Le groupe, de Jean-Philippe Blondel
François Roussel est prof d'anglais dans un lycée de province et auteur de plusieurs romans (toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé, blablabla), lorsque sa collègue de philo, Marion Grand, lui propose d'animer un atelier d'écriture. Séduit par l'idée, il est également surpris par la participation des dix élèves de Terminale, toutes orientations confondues, et par leur motivation, séance après séance, à se frotter à ses exercices de style, visant à mettre leur âme à nu. Après la timidité du début, vient le relâchement. Cette liberté de tout dire, tout écrire, sans peur du regard des autres. Le groupe lâche prise et se libère des faux-semblants, mais avec toujours une certaine pudeur pour leur tenir la main et le stylo.
Il règne autour du groupe et de leur atelier une sensation de bulle réconfortante, qui fait que l'on s'y sent bien. On s'installe dans un coin, on écoute les langues se délier, les mots couler sur le papier. JP Blondel a ce don manifeste de créer une ambiance, d'installer des personnages, de nous amadouer avec délicatesse et de nous donner l'illusion d'être partie intégrante du microcosme. J'ai beaucoup aimé me plonger dans cette atmosphère, lire des bouts d'histoire, croiser des bouts de chemin, nouer des bouts de ficelle. On s'attache au groupe, mais on préserve aussi de la distance car la position d'oreille attentive ou de simple dépositaire est également très appréciable.
125 pages plus tard, j'ai refermé le livre en éprouvant une sensation de plénitude et de bonheur d'avoir partagé ces instants précieux et uniques. C'est sans nul doute un très bon roman qui a remué chez les êtres de papier et le lecteur des sentiments multiples mais bienfaisants. Un rendez-vous particulièrement délectable.
Actes Sud Junior, 2017
"Je crois que parfois, les rencontres, ce sont des évidences."
Aurélien veut qu'on l'oublie. Au lycée, il se pose en figurant et n'a aucune envie de se lier aux autres. Un type de sa classe, Thibaud, va pourtant chercher à mieux le connaître. Même si ça le dérange et lui donne des bouffées d'angoisse, Aurélien va doucement être séduit par l'idée et renouer avec des sentiments volontairement remisés au placard (l'amitié, l'insouciance, la découverte de l'autre...).
Car Aurélien a un passé lourd, traumatisant qui a fait de lui ce garçon qui ne veut plus s'impliquer auprès des jeunes de son âge. Il a déjà donné, il en a payé le prix. Aujourd'hui, avec Thibaud, il aurait presque envie de "briser la glace" et de libérer le flot de mots qui l'étouffent, lui qui parle si peu par souci de discrétion.
Oui, ce texte est d'une grande sensibilité et écrit avec une simplicité juste et touchante. Le désarroi de l'adolescent nous serre le coeur, et tant pis si son secret n'en est plus vraiment un pour nous (c'est le gimmick de l'auteur, en quelque sorte). Reste un petit détail étonnant, qui fait penser qu'on a tous nos petits secrets.
Le roman évoque aussi le pouvoir des mots et leur capacité à nous "reconstituer". Pour cela, le slam est mis à l'honneur, tel un exercice de vie ou de survie, au cours duquel chacun est libre de s'exprimer, de crier son impuissance, sa révolte ou uniquement pour faire briller les mots et les sons.
En somme, un roman accessible, poignant et généreux.
Brise Glace, par Jean-Philippe Blondel (Actes Sud junior, 2011)
Ma nuit d'amour est une jolie lecture de 65 pages sur les rêves d'amour et les promesses, sur le désir, le fantasme, la passion d'une jeune fille de 15 ans qui ne souhaite pas se contenter de belles paroles et qui déclare : "Je ne veux pas d'un brouillon. Je suis née pour être une amoureuse, une aventurière, une conquérante de la chair. Je le sais, j'en suis sûre." C'est une lecture qui raconte la première nuit d'amour, belle et parfaite. Il y a peut-être un peu d'invention aussi, un peu d'ambition secrète et exaltée... Après tout, Frédérique Deghelt n'est pas avare de pirouette qui fait tourner la tête, et le coeur. (Actes Sud junior, 2011)
Et pour finir, voici le très beau roman de Tania Sollogoub : Au pays des pierres de lune. Je savais que j'allais aimer ce roman, de toute façon je voulais l'aimer parce que la couverture est très belle et l'histoire est un hommage tendre et remarquable d'une adolescente pour sa famille et leur culture russe, sauf que nous sommes à Boulogne-Billancourt, dans un immeuble "plein de gens venus de tous les pays du monde". Chaque appartement est une invitation au voyage, à la découverte, aux mets et aux senteurs d'ailleurs, aux promesses d'histoires et de légendes un peu fantaisistes, mais enchanteresses. On y trouve sa place sans souci, on admire inlassablement ce décor et on tombe amoureux de cette communauté exubérante.
C'est tellement bon, chaleureux et stimulant.
A l'écart, on suit l'histoire d'amour de la narratrice. Elle a treize ans, elle passe ses vacances chez sa grand-mère, qui aime la neige, les cigarettes, les bijoux et se souvenir des belles choses. Cette fois-là, l'héroïne rencontre Boris, il est séduisant, fougueux, rebelle et fascinant. Elle tombe folle amoureuse de lui et le vit comme une brûlure.
C'est un roman intense et exaltant, parce qu'"à treize ans, on est capable de tomber amoureux de la couleur d'un regard". C'est tout simplement beau, avec en fond sonore une petite musique nostalgique.
(L'Ecole des Loisirs, coll. Médium, 2011)
illustration de couverture : Hélène Millot
Le baby-sitter ~ Jean-Philippe Blondel
Je n'avais pas très envie de parler du dernier roman de Jean-Philippe Blondel. Je l'ai lu, j'ai aimé. Je n'avais pas plus d'avis que ce qui a déjà été dit sur d'autres blogs, je pense. (J'ai zappé tous les messages avant de m'y plonger, de peur d'être influencée.) Alors, pour ceux qui ne connaîtraient pas, voici donc cette petite bafouille.
L'histoire est simplissime : Alex, étudiant sans le sou, devient baby-sitter et psychanalyste sur commande. C'est incroyable cette connivence qu'il crée avec chaque personne qu'il rencontre - la boulangère, le père dépressif, les enfants, la jolie Marion, sa propre mère, avec laquelle les rapports sont loin d'être conventionnels. Dans le fond, j'ai eu du mal à gober toute l'histoire, de croire que ce garçon sorti de nulle part allait pouvoir résoudre les problèmes d'inconnus, s'immiscer dans leur vie comme s'il y avait toujours appartenu, être l'oreille grande ouverte, l'âme compatissante, le donneur de bons conseils, forcément, alors que lui-même patauge dans sa propre existence, bon, bref. C'était assez hallucinant à croire. Et puis je n'ai pas su aimer le personnage d'Alex, même s'il a pour lui d'aimer The Last Shadow Puppets et lire des romans, j'ai trouvé qu'il était mou, trop gentil, passif et souvent à côté de la plaque. Son histoire de baby-sitting, disons-le, est tirée par les cheveux. Je ne reviens pas là-dessus, et je sais que c'est un roman, donc une histoire inventée, imaginée, folle, délirante, blablabla. Je sais, je sais, le baby-sitting sert à raconter une histoire - ce que l'auteur sait très bien faire - et donc à montrer un bout de vie avec des gens aux bras cassés qui vont s'entraider et se serrer les coudes. C'est tout à fait un roman dans la veine des Ensemble, c'est tout. Sauf que, dans ce registre, j'avais trouvé JP Blondel meilleur avec son livre, Au rebond.
C'est un roman qui se veut, comme le souligne l'éditeur, extrêmement positif et sensible. Je suis d'accord. Ce roman caresse dans le sens du poil, cela fait du bien aussi dans une époque où on cherche absolument à exister (ou briller) à travers le cynisme.
Ce que j'attends de JP Blondel, maintenant, c'est une saison 2 de Juke-Box. S'il te plaît, s'il te plaît.
1er roman de l'auteur publié chez Buchet Chastel, 2010 - 304 pages - 19€
pour toi, Alex... ;o)
And it's solid as a rock rolling down a hill
The fact is that it probably will hit something
On the hazardous terrain
Au rebond - Jean Philippe Blondel
Oui, encore Jean-Philippe Blondel ! Il s'agit de son deuxième roman qui paraît en ce mois de janvier, après A contretemps (robert laffont). Cette fois il signe une très agréable histoire pour la jeunesse (chez actes sud), celle d'un adolescent de quinze ans, Alex, qui va apprendre à mieux connaître sa mère et apprécier la chance qu'il a.
Alex a un très bon pote, Christian. C'est le rejeton d'un couple bourgeois, qui habite une belle maison, sans connaître le moins souci d'argent. Alex lui vit seul avec sa mère, dans un petit appartement sordide, au coeur d'un quartier de misère. Les fins de mois sont difficiles, l'entente entre la mère et le fils souvent tendue. Alex et Christian ont appris à s'apprécier sur le terrain de basket, où ils forment une équipe imbattable. Ils dribblent, ils se font des passes, ils ricanent, se poussent du coude, mais ça s'arrête là. Personne ne connaît la vie de l'autre, quand la porte est fermée à clef. Ou juste un peu, Alex est pauvre et Christian a une mère qui picole en douce. Puis, les vacances arrivent, et deux semaines suivent, Christian ne donne plus de nouvelles. Il ne répond plus au téléphone, mais le coach a cru l'apercevoir dans un supermarché, ce qui serait très étrange.
Un jour, après une discussion intéressante avec sa mère, Alex se rend chez son copain. La maison est fermée à double tour, aucun signe de vie, et pourtant Christian est bien là, tristounet et amer, en pleine galère. Ni une ni deux, Alex et sa mère se retroussent les manches pour venir en aide à cette famille désormais désarticulée.
Encore un roman qui parle d'amitié et d'entraide ! C'est simple comme bonjour, avec une recette déjà éprouvée dans d'autres lectures (le côté de la fratrie aux bras cassés qui forme un noyau, contre vents et marées). C'est, de plus, une histoire qui tord le cou aux idées reçues, comme les amitiés entre garçons taxées d'homosexualité, et qui vilipende l'irresponsabilité de certains hommes ! Bref, j'ai essentiellement aimé les dernières pages du roman, beaucoup aimé les femmes de ce livre aussi... Et le jeune narrateur en tire de bonnes leçons puisqu'il va apprendre à redécouvrir sa mère, à mieux lui reconnaître ses valeurs, à cerner ses qualités (nombreuses) au-delà de ses défauts (personne n'est parfait !).
Très bonne lecture.
Le mantra du jour : « Ce qu'il y a de bien, c'est qu'après les moments de crises, il y a maintenant aussi des moments de répit. Des instants de tendresse. Et de rire. »
Actes Sud junior, 2009 - 100 pages - neuf euros.
l'avis de Gaëlle, également enthousiaste
A contretemps - Jean Philippe Blondel
Hugo, dix-huit ans et le bac en poche, choisit Paris pour suivre des études de lettres. Il trouve un toit chez un homme qui vit seul, Jean Debat. Un monsieur discret, souvent absent, et taciturne, qui vilipende la littérature, le romanesque et tutti quanti. Hugo est déboussolé, lui qui ne vit que pour sa passion de la lecture, il trouve son logeur secret. Limite inquiétant par son déni farouche. Cela n'empêchera pas Hugo de faire doucement son trou dans sa nouvelle vie, il trouve un petit boulot, rencontre une chérie, se lie d'amitié avec Michèle, une super libraire. Il rentre chez lui pour dormir, entre Jean et lui c'est le coup de vent.
Un dimanche matin, tout change. Son logeur sort de ses gonds en apercevant Marine, la petite amie du garçon. Il est temps d'avoir une discussion franche, entre quatre yeux. Mais cela dépasse la simple intrusion du sexe féminin dans cet appartement coupé du reste du monde, en fait Hugo va découvrir le passé de Jean.
Ce roman est clairement destiné « à tous ceux pour qui la littérature est cette étrange life-supporting machine, comme disent les Anglais, ce refuge qui permet de rester en vie ». C'est un Jean-Philippe Blondel grand lecteur qu'on cerne dans ce roman, un amoureux des livres, qui comprend et partage ce que représente la plongée dans un univers de fiction. Savez-vous par exemple qu'un grand lecteur peut souffrir de porosité ? Et je ne parle pas de la frustration sexuelle qui expliquerait pourquoi on adhère à une histoire qu'on nous raconte... C'est ainsi truffé de petites répliques tantôt drôles ou étonnantes, tantôt déconcertantes et ronflantes. C'est à voir.
J'ai curieusement été moins sensible au spleen de l'écrivain raté, celui qui a cru et s'est cassé les dents. Cela devient un peu trop long et étouffant, les piques acerbes étant proprement dégainées pour souligner l'hostilité de celui qui a été oublié. Toutefois on touche davantage à l'ego frustré, et je ne suis pas compatissante. On peut ensuite s'intéresser à la relation complice entre l'étudiant et l'homme bougon. Oui, complice... car ces deux-là vont finir par s'apprécier, et s'apprécient déjà sans se douter. Ils s'agacent, parce qu'ils se reconnaissent l'un dans l'autre. C'est plutôt mignon.
En fait, j'ai clairement deux gros penchants dans ce livre : Michèle, une libraire exceptionnelle, unique, incomparable, et l'importance de la lecture dans la vie. Comme l'écrit le narrateur, c'est « ma dose ». On se comprend...
Robert Laffont, 2009 - 240 pages - 19€