Les tribulations d'une cuisinière anglaise, de Margaret Powell
Sitôt que j'ai vu les mots magiques « Downton Abbey » en couverture de ce livre, mes yeux ont étincelé de mille feux ! Même si je redoutais en mon for intérieur une lecture rébarbative, il me suffisait d'imaginer Mrs Patmore et Daisy pour que mes doutes s'envolent aussitôt.
Margaret Powell est née au début du siècle et a grandi dans le Sussex, près de Brighton, dans une famille nombreuse et modeste. Vers 13 ans, la jeune fille doit quitter l'école pour “entrer en condition” et est embauchée comme fille de cuisine. Elle connaît alors le dur labeur des journées interminables, des besognes harassantes et ingrates, des foyers méprisants.
Persévérante et effrontée, Margaret part à Londres et devient cuisinière mais ne conçoit pas de passer toute sa vie au service des autres. Elle rêve de se trouver un fiancé et de se marier. En attendant, elle enchaîne les maisons et ressasse son amertume au travers d'anecdotes truculentes et déversées sans chichis.
C'est ce que j'aime dans cette lecture - outre son humour, c'est le caractère bien trempé de Margaret. Elle dit haut et fort ce qu'elle pense, elle avance au culot et elle ne regrette absolument rien. Elle raconte son expérience sans état d'âme et croque les portraits des uns et des autres avec bonhommie. On sent que le temps a fait son œuvre et que la dame a un regard coquin sur son passé.
J'ai vraiment passé un super moment à plonger dans son histoire. En plus de me croire sur le tournage de Downton Abbey, je me figurais également vivre à une autre époque, celle des maîtres et des valets, des grandes maisons anglaises et des clichés romantiques qu'on gratouille avec tendresse.
En somme, il y a une vraie âme dans ce livre qui rend sa lecture attachante ET passionnante. On comprend mieux pourquoi le scénariste Julian Fellowes s'en est inspiré pour le film Gosford Park mais aussi pour ma série fétiche... On aime beaucoup. On adore !
« Vivre en condition, ça donne un aperçu, voire des idées, sur ce que ça peut être qu'une vie meilleure. On pense à la façon dont nos employeurs vivaient, et peut-être qu'inconsciemment on essaie de les imiter. Les bonnes manières, ce n'est peut-être pas très important, mais ça aide à faire son chemin dans la vie, malgré tout. »
Petite Bibliothèque Payot (2014) - traduit par Hélène Hinfray
#MoisAnglais_2018
Dans l'Angleterre du début des années 1920, la jeune Margaret rêve d'être institutrice mais doit “entrer en condition” et travaille dans les cuisines des grandes maisons bourgeoises. Grâce à son franc-parler aux antipodes des récits nostalgiques de domestiques trop parfaits, ce truculent témoignage paru en 1968 valut la célébrité à Margaret Powell (1907-1984) et inspira plusieurs scénaristes, dont celui de la série Downton Abbey.
Ils vivent la nuit (Audiolib)
Après de menus larcins durant son adolescence, Joe Coughlin cherche à se faire une place au soleil au sein du crime organisé. Il s'est définitivement éloigné du droit chemin, lui le fils de Thomas Coughlin, le commissaire adjoint du Ministère de l'Intérieur de Boston. Joe estime que ses copains et lui sont invincibles, mais il va vite déchanter suite à un cambriolage qui va virer au bain de sang. Il est recherché par toutes les polices et aurait pu quitter la ville et sauver sa peau, sauf qu'il a tenu à revoir une dernière fois sa petite copine, Emma, également la maîtresse d'un caïd de la pègre.
Basée au cœur des années 20 et de l'époque de la Prohibition, l'histoire nous transporte depuis Boston, jusqu'en Floride puis Cuba. C'était la première fois que je lisais un livre de Dennis Lehane (je ne connaissais que les adaptations cinématographiques de ses œuvres) et j'avoue que mon intérêt pour cette lecture aura été zigzagant. Le début m'aura laissée expectative, puis toute la deuxième partie se déroulant au centre pénitencier m'a complètement emballée (alors que c'est violent, très sombre et impitoyable, mais ça m'a plu). Rebelote, troisième partie en Floride plutôt moyenne, puis regain d'enthousiasme pour l'épopée cubaine et la fin dramatique, mais palpitante.
Parmi les personnages du livre, j'ai beaucoup aimé la figure du père de Joe, Thomas Coughlin, dont on fait la connaissance dans un précédent roman, Un pays à l'aube. Après des années à tenter de comprendre son fils, à ne pas toujours se montrer sous son bon jour, Coughlin va nous surprendre et tisser une très émouvante relation filiale. Enfin, personnellement cela m'a touchée. Sans quoi, dans l'ensemble, le roman est assez réaliste et donne un bon aperçu de l'organisation du crime mafieux jusqu'au début des années 30. C'est loin d'être idyllique ... on assiste d'ailleurs à de nombreux meurtres et autres scènes brutales. Mais le rythme est lent, sentiment auquel s'ajoute la lecture pondérée de Michelangelo Marchese, qui prête sa voix au ton cynique et à la violence de l'histoire. Je reste donc circonspecte, même si cela avait tout lieu de me rappeler la série Boardwalk Empire (♥).
Ils vivent la nuit, par Dennis Lehane
Audiolib / éditions Payot & Rivages (2013) - traduit par Isabelle Maillet
Texte intégral lu par Michelangelo Marchese (durée : 15 h 40)
Hester Lilly - Elizabeth Taylor
Orpheline depuis peu, Hester Lilly arrive chez son cousin Robert, après avoir échangé une longue correspondance fusionnelle, mettant de côté Muriel, l'épouse de Robert.
Bien entendu, cette dernière accueille la jeune cousine d'un sourire pincé mais ressent un soulagement railleur en voyant Hester à l'allure désinvolte, provocante et absurde. De son côté, Robert est également rassuré du soulagement évident de sa femme, quant à Hester Lilly commence un pénible désenchantement, de plus en plus marqué par la douloureuse relation qui va naître entre elle et la maîtresse de maison.
L'arrivée d'Hester sert avant tout de catapulteur dans ce foyer étriqué d'une bourgade provinciale. La jeune cousine devient la secrétaire de Robert, directeur d'une école, mais s'enfonce dans l'apathie et la maladresse. Elle fera la rencontre de Hugh Baseden, professeur de biologie, personnage hautement nonchalant et engourdi, et d'une vieille femme un peu folle, Miss Despenser.
En fait, tous les personnages se révèlent tous drapés d'une couche pour l'apparence et d'un fond plus trouble et nébuleux. Muriel tente de garder la dragée haute, se pare de ses plus beaux bijoux, cherche à briller en recevant, mais ne parvient pas à endiguer ses sentiments de panique et sa frustration du temps qui passe. Elle se sent supérieure à Hester, plus élégante et sûre de son goût, mais reconnaît une fraîcheur à cette jeune personne qu'elle n'a plus et soupçonne donc Hester d'être amoureuse de Robert !
Celui-ci est un type mou, condescendant et assez rigide dans ses principes. Concevoir qu'il puisse être porté par des élans du coeur est assez surprenant, mais "L'amour est-il l'apanage des esprits brillants ? Il est très terne lui-même et il vaut mieux que deux personnes inintéressantes se marient et tiennent leur insignifiance à l'écart".
L'esprit est cruel chez Elizabeth Taylor, mais sous cette apparence se trouvent également une blessure et un désoeuvrement, car tous les acteurs de cette comédie amère sont finalement en face d'une cruelle réalité : leur solitude, leur impuissance à vaincre les faux-semblants et l'incapacité d'affronter leurs sentiments. Il y a ceux qui sont en couple mais ne s'aiment plus et refusent de l'admettre, et ceux qui tentent d'être un couple, avec incompétence ou étourderie, et balbutient leur affection. Chez tous, la solitude est présente et force à se demander s'il est pire de la vivre seul ou à plusieurs ?
Un roman très bref, sur l'amour qui s'éteint, la confiance qui s'effrite et la perte du couple. Divin !
Traduit de l'anglais par Jacqueline Odin - Payot-Rivages / Mai 2007 - 114 pages - 12 euros
La vérité et ses conséquences - Alison Lurie
"C'était par une très chaude matinée au beau milieu de l'été : après plus de seize ans de mariage, en voyant son mari à une quinzaine de mètres, Jane Mackenzie ne le reconnut pas." Non, Alan Mackenzie ne ressemble plus au séduisant professeur qu'elle a épousé, c'est désormais un homme courbé par la douleur, mal coiffé et qui a grossi. Depuis plus d'un an, Alan souffre d'un mal de dos qui le prive de tout déplacement et le cantonne dans un canapé où il geint et passe son temps à avaler des cacahuètes, de la glace, etc. Jane est devenue son soigneur, mais elle n'en peut plus. A force de ronger ses pensées amères, elle devient mesquine et haineuse.
A l'université où Jane et Alan travaillent, l'éminente Delia Delaney est invitée en résidence. C'est une célébrité, elle est belle et affriolante, réputée également capricieuse et imprévisible. Delia est accompagnée de son mari, Henry. Jane prend en grippe le couple, puis se surprend à accorder ses violons avec Henry. Delia souffre de migraines chroniques, la rendant encore plus exigeante. Tandis que Jane et Henry se trouvent des points communs, Delia se rapproche d'Alan qui tombe dans ses filets. Entre jeux de séduction, badinages, mensonges et vérités à demi avouées, les couples se mélangent. Mais, gare : le lézard rampe et chatouillera le dindon de la farce...
"La vérité et ses conséquences" est une comédie douce-amère sur les sempiternelles relations dans les universités américaines, dans le petit cadre fermé des intellectuels qui perdent leur foi, cherchent la notoriété, donnent des conférences et courent à perdre haleine pour fuir l'attachement trop intempestif des admirateurs. Au centre du roman d'Alison Lurie, on retient la figure magnifiquement agaçante de Delia Delaney, pompeuse et sexy, qui cartonne et détonne dans ce milieu coincé et huppé. Autre personnage intéressant : Alan Mackenzie, le pitre de service, bien malgré lui. Il se coltine des douleurs lombaires depuis 18 mois, et chaque passage dans le roman donne lieu à des séances de grimaces et pleurnicheries. Alison Lurie n'est pas complaisante, elle épingle un bon coup pour faire mal et le lecteur sourit. Le roman est, en somme, un rapide moment de lecture agréable, assez fidèle au style de l'écrivain. Quelques pages, vers la fin, auraient pu soulager l'histoire qui s'alourdit un petit peu. Sans quoi, bon point.
Rivages
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"Sous les yeux d'un Alan incapable de l'arrêter, elle tira sa valise à roulettes sur le parquet, de la cuisine au couloir. Bientôt, il entendit la valise retomber lourdement sur chaque marche de l'escalier, et dans chaque rebond résonnaient l'ennui, le devoir et la morosité à venir."
Le cryptographe - Tobias Hill
L'histoire se passe à Londres en 2021, mais c'est une très légère supposition d'un roman d'anticipation. Anna Moore est inspectrice des impôts, c'est une jeune femme de 36 ans, célibataire, encore attachée à son ancien amant et mentor, Lawrence. Celui-ci, désormais à la retraite, tente de la mettre en garde contre le nouveau dossier dont elle est en charge : celui de John Law, autrement dit le Cryptographe, l'ingénieur de la nouvelle monnaie virtuelle (c'est là le point avant-gardiste !). Mais le dilemme entre le Fisc et John Law se règle instantanément, sans rechigner. La rencontre entre Anna et John fait des étincelles, l'homme est auréolé des fantasmes que sa situation de multimilliardaire entretient et la jeune femme est impressionnée. Elle cherchera à le revoir et leurs entretiens se passeront à chaque fois avec cette électricité dans l'air. Anna s'introduira dans le bunker familial et rencontrera Anneli, l'épouse de John, et leur fils Nathan. Les secrets sont perceptibles, mais Anna est autrement intriguée.
Quelques mois plus tard, la presse annonce que le système monétaire de John Law est en banqueroute, un virus est en passe de tout raser de la planète. Le monde est en crise, mais John Law a mystérieusement disparu. La police considére Anna comme impliquée dans l'affaire et lui demande de collaborer et de retrouver Law.
Ce roman est étrangement séduisant.. Mais pour moi, le seul aspect qui pêche est l'implication d'une nouvelle économie et d'une monnaie virtuelle, soit le Soft Gold, système paré de longues tentatives d'explications (auxquelles je n'ai pas été sensible, ni réceptive), de la cryptographie, de la corruption du code, des processus transactionnels, du mécanisme du portail, etc. Je n'ai pas tout compris clairement, mais ce n'est pas le plus important car j'ai trouvé que le roman avait d'autres qualités à défendre. Cela repose sur cette étrange fascination exercée par la famille Law sur Anna Moore, sur la relation naissante et balbutiante entre la jeune femme et le cryptographe. "C'est un simple désir, pas comme de l'amour, rien d'aussi compliqué que ça. Ou bien c'est comme un premier amour. Comme une obsession." Le couple de John et Anneli représente la grâce, la beauté, la richesse et le mystère. C'est là qu'intervient la comparaison à Gatsby de Fitzgerald : un microcosme élégant mais trompeur, un certain statisme dans les rapports, la séduction ambivalente... Le roman est assez lent, même si l'histoire se passe en deux ans. On n'a pas l'impression du temps qui passe, mais il règne un indescriptible pouvoir d'ensorcellement, un petit côté rétro dans les personnages alors que l'histoire est en 2021 ! Rien de futuriste, non pas du tout. Ce roman de Tobias Hill est plus une pénétration de l'âme humaine, secrète et pernicieuse, de l'art de duper, de paraître et de cultiver son jardin. Le tout sur un fond d'intrigues financières et de chasse à l'homme. Etonnant, vraiment.
Rivages