Trouble vérité, d'E. Lockhart
L'histoire s'ouvre sur une banale scène de rencontre dans un hôtel luxueux au Mexique. La jeune femme, convaincue d'avoir une détective privée à ses trousses, décide aussitôt de fuir sans tarder. Elle prend sa grosse valise, modifie son apparence et se sauve dans le coffre d'une voiture. Mais que cache Jule West Williams ?
Entre Manhattan et Londres, Cabo San Lucas jusqu'à Martha's Vineyard, on assiste à une course effrénée vers l'inconnu, on part aussi à la découverte d'une amitié sulfureuse. Lorsque Jule et Imogen se rencontrent, la connivence est immédiate : même physique, même soif de vivre, même désir d'indépendance. Pourtant, l'une est une riche héritière, l'autre est une orpheline sans le sou. Un destin comme Dickens aurait adoré. Et justement, Imogen vénère les romans victoriens qu'elle dévore à la pelle.
Quelques mois plus tard, les parents d'Imogen s'inquiètent de sa disparition, puis apprennent son suicide. Ils s'en remettent à Jule, sa meilleure amie, sa confidente. Toutefois, cela fait des semaines que celle-ci usurpe l'identité d'Imogen Sokoloff sans éveiller la moindre méfiance. Alors, manipulatrice ou victime ?
En fait, Jule West Williams est surtout un caméléon. Son incroyable histoire est retracée comme un puzzle, sauf que l'histoire est racontée à l'envers et accentue la grande confusion de son énigme. Chaque révélation renvoie à un fait supposé, chaque souvenir vient secouer un fait établi, en bref rien n'est acquis. Tout est chamboulé, relancé et remodelé. C'est très perturbant, en plus d'être assez complexe à suivre. Au final, l'exercice est usant et laborieux. Trop de tours de passe-passe, trop de pistes sans issue, trop d'audaces et de risques inutiles... Je n'ai pas été conquise par cette façon de faire. Je n'ai pas été séduite par les personnages. Et j'ai trop galéré pour démêler le vrai du faux, j'en sors déçue. #frustration
Gallimard jeunesse, 2018 - traduction de Nathalie Peronny
titre VO : Genuine Fraud
La courte histoire de la fille d’à côté, de Jared Reck
Matthew est amoureux de sa voisine, la fabuleuse Tabby. Ils se connaissent depuis toujours, ont grandi ensemble et sont inséparables. Mais Matt n'a jamais osé avouer ses sentiments. À la place, son cœur se brise en voyant son amie monter dans la voiture de Liam Branson - un élève de terminale ultra populaire. Le garçon est jaloux et masque son amertume derrière son humour. Pourtant, l'entente avec Tabby est toujours au beau fixe. Celle-ci n'a qu'à traverser la rue pour se réfugier chez les Wainwright où sa place est acquise. Tabby a tout partagé avec Matt : s'empiffrer de bonbons devant un marathon Star Wars, se déguiser en pygargue le soir de Halloween, partager les restes de dinde farcie et de jus de viande, s'échanger des cadeaux le lendemain de Noël... Pour Matt, Tabby est sa promise. Son futur. Son évidence. Et déjà le garçon se fait des films - façon comédie romantique - il ne doute pas qu'un jour les deux meilleurs amis tomberont dans les bras l'un de l'autre en se promettant l'éternité. Clap de fin. Un matin, cependant, les rêves s'effondrent car la réalité a repris ses droits. Et le raz-de-marée émotionnel est foudroyant.
Ce roman est certes bouleversant, mais pendant longtemps il nous transporte dans l'univers drôle et farfelu de son narrateur. Matt est un adolescent de quinze ans tout à fait ordinaire, amateur de basket, de friandises et de jolies filles, il a des idées folles qui bouillonnent dans la tête et des désirs absurdes, qui nous remettent aussi les pieds sur terre. Car l'auteur a tout compris des jeunes qu'il a l'habitude de côtoyer dans son boulot (prof dans un atelier d'écriture) et parvient à s'exprimer comme eux, sans fausse note. Le ton est cynique, naïf et paumé. On vit ainsi au rythme de leurs doutes et interrogations. Matt est en adoration devant Tabby mais souffre en silence quand elle tombe amoureuse d'un autre. Et quand survient le drame, on a également le cœur en miettes. Colère, détresse, nostalgie, impuissance... En somme, j'ai beaucoup aimé le tourbillon des émotions que nous fait vivre ce roman. J'ai aimé son style, son humour, ses personnages et sa sincérité. J'ai ri et pleuré. Je ne suis pas prête d'oublier Matthew & Tabitha ! C'était une belle découverte. À conseiller.
Gallimard jeunesse (2018) - traduit par Nathalie Peronny
En poche ! Nous les menteurs, de E. Lockhart
L'été de ses 15 ans, Cady passe ses vacances sur l'île de la famille Sinclair quand elle manque de se noyer et finit aux urgences avec un traumatisme crânien. Depuis, la jeune fille a la mémoire en vrac et souffre de migraines foudroyantes.
Éloignée du giron familial pendant deux ans, Cady y retourne dans l'espoir de raviver ses souvenirs. L'adolescente n'en peut plus de retrouver ses cousins, Mirren et Johnny, ainsi que Gab, son grand amour. Or, l'ambiance à Beechwood n'est plus la même - les silences sont lourds et les secrets pesants, faisant poindre une vérité cruelle et amère.
Prenez garde, en effet, à cette fausse lecture estivale ! On s'imagine partager un moment de calme et de douceur dans un cadre enchanteur avant de réaliser les fissures et les fêlures. En attendant, on gobe tout, sans réfléchir. On se laisse bercer par le ronron des vagues, on hume les bonnes odeurs de cuisine, on s'étourdit des parfums du jardin, on se prélasse au soleil, on bouquine paresseusement, on rit et on joue en toute innocence...
Prenez garde (bis) - les apparences sont trompeuses. On le devine au ton grave et cérémonieux de Cady, dépossédée d'une histoire dont elle redessine les contours avec parcimonie. On la suit méthodiquement, tout en guettant les signes du faux-semblant et en échafaudant toutes sortes de théories. Au final, on ne voit rien venir. Et la réalité pulvérise les limites de votre imagination !
Le roman réussit à combiner une ambiance hors du temps, des personnages attachants, une intrigue envoûtante, des secrets à la pelle et des rebondissements inattendus. Le cocktail est goûteux et explosif. Très bon !
Pôle Fiction (2018) - traduit par Nathalie Peronny pour Gallimard Jeunesse
13 reasons why ►, de Jay Asher - lu par Florine Orphelin & Gauthier Battoue
« J'espère que vous êtes prêts, parce que je vais vous raconter l'histoire de ma vie. Ou plus exactement, la raison pour laquelle elle s'est arrêtée. Et si vous êtes en train d'écouter ces cassettes, c'est que vous êtes l'une de ces raisons. »
Hannah Baker a mis fin à ses jours, mais avant de commettre son suicide, elle a tenu à raconter son histoire en s'enregistrant sur des cassettes qu'elle adresse aux différents maillons d'une même chaîne - ils sont donc treize - treize désignés coupables, lesquels par un mot de trop, un geste déplacé, une parole malheureuse, un jugement, un mensonge ou un colportage, ont entraîné le drame que l'on sait. Clay Jensen figure sur cette liste, sauf qu'il ne comprend pas pourquoi. Élève discret, sans histoire, il était fou amoureux de Hannah mais se sentait trop timide pour lui avouer. Peur du regard des autres ou de la déception ? Aujourd'hui, le garçon n'est plus qu'un paquet de larmes et de regrets. C'est donc armé de son walk-man, le casque vissé aux oreilles, qu'il chemine dans la ville, tout en sombrant dans l'amertume, à l'écoute de la confession de la jeune fille. Confession émouvante, injuste et révoltante... mais qui soulève aussi des questions. Et c'est toute la force du roman qui réussit à nous fasciner en nous entraînant dans les dédales de son histoire - cela se lit comme un roman à suspense. La construction est judicieuse, l'intrigue est alimentée sans cesse pour lancer de nouvelles pistes ou créer du mystère. Et pourtant, le malaise aussi nous ronge et prend de l'ampleur à mesure qu'on découvre la spirale infernale, le point de non-retour, la détresse incurable. On se vautre dans la saveur amère du gâchis, et on ressent un profond malaise. La boucle est bouclée. Hannah Baker a gagné son pari de nous hanter.
J'avais déjà lu le roman à sa sortie, en 2010, pour découvrir aujourd'hui qu'il a inspiré une série netflix. Très bonne appréciation, et blablabla. En optant cette fois pour le format audio, je ne pouvais qu'être au plus près de Clay Jensen, en train d'écouter une voix d'outre-tombe, vaincue et dégoûtée par l'emballement frénétique de l'ostracisme adolescent. C'est franchement moche, très dérangeant. Même l'initiative de Hannah Baker me pose un problème de conscience, ce qui est sans doute voulu par l'auteur. Au final, on ressort de cette expérience audio en ressentant un vrai soulagement. On salue la performance des deux lecteurs - Florine Orphelin et Gauthier Battoue - également les voix françaises dans la série. Et on réfléchit à la vie, si précieuse et si fragile...
©2007 "Thirteen Reasons Why", première publication. Traduction française : Éditions Albin Michel (P)2017 Audiolib, texte lu par Florine Orphelin & Gauthier Battoue (durée : 6h 25)
Confessions d’une catastrophe ambulante : Le journal de Chloe Snow, de Emma Chastain
Chloe Snow a quatorze ans et la trouille au ventre de rentrer au lycée (qui commence par l'année de troisième aux USA) sans avoir jamais embrassé un garçon ! Il est plus que temps d'y remédier, aussi dresse-t-elle une courte liste de futurs prétendants en tirant des plans sur la comète. C'est assuré du soutien de sa meilleure amie, Hannah, que Chloe va multiplier les sourires, les contacts, les suivis sur les réseaux sociaux... S'éparpiller pour mieux atteindre son but ? CQFD. Face à son succès, notre adolescente en perd la tête mais risque également de se brûler les ailes, ouille !
À la maison, rien ne va plus également. Son père est aux petits soins pour elle, depuis que sa mère est partie au Mexique pour écrire son roman, juste pour quatre mois, la cohésion familiale est quelque peu ébranlée. En attendant son retour, la jeune fille rédige son journal intime où elle rapporte TOUT pour ne rien oublier. Les journées passent, le bilan des conquêtes est au point mort, alors que son amie Hannah vit sa première grande histoire d'amour, en cachette de ses parents. Chloe compense sa frustration en multipliant les pistes, entre Tristan, son nouveau confident, Zach, le musicien au look rebelle, ou Mac, le sportif sûr de son charme et à la petite amie sublime...
Chloe Snow brille par sa mauvaise foi, ses maladresses et ses audaces mal placées. Elle vient aussi de décrocher le premier rôle de la comédie musicale organisée par sa prof de théâtre, s'attire les foudres de la jalousie, ne touche plus terre et batifole avec l'interdit. À force de jouer ce jeu dangereux, Chloe bascule dans la zone rouge. Crise générale. Il faut sauver le soldat Snow. On a donc une lecture honteusement délectable, même si elle parle essentiellement de garçons et de baisers baveux. Mais on s'attache à l'héroïne, fofolle et inconséquente, et on suit son parcours à la va-comme-je-te-pousse avec des yeux hallucinés. Chloe fait tout de travers, et va heureusement apprendre de ses erreurs. Cela se lit sur le ton de l'humour - second degré - c'est léger, futile et ça dégouline d'hormones en folie. Contient aussi des propos crus, pour les plus farouches. ^-^
Gallimard Jeunesse, coll. Scripto, 2017
Trad. Nathalie Peronny [Confessions of a High School Disaster: Chloe Snow's Diary]
Demain n'est pas un autre jour, de Robyn Schneider
Lane avait déjà bâti son avenir selon un plan parfait - avec ses résultats brillants et sa motivation gonflée à bloc, le garçon visait une entrée en grandes pompes à Stanford. Au lieu de ça, c'est à Latham House qu'il pose ses valises avec un profond sentiment d'échec. Latham est un sanatorium pour jeunes malades atteints de tuberculose. Récemment diagnostiqué, Lane est contraint au confinement et au repos. Sur place, le garçon retrouve une ancienne camarade de colo, Sadie, qui s'est entourée d'une bande de potes turbulents, aimant flirter avec les limites du raisonnable. Lassé de son rôle de garçon modèle, au parcours irréprochable, Lane tente de les approcher mais se heurte à une Sadie hargneuse et rancunière.
C'est parce que j'avais beaucoup apprécié le premier roman de Robyn Schneider, Cœurs brisés, têtes coupées, que j'ai décidé de me plonger dans celui-ci. Car un livre traitant de maladie et d'amour n'a généralement pas mes faveurs... L'autre aspect positif du roman, c'est son ambiance en vase clos, où des jeunes gens patientent et luttent contre une fin programmée, mais choisissent de profiter pleinement plutôt que de s'avachir dans leur coin en tremblant de peur. Ce sont des résistants, des guerriers, des héros. J'ai aimé suivre leurs transgressions dans les bois ou à la bibliothèque. Leurs échanges aussi sont pleins d'autodérision. Et sous leurs airs bravaches, forcément, on devine leurs failles, leurs trouilles, leurs espoirs... C'est très bon, merveilleusement écrit, avec certes un sujet réchauffé, mais le roman possède le même charme que Auprès de moi toujours de K. Ishiguro, autre lecture empreinte de nostalgie, de beauté et de poésie. Si vous aimez John Green, vous ne pouvez louper Robyn Schneider !
Gallimard Jeunesse, 2017 - Trad. Nathalie Peronny [Extraordinary Means]
« Jamais je n'ai eu autant envie de faire partie d'une bande qu'à cet instant précis. Ils détonnaient avec le reste de Latham, mais pas comme moi. Ils se comportaient comme dans un pensionnat strict à l'ancienne où on défiait l'autorité et où on enfreignait les règles en cachette. Je les trouvais plus combatifs que les autres. Moins enclins à pleurnicher sur leur sort et à passer leurs journées au lit. Ils n'étaient pas en vacances, ils vivaient une aventure. »
Nous les menteurs, de E. Lockhart
Une famille belle et distinguée. L'été. Une île privée.
Quatre adolescents à l'amitié indéfectible.
Un accident. Un secret. Une héroïne brisée.
L'été de ses 15 ans, alors qu'elle est en vacances sur l'île du clan Sinclair, Cady manque de se noyer et finit aux urgences avec un trauma crânien. La mémoire en vrac, les migraines foudroyantes. Pour son bien, la jeune fille est éloignée du giron familial où elle y reviendra deux ans plus tard. Les médecins pensent que ce retour aux sources sera bénéfique pour raviver ses souvenirs. Et effectivement, impatiente de retrouver ses cousins, Mirren et Johnny, ainsi que Gab, son grand amour, Cady compte sur eux pour l'aider à se rappeler les causes de son accident. Mais l'ambiance à Beechwood n'est plus la même, les silences sont lourds et les secrets pesants. Cet été 17 porte définitivement les couleurs amères de la vérité.
Cette lecture d'ambiance estivale est perfide sans franchement l'avouer ! Prenez garde, on s'imagine partager un moment de calme et de douceur dans un cadre enchanteur avant de réaliser les fissures émergeant sous l'épaisse couche de vernis. Et on gobe tout, sans réfléchir plus loin. On se laisse bercer par le ronron des vagues, par les odeurs de cuisine ou les parfums du jardin, on se prélasse au soleil, on bouquine paresseusement, on rit, on joue, on pleure... Les apparences sont trompeuses, inutile de le préciser. On le devine déjà au ton grave et cérémonieux de Cady, dépossédée d'une histoire dont elle redessine les contours avec parcimonie. On la suit attentivement, on guette les signes et on échafaude des théories. La réalité, elle, enflammera les turbines de votre imagination ! Et si vous me demandez comment ça se termine, je mentirai bien évidemment. ;-)
Gallimard jeunesse ♦ Mai 2015 ♦ Traduit par Nathalie Peronny (We The Liars)
Coeurs brisés, têtes coupées - Robyn Schneider
Ah, quel roman ! Il n'a pas démérité la comparaison qui est souvent faite avec les livres de John Green. C'est exactement ça : un narrateur à fleur de peau, doué mais abasourdi par une jeune fille dans son radar, pas banale non plus, catapulté dans un univers environné par des satellites d'une puissance atomique... En gros, on se régale, on réfléchit, on fronce les sourcils, on a le coeur lourd, on sourit aussi, c'est très fort !
Ezra Faukner, 17 ans, beau, sportif, brillant, est un roi déchu. L'été précédent sa rentrée en Terminale, il est victime d'un accident de voiture qui le laisse avec un genou broyé. Brisé, il erre son âme en peine et retrouve du réconfort auprès de son ami d'enfance, Toby Ellicott. Il revoit aussi ses centres d'intérêt (plus de tennis, plus de soirées entre potes, plus de petite copine) et s'inscrit en classe de débat, où il rencontre la délicieuse Cassidy Thorpe.
Nouvelle élève, la jeune fille attire l'attention parce qu'elle a un look hors du commun, vient d'un internat privé et a déjà roulé sa bosse en Europe. Ezra est fou d'elle, ensemble ils s'amusent, jouent au chat et à la souris, se plaisent, se séduisent. Le garçon retrouve goût à la vie et lui redonne aussi un vrai sens et des valeurs. Jusqu'au jour où les secrets de Cassidy vont ruiner cette belle harmonie et plonger notre jeune homme dans un profond désarroi.
Ne vous y trompez pas, cette lecture apporte une sensation stimulante des rapports géniaux que peuvent entretenir les adolescents (disons surtout qu'on rêverait de ne croiser que des Nerds façon Toby et ses potes, ce serait le top !). C'est drôle, très fin, sarcastique sur les bords, mais toujours exaltant. Au-delà de ça, c'est une histoire commune sur les tenants et les aboutissants de l'adolescence, les rapports avec les autres, les erreurs à ne plus reproduire, les faux-semblants, etc.
J'ai retenu cette phrase, pour résumer ce propos : « Nous traversons l'existence des autres tels des fantômes, en laissant derrière nous le souvenir obsédant de quelqu'un qui n'a jamais existé. Mais au final, c'est nous qui choisissons comment les autres nous perçoivent. » Je vous invite maintenant à découvrir ce roman mystérieux, poignant et percutant comme il se doit.
Gallimard jeunesse, octobre 2013 - traduit par Nathalie Peronny