En attendant demain, de Nathacha Appanah
J'ai adoré retrouver la plume de Nathacha Appanah dans ce roman qui se révèle extrêmement poétique, sensible et captivant.
C'est d'abord l'histoire d'un couple, Anita et Adam, qui tombent amoureux dès le premier regard et qui plaquent leurs rêves parisiens pour s'établir dans la ville où a grandi Adam dans le Sud-Ouest. Ils installent leur bonheur dans une belle maison retapée de leurs propres mains, donnent naissance à une petite Laura et envisagent leur avenir avec sérénité.
Or, plus le temps passe, plus l'idylle est victime d'érosion. Le temps use les belles promesses et les espoirs. Anita, qui se voyait journaliste, a le sentiment de perdre son temps en rédigeant des piges insignifiantes pour le journal local, Adam, avec son diplôme d'architecte en poche, est las de construire des gymnases et ressasse son vieux rêve de renouer avec la peinture...
Le couple s'est installé dans une torpeur et part à la dérive. La souffance est latente, la frustration rogne les coins, les silences deviennent lourds... l'incompréhension creuse son nid. La tension devient explosive, le couple ne se parle plus. C'est donc dans ce climat d'amertume que surgit Adèle, avec ses bagages, son parcours, ses mystères.
Le roman possède cette magie claire et évidente d'une lecture limpide et ensorcelante. On boit chaque phrase du livre avec une soif constante, à peine rassasiée, et on se passionne pour l'intrigue en suivant son fil invisible sans jamais faillir ni se perdre en conjectures. On se plie au rythme imposé, aux tournants de l'histoire et à ses soubresauts. On accepte les tenants et les aboutissants. On ramasse les petits cailloux semés et on adopte la marche dictée en sourdine.
J'ai beaucoup aimé la petite musique du livre, j'en ai absorbé toutes les notes et j'ai fredonné son air en inspirant fort, fort, fort. Quelle extase. L'auteur possède ce don de percer l'âme de ses personnages, et celle du lecteur, tout en subtilité et en acuité. Elle nous fait ainsi pénétrer dans l'intimité du couple sans bousculer leur routine, on s'installe dans un petit coin, on observe, on attend, on frémit. C'est impressionnant avec quelle dextérité elle réussit à partager autant de fragments de vie sans avoir l'air d'y toucher.
Ce roman a de nouveau confirmé tout le potentiel romanesque et lumineux de Nathacha Appanah - cf. Blue Bay Palace, La noce d'Anna ou Les Rochers de Poudre d'Or, qui regorgent aussi de puissance, de charme et de talent. Un auteur à découvrir, à lire et à suivre !
Collection Folio (n° 6166)
Parution : Août 2016
En poche ! # 39
Actualité florissante pour 2 auteurs que j'affectionne, Nathacha Appanah (En attendant demain, chez Gallimard) et Kazuo Ishiguro (Le Géant enfoui, aux éditions des Deux Terres). Pour l'occasion, Folio réédite 2 titres ... entre plaisir et découverte. ☺
Blue Bay Palace, de Nathacha Appanah
Folio, rééd. 2015
Première parution en 2004
« Je me suis redressée brusquement et une goutte de sueur s'est échappée derrière mon oreille. Elle a suivi un moment la ligne de ma mâchoire, a glissé le long de mon cou pour trouver son chemin entre mes seins. Aujourd'hui encore, je la sens, cette trace première qui m'a marquée jusqu'au creux de mon ventre. Je regardais en silence ce garçon qui se tenait devant moi et tout ce que je sentais, c'était cette goutte de sel qui me caressait l'oreille, la mâchoire, le cou, la peau tendue entre les seins pour mourir dans mon nombril. J'ai eu l'impression stupide et pourtant si agréable que c'était son doigt qui descendait lentement, lentement... »
Maya, une jeune beauté de dix-neuf ans, vit à Blue Bay où elle travaille au Palace, qui accueille les touristes fortunés. Folle amoureuse de Dave, patron du restaurant, elle découvre sa trahison en apprenant ses fiançailles dans le journal local. Dès lors, la jeune fille blessée décide de se venger en prenant pour cible “l'autre” qui a brisé son bonheur.
Cette spirale de la folie amoureuse est rapportée de façon étonnante, avec des termes lumineux et enflammés, qui entrent en symbiose avec le décor paradisiaque. Et pourtant, la réalité décrit une violence passionnelle, vouée à la tragédie, et les clivages sociaux de cette île qui ne vit que du tourisme. Quel contraste ! L'effet est saisissant, mais c'est magnifique et bouleversant.
Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro
Trad. de l'anglais par Anne Rabinovitch
Folio, Nouvelle édition 2015
Kath, Ruth et Tommy ont été élèves à Hailsham dans les années 90, une école idyllique, nichée dans la campagne anglaise, où les enfants étaient protégés du monde extérieur et élevés dans l'idée qu'ils étaient des êtres à part. Bien des années plus tard, Kath raconte cette enfance, en apparence heureuse, qui n'a jamais cessé de les hanter, au point de corrompre leurs vies d'adultes.
La force de ce beau roman réside dans son charme mystérieux et romantique, alors que l'on découvre son histoire avec autant d'impatience que de curiosité. Personnellement j'ai à la fois été envoûtée, intriguée et décontenancée par les révélations distillées au compte-goutte. J'ai beaucoup aimé.
C'est une lecture sensible, d'une grande délicatesse, pudique et instinctive, servie par une plume classieuse et élégante (ah, Kazuo Ishiguro !...). À aborder avec la même minutie dont fait preuve l'auteur, sans attente particulière.
La noce d'Anna ~ Nathacha Appanah
Pourquoi j'ai tout personnellement aimé ce roman ? Car je me suis sentie toute concernée par ce portrait de maman, qui regarde sa fille se marier. Se rappelant l'enfant blonde et rieuse devenir une jeune femme plus modérée, Sonia se demande pourquoi sa fille finalement lui ressemble si peu. Il y a au fond d'elle une envie de bousculer son enfant, de vouloir la placer dans un autre cadre, plus semblable à ses idéaux. Se marier en rouge, les cheveux au vent, un hibiscus derrière l'oreille, les pieds nus.. pourquoi pas ? Mais Anna, elle, trouve ça "ridicule". Etre mère et le devenir, ce roman pose toutes les questions délicates. Etre fille, assumer sa propre identité, couper le cordon, c'est une autre problématique. "La noce d'Anna" m'a renvoyé un portrait de maman que je risque d'être, de devenir, que je suis peut-être déjà... Car je me suis aussitôt sentie dans la peau de Sonia, je me suis vue dans cette noce, actrice indépendante ou spectatrice malgré elle, regardant ma fille poudrée de blanc, les lèvres rouge carmin, la trouvant belle mais si loin de moi... Je me suis plongée dans ce livre avec un vrai bonheur, j'ai purement et simplement aimé. La journée apporte à Sonia beaucoup de réponses à toutes ses questions, la berce à force d'introspection et de regards vers un passé libérateur. Je n'ai plus de mots pour évoquer mon enthousiasme, déjà fort éloquent avec Blue Bay Palace, son deuxième roman. Tout bonnement, j'ai adoré.
Quatrième de couverture
« Aujourd'hui je marie ma fille, je laisserai de côté mes pensées de vieille folle, je serai comme elle aime que je sois : digne, bien coiffée, bien maquillée, souriante, prête à des conversations que je suivrai avec un enthousiasme feint et qui ne me laisseront aucun souvenir, parée pour butiner d'invité en invitée, mère parfaite que je serai aujourd'hui. »
Pendant la noce d'Anna, sa mère se souvient. De la jeune femme qu'elle a été, si différente de sa fille, de ses dix-huit ans, de sa liaison, brève et passionnée, avec Matthew rencontré à Londres, de son retour à Paris, seule et enceinte. Au fil de cette journée les souvenirs resurgissent accompagnés de regrets, d'espoirs et d'envies ; parce qu'elle en a encore, des envies, cette femme célibataire qui marie sa fille...
La noce d'Anna, par Nathacha Appanah
Folio, 2009 - 192 pages - 5,50€
Mon avis ICI