27/06/19

Treize jours, par Arni Thorarinsson

Treize joursParce que ça change un peu de lire une enquête menée par un journaliste (en marge de la police) !

Après ADN, on ne défait pas ses bagages pour rester en Islande et on s'intéresse au meurtre d'une adolescente dont le père alcoolique avait signalé la disparition. Très vite, tout se noue et se dénoue en fouillant ses fréquentations sur les réseaux sociaux.

Pour le coup c'est la fille du journaliste Einar qui va se révéler plus habile et perspicace. Étudiante et photographe, Gunssa est aussi intrépide et déterminée que son modèle. La lecture en est grandement influencée car il y a du rythme, de la fraîcheur et de la spontanéité. On s'attache naturellement à ce duo père-fille assez drôle et décalé.

Reste une ambiance typiquement polar islandais - sensation chape de plomb. C'est froid, triste et amer. On ne s'éclate pas à tous les étages même si l'auteur cherche à être mordant dans sa narration. Une bonne rencontre sans sortir des clous.

Métailié (2018) - Traduit par Eric Boury

 

PRÉSENTATION DE L'ÉDITEUR

13 jours, c'est le délai que sa dernière petite amie, banquière recherchée par la police, a donné à Einar pour la rejoindre à l'étranger.

13 jours, c'est le temps qu'il va lui falloir pour décider s'il veut accepter la direction du grand journal dans lequel il a toujours travaillé.

13 jours, c'est le temps qui sera nécessaire pour trouver qui a tué la lycéenne dont le corps profané a été retrouvé dans le parc. Quelque chose dans son visage rappelle à Einar sa propre fille, Gunnsa, quand elle était un peu plus jeune et encore innocente. Mais aujourd'hui Gunnsa est devenue photographe et travaille dans le même journal que son père ; elle s'intéresse de près à ces adolescents paumés et ultra connectés qui fuguent ou disparaissent, elle a plus de ressources et d'audace pour faire avancer l'enquête – et moins de désillusions.

Arni Thorarinsson a écrit un thriller haletant situé dans l'Islande actuelle qui décrit avec sensibilité le monde troublant et troublé des adolescents, et la corruption qui affleure à la surface de cette société.

 

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25/01/19

Passage des ombres (Trilogie des ombres 3), de Arnaldur Indridason

Passage des ombres

Un vieil homme meurt dans son lit, avec d'anciennes coupures de presse à ses côtés. Sa voisine interpelle un inspecteur à la retraite pour fouiller dans son passé.

En 1944, pendant l'occupation de l'armée américaine, le corps d'une jeune femme est découvert en ville. L'enquête révèle une triste histoire de viol mais piétine dans le vide, ou disons que les conclusions vont laisser un goût amer aux détectives (Flovent et Thorson). Konrad va y remettre un peu d'ordre en nous propulsant dans un contexte délicat, pendant la guerre et la cohabition avec l'armée américaine. À l'époque, les demoiselles batifolent joyeusement avec les officiers aux noms d'acteurs, rêvant d'une vie meilleure ou d'amour romantique, avant de retomber lourdement dans la réalité. On racontait alors que « c'était la faute des elfes » et on méprisait ces filles naïves ou honteusement abusées. Pour Konrad, cette affaire n'a pas tout dit et est vraisemblablement porteuse d'une honte indélébile. À son tour de traquer sans relâche les fantômes du passé, de pointer les erreurs et les condamnations hâtives, lesquelles auraient obnubilé son enquêteur des années durant.

En écoutant cette histoire, je me faisais la réflexion que plus rien ne me surprenait chez Arnaldur Indridason. En fait, je pense en avoir fait le tour. Je reconnais désormais son style, ses personnages, ses intrigues, toujours les mêmes tourments et solutions. Oui, tout est écrit d'avance. On connaît le chemin et on ne se trompe pas. Ce n'est pas un reproche. Après tout, la lecture est classique et convenue. Tout est propre, lisse, attendu. Sans surprise. La lecture par Philippe Résimont est solennelle et au diapason avec les révélations (haro sur les voix féminines, j'insiste). L'auteur joue subtilement avec les émotions en distillant cette touche de nostalgie et de dramaturgie dans ses enquêtes. On en ressort à chaque fois avec le cœur lourd. En somme, c'est incontournable.

©2018 Traduction française, Éditions Métailié (P)2018 Audiolib

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26/01/18

La Femme de l'ombre (Trilogie des ombres 2), par Arnaldur Indridason

La femme de l'ombreAlors qu'elle est sans nouvelles de son compagnon, une jeune femme quitte à regret le Danemark en guerre en montant à bord de l'Esja pour rentrer en Islande. Elle croise par hasard son ancien amant et apprend avec horreur que son fiancé est entre les mains des allemands. Au cours de ce voyage mouvementé, elle découvre aussi qu'un homme a fait une chute mortelle... peu après avoir prétendu être en mesure d'apporter des informations utiles sur la résistance et l'origine de l'arrestation du fiancé. Dès leur arrivée au pays, le frère du disparu va s'entêter à démasquer ce qui semble, à ses yeux, un crime crapuleux.

À Reykjavik, le tandem Flovent & Thorson fait face à plusieurs casse-tête - identifier la dépouille d'un jeune garçon battu à mort et jeté non loin d'un bar fréquenté par les soldats des troupes alliées, mais aussi rechercher une cliente mystérieusement disparue... Le souci majeur pour les enquêteurs revient surtout à marcher sur les plates-bandes des militaires, car l'entreprise va s'avérer délicate et houleuse. Ceci met toutefois en exergue la douloureuse cohabitation vécue comme une intrusion pour les locaux, même si certains en tirent profit pour s'enrichir ou s'évader en attendant des jours meilleurs.

Au final, on a une lecture structurée et hyper conformiste - c'est bien, mais peu surprenant. J'ai surtout eu le sentiment de me retrouver dans le prolongement du premier (Dans l'ombre). La conduite des intrigues criminelles est correcte, l'ambiance est toujours aussi dépouillée, le contexte de la guerre évoqué de loin en loin, les relations politiques sont tendues, et on tourne toujours autour du thème de la disparition (rappel à Erlendur). Par contre, calme plat sur les personnages. Il n'y a strictement aucune évolution, aucune épaisseur.  Rien, du vent. Je m'attendais à ce qu'ils tombent le masque, qu'ils sortent des clous, qu'ils entrouvent une petite porte... Que nenni. On stagne.

Suite aux promesses vendues, je trouve qu'on bute sur la marche avec ce deuxième tome. La série apparaît un peu fade, même si elle n'est pas déplaisante à lire. Je regrette aussi que Philippe Résimont donne à certains personnages des voix ridicules et caricaturales (Thorson, en premier). Et comme d'habitude, les personnages féminins sont loupés. Je prends néanmoins rendez-vous avec le prochain et dernier tome (Passage des ombres) à paraître dans le courant de l'année. 

 

© Éditions Métailié, Paris. Traduit par Eric Boury.  (P)2017 Audiolib.

Lu par Philippe Résimont. Durée : 9 h env.

 

Le Tome 1 est repris en poche chez Points : parution 8 février 2018

08/09/17

Dans l'ombre (Trilogie des ombres T.1), d'Arnaldur Indridason

Dans l'ombre

Un représentant de commerce a été froidement exécuté dans son appartement - fait troublant, la balle provenait d'un revolver de l'armée américaine. Flovent, de la police criminelle islandaise, se voit aussitôt assisté d'un représentant de la police militaire, en la personne de Thorson. Bien qu'étant natif du Canada, ce dernier a des origines islandaises et parle couramment la langue. C'est tout naturellement qu'il est devenu l'interprète auprès des Britanniques, puis des Américains, depuis l'occupation de leurs troupes sur l'île. L'histoire se passe en 1941. La guerre gronde en Europe, tandis qu'un climat de suspicion règne sur cette contrée à la limite du cercle polaire. La victime supposée, un certain Felix Lunden, attire l'attention des enquêteurs du fait de ses origines allemandes et des rapports étroits entretenus par sa famille et les mouvements nationalistes. Flovent et Thorson doivent également cerner la signification d'un autre indice relevé sur la scène du crime, puisque la victime portait sur le front une croix gammée gribouillée avec son sang.

Voilà qui embrouille copieusement enquêteurs et enquête, laquelle se nourrit de nombreux rebondissements et donne à lire un scénario moins prévisible. Certes, la conduite est classique, le rythme tranquille et linéaire, les personnages aussi s'avèrent assez lisses, mais l'ensemble peut surprendre et s'écoute surtout avec grand intérêt. J'avais cru percevoir de la déception chez les fidèles du commissaire Erlendur, d'où mon appréhension avant de m'y lancer, et au final j'ai été personnellement conquise. J'ai beaucoup aimé le contexte historique - les projecteurs sont braqués sur ce caillou volcanique occupé par les troupes des alliés, on y découvre une cohabitation tendue, entre des islandaises en pleine émancipation et des pêcheurs qui font mauvaise figure, les baraquements militaires ne désemplissent pas, et le contre-espionnage ne chôme pas non plus. Les deux enquêteurs vont certainement apporter davantage à cette trilogie, n'esquissant pour l'heure que de vagues zones d'ombre, laissant apparaître quelques failles, l'auteur aura donc beau jeu de s'y faufiler ! Une lecture qui s'annonce pleine de promesses en devenir. Un bon rendez-vous qui n'a pas à rougir de ses choix ni de son apparente simplicité. 

Très bonne lecture de Philippe Résimont. 

©2015 / 2017 Arnaldur Indridason / Publié avec l'accord de Forlagið / Éditions Métailié, Paris, pour la traduction française par Eric Boury

(P)2017 Audiolib, Texte lu par Philippe Résimont (durée : 9h 03)

TOME 2 À PARAÎTRE EN OCTOBRE 2017 CHEZ MÉTAILIÉ - LA FEMME DE L'OMBRE

25/04/17

Opération Napoléon, de Arnaldur Indridason

operation napoleonUn bombardier allemand s'écrase sur un glacier islandais, engloutissant son équipage et son chargement. Nous sommes en 1945. Les premiers enquêteurs font chou blanc pour retrouver la carcasse, laquelle refera surface cinquante ans plus tard - au grand dam de l'armée US. Celle-ci souhaite à tout prix effacer les traces de leur passage mais entretient les rumeurs à propos d'or volé aux juifs dans les camps. Au même moment, une équipe de sauveteurs islandais, en vadrouille dans la région, tombe nez à nez avec les militaires sur place. Parmi eux, le jeune Elias contacte par téléphone sa sœur avant d'être brutalement interpellé. Surprise par ce coup de fil, Kristin, une avocate au ministère des affaires étrangères, s'inquiète puis comprend que la situation n'est pas normale quand elle voit débarquer deux “men in black” dans son appartement. L'islandaise ne doit son salut qu'au hasard et fuit le plus vite possible jusqu'au Vatnajökull pour retrouver son frère en danger. Elle se tourne aussi vers un ami de la base américaine et s'embarque dans une aventure périlleuse et mouvementée, traquée par les forces spéciales, le gouvernement et son état major. Mais Kristin parvient à déjouer les pièges et prend tous les risques, tout en menant son enquête et en attisant la colère de ses poursuivants. Comment en est-elle arrivée là ? Tout ça pour une carcasse d'avion ! Quel lourd secret autour ? Pourquoi tant de précaution pour éloigner le public du site ? Et quel était le but réel de la mission originale ? Quid des conséquences de cet échec ? 

Changement de cap pour Arnaldur Indridason, qui nous éloigne de son commissaire Erlendur avec un roman d'espionnage, sur fond de 2nde guerre mondiale, de secret d'état et de théorie complotiste. L'auteur revient ainsi sur la présence contestée de l'armée américaine en Islande - sujet déjà esquissé dans Le lagon noir - et s'engage sur un sentier épineux en glissant des sous-entendus peu glorieux quant au rôle des américains dans le tournant de la guerre. Toutefois, l'histoire se lit sur la base d'une course-poursuite aux retournements multiples et, certes, improbables - Kristin est une héroïne qui vient à bout de tous les tueurs aguerris, seuls ses partenaires n'ont pas la même chance qu'elle. Là où elle passe, les témoins trépassent ! Qu'à cela ne tienne, la lecture se révèle prenante, avec un suspense impeccable, même si elle se noie aussi dans des détours et des faux-fuyants un peu redondants. Je n'ai pas autant accroché au personnage central de Kristin, comme c'est habituellement le cas avec notre commissaire de Reykjavik, mais j'apprécie toujours autant le décor islandais, son ambiance et ses paysages glacés, son esprit lunaire et son passé historique assez troublant.

Et puis il y a Thierry Janssen, lecteur pour Audiolib, une voix grave et dramatique qui pose le tableau et donne le ton du livre. J'ai, pour ainsi dire, apprécié mes retrouvailles avec l'auteur par son biais et ne suis qu'impatience pour découvrir son nouveau roman, Dans l'ombre, qui se réserve riche en surprises !

Audiolib, 2017 - Texte lu par Thierry Janssen (durée : 10h 08) - Trad. David Fauquemberg pour les éditions Métailié (2015)


24/04/17

La Daronne, de Hannelore Cayre

La DaronnePatience veuve Portefeux travaille pour la police en tant que traductrice-interprète judiciaire. Elle mène une petite vie très ordinaire, dans un appartement modeste dans le quartier chinois. Elle trime comme une folle pour payer l'encadrement médical de sa mère vieillissante et hargneuse, lui rend visite chaque semaine tout en retenant des bouffées d'angoisse et de haine à subir son acrimonie. Patience veuve Portefeux est aussi terne que sa vie, après avoir connu une enfance rocambolesque auprès de parents juifs, rescapés des camps, reconvertis en escrocs organisés, un mariage de princesse, une existence de rêve hélas brisée par la morte subite de son mari... Patience peine donc à joindre les deux bouts et trompe son ennui en s'attachant à une famille marocaine dont elle traduit les écoutes téléphoniques avant de débusquer leur important trafic de drogue. Un jour, comme ça, Patience décide d'y prendre part et se retrouve à la tête d'un stock de shit dans sa cave qu'elle va écouler au vu et au su de tous - dealers et flics compris. Patience veuve Portefeux est insoupçonnable, elle se fond dans le décor, elle a une longueur d'avance en magouillant les documents ou en discutant avec son petit ami, promu à la brigade des stups. Elle peut ainsi déjouer les embuscades sans frémir pour sa petite personne. Et franchement, quel pied ! C'est vachard, mordant, caustique et dérisoire. Hannelore Cayre nous sert sur un plateau sans napperon un portrait plein d'humour et de sarcasme de son personnage de Patience veuve Portefeux, figure atypique, hallucinante de détachement et de self-control, qui nous raconte sa vie plate et qui se dévoile d'une rouerie formidable. Sacrée bonne femme qui mène sa barque au gré du flux et du reflux des circonstances. On s'émerveille tout du long à la lecture de son parcours, et on se demande sincèrement comment cela va se terminer ! Emballez, c'est pesé. Voici un roman incisif, particulièrement bluffant et au suspense habilement troussé, qui rappelle aussi le bon goût des Chamonix ! ☺ 

"Un coup de foudre littéraire" pour Cuné, qui m'a donné envie de découvrir ce roman - Lire son enthousiasme contagieux ici.

Métailié, 2017 / Prix Le Point du polar européen - 2017

 

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03/03/17

La chair, de Rosa Montero

la chairRongée par la jalousie de croiser son amant et sa jeune épouse enceinte à l'opéra, Soledad s'offre les services d'un escort pour l'exhiber à son bras. Adam est jeune, beau, sexy. Il a la trentaine d'années, parle l'espagnol avec un accent russe et produit son effet en société. Soledad est comblée. À soixante ans, Soledad porte un soin attentif à sa silhouette et à son allure pour ne jamais paraître son âge. Elle refuse le temps qui passe, ne conçoit pas de mener une vie de couple ordinaire et avoue sans complexe préférer les hommes jeunes et beaux. Soledad aime l'amour et la passion, c'est son carburant. Jamais la solitude n'a eu d'emprise sur elle. Soledad s'épanouit dans son travail - elle organise des expositions insolites et a acquis une solide réputation dans son domaine, même si cela lui demande beaucoup d'énergie, de la créativité et du renouvellement perpétuel. Soucieuse de monter son nouveau projet sur les écrivains maudits, Soledad est pour la première fois confrontée à une concurrence farouche et déloyale (une archictecte plus jeune et ambitieuse, qui empiète sur son territoire). Elle n'entend pas s'y soumettre et rage de devoir prouver ses compétences. Insomniaque, Soledad ressasse les nombreuses références littéraires pour alimenter son expo (Burroughs, Philip K. Dick, Thomas Mann, Maupassant, etc.) tout en notant que son corps et sa tête sont entièrement accaparés par la passion naissante qu'exerce Adam sur elle.

Quel beau roman ! J'avais à peine lu les premières pages que j'étais déjà complètement envoûtée par l'écriture de Rosa Montero, touchée par le personnage de Soledad et intriguée par sa relation avec Adam. Une relation forcément toxique et obsessionnelle, mais décrite avec ludicité et réalisme. Soledad réprouve le rapport mercantile de son histoire avec Adam, mais cherche à entrevoir la sincérité du jeune homme dans ses gestes et ses paroles. Elle s'accroche à de douces illusions, vaguement désabusée, mais refuse la fatalité. Le roman évoque admirablement le combat de cette femme de soixante ans, seule et indépendante, qui résiste aux idéaux et à la morale ambiante. C'est un parcours non sans heurt, car au fil des pages on découvre une héroïne fragile et à fleur de peau, en lutte contre le temps et le destin. C'est à la fois touchant, livré sans fard, sans tricherie, mais c'est aussi truffé d'ironie, de dignité et de désir farouche. J'ai aimé la sensualité qui découle du récit, tout en élégance, sans détails sordides ou graveleux. De quoi retoquer certaines productions actuelles de très mauvais goût. Ici, Rosa Montero parle du corps, d'envie et d'appétit charnel avec raffinement et lyrisme (très belle traduction de Myriam Chirousse, au passage). C'est un roman d'une grande pudeur, et en même temps passionnant et authentique. Une lecture forte et vibrante d'émotions, pleinement enthousiasmante. 

L'auteur aussi a de l'humour, puisqu'elle se met en scène dans son propre roman, comme étant une journaliste “raz-de-marée” qui s'habille chez Zara et porte des Dr. Martens avec des roses brodées “quand bien même elle voulait s'habiller comme si elle était une jeunette” (p. 142). ☺

Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse pour les éditions Métailié, Janvier 2017

 

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La folle du logis, de Rosa Montero

la folle du logisÀ la base, Rosa Montero envisageait d'écrire un livre sur la littérature, la fiction et le métier d'écrivain en reconnaissant que cela manquait d'audace et d'originalité, mais c'est tout naturellement qu'elle a emprunté le chemin de la digression pour évoquer l'amour, la passion, l'enfance, les souvenirs, le féminisme, la féminité, la lecture, l'écriture, et forcément l'imagination, cette fameuse “folle du logis” selon Sainte Thérèse d'Avila.
Elle nous offre ainsi un ouvrage riche de réflexions pertinentes, cocasses et ironiques sur la vie des écrivains et sur ses propres expériences (plus ou moins fondées, comme le rappelle l'auteur en post-scriptum). Ainsi, ses nombreuses anecdotes sur son aventure avec M., l'acteur européen dont la carrière hollywoodienne est pleine ascension, sont fort probablement à prendre avec des pincettes, ou mieux vaut les recadrer dans un ensemble romanesque. Car Rosa Montero est bavarde, mais se refuse aux confessions sur l'oreiller. 
À l'inverse, les caprices de figures littéraires comme Goethe, Kipling, Philip K. Dick, Stevenson, Capote ou Calvino alimentent copieusement son texte et viennent éclairer ses théories sur les névroses et autres faiblesses de ses comparses, écrivains maudits ou vaniteux, éperdus de reconnaissance, persuadés d'être des éternels incompris, se débattant avec leurs démons et leurs ambitions, avides de compliments et pourtant méfiants envers les coups d'encensoir. En somme, c'est la jungle hostile et sauvage. 
C'est donc dans ce joyeux chaos d'idées, entre grandeur et décadence, que Rosa Montero trace son récit, sans prétention, mais avec un grain de lucidité féroce et jubilatoire. L'auteur peste contre le machisme ambiant, la jalousie et l'incompréhension, notamment à l'égard des épouses d'écrivains, dont Fanny Vandegrift, femme indépendante et farouche, qui bousculait Stevenson dans son travail en le forçant à revoir ses copies, mais qu'on accusait d'être une vieille sorcière, ou Sonia Tolstoï qu'on prétendait dérangée alors que c'était son mari la brute du foyer. 
L'écrivain est un être tourmenté, car écrire est une souffrance. Cela implique de se livrer aux autres, trahir son intimité, se dévoiler et se rendre vulnérable. Mais inventer demande aussi de l'énergie et de la désinhibition, d'où le casse-tête interminable qui se joue dans leur esprit dément ou limite schizophrène. Le rapprochement entre l'écriture, l'imagination et la folie coule donc de source. Ce sont trois pôles intrinsèquement liés, parmi lesquels cheminent les pensées de Rosa Montero en une démonstration de longue haleine. 
Au final, écrire demande aussi un engagement spirituel. S'extirper de sa coquille pour se confronter au monde, puis retourner dans sa “cellule” en toute humilité et accepter l'idée de la mort, ce contre quoi les écrivains lutteraient avec acharnement... Bref, ce petit bouquin remis au goût du jour dans un format poche (1ère édition en 2004) est savoureux et croustillant pour ses nombreuses interpellations et sa matière grise qui invite à cogiter ! L'humour de Rosa Montero est toujours aussi jouissif, son intelligence, sa verve, son ironie, ses caprices et ses mascarades ne sont pas non plus en reste. Un auteur à découvrir, si ce n'est pas déjà fait !  

 Traduit de l'espagnol par Bertille Hausberg [ La Loca de la Casa]

Éditions Métailié, coll. Suites, 2017

« Comment peut-on vivre sans lecture ? Cesser d'écrire, c'est peut-être la folie, le chaos, la souffrance mais cesser de lire, c'est la mort instantanée. Un monde privé de livres est un monde sans atmosphère, comme la planète Mars. Un univers impossible, inhabitable. Lire, c'est vivre une autre vie. »

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18/07/16

Le Lagon Noir, d'Arnaldur Indridason

Le Lagon Noir

Retour sur le début de carrière de notre Erlendur, âgé d'une trentaine d'années, alors jeune recrue de la section criminelle à la demande de Marion Briem. Nous sommes en 1979. Le corps d'un homme est repêché dans un lagon, dont les bains sont réputés pour ses vertus thérapeutiques. Cet homme, dont on ignore l'identité, se révèle être un ingénieur islandais, employé à la base américaine de l’aéroport de Keflavik. La police n'obtient aucun accord pour enquêter sur les lieux, mais peut s'appuyer sur l'assistance d'une jeune officier de la base, Caroline, qui prête son concours en dépit des circonstances. La présence de l'armée américaine est perçue comme une intrusion inacceptable aux yeux de la population, Erlendur lui-même ne cache pas ses sentiments politiques sur ce sujet. Mais que ceci ne vienne pas nous détourner de notre chemin. L'affaire Kristvin, un type ordinaire, pas si irréprochable, moins lisse en apparence, au vu de sa consommation de marijuana et la découverte d'une liaison extraconjugale... Un cas autrement plus complexe et torturé, que nos inspecteurs ne manqueront pas de décortiquer. En marge de cette enquête, Erlendur se passionne sur un vieux Cold Case : la disparition d'une jeune étudiante sur le chemin de son école, vingt ans plus tôt. La démarche, personnelle et officieuse, fait naturellement écho au drame que l'on sait. 

Cet épisode aux événements antérieurs complète efficacement la série et apporte une dimension juvénile attachante au personnage d'Erlendur. Ce n'est pas un scoop. L'homme est un éternel solitaire, qui suinte la tristesse et qui protège jalousement ses secrets. Ses collègues ignorent encore tout des démons qui l'habitent, même si on perçoit la fragilité de sa carapace et le début de confiance qui s'installe entre Marion Briem et lui. Les deux intrigues criminelles sont passionnantes, l'une pour le contexte qu'elle révèle (la présence de l'armée américaine, le marché clandestin, la musique rock, les disques, les cigarettes qu'on se refile en douce... et bien entendu une grogne montante chez les insulaires antimilitaristes). La deuxième histoire ne manque pas non plus d'attrait, Cold Case oblige, même si son dénouement me rappelle une autre œuvre classique hyper connue, chut ! ^-^ 

Une ambiance définitivement envoûtante, des histoires poignantes, des destinées qui prennent racine et des personnages qui s'étoffent... Le Lagon Noir a tout pour plaire. La construction alambiquée de cette série, via son procédé de remonter le temps, est judicieuse car elle apporte beaucoup au personnage d'Erlendur ! C'est un roman noir, sans effet de style, simplement construit sur un solide appui et auréolé d'une atmosphère unique, mystérieuse et captivante. Un très bon cru  ! 

Texte lu par Jean-Marc Delhausse pour Audiolib (Juin 2016) durée : 10h 04

Le Lagon noir (Commissaire Erlendur Sveinsson 14) | Livre audio

Traduit de l'islandais (Kamp Knox) par Éric Boury / Titre téléchargé sur la plateforme Audible

22/02/16

Le Détroit du Loup, par Olivier Truc

Le détroit du loup CD

« Il se passe des choses pas sympas. Il y a beaucoup d'argent en jeu.
Et nous [les éleveurs], on pèse pas lourd. »

Suite à ma première rencontre enthousiasmante, cf. Le dernier Lapon, avec l'univers d'Olivier Truc, nous introduisant en Laponie Norvégienne, parmi la communauté Sami et les éleveurs de rennes, je me réjouissais de retrouver les patrouilleurs, Klemet Nango et Nina Nansen, dans une nouvelle intrigue policière. Et effectivement, la transhumance à peine commencée se voit déjà compromise par un incident malheureux : la noyade d'un éleveur, Erik Steggo, qui plonge ses proches dans un profond désarroi. Très vite, les murmures de mécontentement grondent et enflent, visant les envahisseurs, touristes, politiciens, compagnies pétrolières... Trop de monde se bouscule sur un même lopin de terre, le fameux Détroit du Loup. Et la mort d'Erik Steggo n'est pas un simple accident, car d'autres événements tragiques, comme la mort du maire d'Hammerfest, de responsables pétroliers et de plongeurs, viendront confirmer les craintes. 

Ce deuxième livre de la série n'offre peut-être plus la surprise de la nouveauté, mais préserve son ambiance singulière et fascinante. Si Klemet se montre particulièrement virulent, pas loin de saboter sa relation avec sa collègue Nina, celle-ci dérive aussi de son côté, vers les traces de son père disparu, qu'elle cherche à retrouver. Cette absence d'osmose est un peu pénible, et alourdit la lecture, que je trouvais déjà longue et lassante. Après, on sent bien les intentions louables de l'auteur, à vouloir dénoncer le décalage culturel de la Laponie, le fossé entre les traditions à préserver et les exigences économiques, souvent peu regardantes des éléments en place. Pour illustrer tout ça, on croise des personnages comme Nils le plongeur sans scrupule, Anneli la jolie veuve, Tikkanen l'agent immobilier véreux et Sikku le berger utopiste. Tous incarnent à leur façon le visage du pays. Exit le charme de l'exotisme, cette fois la plongée en Laponie est teintée d'une sombre amertume, qui déteint sur le ressenti de la lecture. La magie n'a plus fonctionné et je sors quelque peu déçue de cette promesse d'évasion. L'histoire s'éparpille trop, manquant souvent de rythme, et se noie dans des digressions fastidieuses. Dommage, pour cette fois.

Sixtrid / Novembre 2015 ♦ Interprétré par Jacques Frantz (Durée : 15h15)

Points, coll. Policier / Septembre 2015

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Challenge Nordique 2016