En poche ! Une fille au manteau bleu - Les valises - Les mille visages de notre histoire - Tortues à l'infini
Amsterdam, 1943. Hanneke sillonne les rues à vélo afin de dénicher au marché noir les marchandises qu'on lui commande. Un jour, l'une de ses clientes lui fait une requête particulière: retrouver une jeune fille juive disparue, avant les nazis. Elle s'appelle Mirjam et porte un manteau bleu.
Loin d'être un énième roman sur le sujet, cette lecture offre surtout la possibilité de découvrir une histoire passionnante, qui puise autant dans l'émotion que dans l'action et le suspense. Avec son héroïne de 18 ans, si juste et imparfaite, par ses choix, ses failles et ses engagements, on se lance dans un parcours bouleversant et inattendu. Il y a d'abord sa quête pour retrouver Mirjam, puis sa prise de conscience des dangers qui rôdent, l'horreur des rafles et des dénonciations, la culpabilité et la rédemption.
C'est un cheminement chaotique, mais poignant, qui emprunte de nombreuses bifurcations, qui fait aussi battre le cœur plus fort et qui noue l'estomac à l'énoncé des enchaînements tragiques et malheureux. En un mot, c'est excellent ! Et c'est à remettre entre les mains des plus jeunes sans délai.
Une fille au manteau bleu, de Monica Hesse
Pôle Fiction (2019) - trad. Anne Krief
Ce dimanche de 1982, Sarah, quinze ans, se rend en voyage scolaire en Pologne où elle visite avec sa classe le camp d'Auschwitz. Pudique et solitaire, l'adolescente ne s'explique pas le profond malaise qu'elle ressent en découvrant l'amoncellement des valises ayant appartenu aux millions de déportés juifs. Prise de vertiges, elle a des visions de scènes sur un quai de gare où des enfants sont arrachés à leurs parents. Horrifiée, Sarah se ferme comme une huître. Car tout ceci l'amène à réfléchir à ses propres origines.
L'histoire va vous toucher en plein cœur tant elle est bouleversante. Sarah va brutalement sortir de sa torpeur, remuer ciel et terre pour démêler les non-dits de sa famille, va hélas se heurter à la tragédie. Et au milieu de ce chaos sans nom, Sarah découvre aussi les fulgurances du premier amour. Une relation tendre, farouche et explosive se dessine, forcément stimulée par son besoin de savoir qui elle est, quelles sont ses racines. Un vrai cri du cœur. En somme, c'est tout emmêlé, emberlificoté dans un parcours teinté de rencontres et révélations parfois rapides et improbables, mais qu'importe.
La lecture est entraînante, animée d'une belle sincérité. On en ressort avec le cœur pulvérisé, un sourire heureux et des larmes au coin des yeux. C'est tout bon ! Je recommande fortement.
Les valises, de Sève Laurent-Fajal
Pôle Fiction (2019) - couverture illustrée par Emmanuel Polanco
PRIX CHRONOS 2018 - SÉLECTION DU PRIX DES INCORRUPTIBLES 2017-2018
Tout le monde croit connaître Libby Groby, mais personne ne s'est jamais intéressé qu'à son obésité. Elle a longtemps vécu recluse dans sa chambre, cachant son corps et ses angoisses. Cette année, Libby en est sûre, sa vie peut changer ! Tout le monde croit connaître Jack Masselin : lycéen rebelle, sexy et imprévisible. Sous son arrogance, Jack a enfoui un secret douloureux.
Ce deuxième roman de Jennifer Niven, après Tous nos jours parfaits, se veut positif et porteur d'espoir. Il pulvérise les différences, incite à croire en l'impossible, bouscule les barrières, balaye les clichés. Bon point donc pour son engagement, pour l'espoir qu'il inspire, les messages de tolérance, la dénonciation du harcèlement. Ce sont toujours de bonnes intentions.
Reste que la romance qui s'installe n'est pas à la hauteur des attentes. Beaucoup trop classique et délicate. On a en effet une histoire qui se base sur la souffrance du couple à concilier ses différences, à surpasser ses problèmes. Mais on retombe vite dans le superficiel et le scepticisme. Ne nous leurrons pas : Libby et Jack appartiennent à deux univers diamétralement opposés. J'aurais aimé croire en leur histoire, mais voilà... ça me semble surréaliste. C'est dommage car j'avais trouvé le début du roman tellement engageant : l'échange des points de vue donne du rythme à la lecture. Tant pis.
Les mille visages de notre histoire, de Jennifer Niven
Pôle fiction (2019) - trad. Vanessa Rubio-Barreau
Prise dans la spirale vertigineuse de ses pensées obsessionnelles, Aza n'avait pas l'intention d'enquêter sur la disparition du milliardaire Russell Pickett. Mais c'était compter sans sa meilleure amie Daisy et une récompense de cent mille dollars. Aza renoue alors avec le fils Pickett, Davis. L'improbable trio devient inséparable et va trouver en chemin d'autres mystères et d'autres vérités, comme celles de la résilience, de l'amour et de l'amitié indéfectible.
Voilà un roman très touchant, très fort, sans réelle action mais tellement juste et attachant. On y trouve encore et toujours des jeunes gens fragiles et délicats, des adolescents jouer les funambules sur une corde raide. On les sent fébriles et en détresse, parés du besoin de trouver leur place ou de comprendre le monde qui les entoure. Ce sont des mômes déstabilisants. Des adolescents qui essayent d'être des amis à la hauteur, des enfants obéissants, des élèves studieux, des amoureux flamboyants. Ce regard que pose John Green sur la jeunesse est égal à lui-même - lucide, tendre et sans détour - même s'il y ajoute une pointe d'excentricité et de complaisance. Toutefois, c'est drôlement bon et franchement attendrissant.
J'ai aimé vivre dans la tête d'Aza, comprendre ses raisonnements et toucher du doigt sa logique implacable. John Green a d'ailleurs avoué s'être inspiré de son propre vécu et son expérience de la maladie pour donner à Aza une note authentique et poignante. Cette sincérité est réelle. On ressent toute l'émotion de cette histoire comme si elle nous est personnellement dédiée. Gros big up aussi à la complicité entre Daisy et sa fidèle “Holminette” - je me sentais bien en leur présence !
Tortues à l'infini, de John Green
pôle fiction (2019) - trad. Catherine Gibert
Les mille visages de notre histoire, de Jennifer Niven
Libby Groby, connue pour être la plus grosse ado d'Amérique, a vécu la pire humiliation à travers une vidéo la montrant avachie dans son fauteuil en train d'être évacuée de sa maison par les pompiers. Les commentaires haineux ont déferlé sur internet, depuis Libby a suivi une thérapie et perdu un peu de poids (sans afficher une taille mannequin non plus). Toutefois, elle est assez fière d'elle pour retourner au lycée et faire un pied de nez à ses détracteurs.
Jack Masselin n'a jamais craint pour sa réputation : beau gosse insolent et dragueur impénitent. Il donne le change à merveille, car cela fait des années qu'il cache son secret : il souffre d'une maladie rare qui l'empêche de mémoriser les visages et de reconnaître ses interlocuteurs. Il trompe son monde - même sa famille et ses amis sont dans l'ignorance - et agit souvent au hasard pour ne pas éveiller la moindre suspicion.
Mais Jack va tout raconter à Libby. Cela peut paraître insensé et peu vraisemblable, mais disons que l'auteur a choisi de nous embarquer dans une histoire qui se veut optimiste et conquérante ! C'est différent de Tous nos jours parfaits et c'est plutôt pas mal d'envisager qu'aujourd'hui rien n'est impossible quand on a le sentiment de sortir du cadre.
On assiste donc au rapprochement peu banal entre deux univers que tout opposait : Jack est beaucoup moins idiot que ne laisse supposer son image, Libby agit d'emblée en électron libre, elle bouscule, elle riposte. Elle ne manque pas d'air et s'avère époustouflante (imposer son physique au casting des pompom girls... chapeau). Ensemble ils vont donc former un couple inattendu mais charmant... même si je crains, hélas, qu'en réalité cette perspective soit peu plausible. Ne nous leurrons pas.
D'où mon scepticisme. Je salue la qualité du roman, l'espoir qu'il inspire, les messages de tolérance, la dénonciation du harcèlement etc. Mais l'histoire ne touche plus Terre. En plus, on a une romance comme on en a vu d'autres, qui se base sur la souffrance du couple à concilier ses différences, à surpasser ses problèmes... C'est lassant, en plus d'être superficiel et creux en fin de compte. C'est dommage car j'avais trouvé le début du roman tellement engageant : l'échange des points de vue donne du rythme à la lecture. Cela partait plutôt bien...
Gallimard jeunesse (2018) - Traduit par Vanessa Rubio-Barreau
Titre VO : Holding Up The Universe
“Dear friend, You are not a freak. You are wanted. You are necessary. You are the only you there is. Don’t be afraid to leave the castle. It’s a great big world out there.”
Tous nos jours parfaits, de Jennifer Niven
J'ignorais sur quelle pente glissante allait me conduire ce livre - mais je m'en méfiais, dès lors qu'il était comparé à d'autres romans à succès, réputés larmoyants (Nos étoiles contraires, Eleanor & Park). La lecture du 1er chapitre a d'ailleurs fait rugir ma sirène d'alarme - ados suicidaires, au secours ! J'ai donc décidé d'y avancer à tâtons, quitte à choisir de tout arrêter avant que ça fasse trop mal. Ralentir le processus qui consiste à glisser dans la vie des personnages, à tomber sous leur charme, à les aimer follement, tout en tentant de me prémunir contre cet attachement. Peine perdue. J'avais beau lever le nez de mon livre pour prendre une bouffée d'oxygène et me ressaisir, je me sentais irrémédiablement happée par l'histoire de Violet et Finch - deux ados en vrac, déprimés et inconsolables. Elle porte le deuil de sa sœur, lui se sent mal dans sa peau depuis toujours. Elle est choyée, chouchoutée, couvée. Lui est méprisé, hué, poussé à bout. Aucune égalité des chances. Et pourtant ces deux-là se découvrent sur un toit, se sauvent et ne se quittent plus. Pour les besoins d'un devoir scolaire, ils vont partir explorer l'état d'Indiana de la manière la plus insolite - je retiens, par ex., les caravanes recyclées en bibliothèques, plantées au milieu des champs de maïs. Et rêver. Bouquiner. Écrire. Chanter. Crier. Nager. C'est franchement beau. D'une beauté éclatante, mais illusoire. Car on perçoit très vite que le malaise de Violet et Finch est latent. C'est écrit sous chaque mot, cela imprègne tout le roman, pour vous guider vers l'inéluctable. Et fichtre, ça fait vraiment mal. « J'ignorais que ma vie serait changée à jamais parce que tu y es entré et que tu en es sorti aussi brutalement. (...) Je ne te pardonnerai jamais de m'avoir quittée ainsi. J'aimerais juste que toi, tu puisses me pardonner. Tu m'as sauvé la vie. Pourquoi je n'ai pas pu sauver la tienne ? » En plus d'être terriblement bouleversant et très émouvant, c'est un livre à fleur de peau, d'une sensibilité rare et précieuse, qui parvient autant à nous toucher qu'à nous donner le sourire. C'est injuste, mais enivrant.
Gallimard Jeunesse / Septembre 2015 ♦ Traduit par Vanessa Rubio-Barreau (All The Bright Places)
N.B : Après, ça reste personnel, mais je n'aime pas pleurer sur commande - chose qui se répand de plus en plus dans l'édition actuelle, depuis le carton de J. Green. On puise dans le vivier du poignant. Et moi, je n'aime pas le mélo ! Le roman de Jennifer Niven a pour lui d'être différent de la tendance, en se voulant simplement harmonieux et lyrique.