07/05/07

Le garçon et la mer - Kirsty Gunn

garcon_et_merWard est un adolescent de 15 ans, différent de ses camarades, des autres et de son père, le célèbre MacFarlane, grand surfeur loué par toute une génération.
Quelque chose cloche chez Ward, mais impossible de mettre un nom dessus. C'est un sentiment d'isolement et d'incompatibilité. La mer le fascine et le rebute. Son père lui est étranger, ses regards, ses mots sont autant de balles lancées contre un mur.
Ward n'est pas un surfeur chevronné.
Avec ses amis, il détonne également. C'est un solitaire, et seul son meilleur ami Alex parvient à le traîner chez Beth qui organise une fête en l'absence de ses parents.
Ici dans ce roman, Kirsty Gunn ne décide pas de traiter de l'adolescence et du choix de la décalcomanie envers un père qui rassemble tous les suffrages de popularité. Pour être dans la norme, en gros.
C'est une lecture qui se goûte au rythme de la mer, ses ressacs, son bruissement, son mystère et son envoûtement. L'atmosphère est languide, accablante et flottante.
Prédire un malheur, pourquoi pas ? Comprendre un peu mieux cet adolescent dissemblable face à une figure paternelle "aux yeux de revolver" ?... Tout est très étrange et le sentiment d'appréciation se situe entre les lignes de cette histoire courte. Kirsty Gunn, une nouvelle fois, enchante et trouble. L'eau est encore présente (cf. son 1er roman "Pluie"), de même que les histoires familiales un peu brumeuses et qui donnent un ton impénétrable à l'histoire.
La mer a une importance capitale, sa description est précieuse et contribue au pouvoir de ce livre.
Pour mieux poursuivre la découverte d'un auteur étonnant.

Christian Bourgois, 260 pages / Mars 2007.

J'ai relevé ceci : Trop tard, c'est fait. C'est arrivé comme à chaque fois, la mention du nom de son père. Alors ça pourrait aussi bien être son père, ça pourrait aussi bien être lui qui se tient là. Comme s'il n'y avait que lui qui comptait, ses mots pour parler de l'eau, les mots que Ward lui-même a fini par employer, transformant l'aventure en un récit comme en raconterait son père, un récit factuel, il possède ce genre de pouvoir. C'est exactement ça. La façon dont son père parle de la mer, disons, pour la maîtriser, et Ward qui écoute, et maintenant regarde-le, il fait la même chose. Les autres qui demandent tout le temps : "Et ton père, qu'est-ce qu'il en pense ?" quand ils hésitent à sortir en mer. "Et ton père, il a vu l'eau dont tu parles, Ward ? Qu'est-ce qu'il dit" Si bien que Ward est obligé de scruter de nouveau l'océan, mais à la manière de son père. Si bien que quand il s'y résigne, quand il contemple de nouveau la mer, la vue qu'il a devant lui n'est plus la sienne, cette vue-là s'est envolée, et c'est la journée telle que l'a prévue son père qui se déploie maintenant devant lui. (...)
Mais vous savez quoi ? Et après ? Ce ne sont que des informations, des mots, une fois de plus, ça oui, mais rien de nouveau, et son père a le chic pour ça... Donner aux mots plus d'éclat que nécessaire. Alors n'accorde pas trop d'importance à ce que peut dire cet homme.

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13/04/07

Pluie - Kirsty Gunn

pluieC'est d'abord une ambiance estivale dans une maison bâtie pour les réceptions, sur des pelouses arides et où les soirées s'éternisent dans un brouhaha de rires et de pas de danse... Dans leur chambre, les enfants Jane et Jim Little dorment, s'échappent par la fenêtre ou écoutent les pas feutrés d'un individu qui s'introduit dans l'obscurité... C'est l'été de l'insouciance, des jeux dans l'eau, des parties de pêche, de nage et d'histoires inventées. Jane veille sur son frère comme une mère, admire ses parents qui s'aiment et vivent dans leur bulle...
Enfin bref, c'est dans cette atmosphère languide qu'un drame s'annonce et rampe vers la famille Phelon. Il y a le goût du soleil, du sel, du cocktail et de l'eau, beaucoup d'eau. Elle deviendra leur marque, leur mémoire. Cette chronique familiale racontée par Janey, 12 ans, fait état d'une impuissance, d'une amertume et pourtant il y a une grande habileté stylistique teintée de poésie, d'inertie et de mélancolie dans sa façon de narrer les événements en suggérant au lieu de détailler. Son histoire vous envoûte, en seulement 130 pages, mais c'est le bon dosage. Il s'agit du 1er roman de la néo-zélandaise Kirsty Gunn.

Points, 130 pages. (Titre vo : Rain - 1996 chez Christian Bourgois)

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07/04/07

Histoires au moment du coucher

L'histoire pour s'endormir présente tout le rituel réconfortant du plus simple des poèmes. Si mouvementée qu'ait été la journée, si remplie de bruit, de soucis ou d'excitation, là les enfants sont en pyjama, bien bordés dans leur lit, et nous nous trouvons dans cette chambre douillette à la lumière de la lampe, le livre ouvert sur mes genoux.

adelaideclaxtonCa a quelque chose d'un peu magique, la façon dont cette douce sensation d'ordre semble émerger du chaos. Un peu magique aussi, car, à me voir assise dans cette chambre à lire des histoires familières, on pourrait presque croire que je n'ai jamais quitté ma propre chambre d'enfant, que je m'y trouve toujours. Tout en lisant, je contemple les visages attentifs de mes filles comme ma mère contemplait mon visage, et les sentiments suscités sont les mêmes aujourd'hui qu'à l'époque : bien-être, sécurité, plaisir. (...) L'histoire au moment du coucher est inaltérable. C'est la dernière chose que nous faisons pour nos enfants à la fin de chaque journée : nous leur lisons une histoire.

Alors je me replonge aujourd'hui, avec mes filles, dans ce monde de livres que j'avais découvert enfant avec ma mère, je me rends compte que ces histoires d'autrefois résistent parfaitement à l'épreuve du temps. En effet, tout comme mon esprit était subjugué par elles à l'époque, je demeure aujourd'hui totalement fascinée par la puissance de ces récits, la manière dont ils sont inextricablement liés à ma conception de moi-même. (...)

La lecture aux enfants constitue une expérience de lecture partagée incomparable. Les livres que j'aimais enfant - ou du moins l'atmosphère qu'ils dégageaient -, je m'en rends compte maintenant, dataient d'une époque particulière : ils découlaient de la conception qu'avait ma propre mère de ce qui rendait un livre exceptionnel. Ils étaient "démodés" dans la mesure où ils reflétaient un univers singulier typiquement britannique. J.M. Barrie, C.S. Lewis, E.E Nesbit, Frances Hodgson Burnett... Ces auteurs avaient si bien peuplé la sensibilité de ma mère quand elle était petite qu'ils avaient fini par gouverner la mienne. Même les auteurs que j'avais découverts toute seule, qui situaient leurs intrigues dans un temps plus récent, même eux faisaient appel à ce fameux univers édouardien pour circonscrire leurs histoires, pour leur donner le ton. Ce que faisaient ces auteurs, c'était créer un monde bien ordonné, dépourvu de dangers et délimité par des règles et des interdits sans nombre, afin que l'imagination puisse prendre son envol.

(...)

C'est une voix très sherry-au-coin-du-feu-au-nord-d'Oxford absolument merveilleuse à entendre. Je ne m'en lassais pas quand j'étais petite : la voix qui adore les livres.

44  (Un an de vie d'écrivain à la maison), Kirsty Gunn - CHRISTIAN BOURGOIS

@ illustration : Adelaide Claxton

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