Tempête d'une nuit d'été, de Meg Rosoff
Au cœur d'une maison plantée sur le sable, une famille retrouve ses habitudes de vacances pleines d'insouciance (lectures, baignades, virées à vélo). Le cadre est planté : la bicoque sent les vieilles tentures, le sel et le renfermé. Les chambres sont petites mais douillettes. Et de toute façon, la vraie vie se passe ailleurs.
Cette année, leur tante annonce qu'elle va se marier et prépare la cérémonie qui se tiendra au cours de la saison. Ça parle théâtre, comme ça parle de fleurs et de dentelle. Rarement un bouquin n'aura su me capturer dans ses filets avec autant de facilité. J'étais conquise, dès les premiers chapitres.
Étourdie par cette atmosphère languide et ce climat lourd, chaud d'un été riche en promesses. Troublée par cette désinvolture qu'on jette dans chaque mot, chaque ligne. Meg Rosoff est unique pour inspirer autant de dévotion.
Mais surtout, elle a ce don pour décrire ses personnages. La famille n'a pas de nom, la narratrice non plus, même si leur valeur n'est pas quelconque non plus. Simplement, l'attention est fixée sur les frères Godden. Le solaire et le taciturne. Car Kit séduit à tour de bras, tandis que Hugo fuit toute compagnie. Et déjà la famille est chamboulée par leur présence.
Dans ce roman, il est donc question d'apprentissage du désir et de la trahison. Un rien qui devient dévastateur. Une relation toxique, puissante et incontrôlable. Cette lecture sait admirablement raconter tout ça, de façon poétique et fascinante.
Sensation fugace d'une lecture bouleversante.
Rageot, 2021 - Traduction de Clémentine Beauvais
⭐⭐⭐.5
Au bout du voyage, de Meg Rosoff
Mila et son père Gil se rendent ensemble à New York pour retrouver un vieil ami (Matthew) qui a quitté le foyer sans la moindre explication. Son épouse, seule avec leur bébé sur les bras, est déboussolée et pense qu'il a trouvé refuge dans une cabane à la frontière du Canada. Pourtant, Matthew ne répond à aucun coup de fil et est parti sans son chien. Mila, qui prétend posséder une sensibilité accrue, perçoit des émotions que les personnes tentent de filtrer. Il lui paraît alors possible que l'ami de son père a orchestré son départ pour des raisons plus graves que celles que tous soupçonnent.
On s'engage alors dans un périple père-fille complice et singulier. L'esprit de Mila turbine à fond la caisse, tandis que son père reste silencieux, avare de confidences. Peu à peu certaines vérités vont apparaître, des drames du passé vont se révéler sous un autre jour et Mila va se sentir dépossédée de sa zone de confort. La jeune fille n'a que douze ans, même si son discours souvent la fait paraître plus vieille, elle n'a pas cette maturité nécessaire pour appréhender le clair-obscur et absorber ses conséquences.
J'ai beaucoup aimé l'entrée en matière du roman, le début de l'enquête, les pistes envisagées et le suspense de l'histoire. De plus, c'est admirablement écrit, du Meg Rosoff raffiné et lâchant ses indices en pointillés. Le récit prend davantage d'ampleur dans la 2ème moitié, plus opaque et en même temps plus frelatée. On absorbe complètement les sensations de Mila, troublée par les révélations qui s'imposent, notamment sur ses propres parents.
Petit détail aussi, il n'y a aucune ponctuation pour indiquer les dialogues (guillemets, tirets) donc au départ c'est un peu déstabilisant. Le récit forme un bloc, à nous d'en démêler les introspections et les réflexions à voix haute. Finalement, cela montre bien cette volonté de flouter les frontières, comme celle entre l'enfance et l'âge adulte. Chacun y assimilera ce qu'il entend, ou veut, selon sa propre interprétation. Un roman qui s'inscrit en toute délicatesse !
Albin Michel, coll. Wiz, septembre 2014 ♦ traduit par Valérie Le Plouhinec (Picture me gone)
Maintenant, c'est ma vie
Ce roman n'a pas usurpé son étiquette de : petit objet littéraire non-identifié ! Premier roman de Meg Rosoff, et quel roman ! Il ne ressemble à nulle autre lecture, il est sévère et sauvage, mystérieux et inquiétant, il dit des choses mais n'en dévoile pas la moitié, il est bizarre, très bizarre.
C'est l'histoire de Daisy, une new-yorkaise de quinze ans. Elle est envoyée par son père et sa nouvelle épouse en Angleterre, chez la tante Penn et ses quatre enfants. Tante Penn n'est pas beaucoup présente, et les enfants sont habitués à se débrouiller tout seuls. Leur maison est un refuge chaleureux, perdu en pleine campagne, où Daisy se sent comme dans du coton et cela lui convient plutôt bien. Et puis, tout bascule. Une bombe éclate dans une gare londonienne, le pays prend peur et se replie sur lui-même, les frontières sont fermées, la tante Penn est en déplacement à l'étranger, incapable de rentrer, les enfants vont alors vivre en autarcie.
Ce qu'il y a de terrible, et de génial, dans cette histoire, c'est la grande inconnue qui plane tout du long. Rien n'est défini, tout est décrit approximativement mais en des faits si véridiques et qui collent à toutes ces situations catastrophiques quand un pays entre en état de guerre. Ne pas savoir rend aussi le récit plus troublant et impénétrable. "On aurait pu interroger mille personnes sur sept continents en leur demandant ce qui se passait sans obtenir deux fois la même réponse ; personne ne savait au juste, mais on pouvait être sûr qu'un des mots suivants allait figurer dans leur version des faits : le pétrole, l'argent, la patrie, les sanctions, la démocratie."
Daisy nous raconte cette période inimaginable en des termes décousus et hallucinés, ce n'est plus une charmante partie de campagne avec premiers émois adolescents, c'est un rapport de survie et de colère. A quinze ans, Daisy est en crise avec la nouvelle femme de son père, qui attend un bébé, et inflige à son corps ce qu'elle ne parvient pas à exprimer. En Angleterre, elle rencontre Edmond (en plus de Piper, Isaac et Osbert), mais Edmond est le plus important, tous les deux peuvent se parler par télépathie, ils se comprennent, ressentent les mêmes choses. Et paf.
Naît un premier grand amour, oui ils sont cousins, mais leur relation ne m'a pas du tout choquée (je vous choque ?) car ce qui pourrait déranger est éludé, nous sommes dans quelque chose de beau, de doux, de tendre et d'évident. De plus, rien n'est facile à cause de la guerre. Viendra aussi la séparation, et franchement j'en ai eu le coeur fendu pour eux, car les conséquences sont affreuses !
Maintenant, c'est ma vie est un petit roman qui vous parle de violence, sans vous la claquer en pleine figure, et l'effet est tout aussi saisissant ! J'ai trouvé cette histoire émouvante et magnifique, très difficile à cerner ou à raconter, et c'est tant mieux.
Maintenant, c'est ma vie - Meg Rosoff
Editions Albin Michel, 2006 / Hachette Livre LdP jeunesse, 2008
255 pages - 5,50€
traduit de l'anglais par Hélène Collon
Si jamais ... - Meg Rosoff
David Case, en sauvant son petit frère d'un an d'une chute de fenêtre, découvre alors le poids du Destin sur ses épaules et décide de tout mettre en oeuvre pour lui échapper, car il est persuadé d'être pourchassé, la cible idéale pour ce guerrier assoiffé de rendement. David change, il devient Justin [Just-In-Case, pour les anglophones] et adopte un nouveau look, se met à pratiquer du cross, trouve un chien imaginaire (un lévrier du nom de Gaillard) et rencontre une jeune femme, Agnes, dans une friperie.
Justin Case décide de courir comme un fou pour échapper à la Fatalité, qui le poursuit sans trêve. Ses jours sont comptés, il en est sûr et certain. Mais est-ce une conviction, une folie ou de la paranoïa délirante ? L'histoire de Justin va connaître des bouleversements stupéfiants, qui n'en finiront pas de surprendre et de déconcerter le lecteur !
Perplexe et déroûtant, mais aussi bizarre, original et incroyable. C'est ce qu'inspire ce roman de Meg Rosoff, cet auteur pour la jeunesse a décidé de briser les règles conventionnelles de la narration linéaire pour raconter son histoire totalement surréaliste ! Et c'est vers la toute fin du livre qu'on découvre enfin le pot-aux-roses, avec des yeux ronds commes des billes, tant l'issue est hallucinante !
Voici un livre qui aura matière à plaire et agacer, tant on ne peut décemment pas rester neutre. Plus d'une fois je n'ai rien compris à son délire, trouvant l'ensemble assez complexe et difficile à cerner. Cet auteur a bien du mal à faire l'unanimité, même si les critiques sont enthousiastes, les lecteurs (dès 15 ans) seront surpris par les méandres soulevés dans ce récit.
Hachette jeunesse - 357 pages - 16 € - Traduit de l'anglais par Luc Rigoureau.