Un auteur, deux livres : Nathalie Kuperman
Il y a un monstre dans le cartable de Joseph ! Il fait des bruits bizarres qui l'empêchent de se concentrer sur la leçon de géographie. Quand il se décide à y jeter un petit coup d'oeil, le garçon manque de tomber à la renverse : il a sous les yeux une représentation minuscule de sa mère, en train de grignoter le croissant qu'elle avait promis à son fils pour son goûter.
Quelle histoire ! Peu de temps après, sa mère fait encore des siennes en se pointant derrière lui aussi grande que Gulliver ! Elle fait fuir les petits caïds qui cherchaient à intimider son rejeton et lui donne de gros bisous baveux en l'étouffant de câlins. Mais la coupe est pleine, pour Joseph, il est temps d'en finir avec cette maman abusive et débordante d'amour. Trop, c'est trop.
Le garçonnet entre en rébellion et impose ses nouvelles conditions, le revers de la médaille risque toutefois de sérieusement le chambouler. C'est qu'il ne sait plus ce qu'il veut, notre little Jo, il veut s'assurer qu'on l'aime, mais pas qu'on l'oppresse. Pour sa maman aussi, la conversion s'annonce quelque peu délicate.
Mais ce roman est drôle, farceur, tendre et follement amusant. Il dresse un portrait haut en couleur d'une maman envahissante, capable de démarrer au quart de tour sitôt que son gros bébé chouine, tempête ou manifeste un soupçon d'indépendance. En parallèle, les réactions du garçonnet valent aussi leur pesant de cacahuètes !
Le résultat est délicieusement cocasse, on ne fait que sourire du début à la fin ! Et les illustrations d'Aurélie Guillerey sont tout simplement parfaites.
Ma mère est partout (Mouche de L'École des Loisirs, avril 2013 - ill. d'Aurélie Guillerey)
Celui-ci est tout aussi poilant et s'adresse aux jeunes ados (niveau collège).
On suit l'histoire de Louis, 13 ans, qui est fou amoureux de son amie d'enfance, Mona. Hélas, cet amour est à sens unique car la demoiselle en aime un autre. Louis a le cœur brisé et décide de changer de tactique en jouant les indifférents et en s'affichant avec une autre fille. Ce sera Déborah, la meilleure amie de Mona.
S'enchaîne alors une étourdissante valse des sentiments, au centre de laquelle notre ami Louis se sent carrément chavirer. C'est qu'il ne sait plus qui il aime, pourquoi il aime, s'il est aimé en retour, et pourquoi toute cette confusion s'empare de lui, pourquoi se sent-il aussi bête et paralysé, pourquoi c'est devenu soudain aussi compliqué d'être en présence d'une fille qu'on a connu depuis la crèche ! ?
Que de questions pertinentes et perspicaces dans ce petit roman ! C'est une lecture qui a su brillamment interpréter la délicate phase de transition qui se joue dans la tête de nos adolescents “en crise”, notamment au sujet des rapports entre filles et garçons et des premiers émois amoureux. Naturellement, c'est traité avec beaucoup d'humour et de légèreté !
Le garçon qui aimait deux filles qui ne l'aimaient pas (Médium de L'École des Loisirs, octobre 2013, ill. de couv. : Magali Bardos)
Punie ! ~ Nathalie Kuperman
Mouche de l'Ecole des Loisirs, 2009 - 80 pages - 8,50€
illustrations d'Anaïs Vaugelade
Après avoir lu ce livre (toute seule), j'ai aussitôt pensé à ma fille et j'ai failli la sortir de son lit pour qu'elle se lance de suite dans cette lecture. Je savais intimement que cette histoire allait la toucher ou l'interpeller. A neuf ans, on est plus sensible au regard des autres, plus vulnérable et plus influençable face à une autorité en surnombre.
Je m'explique.
Dans le livre de Nathalie Kuperman, on découvre une jeune héroïne - Olivia - sous l'emprise d'un groupe de trois filles de sa classe. Ces dernières se moquent d'elle, elles l'obligent à rester près des poubelles durant la récréation et elles lui ordonnent de se taire et de ne répéter à personne ce qu'elles lui font subir, ou alors elles avoueront à tous le secret d'Olivia.
La petite se sent terrorisée, incomprise, malheureuse et trahie. Parmi ces trois filles, se trouve Coralie. C'était sa meilleure amie depuis la rentrée, et soudainement elle vient de lui déclarer une guerre sans explication. Ok, Olivia a un secret mais elle jure qu'elle n'est pas folle. Sa trouille du noir et des ombres dans sa chambre n'est pas le produit de son imagination, ni la conséquence de son chagrin depuis la séparation de ses parents.
Cela commence à peser lourd dans la balance, mais heureusement la fillette va taper du poing sur la table. Et j'ai aimé cette façon de procéder, les questions qu'elle se pose, le flot de paroles et l'attitude du père et de la mère, tout est mis en balance, entre le bien et le mal, agir ou se taire, intervenir ou laisser faire.
Ce livre dégage un sentiment de force et de puissance qui fait un bien fou. C'est ce genre de livre que j'aime avoir entre les mains, il véhicule un message intelligent pour les jeunes lecteurs, je ne sais pas, j'ai su à l'instant que c'était le livre à partager avec mon enfant. Elle seule y trouvera les réponses à ses interrogations, et surtout le sursaut nécessaire pour ne plus se faire marcher sur les pieds.
Petit déjeuner avec Mick Jagger - Nathalie Kuperman
Une adolescente de 13 ans, seule dans son appartement, prépare tous les matins le café et attend Mick Jagger. Ce qui relève du délire est en fait une manifestation d'un rêve de groupie, du moins c'est ce qu'on suppose au début. (Car après tout, le leader des Stones est-il oui ou non venu prendre le petit déjeuner ?) Ce fantasme colmate d'autres brèches, car Nathalie, la narratrice, est une adolescente traumatisée, angoissée et enfermée dans un cercle vicieux. Un soir après l'école, alors qu'elle n'avait que 8 ans, Nathalie a été victime d'une agression sexuelle.
C'est donc en gamine fragile qu'elle se pose. De plus, elle n'a aucune porte de secours, sa mère effectue de fréquents séjours en maison de repos pour dormir et son père a refait sa vie à Berlin. Seul Mick Jagger représente la vie et l'envie d'avenir.
120 pages au compteur et une puissance foudroyante : voilà ce que m'inspire ce livre ! Est-ce un roman, un récit ou un exercice de style ? Nathalie Kuperman ne livre aucune piste, elle mêle le réel et la fiction avec une habileté déconcertante. Le personnage central se nomme... Nathalie Kuperman. Faut-il aussitôt conclure à un texte autobiographique ? Il apparaîtrait que non (après quelques recherches sur le net). L'auteur s'est amusée, purement et simplement. Elle nous livre une farce en dressant ce portrait de famille grinçant et pathétique.
Nathalie (l'adolescente) est un drôle de zèbre, tant par son obnubilation pour Mick Jagger que par son dégoût du sexe (pourtant elle se focalise sur le mot "pipe" qu'elle emploie à toutes les sauces, au point de lui valoir un renvoi de son école et un rendez-vous avec un psy). Tous les matins, penchée sur la cafetière à scruter le décompte du café, Nathalie est épatante, folle mais fascinante d'obstination. Son petit manège pour accueillir son idole ne nous semble plus désolant, mais cocasse.
Oui, voilà... Aussi grotesque que puisse paraître cette histoire si vulgairement résumée, jamais l'idée d'abandonner ne nous effleure, car dans le fond, on saisit très vite le côté doux-dingue du personnage. Et puis le style de Nathalie Kuperman est la petite cerise sur le gâteau : léger, fantasque, hystérique, désespéré. C'est le ton qu'on retrouve dans ses romans publiés pour la jeunesse, le côté "politically correct" en moins.
Petit déjeuner avec Mick Jagger
Editions de l'Olivier, coll. Figures libres - 120 pages - 14€
Nathalie Kuperman a notamment publié Tu me trouves comment ? et J'ai renvoyé Marta (aux éditions Gallimard), et plusieurs ouvrages pour la jeunesse (à l'école des loisirs).
Du malheur d'être née dans une famille de sorcières
A onze ans, Verte découvre qu'elle est la fille d'une sorcière, et la petite-fille d'une sorcière. Impossible de passer entre les mailles du filet, elle aussi est une sorcière ! La sorcellerie est une transmission héréditaire, de mère en fille, et Verte doit absolument accepter son sort. Or, elle refuse. Catégoriquement. Peut-être, pour l'excuser, il faut reconnaître que Verte cumule les mauvais points. D'abord elle abhore son prénom qui est un peu trop décalé, marque de fabrique d'une mère trop originale et qui refuse de faire comme tout le monde, ensuite Verte craint de ressembler à cette mère qui dérange et ne cherche qu'à enquiquiner ses voisins, et enfin la jeune fille veut connaître son père, un certain Gérard porté disparu depuis la nuit des temps ! ...
Bref, le petit monde de Verte n'est pas celui du pays des Merveilles. Toutefois, Verte est bien entourée, mis à part sa mère Ursule qui bloque et dont les systèmes court-circuitent en matière d'éducation et de pédagogie. C'est auprès de sa grand-mère Anastabotte qu'elle va s'initier à son métier de sorcière (car oui, c'est du travail !). « Pour devenir sorcière, il ne suffit pas d'avoir un don. Il faut se donner du mal. Là comme ailleurs, le vrai secret, c'est le travail. Les jeunes sorcières doivent apprendre, lire et relire sans fin les manuels et s'exercer sous la direction d'une ancienne. »
Et en marge de ses soucis familiaux, Verte va aussi avoir « un amoureux ». Soufi est beau, gentil, il joue au football et va devenir le meilleur ami et le confident de la jeune fille. (Entre-temps, il va servir de cobaye aux premières expériences de sorcellerie, mais chut ! )
Ramdam chez les sorcières ! « Verte » est un ouvrage délicieux, drôle, le portrait d'une famille pas comme les autres, même si les apparences sont trompeuses, où les relations générationnelles sont aussi importantes que touiller ses potions dans la cocotte-minute ou jeter un sort d'Ombre Bleue du fin fond de l'atelier de la grand-mère ! Cette idée de sorcières échappe aux clichés, et c'est de plus très bien écrit par Marie Desplechin qui dope là le moral le plus cotonneux !
Une seule contrainte, désormais : lire la suite, « Pome » ! !
Ecole des Loisirs, collection Neuf. 180 pages. Illustration de couverture : Soledad Bravi. 7.50 €
Heureusement, le livre vient de paraître !
Ce roman est donc la suite de « Verte ». Il respire à nouveau la fraîcheur, l'humour et l'espièglerie. Il perd le bénéfice de la surprise et la nouveauté. C'est un peu du réchauffé qu'on nous sert, toutefois cela reste délicieux !
Verte vient de rencontrer une nouvelle amie, Pome, qui est également une sorcière. Sa mère Clorinda est revêche et bêcheuse, mais fanfaronne rien qu'à l'idée de savoir sa fille suivre l'enseignement de la grand-mère Anastabotte.
Dans ce livre, il y a plus d'éléments masculins, entre le père retrouvé et le grand-père gâteau. C'est une nouvelle communauté qui se forme, parmi laquelle on n'aime pas les mensonges, les omissions, la trahison. Jouer franc-jeu est le credo de Verte. Une nouvelle fois, elle va prouver qu'elle fait fi de la loi du silence des sorcières !
Verte va révolutionner le petit monde exclusivement féminin de la sorcellerie, et ces nouveaux tours de passe-passe promettent (qui sait ?) d'autres palpitantes aventures !
En finissant ce tome, on pressent qu'on abandonne Soufi un peu trop vite, qu'on espère des petites étincelles entre les deux grand-parents et puis ... où est donc passée Ursule, injustement en retrait dans ce livre ? !
Beaucoup de charme, de douceur, d'humour dans ce roman. J'aime infiniment la partie consacrée à Verte (chaque chapitre donne la voix à chaque personnage). J'ai apprécié les retrouvailles, mais je reste attachée au premier, « Verte », qui fut pour moi la vraie découverte !!!
Ecole des Loisirs, collection Neuf - 152 pages. Illustrations de couverture : Soledad Bravi. 8.50 €
Passons maintenant à une histoire de sorcières plus « traditionnelles » ...
J'en profite pour glisser une autre suggestion de lecture, toujours dans le domaine « sorcière / sorcellerie », avec ce titre qui appartient à la collection Mouche, c'est-à-dire « Un livre pour les enfants qui aiment déjà lire tout seuls ». Mais pour avoir testé et approuvé, je conseille aussi la lecture orale. C'est un livre qui s'y adapte parfaitement !
Le livre en question est donc « Cinq sorcières » de Nathalie Kuperman.
Ce sont en fait cinq petites histoires mettant en scène des sorcières : Crapeluche se penche sur les berceaux pour souffler ses mauvais sorts, Crimini adore le ragoût d'enfants, Joukipic s'échappe d'un cauchemar, Rapapouille souhaite remporter le grand prix de laideur et Clochemine veut soigner sa fille avec des chansonnettes stupides.
L'ensemble est sympathique, amusant et plein d'entrain. Des petites touches d'humour, de la caricature facile et légère, des clins d'oeil et des clichés à la pelle ... l'enfant aura plaisir à retrouver ses repères dans ces histoires pas mauvaises, qui ne font jamais peur (et qui me révèlent un auteur à encourager !).
Ecole des Loisirs, collection Mouche. 77 pages. Illustrations de Jean Luc Englebert. 7.50 €