Les premières enquêtes de Miss Silver : Le Masque gris, de Patricia Wentworth
Fuyant une déception sentimentale, Charles Moray a longuement voyagé loin de son Angleterre natale, qu'il retrouve avec une pointe de nostalgie. Mais le soir où il se rend dans la grande demeure familiale, il surprend une réunion secrète dans la chambre de sa mère. Des individus complotent le meurtre d'une jeune héritière. Or, Charles reconnaît parmi eux la silhouette de Margaret Langton, son ancienne fiancée. Impossible pour lui de prévenir la police. Il parvient alors à la recontacter et la découvre en compagnie d'une jolie blonde, qui n'est autre que Margot Standing, la riche héritière qu'on cherche à éliminer. Sur les conseils de son ami Archie Millar, Charles embauche les services discrets de Miss Silver, “une petite personne, à la mine chiffonnée, aux traits insignifiants, aux cheveux grisonnants, soigneusement réunis en une lourde torsade sur la nuque”. Cette détective affable passe son temps à tricoter, tout en prêtant une oreille attentive aux confidences des uns et des autres. D'abord méfiant, Charles Moray va rapidement s'étonner de la vivacité d'esprit de cette étrange personne.
Miss Silver n'occupe toutefois pas le rôle clef de cette histoire, et même si elle est la contemporaine d'une certaine Miss Marple, notre héroïne est loin de l'égaler. Ceci dit, la lecture n'en reste pas moins charmante et pleine d'élégance ! L'intrigue policière se révèle habile et distrayante, avec ce soupçon de désuétude absolument ravissant, où l'on plonge avec délice dans une ambiance fin des années 20 - début des années 30, riche en insouciance et légèreté. Les personnages sont des caricatures frivoles et soupe au lait, mais inspirent aussi beaucoup de sympathie. En somme, c'est chic et sophistiqué. Pétillant comme une bulle de champagne.
La couverture signée Emmanuel Romeuf pour cette édition spéciale réunissant les trois premières enquêtes de Miss Maud Silver (Le masque gris, L'affaire est close, Le chemin de la falaise) vaut à elle seule la raison d'acquérir cet ouvrage !
10-18 collector, 2017, trad. Sophie Vincent pour Le Masque Gris (Grey Mask)
Le joyau de l'Annam, de Patricia Wentworth
Un simple coup d'œil à la couverture a suffi pour attiser ma curiosité et anticiper le bonheur de ma lecture de ce nouveau roman de Patricia Wentworth. Je l'ai commencé en toute innocence, sans chercher à connaître son contenu, mais j'avais pressenti une promesse d'évasion à l'évocation de l'Annam (désormais le Viêt Nam)....
Peter Waring n'est qu'un enfant lorsqu'il se retrouve sans famille et sans le sou, mais il hérite malgré lui d'un lourd secret familial autour du célèbre joyau de l'Annam, devenant ainsi le maillon d'une chasse au trésor qui va soulever les foules et les convoitises.
Bien des années plus tôt, son père et deux acolytes sont partis à sa recherche, ont été en possession de l'objet, avant d'en subir la malédiction. Depuis, un mystère demeure autour de son existence et de son détenteur. L'entourage de Peter n'a eu de cesse de scruter le jeune orphelin, pesant le poids de ses souvenirs ou de ses connaissances. En vain.
Peter a ainsi grandi dans une ambiance lourde et sournoise, dont il a pu s'extirper en trouvant auprès de Rose (sa “sœur de cœur”) une relation pure et candide qui l'empêche de perdre pied dans son labyrinthe de coups fourrés.
Adolescent romantique, Peter va pourtant s'enticher de la ravissante Sylvia... laquelle joue le chaud et le froid avec ses sentiments, avant de comprendre qu'il pourrait lui être d'une aide précieuse dans la quête du joyau !
En effet, criblée de dettes, Sylvia a vendu son âme à un sombre individu, lui aussi déterminé à mettre la main sur cette pierre unique en son genre. Avec son charme et son culot, la jeune fille va subtilement duper son entourage pour parvenir à son but.
Toutefois, le chef d'orchestre de cette sombre histoire d'ambition dévorante demeure insaisissable. Les trublions surgissent sans crier gare, les tromperies se multiplient, ce qui ne manquera pas d'étourdir le lecteur, car toutes les cartes n'ont pas été jouées !
Dommage que tout ceci donne une sensation de fouillis au roman, me faisant osciller entre l'intérêt frétillant et l'ennui gonflant au fil des pages. J'ai certes été séduite par l'ambiance des années 20, mais peu conquise par l'intrigue générale...
Un rendez-vous en somme charmant, mais peu captivant.
10x18 Grands Détectives / Juillet 2017 / Trad. Pascale Haas
Liaisons secrètes, de Patricia Wentworth
Quel bonheur de retrouver ma bonne vieille copine Patricia Wentworth ! Je suis, à tous les coups, assurée de passer un bon moment de lecture : simple, dépaysant, vintage, captivant. J'adore.
Cette édition ne déroge pas à la règle et nous raconte l'histoire de Shirley Dale, une jeune femme sans le sou mais pleine de ressources. Installée à Londres, dans une petite chambre qu'elle loue à Mrs Camber, elle occupe également l'emploi de dame de compagnie chez Mrs. Huddleston, laquelle passe son temps à radoter, à se plaindre, à piquer du nez dans son fauteuil couvert de chintz, calée près du feu. Pourtant, un malheur va frapper cette rombière à qui l'on vient de voler une broche en diamants et une parure d'émeraudes. Tous les soupçons se portent sur Shirley, obligée de fuir sans demander son reste. Et la voilà qui débarque en pleine campagne, où ses ennuis ne sont pas finis pour autant !
Quelle incroyable rouerie que ce scénario ingénieux et aux rebondissements multiples. J'ai été franchement épatée par ce roman à suspense qui déploie ses ailes avec grâce et sans friser le ridicule. Tout est finement troussé, chaque pièce glissée sur l'échiquier dans un but précis. Patricia Wentworth a anticipé chaque sursaut et a piégé son lecteur dans cette course-poursuite effrénée. L'héroïne est à la fois attachante et écervelée, coincée dans une situation embarrassante, à propos de laquelle le lecteur n'est pas dupe, complice du crime en puissance.
Ce n'est pas non plus le défilé de la fanfare pour conduire au coup de théâtre final, toutefois cette lecture sait nous régaler de bonnes petites séquences d'une intensité dramatique palpitante ! J'ai été enchantée, complètement emportée dès les premières pages, plongée dans une autre époque, à croiser des personnages hauts en couleur (Jasper Wrenn ou Miss Maltby). Et reconnaissons que certaines péripéties sont stupéfiantes et inattendues. Bref. Du très bon dans le genre cozy mystery.
Traduit par Pascale Haas pour les Editions 10/18 (Juillet 2016)
Titre original : Hole and Corner
Le Cabinet chinois, de Patricia Wentworth
En devenant l'héritière d'un mystérieux cousin, Chloé ignore que celui-ci a bâti sa fortune grâce au chantage. Toutes les lettres compromettantes se trouvent désormais dans un cabinet chinois fermé à clef, avec une combinaison. Lorsque la jeune femme pousse la curiosité à fouiller dans les affaires du vieil homme, elle tombe des nues et cherche à fuir le domaine de Danesborough. C'est sans compter sur le couple d'intendants, les Wroughton, qui ne la lâche pas d'une semelle et espionne ses moindres faits et gestes. C'est dans cette atmosphère charmante et désuète que Patricia Wentworth tisse une intrigue gentillette, avec une tension dramatique palpable, qui n'est pas sans rappeler les films d'A. Hitchcock ou les romans de Daphné du Maurier. Par contre, l'héroïne est confondante de naïveté et devient vite un brin agaçante à accorder sa confiance aux mauvaises personnes ou à agir sur un coup de tête avant de s'en mordre les doigts. La deuxième partie en devient quasi poussive, avec un dénouement faiblard, qui ternit quelque peu la très bonne appréciation du début.
10/18 Grands Détectives ♦ Juillet 2015 ♦ Traduit par Pascale Haas (The Black Cabinet)
Un nuage de lait dans votre thé !
Sarah Trent vient de décrocher un poste de demoiselle de compagnie auprès d'une jeune héritière, Lucilla Hildred, actuellement hébergée chez sa grand-tante dans sa maison de campagne, notamment dans le but de lui changer les idées. Car Lucilla a perdu ses parents, a été retirée de son école et broie du noir parce qu'elle est victime de son imagination. Serait-elle vraiment folle, pense Sarah, qui trouve l'adolescente joyeuse et impertinente, ou tenterait-on réellement de la tuer pour s'emparer de son héritage ?
Des fantômes par ci, des accidents douteux par là... la question ne se pose plus et la tension monte d'un cran. Heureusement son meilleur ami Bertrand vient lui prêter secours, de même qu'un certain John Brown, une vague connaissance de la famille Hildred, qui se prétend entomologiste ou quelque chose comme ça. Son cas pose problème aux yeux de Sarah : serait-il beau parleur ou noble sauveur ? Que cache cet homme séduisant, qui lui fait un peu tourner la tête, alors que Sarah s'est jurée de ne jamais tomber amoureuse de personne ?
Entre secrets de famille et soucis d'héritage, l'intrigue nous offre du déjà-vu parfaitement bien troussé. L'héroïne, Sarah Trent, est une jeune femme moderne et dynamique, elle porte les cheveux courts et a la peau bronzée, elle aime la vitesse et les voitures de course, elle est aussi très indépendante. Sa façon de débusquer les mystères de la Maison Rouge est teintée de prudence, d'instinct féminin et de flegme britannique. On se laisse aisément porter par le rythme de l'intrigue, se surprenant même à ressentir des pics de frisson alors que le climat devient plus tendu, surtout la nuit, dans la petite chambre bleue.
Chaque roman de Patricia Wentworth procure la sensation de renouer avec une vieille camarade, qu'on retrouve avec grand plaisir, et qui ne changera décidément jamais ! La lecture se veut classique, délicieusement surannée, un peu guindée... mais finalement indémodable ! On ne s'en lasse pas.
Cache-cache avec le diable, par Patricia Wentworth
2012, Coll. Grands Détectives chez 10/18 - traduction de Delphine Rivet
Prends garde à toi !
Très souvent, les intrigues de Patricia Wentworth ne sont pas ébouriffantes et on devine très vite la fin à des kilomètres à la ronde. Or, cette fois, même si le doute était semé, j'ai aussi été plus d'une fois étonnée par les retournements de situation. La dame ne déroge pas à ses principes : jamais de sang, pas de poursuite infernale, aucune scène qui pousse le sensationnalisme sur le devant, les enquêteurs boivent le thé devant un bon feu de cheminée et dissertent, entourés de livres et d'un perroquet bavard. Non, franchement, nous sommes loin des nouvelles modes du genre policier. L'enquête ici se base sur un climat de suspicion, voilà la grande force de l'histoire (en plus de ce que je considère comme l'élégance du style, les personnages charmants et agaçants, le ton guindé et raffiné, le petit côté rétro, mais pas vieillot).
Nous avons en tête Rosalind Denny, veuve depuis dix-huit mois, dont le mari Gilbert a mis fin à ses jours lors d'une sortie en mer. Il était sous-secrétaire au Forein Office, jouissait d'une carrière florissante, avait le tapis rouge à ses pieds, hélas il semblerait qu'un prochain scandale pouvait l'éclabousser et qu'il ne l'aurait pas supporté. Or, Rosalind réfute ces accusations. Selon elle, il aurait été tué ou poussé au crime. Son cousin, le colonel Garrett (déjà croisé dans L'appel du danger), assisté du sémillant BCH Smith, commence à entrevoir l'aube d'un complot. D'autres politiciens ont été récemment acculés à la retraite professionnelle, seulement l'un d'eux, Bernard Mannister, a choisi la méthode tapageuse, en forçant le ton et en brassant l'air de ses bras. De plus, son nouveau secrétaire particulier, Jeremy Ware, travaillait également pour Gilbert.
Et ainsi tourne la roue. Car Jeremy réalise avec stupeur qu'il serait lui aussi visé par ce complot, qu'on chercherait à le tenir responsable de contre-espionnage, et sans l'intervention d'une demoiselle, qui lui apparaît la nuit, tel un fantôme, avant de disparaître dans les couloirs souterrains de la maison de Mannister, Jeremy serait dans de beaux draps. Mais sa cote de crédibilité a cruellement chuté, il se sent seul, raison de plus pour démasquer le coupable et faire éclater la vérité, découvrir l'identité de la jeune fille somnabule, reconquérir la confiance de Rosalind, laquelle est tombée dans les pièges du spiritisme... Bref, l'intrigue nous réserve son lot de surprises, toutes très agréables, le climat d'après-guerre rend l'ensemble captivant, mais jamais pesant. Cela confirme mon sentiment, lire ou relire Patricia Wentworth n'est jamais décevant !
10-18, collection Grands Détectives (2008) - 282 pages
traduit de l'anglais par Anne-Marie Carrière
Mr. Zero ~ Patricia Wentworth
10/18 Grands Détectives, 2009 - 280 pages - 7,90€
traduit de l'anglais par Eric Moreau
Prenez une ravissante idiote, Sylvia Colesborough, qui joue de l'argent en dépit de l'interdiction de son époux. Elle perd la somme de £500, s'en mord les doigts et s'acoquine avec un dénommé Mr. Zero qui est un odieux maître-chanteur. Forcée de dérober des documents importants, qui concernent la sécurité intérieure, notre tête de linotte n'a vraiment pas une once de jugeotte pour dire stop et avouer la vérité à son mari. A la place, elle court pleurnicher dans les bras de sa cousine, Gay Hardwicke, moins fortunée mais plus sensée qu'elle. Ceci dit, ce n'est pas bien compliqué de se révéler plus perspicace. Quelle idiote, cette Sylvia Colesborough ! Naïve, charmante, délicieuse et délicate, mais cruche et bête à manger du foin. Elle en devient une caricature exaspérante ! C'est une honte pour la gente féminine. Gay Hardwicke aussi est agacée par sa cousine, elle refuse de tremper un doigt dans ses affaires mais les événements vont se précipiter, et son ami, Algy Somers, va malgré lui devenir le suspect idéal.
C'est un fantastique jeu de quiproquos que nous offre ce roman, et c'est ce qui le rend attachant et captivant, car j'avais très vite deviné le coupable. L'intérêt a donc été ailleurs, mais ce fut tout aussi appréciable. J'ai purement savouré ce roman de Patricia Wentworth, c'est un bon cru de 1938, il n'est pas du tout poussiéreux, il est au contraire chic et raffiné. C'est dans cette catégorie de lecture qu'on peut trouver des phrases ampoulées qu'on détesterait ailleurs, mais qui ici prennent une élégance folle et séduisante.
Sylvia émit un profond soupir, se tamponna les yeux à l'aide d'un mouchoir mauve et ouvrit son sac de suède orné d'une initiale en diamants.
J'adore ! Il y a une foule de petits détails pour décrire cette bonne société anglaise, les dialogues sont divins, les personnages attachants, les toilettes vaporeuses. Les inspecteurs fournissent un travail minutieux qui consiste à beaucoup discuter, à cuisiner les témoins en buvant du thé, ce ne sont pas des hommes de terrain, l'enquête n'est pas franchement décoiffante mais ça fait aussi partie du charme de ce type de roman policier. C'est une lecture parfaitement délectable, qui permet de se poser, de savourer et de revoir ses classiques. C'est bon de renouer avec ses premières amours !!!