Préparer Noël #8
Les souliers de Jacob ~ Agnès de Lestrade
illustrations de Tom Schamp
Jacob est un coordonnier hors du commun, c'est un magicien de la chaussure, il taille, pique, coupe, sculpte, cloue le bois, le cuir et le caoutchouc. Dans sa boutique, on trouve forcément chaussure à son pied ! Un jour, une jolie rousse se prénommant Margot se présente et lui demande une paire de chaussures pour faire le premier pas. Le coeur de Jacob s'affole et ses ennuis commencent. Pour la première fois, le coordonnier peine à dessiner LES souliers de rêve. Son monde s'effronde, comment va réagir la belle ? Au début, elle sera dépitée... et puis, fixant Jacob de ses grands yeux clairs, son regard fera gling gling, bang bang, clap clap.
C'est un merveilleux album, riche en illustrations et en expressions qui jouent avec les mots et donnent le sourire. On connaît le proverbe : « Les cordonniers sont les plus mal chaussés » et Jacob est un coeur à prendre. Il sait contenter les timides, les poètes, les étourdis, les gourmands, les impatients, il leur sert les chaussures qui ne reculent devant rien, celles qui prennent le mot au pied de la lettre, les souliers pour garder les pieds sur Terre, les chaussures qui mettent les pieds dans le plat, celles qui font les cent pas....
Vraiment riche et savoureux, cet album est aussi ravissant par sa palette de couleurs (chaudes, douces, réconfortantes) avec une explosion des détails (l'atelier du coordonnier, la rue, ce qu'on peut voir par les fenêtres, aussi, de l'intérieur ou l'extérieur).
J'ai beaucoup aimé !
Sarbacane, 14,90€
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Au bout des rails ~ Manuela Salvi
illustrations de Maurizio A. C. Quarello
Monsieur Victor est le conducteur d'un train aussi beau qu'une voiture de course. Les voyages avec lui se passent toujours sans souci. La contrôleuse, Magda, le certifie. C'était à craindre que le ciel sans nuages allait se couvrir. Cette fois-là, parmi la joyeuse pagaille (une castafiore qui chante pour payer son billet, un contortionniste qui refuse de s'installer sur son siège et un représentant en pots de peinture), le train fait halte en rase campagne. Victor n'en croit pas ses yeux : il n'y a plus de rails ! Impossible de poursuivre le voyage.
Magda et lui décident alors de tracer eux-même les rails, avec deux pinceaux et de la peinture. Or, leur chemin aussi se sépare car ils ne sont pas d'accord sur la destination à suivre. Victor trace droit devant lui et il va finir par décoller du sol. Entre ciel et mer, à dos de cheval ou sur un vélo, en deltaplane ou en sous-marin, Victor va voir du pays, s'affranchir des limites et sortir des rails.
Dernières escale : Paris, la tour Eiffel. A son sommet, ce sera une autre rencontre qui attend notre conducteur de train, qui s'en remettra alors au destin pour décider le chemin à suivre !
Fabuleux.
Comme souvent, j'adore la réunion des talents que sont Manuela Salvi et Maurizio A. C. Quarello. L'histoire est singulière, pétillante, décoiffante. Les illustrations, belles à couper le souffle, proposent un monde qui n'existe plus et dont le charme rétro me séduit instantanément.
Je vous le recommande chaudement !
Sarbacane, 14,90€
Au gré de mes balades musicales, j'ai même découvert une chanson de Joe Dassin (!) dont voici un extrait des paroles qui collent parfaitement avec notre histoire...
Tous les deux, on se ressemble
On a besoin de bouger
De temps en temps
Contre le vent
De changer de gens
De prendre le temps
Si on veut le refaire le monde
Viens, là-bas au bout des rails
Jusqu'à ce que le train s'arrête
Viens, il faut que l'on s'en aille
Il faut le faire ce fameux voyage
:))
(Lecture du soir ... et de jazz)
Oh my God ! Ce livre-là, mes aïeux, nous a prises par surprise, sans s'y attendre ... Toutes les deux plongées dans notre lecture, moi me demandant si la Miss n'allait pas décrocher dès la première page tournée tant le vocabulaire me semblait un peu loin de ses connaissances basiques, et elle, Miss C., nonchalante et rêveuse, avachie et m'écoutant d'une oreille, à peine tournant un oeil vers les magnifiques illustrations ...
Ah oui les illustrations ! Là déjà nous étions dans l'ambiance, déjà nous trouvions que c'était plus pas mal « balancé » et que ça ressemblait presque à un film (dit la Miss), franchement de quoi prêter à s'évader ... en route pour l'Amérique des années 20, celle d'une grande ville avec ses clubs de jazz, son béton, ses tours immenses, et des pauvres types qui s'y précipitent dans l'espoir de réaliser leurs rêves.
Enfin nous n'en étions pas encore là. Mais l'histoire a commencé ainsi :
« La nuit, en ville, ne tombe jamais vraiment : les néons des enseignes, les phares des voitures, les réverbères et les fenêtres illuminées chassent l'obscurité dans les coins les plus reculés. Même en fermant les yeux, on ne peut voir de noir noir. Mais Toni Mannaro aime ça, les lumières de la nuit ; surtout après la pluie, lorsqu'elles se mirent dans les flaques et sur le pavé humide. Il y voit des étoiles, tombées à terre rien que pour lui, pour éclairer sa route et rendre sa solitude moins pesante. »
Toni Mannaro est arrivé en ville avec deux bagages et des centaines de rêves qu'il compte bien tous réaliser. Son rêve numéro un : devenir saxophoniste et pourquoi pas (rêve numéro deux) : faire partie du jazz band de Miss Maria Pig, la célèbre chanteuse de jazz. Toni a un souci : personne n'aime sa sale gueule, tout le monde le fout à la porte, on le fuit, il fait peur ... c'est l'horreur, le désespoir. « Le spleen l'envahit et les notes qui sortent de son saxophone se font alors plus aiguës et plus vibrantes... »
Sincèrement, en fermant le livre, nous n'avions qu'une envie : écouter de la musique ! Oui, du jazz - pourquoi pas ? Et c'est dommage que ça manque, cette petite touche musicale, sous la forme concrète d'un cd, par exemple. Parce que l'envie est communicative. Même la Miss, du haut de ses 7 ans bien tassés, s'est exclamée qu'elle voulait de la musique, nom d'une pipe en bois ! C'est vous dire l'impression que vous file ce livre ! ... Vraiment une ambiance hors du temps, un voyage en arrière, une plongée en musique sur le milieu new-yorkais des années 20.
Dans cette magnifique histoire écrite par l'italienne Manuela Salvi, le vocabulaire est recherché, le style est pointu, très joli sous la langue, de quoi enchanter les jeunes enfants (dès 7 ans, à mon avis). L'ambiance par les illustrations de Maurizio A.C. Quarello est un atout majeur pour retranscrire l'aura, partager cette belle sensation de vie nocturne et urbaine d'une capitale culturelle où tout semble possible. C'est le portrait d'une époque, c'est le parcours initiatique d'un rêveur et/ou d'un ambitieux, avec un chemin pavé d'espoirs et de désillusions. C'est aussi une histoire émouvante sur la différence.
En gros, c'est un livre purement génial !
Toni Mannaro (Jazz Band) dans "Ballade Nocture" - un récit de Manuela Salvi, illustré par Maurizio A.C. Quarello. Traduit de l'italien par Marc Voline.
Editions du Rouergue, collection Varia. Octobre 2007. 36 pages - 15 €