Velvet, de Mary Hooper
Velvet travaille dans une blanchisserie, pour un salaire de misère et dans des conditions pénibles. Elle rêve naturellement d'une vie meilleure et enjolive son enfance (pourtant, peu reluisante et chargée d'un lourd passé) pour échapper à un avenir sordide. Aussi, saisit-elle sa chance lors de sa rencontre avec la célèbre Madame Savoya, réputée pour ses talents de médium, qui lui propose de devenir sa demoiselle de compagnie.
Velvet accepte sur le champ et quitte son quartier populaire de Chiswick pour Regent Park, où elle est accueillie avec effusion par le séduisant majordome, George. La jeune fille tombe sous le charme. Elle oublie ses racines, néglige ses amis d'enfance et tourne le dos à son soupirant, l'adorable Charlie. Plus rien ne compte à part cette existence idyllique, à côtoyer du beau monde, participer aux soirées occultes et autres séances de spiritisme. Velvet est littéralement fascinée.
Et c'est vrai que ce roman exerce un véritable magnétisme ! La plume de Mary Hooper est toujours aussi élégante et décrit avec réalisme la société victorienne à travers ses us et coutumes, comme la pratique controversée de la voyance et la divination, qui était très à la mode à l'époque et attirait des personnalités comme l'écrivain Arthur Conan Doyle (qu'on croise dans le livre). Mais cette immersion est vécue via l'expérience d'une héroïne naïve et facilement impressionnable, d'où cette sensation frustrante d'être témoin d'une supercherie, d'en deviner les bouts de ficelle mais de demeurer impuissant pour la tirer de sa rêverie. Aussi assiste-t-on à son naufrage avec une certaine compassion.
J'ai beaucoup aimé ce roman, charmant et précieux dans sa conduite, alléchant par son histoire, attentif à broder une vraie trame romanesque et soucieux du contexte historique. De plus, le choix d'associer les couvertures françaises aux illustrations de Pierre Mornet sont aussi un atout de séduction et un attrait stylistique majeurs !
éditions Des Grandes Personnes, septembre 2012 ♦ traduit par Fanny Ladd et Patricia Duez
"C'est trouver l'amour qui compte. C'est ça, le principal."
"Ça faisait mal. Très mal. Et il y avait beaucoup de sang, aussi." C'est la première phrase de la première nouvelle parmi les huit qui constituent ce recueil. Une phrase racoleuse, qui vous place tout de suite dans l'ambiance. Parce qu'il faut le reconnaître, ils sont drôlement forts, ces Anglais. Ils vous balancent leurs histoires courtes avec un aplomb redoutable, beaucoup de finesse et une drôlerie qui fait mouche, sans compter le ton et la forme qui ne font pas dans la dentelle, mais qui bien évidemment parleront instinctivement aux adolescents.
Dans le lot, on trouve tout de même deux textes classiques, le premier de Mary Hooper, le deuxième de Bali Rai. Ce sont deux histoires qui se passent ailleurs, dans l'Angleterre victorienne ou en Inde, deux cultures différentes, mais avec des parcours de femmes marquées durement par la vie et le désespoir. Sans quoi, on plonge sans complexe dans le petit monde des adolescents, à l'heure où les désirs ne sont plus tabous, où l'on est curieux, impatient, craintif et rêveur. L'incursion est réaliste, jamais déplacée, je pense que les auteurs ont été, à plusieurs occasions, bien en phase avec leur public.
A mon sens, Patrick Ness tire véritablement son épingle du jeu avec un texte percutant sur l'homosexualité, et dont la particularité veut que les mots les plus violents et crus soient dissimulés par un trait noir, ce qui laisse encore plus de place à l'imagination. Quant aux autres nouvelles, de qualité très honorable, elles séduiront immédiatement les ados par leur volonté de faire simple, juste, crédible et actuelle. L'ensemble est parfois cru, mais jamais déplacé, même la grossièreté est justifiée.
Voilà un recueil à faire lire dans les écoles (niveau collège et plus), pour rappeler à nos jeunes impatients / curieux de goûter le fruit défendu qu'il existe des règles essentielles : l'impact émotionnel. Car après tout, "le moment où on cesse d'être puceau est un truc intime qui devrait se trouver derrière un trait noir, plutôt que les insultes et les conneries sur le sexe". Parce que, "faire l'amour pour la première fois, ce n'est vraiment pas très important. C'est trouver l'amour qui compte. C'est ça, le principal."
La première fois (recueil de nouvelles) par Anne Fine, Bali Rai, Jenny Valentine, Keith Gray, Mary Hooper, Melvin Burgess, Patrick Ness & Sophie McKenzie
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 2011 - traduit par Laetitia Devaux et Emmanuelle Casse-Castric
Waterloo Necropolis
Waterloo Necropolis est un roman qui parvient subtilement à nous piéger entre ses chapitres. On y suit l'histoire de Grace, et de sa soeur, Lily, qui est simple d'esprit. Toutes deux sont orphelines et vendent du cresson dans la rue pour joindre les deux bouts. Elles logent dans une pension de famille délabrée jusqu'au jour où les autorités décident d'expulser tous les locataires sans se soucier du devenir de ces pauvres hères. C'est alors que Grace choisit de faire appel à Mrs Unwin, rencontrée sur un quai de gare, dans des circonstances qu'elle aimerait oublier. Six mois plus tôt, en effet, la jeune fille de seize ans a accouché en secret d'un enfant mort-né et s'est rendue à Waterloo Necropolis pour y glisser son "paquet" dans un cercueil anonyme. La pratique était courante à l'époque, pour ceux qui n'avaient pas les moyens.
Bref, Mrs Unwin est l'épouse d'un riche entrepreneur qui travaille dans les pompes funèbres. Elle est séduite par la beauté délicate de Grace et lui propose de l'employer comme pleureuse, tandis que Lily se voit promettre de suivre une formation de domestique auprès de leur fille Charlotte. Tant de générosité fait plaisir à voir, sauf que les intentions de la famille Unwin sont loin d'être honnêtes. La construction du roman laisse supposer un scénario habile et efficace, là deux hommes se frottent les mains en découvrant l'annonce dans le Times d'une recherche active d'une héritière, là une dame se promène avec son bébé dans le parc, là encore une odeur d'huile de macassar donne des frissons dans le dos... Impossible d'être dupe quant au dénouement de l'intrigue, mais ce serait dommage de se priver de la suite du film, Mary Hooper fait preuve d'une grande ingéniosité aussi et nous charme, à sa façon, avec son récit.
Comme c'était déjà le cas avec La Messagère de l'au-delà, le roman dénonce une réalité sordide en nous plongeant dans les quartiers pauvres du Londres victorien. Le commerce autour de la mort est également passé à la loupe, d'autant plus qu'au cours de l'hiver 1861 le prince consort décède subitement et plonge le pays dans un grand deuil. Très franchement, ce livre est très appréciable, il est intelligent, réaliste et romanesque. J'ai beaucoup aimé (même si la fin semble trop belle pour être réelle).
Waterloo Necropolis - Mary Hooper
(Les Grandes Personnes), 2011 - 300 pages - 17,50€
Traduit de l'anglais par Fanny Ladd et Patricia Duez
illustration de couverture : Pierre Mornet
> A été lu et apprécié par Sophie
La Maison du magicien ~ Mary Hooper
L'histoire se passe dans l'Angleterre d'Elizabeth Ière, alors que Lucy, une jeune gantière, rêve des belles toilettes et de la prestance des nobles dames, en vénérant la reine et la vie à la cour. Or Lucy n'appartient pas à ce beau monde, sa famille trime pour joindre les deux bouts, le père dépense le peu d'argent récolté dans l'alcool. Un jour, après une énième dispute soldée par les coups et les menaces, Lucy choisit de partir. Elle suit la Tamise pour gagner Londres et finit par s'arrêter aux abords du palais de Richmond. Elle croise deux fillettes et leur singe en train de jouer dans la boue et vient à leur secours quand l'une d'elles manque de s'embourber jusqu'à la taille. Suite à cela, Lucy est accueillie dans la Maison Noire, une habitation à l'aspect rébarbatif qui correspond parfaitement à son nom, avec un toit de chaume envahi par la mousse, des murs goudronnés et de minuscules fenêtres poussiéreuses. Cette maison appartient au Dr Dee, qui est le magicien et conseiller personnel de la reine.
Lucy est engagée comme nourrice et trouve vite ses marques dans cette demeure immense, qui n'a pourtant plus l'étoffe d'antan. L'argent manque, la femme du magicien est alitée après un accouchement douloureux, et le Dr Dee ne quitte jamais sa lugubre bibliothèque. Un soir, Lucy s'y faufile, piquée par sa curiosité maladive et se sauve en courant, pensant être tombée dans l'antre de Satan ! Peu après, la jeune fille a vent d'étranges histoires qui sont rapportées sur le compte du fameux magicien. Est-il un charlatan, ou un être doté d'un vrai pouvoir ? Fait-il apparaître les esprits, converse-t-il avec les anges ?
La reine en personne lui fait confiance, son arrivée à Mortlake est annoncée, avec dans son sillage des rumeurs de complot contre sa royale personne.
Magie et mascarade sont au coeur de ce passionnant roman, dont la configuration historique, plus que soignée, est admirablement reproduite. L'auteur apporte des notes de précision en fin de roman, pour expliquer le contexte et l'importance des personnages rencontrés dans cette fiction (le docteur Dee, par exemple, a bel et bien existé). A l'instar de La messagère de l'au-delà, le précédent roman de Mary Hooper, La Maison du magicien procure une sensation d'immersion totale et immédiate. C'est par la voix de Lucy qu'on suit l'intrigue, de telle sorte qu'il nous est impossible de deviner la suite, impossible aussi d'emprunter un autre chemin que celui suggéré par la jeune fille. On vit l'histoire à son rythme, c'est prenant et saisissant. Et c'est instantané, on se surprend à tourner les pages à une vitesse, c'est vraiment très agréable.
L'histoire est racontée de façon limpide, vue à travers la sensibilité de la narratrice et héroïne. Lucy est une jeune fille attachante, portée par une curiosité qui frise l'indécence (ou l'inconvenance). Il lui faudra du culot, en plus du courage, pour démêler les fils de l'imbroglio auquel elle sera, malgré elle, associée. Cette aventure pleine de suspense s'enrichit également d'une touche romanesque, car notre demoiselle fera une rencontre charmante, avec un jeune homme intrépide auquel la lieront bientôt de tendres sentiments.
Seule la suite nous en dévoilera plus. Ce roman est en fait le premier titre d'une trilogie qui m'enchante à l'avance !
Et la couverture est encore plus belle en vrai.
Gallimard jeunesse, 2009 - 285 pages - 12€
traduit de l'anglais par Bee Formentelli
A lire aussi du même auteur : La messagère de l'au-delà (Panama, 2008)
La messagère de l'au-delà - Mary Hooper
Ce premier roman de l'anglaise Mary Hooper raconte l'histoire d'Anne Green, une jeune servante d'à peine seize ans qui fut condamnée à la pendaison pour infanticide. Basée sur des faits ayant existé, mais brodée pour parfaire l'intrigue romanesque, cette histoire n'en paraît que plus captivante.
Par chapitres successifs, la parole est donnée à la jeune fille qui raconte son histoire. Nous sommes en 1650, dans l'Angleterre de Cromwell. Les lois sont rigides contre les moeurs légères, et à cette époque on évitait de comprendre le drame des enfants morts-nés ou nés prématurément. La science et la médecine étaient encore bien timides, mais audacieuses. Le corps d'Anne Green, par exemple, est confié à l'université pour y être disséqué. Cette autre partie de l'histoire est narrée par Robert, un étudiant sensible et timide qui souffre de bégaiement. C'est grâce à lui qu'un miracle va se produire : Anne Green ne serait pas morte.
Le drame de cette jeune fille, en plus d'être belle, est d'avoir été séduite par un gentilhomme, le petit-fils de la famille où elle travaille. Victime aussi de sa vanité et de sa naïveté, Anne va connaître le prix à payer avec un stoïcisme admirable. Elle a très vite compris que sa mort était la bienvenue pour taire le scandale qui pourrait empêcher l'union du jeune maître Geoffrey avec une demoiselle de grande fortune.
Plusieurs scènes sont remarquables dans ce roman (le procès, l'échafaud, l'accouchement...) et racontées sans verser dans le pathos délirant. Tout est feutré, distillant avec tact la note dramatique. On retrouve aussi le climat austère, la vindicte populaire et le puritanisme accablant qui mettent en exergue la grande solitude d'Anne. Dans le fond, c'est une jeune femme assez cruche, avec une bonté naturelle et pas un soupçon de mesquinerie. Ce n'est qu'une servante sans éducation et sans le sou, avec un charmant minois. Peut-être est-elle dupée par les belles paroles de ce coureur de jupons qu'est le petit-fils de Sir Thomas Read, toutefois son cas fait écho à d'autres détresses comme c'était souvent le fait en ce temps-là.
Et puis, j'ai beaucoup apprécié que ce roman aborde les premiers questionnements concernant l'infanticide, comme il était jugé dans ce 17ème siècle. De manière générale, de toute façon, La Messagère de l'au-delà sait nous surprendre par son intelligence et sa sensibilité. Mary Hooper a su habilement raconter une histoire émouvante, mais en toute sobriété. La puissance de ce récit se trouve dans le désoeuvrement que va connaître Anne Green et par les injustices dénoncées. Bref, c'est un roman historique avec une action dense et palpitante. A découvrir !
La Messagère de l'au-delà - Mary Hooper
Editions du Panama, (mars) 2008 pour la traduction française - 268 pages - 15€
traduit de l'anglais par Fanny Ladd et Patricia Duez