Marre de l'amour
La couverture d'Anne Bordenave est adorable et illustre le dilemme du roman - Pierrot n'en peut plus d'avoir des parents qui s'aiment, à l'heure où tous ses potes vivent dans des familles séparées. Il décide donc de créer le gang qui tue l'amour et mijote le désamour de ses géniteurs. Et pour bien faire, Pierrot mène son enquête : il interroge les copains et ses propres parents, tant et tant qu'il finit par ne plus être sûr de son entreprise. Car finalement les dimanches à petit-déjeuner dans le lit, à se balader dans la forêt, à contempler les oiseaux ou à regarder un film en dvd, ce n'est pas si mal que ça... Pierrot douterait-il de la chance qu'il a ? Et surtout, Lou le regarde désormais avec des yeux remplis d'étoiles et ça vous donne envie de tirer des plans sur la comète.
Ce petit roman est absolument charmant ! Il est à prescrire aux plus jeunes lecteurs qui auraient perdu le mode d'emploi des histoires d'amour qui finissent bien (même si parfois il y a quelques coups de canif dans le contrat, ce n'est pas la fin du monde non plus). Marre de l'amour est une lecture drôle, légère et pétillante. Maud Lethielleux m'enchante à chaque fois dès qu'elle dresse le portrait de gens ordinaires qui s'aiment de façon extraordinaire - il faut lire les éblouissements réciproques du papa et de la maman de Pierrot, c'est comme des éclaboussures de couleurs (et des épluchures de fruits et légumes), pfiou c'est ravissant !
Marre de l'amour - Maud Lethielleux
éditions Thierry Magnier (2011) - 135 pages - 9€
illustration de couverture : Anne Bordenave
C'est pas parce qu'on écrit qu'on est bien dans sa tête, ça veut rien dire...
C'est un très, très joli roman qui absorbe toute votre attention pendant 500 pages et qui vous recrache contre votre gré, le coeur lourd et la tête à l'envers, car c'est vraiment difficile de quitter tous les personnages, même si on sait que tout va mieux pour eux.
C'est l'histoire d'une ferme, qui s'appelle Le Bout du Monde. Un lieu paumé pour accueillir tous les bras cassés. On y rencontre Marlène, la responsable, et trois adolescents, Solam, Jul et Malo. On ne connaît pas tout de suite leurs histoires, on en aperçoit des bribes et c'est tant mieux. Cela rend la lecture plus intriguante et passionnante.
Le roman se construit autour des pages de journaux intimes de chacun - ils doivent se livrer à cet exercice imposé par Marlène. Tous n'y mettent pas le même coeur à l'ouvrage, certains préfèrent se défouler dans l'agressivité, d'autres dans leur détresse affective ou dans une poignante candeur. Mis bout à bout, leurs confessions nous bouleversent, nous touchent et nous racontent une vraie histoire, dans la lignée de celle d'Anna Gavalda. Ensemble, c'est tout est devenu un slogan à part entière, un slogan qui colle parfaitement à l'esprit du roman de Maud Lethielleux. C'est vous dire le bonheur et le bien qu'il procure.
J'ai ressenti des élans d'amour, de tendresse, de colère, de frustration et d'amertume au cours de ma lecture. Tout est vécu vite et fort, tout s'exprime au centuple. Ce n'est pas un roman banal. Pas une histoire commune. Et j'ai aimé aussi l'idée de créer sa propre famille, de se consoler comme on peut, avec les moyens du bord, jusqu'à l'issue de secours, inattendue mais pas vaine, rassurante et loin d'être mielleuse. Oui, c'est bien que ça se termine ainsi, c'est mieux, ça donne de l'espoir.
J'ai réellement apprécié me fondre dans cette aventure humaine, me faire une place parmi cette communauté toute cabossée. Je leur souhaite bonne chance, comme à tous ceux qui grandissent trop vite ou que la vie inquiète.
Tout près le bout du monde - Maud Lethielleux
Flammarion (2010) - 508 pages - 10€
Quand elle sourit j'ai l'impression d'être en coton, comme la poupée doudou que j'avais quand j'étais petit, toute molle. J'aimerais bien être un doudou toujours au chaud avec quelqu'un comme Djoule qui me cherche partout.
***
Parfois je me sens libre. Je respire, c'est tout ce dont je suis capable : respirer, me nourrir, dormir. Et il m'arrive de penser que c'est suffisant, qu'après tout la vie n'est rien de plus, et que tout le reste n'est qu'un leurre.
J'ai quinze ans et je ne l'ai jamais fait
Capucine et Martin ont quinze ans et sont camarades de classe, souvent assis l'un derrière l'autre, mais ils ne se parlent jamais, tout juste font-ils attention l'un envers l'autre. Capucine, la belle intello, nourrit en fait des fantasmes débridés sur son prof d'histoire, lequel a une liaison avec la mère de Martin. Ce dernier s'ennuie beaucoup en cours, il ne travaille pas beaucoup et il ne pense qu'à sa musique. Récemment, il a eu une révélation grâce au chant : porté pour une soudaine inspiration, il lâche des textes improvisés qui font vriller le coeur de ses auditeurs. Son groupe va d'ailleurs se produire pour la première fois sur scène, mais le stress lui noue l'estomac, il ne pense qu'à ça et il se sent au trente-sixième dessous.
Quel titre ! J'ai quinze ans et je ne l'ai jamais fait, aussitôt on s'imagine... on pense... on conclut que... On a tout faux ! Ce titre se veut coquin et espiègle mais il est aussi joliment trompeur. Car il n'est pas seulement question de sexualité, mais d'amour au sens large (amour de la musique ou amour de soi, pour commencer). Chapitre après chapitre, on se glisse dans la tête de deux adolescents, on vit leurs espérances, on ressent leurs forces, leurs faiblesses, on partage leurs soucis. C'est immédiat, vif, revigorant. C'est comme revivre ses quinze ans, se rappeler cette période trouble où on ne sait pas, on aimerait bien, on cherche, on doute, on se plante et on recommence. C'est bon tout ça ! Et puis, ce n'est jamais trop tôt ni trop tard, c'est du plaisir sur toute la ligne, la gouaille de Maud Lethielleux combinée à une compréhension nette, précise et complice de cet âge ingrat, franchement je trouve que c'est un livre tout public, qu'il parle à tout le monde, qui fait rire et pleurer, et qui fait du bien, avec sa façon d'épiloguer sur un air de ne-pas-y-toucher. Je m'attendais à un bouquin plutôt girly, je me suis gourrée et c'est tant mieux !
J'ai quinze ans et je ne l'ai jamais fait ~ Maud Lethielleux
Editions Thierry Magnier (2010) - 200 pages - 9€
illustration de couverture de Anne Bordenave
Dis oui, Ninon - Maud Lethielleux
« A ce moment-là, j'ai une drôle d'impression, une image violente traverse ma tête : je devine qu'Agathe sera riche un jour, quand elle sera une adulte, je la regarde et je la vois en grande, sans son pouce dans la bouche. Je sais qu'elle sera riche et belle et tout comme il faut et qu'elle articulera bien tout ce qu'elle dit. Et moi, en même temps, je me vois aussi, mais c'est une image qui bouge et qui fait du bruit, je danse avec une grande robe rouge, je tourne et derrière moi il y a une roulotte et mes cheveux très longs soufflent les bougies. »
Ninon est un amour de petite fille, même si elle n'a pas la vie facile. Enfin, ce sont les grands qui le disent, qui l'appellent tout le temps « Mon dieu » et qui lui trouvent aussi la langue bien pendue et les idées délurées. A neuf ans, Ninon a choisi de vivre avec son papa, séparé de Zélie, la maman qui jure qu'elle a perdu son adolescence - deux enfants, un passé compliqué, mais aujourd'hui elle se reconstruit, « elle a des projets » qu'elle partage avec L'autre. Celui-là prend trop de place, et ça dérange les fillettes.
Car un jour, Ninon a pris conscience d'une chose très importante. « Mon papa a besoin de moi et je ne le quitterai plus. » Elle décide de vivre avec lui, de l'aider car Fred est débordant d'idées. Il veut construire une maison, il veut vendre des fromages de chèvre, il veut gratter sa guitare et chanter l'amour. C'est sûr, son papa est le meilleur, c'est lui le plus fort. Les copines de Zélie peuvent soupirer et la plaindre, c'est pas acceptable d'être un type violent, ça ne s'excuse pas, mais Ninon se pose des questions.
A force d'observer son monde et d'imprimer les mots qu'elle écoute, l'enfant se mélange les pinceaux et le tableau dans sa tête ressemble à un Picasso éclatant de couleurs et de vie, mais parfois les plus belles choses cachent aussi les histoires les plus tragiques et les plus tristes.
« C'est drôle, j'ai l'impression d'avoir grandi tout à coup. Ça fait mal au ventre de grandir, ça fait un noeud tout serré au milieu du ventre, c'est à cause des intestins qui grandissent aussi. C'est très triste de grandir, ça donne envie de pleurer sans larmes. »
Je me sens toute pataude à parler de ce roman, surtout après avoir avalé les mots de Ninon, grande musicienne d'amour, qui possède « le sens des mots et l'intelligence du coeur ». Les adultes pourront penser d'elle ce qu'ils veulent, « il ne faut pas écouter les jaloux ou les frustrés, il faut faire comme on aime ». Alors souvent le chat se glisse dans la gorge et fait le dos rond pour empêcher les mots. Comme en ce moment. Mais tant pis. Ecoutez Ninon, sa petite voix naïve et touchante, ses problèmes « de disques et de lexique » et son grand cri d'amour pour Fred. C'est beau. C'est l'histoire d'une princesse dans sa cabane, d'une souillon sur goudron et d'une guenon éprise de liberté.
Stock, 2009 - 240 pages - 17,50€
Merci à l'auteur !
Le blog de Maud Lethielleux : http://maudetlesmots.blogspot.com/
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