tchekhov par l'inénarrable Max, l'amoureux d'Anne-Louise. Une dernière partie où le plaisir s'émousse, même si on conserve un jugement hautement satisfaisant de notre lecture globale.
A vrai dire, j'ai aimé plus que tout le ton d'Alice, l'écriture de Shaïne Cassim. C'est juste, virevoltant, beau et poétique. Derrière chacune des considérations de l'adolescente (Alice est effectivement la narratrice), il y a toujours une part de vérité, de beauté, de grâce. Cela donne au roman un atout essentiel, parce que la séduction est évidente. Dès les premières pages, vous êtes conquis. Convaincus. Chaleureusement encouragés. Et vous tournez les pages de votre livre avec des regards amoureux. Alice Pratt est une héroïne authentique, elle est sentimentale et sensible, elle a aussi besoin qu'on la guide sans pour autant avaler toutes les belles paroles de sa soeur, tellement différente d'elle, car plus excentrique et volubile.
Ce roman, c'est une relation entre soeurs. Une envie de s'affirmer. De rêver aussi. C'est vouloir se détacher des liens trop étroits, affronter le vide ou le manque (leur maman est partie à l'autre bout du monde). C'est dire qu'on aime les autres, qu'on les admire. Qu'on pardonne aussi.
En bref, ce sont 180 pages intenses et troublantes.
Je ne suis pas Eugénie Grandet, par Shaïne Cassim
Ecole des Loisirs, coll. Médium, 2011. Illustration de couverture : Hélène Millot.
"Parfois, Ismaël a l'impression que Birdy est le seul au monde à voir la beauté du ciel et qu'elle n'est faite que pour lui."
Les nuits d'Ismaël sont magiques. Le garçon en est convaincu. Tous les matins, il se réveille dans le lit de sa maman, blotti, bien au chaud. C'est sûrement l'effet d'une cape invisible qui lui procure ses super-pouvoirs et le fait déplacer d'un lit à un autre. Ismaël se sent gonflé de joie, il aimerait bien partager cette découverte avec son ami et voisin. Birdy porte des bottes de cow-boy d'un rouge éclatant et est fasciné par les nuages. Mais il prend un peu à la légère ce que Ismaël a d'important à lui confier, et ça le chagrine. Alors il rentre chez lui, retrouve sa maman qui souffre d'une maladie nommée "la mélancolie". Cela dure depuis un bon moment, même son père a fini par quitter la maison en emportant son parapluie. Et puis la vie impose un autre coup dur, très dur. Ismaël est complètement chamboulé et en perd sa façon de parler. Il confond les lettres, il ne sait plus aligner les mots. La tristesse est en train de le noyer.
C'est un tout petit roman, seulement 75 pages, mais il fond sur vous comme une grosse coulée de tendresse. C'est sûr que les thèmes abordés ne sont pas simples ni légers (la dépression, le suicide, la mort, le deuil) mais ce serait se leurrer de penser que c'est un roman triste et déprimant. C'est tout le contraire, parce que c'est beau, admirablement écrit, très sensible, tendre et charmant. Cela vous touche, là, en plein coeur. Et vous vous retrouvez avec le sourire aux lèvres en même temps que vous tournez les pages. Encore une fois Marie Chartres a su transcender son sujet pour offrir un roman admirable.
Les nuits d'Ismaël, par Marie Chartres
Ecole des Loisirs, coll. Neuf, 2011. Illustration de couverture : Gwen Le Gac.
Thomas a un frère, Sylvain, qui est parti de la maison pour voler de ses propres ailes. C'est ce que dit son père. Par contre, sa mère ne digère pas ce départ et se gave de pilules pour adoucir sa morosité. C'est bien simple, le samedi, sa mère devient dentifrice. Le reste de la semaine, c'est une courgette. Et lui, Thomas, se sent comme un navet. Fade, transparent, quelconque. Un vrai panier de légumes, cette famille.
C'est en parlant du mythe du Minotaure en classe que Thomas fait le rapprochement entre son frère et le labyrinthe de Dédale, et là sa mère lui annonce qu'il est un accident, plouf. D'autres auraient déprimé en digérant une telle nouvelle, pas Thomas. Il se rue chez son meilleur pote, Grégoire, pour tout lui expliquer. En chemin il passe d'abord chez la prof de musique... où l'attend une autre étonnante découverte !
Voilà une lecture très drôle, attachante, intelligente et vraiment bien écrite. On se marre sur toute la ligne, la mère de Thomas est complètement cinglée mais le garçon s'en sort plutôt bien. Ses réflexions sont pertinentes et font glousser de plaisir, c'est bien vu, bien pensé, et ça dédramatise des phrases aussi bêtes que de dire à son môme qu'il est un accident (!). C'est le premier roman que je lis de Frédéric Chevaux, j'en lirai d'autres.
Thomas Quelque Chose, par Frédéric Chevaux
Ecole des Loisirs, coll. Médium -) une erreur, selon moi, car ce titre colle merveilleusement à l'esprit Neuf !
Illustration de couverture : Hélène Millot.
Voler de ses propres ailes, c'est ne plus avoir besoin de ses parents pour payer le loyer. C'est partir vivre ailleurs, loin d'eux, et gagner de l'argent tout seul, à sa façon. Ma mère ne supporte pas qu'on vive sans elle et loin d'elle. Depuis le départ de mon frère, elle répète qu'il l'a abandonnée, qu'être une mère c'est affreux, que c'est ingrat. A l'école, je me vante de connaître une courgette qui parle en boucle de ses problèmes.
"Je crois que parfois, les rencontres, ce sont des évidences."
Aurélien veut qu'on l'oublie. Au lycée, il se pose en figurant et n'a aucune envie de se lier aux autres. Un type de sa classe, Thibaud, va pourtant chercher à mieux le connaître. Même si ça le dérange et lui donne des bouffées d'angoisse, Aurélien va doucement être séduit par l'idée et renouer avec des sentiments volontairement remisés au placard (l'amitié, l'insouciance, la découverte de l'autre...).
Car Aurélien a un passé lourd, traumatisant qui a fait de lui ce garçon qui ne veut plus s'impliquer auprès des jeunes de son âge. Il a déjà donné, il en a payé le prix. Aujourd'hui, avec Thibaud, il aurait presque envie de "briser la glace" et de libérer le flot de mots qui l'étouffent, lui qui parle si peu par souci de discrétion.
Oui, ce texte est d'une grande sensibilité et écrit avec une simplicité juste et touchante. Le désarroi de l'adolescent nous serre le coeur, et tant pis si son secret n'en est plus vraiment un pour nous (c'est le gimmick de l'auteur, en quelque sorte). Reste un petit détail étonnant, qui fait penser qu'on a tous nos petits secrets.
Le roman évoque aussi le pouvoir des mots et leur capacité à nous "reconstituer". Pour cela, le slam est mis à l'honneur, tel un exercice de vie ou de survie, au cours duquel chacun est libre de s'exprimer, de crier son impuissance, sa révolte ou uniquement pour faire briller les mots et les sons.
En somme, un roman accessible, poignant et généreux.
Brise Glace, par Jean-Philippe Blondel (Actes Sud junior, 2011)
Ma nuit d'amour est une jolie lecture de 65 pages sur les rêves d'amour et les promesses, sur le désir, le fantasme, la passion d'une jeune fille de 15 ans qui ne souhaite pas se contenter de belles paroles et qui déclare : "Je ne veux pas d'un brouillon. Je suis née pour être une amoureuse, une aventurière, une conquérante de la chair. Je le sais, j'en suis sûre." C'est une lecture qui raconte la première nuit d'amour, belle et parfaite. Il y a peut-être un peu d'invention aussi, un peu d'ambition secrète et exaltée... Après tout, Frédérique Deghelt n'est pas avare de pirouette qui fait tourner la tête, et le coeur. (Actes Sud junior, 2011)
Et pour finir, voici le très beau roman de Tania Sollogoub : Au pays des pierres de lune. Je savais que j'allais aimer ce roman, de toute façon je voulais l'aimer parce que la couverture est très belle et l'histoire est un hommage tendre et remarquable d'une adolescente pour sa famille et leur culture russe, sauf que nous sommes à Boulogne-Billancourt, dans un immeuble "plein de gens venus de tous les pays du monde". Chaque appartement est une invitation au voyage, à la découverte, aux mets et aux senteurs d'ailleurs, aux promesses d'histoires et de légendes un peu fantaisistes, mais enchanteresses. On y trouve sa place sans souci, on admire inlassablement ce décor et on tombe amoureux de cette communauté exubérante.
C'est tellement bon, chaleureux et stimulant.
A l'écart, on suit l'histoire d'amour de la narratrice. Elle a treize ans, elle passe ses vacances chez sa grand-mère, qui aime la neige, les cigarettes, les bijoux et se souvenir des belles choses. Cette fois-là, l'héroïne rencontre Boris, il est séduisant, fougueux, rebelle et fascinant. Elle tombe folle amoureuse de lui et le vit comme une brûlure.
C'est un roman intense et exaltant, parce qu'"à treize ans, on est capable de tomber amoureux de la couleur d'un regard". C'est tout simplement beau, avec en fond sonore une petite musique nostalgique.
(L'Ecole des Loisirs, coll. Médium, 2011)
illustration de couverture : Hélène Millot