L'Héritage des espions, de John Le Carré
Dans la continuité de L'espion qui venait du froid : un roman d'espionnage du temps de la guerre froide, dans l'Allemagne de l'Est.
Un ancien agent à la retraite est convoqué au siège des services du renseignement pour éclaircir la mort suspecte de ses collègues survenue dans les années 60. Leurs enfants réclament aujourd'hui réparation. La couronne britannique ne veut pas de vagues. Peter Guillam comprend que son mentor (George Smiley) est leur cible privilégiée, mais n'en demeure pas moins loyal et mutique. Peu coopératif, notre homme se retrouve pourtant forcé de replonger dans son passé en compulsant de vieux dossiers et en répondant à de longs interrogatoires. Renaît aussitôt une époque houleuse où tous jouaient des rôles pas toujours glorieux, sans le moindre remords. Des agents étaient sacrifiés pour le bien du pays et on effaçait l'ardoise ni vu ni connu. Qui est le plus coupable parmi tous ? Songeant tour à tour à sa retraite en Bretagne, à la femme qui l'attend dans leur ferme isolée, à celle qui a cru être aimée sans retour, Peter est nostalgique de sa jeunesse et du devoir accompli. Mais il défend tout ça en son âme et conscience, tenant tête à des juristes qui voient en lui le parfait bouc émissaire.
Après moult soupirs, je sors déconcertée par cette lecture. Sensation d'avoir loupé un truc. J'ai aimé le cadre du roman d'espionnage, même si l'histoire m'a semblé mollassonne. L'ambiance est classique, la documentation fournie, les descriptions sont pointues, passé et présent s'entremêlent judicieusement, seuls les personnages paraissent distants et creux. Je ne doute pas de la valeur du roman, pris à part de la série, le rendez-vous me laisse songeuse. Le livre audio a néanmoins été écouté non sans déplaisir : Vincent Schmitt est un interprète fiable et convaincant, dont la voix dramatique se prête efficacement à l'atmosphère sombre et mélancolique de Le Carré.
©2018 Éditions du Seuil. Traduit par Isabelle Perrin (P)2018 Audiolib
- Lu par : Vincent Schmitt
- Durée : 9 h 30 env.
Repris en format poche : POINTS (2019)
Mes voisins les Goolz : Sale nuit pour les terreurs, de Gary Ghislain
Harold a 13 ans et vit seul avec sa maman qu'il adore, mais trouve sa vie monotone. Coincé dans un fauteuil, depuis une chute accidentelle, le garçon a pris pour habitude de se réfugier dans la lecture. Aussi, quand il découvre que son nouveau voisin n'est autre que Frank Goolz, son auteur fétiche, le cœur du garçon fait des bonds de cabri. Autre bonne surprise, Harold surprend deux fillettes en sa compagnie, Ilona et Suzie, toutes deux intrépides et hardies. Car rapidement, elles vont toquer à sa porte et l'entraîner à leur suite pour vivre des aventures affolantes.
En effet, leur univers se révèle peuplé de créatures étranges, comme des fantômes ou des esprits vengeurs, bref tout ce que le garçon croyait fictif est en fait inspiré de leur propre vécu !
Je n'ai fait qu'une bouchée de cette histoire, plutôt cocasse au début, avec son portrait d'une famille déjantée, qui aime boire du chocolat à l'eau et qui fait voler la vaisselle à travers la maison. Le père apparaît lunatique, perdu dans son monde, et plus particulièrement excentrique. La petite dernière aussi prend le même chemin, sauf que Suzie est obsédée par la mort de sa maman et souhaite la faire revenir d'entre les morts.
Oui, oui. On réalise finalement qu'il se passe des choses anormales et que la sagesse d'Ilona, la fille aînée, n'est pas de trop pour absorber toutes ces révélations. Témoin de ces phénomènes inexpliqués, Harold n'en mène pas large lorsqu'il se retrouve en première ligne pour affronter “la nuit des terreurs”.
Ha, ha. Franchement, c'est génial. Et assez impressionnant à lire. En plus du fantastique, on trouve pas mal de suspense et de rebondissements, avec des disparitions et des meurtres qui surviennent à grand renfort de détails glauques et effrayants. J'ai été agréablement surprise et trouvé cette lecture très distrayante. J'ai beaucoup aimé le mélange des genres, l'humour, les situations périlleuses, les sensations fortes et la tension qui va crescendo.
Un petit roman captivant. Dès 9-10 ans pour les plus coriaces. ☺
seuil jeunesse, 2018 - traduit par Isabelle Perrin
couverture illustrée par Juliette Barbanègre
Gary Ghislain est né en France dans une famille franco-espagnole et a grandi entre Paris et la Côte d'Azur.
Mes voisins les Goolz est son deuxième roman traduit en français, après Comment j'ai piqué la petite amie alien de Johnny Depp chez De La Martinière Jeunesse en 2012.
Amanda et les amis imaginaires, par A.F. Harrold & Emily Gravett
Amanda est une fillette solitaire, qui découvre un jour dans son placard un garçon qui prétend s'appeler Rudger. Elle est bien sûr la seule à le voir, mais décrète qu'il est son meilleur ami pour la vie. C'est si bon de s'amuser ensemble, de jouer dans le jardin, de créer des mondes magiques dans lesquels s'évader. Sa maman tolère cette douce excentricité, mais veille au grain. Après tout, c'est durant l'enfance que l'imagination la plus folle trouve son terreau !
Et puis, le drame. Amanda est victime d'un accident, elle tombe dans le coma. Son ami Rudger se retrouve seul, menacé. Sans enfant réel, comment un être imaginaire peut-il survivre ? Alors, Rudger part en quête de nouvelles sources énergisantes... avant de réaliser que seule Amanda compte pour lui et qu'il se doit de tout faire par la sauver de sa lente dérive vers l'inconnu...
Ce conte pour enfants est tout simplement remarquable et impressionnant ! En plus des illustrations savoureuses d'Emily Gravett, on découvre un texte d'une poésie raffinée qui nous transporte dans un univers onirique, comme il est rarement permis d'en rencontrer dans la littérature jeunesse. Imaginez un livre qui traite de la mort d'un enfant, et vous voyez votre public fuir à toutes jambes. Que nenni.
L'histoire ici est capable de surpasser vos craintes superflues. Car ce récit vous réserve une plongée extraordinaire dans un imaginaire farfelu et foisonnant... On y croise des créatures démoniaques, un M. Butor fort, fort flippant, des scènes d'une intensité folle, de l'amitié, de l'abnégation, de l'amour... et des rires, et des larmes. Bref, cette lecture n'est pas prête de vous laisser dans l'indifférence !
De l'insolite, du rêve et de l'espoir. Où croire en l'impossible est forcément permis. ^-^
Traduit par Isabelle Perrin pour les éditions Seuil Jeunesse (The Imaginery), Octobre 2015
« M. Butor s'était agenouillé comme pour refaire son lacet et sa moustache frémissait. C'est bizarre, les trucs qu'on remarque quand on est dans une situation critique face à un destin mystérieux : la moustache de M. Butor frémissait alors même qu'il ne parlait pas. En fait, il était en train d'ouvrir la bouche, de l'ouvrir plus grand qu'il n'était humainement possible, de se décrocher la mâchoire ou presque, comme un serpent, et une haleine chaude balaya le visage de Rudger. Une odeur de désert sec, rouge, saturé d'épices, qui imprégnait l'air humide, le ciel gris et lourd, le macadam couvert de flaques. Et emplissait le monde de Rudger. Dans cette bouche anormalement béante, Rudger vit des dents qui n'avaient rien de normal non plus. Carrées, émoussées, toutes identiques, elles s'alignaient en une spirale infinie jusqu'au fond de sa gorge. On aurait dit un tunnel carrelé de blanc s'enfonçant à perte de vue, avec un minuscule point de ténèbres absolues tout au bout, si loin qu'il aurait dû ressortir derrière la tête de M. Butor, mais évidemment que non, sinon c'était de la folie pure. En réalité, et c'était tout aussi fou, le tunnel aboutissait ailleurs. »
Une vérité si délicate, par John le Carré
Je vous propose une petite partie de poker menteur, avec John le Carré en guise d'arbitre et de maître d'oeuvre. Au centre, nous avons une opération secrète, à Gibraltar, en 2008, avec pour intervenants : des militaires anglais, une poignée de mercenaires, des diplomates, des secrétaires d'état, des conseillers américains et des terroristes potentiels... Bref, vous malaxez tout ça et vous obtenez une affaire qui se finit en eau-de-boudin, autour de laquelle il est formellement interdit d'extrapoler.
Vous vous dites, vous n'avez pas tout compris, et c'est normal. Cette histoire n'est pas très nette, officiellement elle n'a jamais existé, les curieux ont été écartés, les plus naïfs manipulés corps et âme. Sauf qu'elle n'a pas fini de hanter les uns et les autres, trois ans plus tard, elle vient même tenter un jeune secrétaire aux dents longues, désireux de percer ce mystère à jour, de brusquer les conventions, de fouiller les dossiers, de rencontrer les témoins, d'obtenir des aveux, de risquer sa peau, de voir son existence sombrer dans un chaos indescriptible.
Tout ça, tout ça, vous dis-je. N'attendez surtout pas à avoir le tournis pour autant, l'enquête en cours est assez lente, sans grande action, puisqu'on suit le mouvement imposé par l'auteur, à savoir un assemblage pointilleux de tous les acteurs, témoignages et autres révélations de cette affaire. Car l'intrigue est nébuleuse, inquiétante et stressante à souhait, avec la petite pointe d'humour british en sus, c'est toujours appréciable.
Il s'agissait du premier livre de John le Carré que je découvrais, et j'en sors totalement conquise par son style faussement pompeux et démodé, qu'on retrouve aussi chez des auteurs comme Ruth Rendell, P.D. James ou plus récemment Robert Galbraith. Classique et traditionnel, mais délicieusement guindé, un poil caustique, pesant, ahurissant (le microcosme politique tel qu'on l'imagine... pourri jusqu'au trognon !). La fin, par contre, laisse perplexe...
Réussite totale quant à l'adaptation Audiolib, qui livre une lecture subtile, admirablement maîtrisée pour cette histoire ô combien tirée par les cheveux. Philippe Allard “passe avec brio du récit haletant au registre intime des débats qui déchirent chaque personnage de ce roman sans concession”. On sort de là satisfait. Tout bonnement.
Audiolib, décembre 2013 - texte intégral lu par Philippe Allard (durée d'écoute : 11h 23) - traduit par Isabelle Perrin pour les éditions Seuil.